Rouge nu
de Benjamin de Laforcade
*****
Et voici aujourd'hui le livre auquel j'aurais décerné le Prix du Premier Roman, si on m'avait demandé mon avis. Ce qui n'est bien sûr pas le cas et c'est pourquoi je tiens ce blog. Une œuvre littéraire exceptionnelle dont on ne parle pas assez et je suggère que nous tentions de corriger cette lourde erreur.
Ezra, qui a toujours vécu face à la mer, sur son ile , avec sa mère, a également toujours peint et dessiné. Il arrive à l'âge d'intégrer une école d'art à Berlin et a eu la chance d'être accepté dans celle, prestigieuse, d'Andreas Mauser, le peintre qu'il admire le plus au monde et dont il a copié et copié encore toutes les œuvres. Son admiration pour l’œuvre du maître est absolue. Je pense qu'il est important de bien ressentir cela. Le voilà donc débarquant à Berlin. Il a trouvé un petit logement près de l'école et, comme celui-ci prend chaque année un nouvel assistant parmi les nouveaux, la chance encore d'être choisi. Il faut dire qu'Ezra est peintre jusqu'à la moelle et qu'il a suffi d'un regard à Mauser pour repérer son talent.
Les cours commencent ainsi que les amitiés et flirts de sa nouvelle vie. Son admiration pour le travail d'Andreas Mauser se confirme alors qu'il découvre progressivement des plages d'ombre dans sa personnalité et qu'au fil du temps, ces découvertes sont toujours plus sombres. Si l'Art est le plus important dans la vie, qu'est-on prêt à lui sacrifier? Jusqu'où peut-on aller? Ezra vivra cette problématique majeure et sera obligé d'y répondre. Le lecteur, auquel Benjamin de Laforcade aura réussi à faire partager au plus profond de lui, la force du dilemme, aurait-il fait le même choix?
La problématique de ce livre est : les génies, par définition, ne sont pas des êtres comme les autres et l'on sait que certains peuvent être particulièrement antipathiques. Jusqu'où peut-on accepter leurs défauts pour pouvoir bénéficier de leurs chefs-d’œuvre? Quand l'art est tout et l’œuvre le trésor suprême, que peut-on ou non leur pardonner? L'auteur a su habiter totalement cette problématique et lui donner vie.
Je n'ai pas réussi à savoir si Benjamin de Laforcade peignait , mais on jurerait que oui. On n'arrive pas à croire qu'il puisse si bien connaître les élans et enjeux de la création artistique sans les avoir éprouvés lui-même. Bien sûr, il y a aussi la création littéraire qu'il a forcément vécue, mais elle est un peu différente et ici, l'auteur parvient à nous faire croire que le roman a été écrit par un peintre. C'est un roman excellent, grand, même. On a du mal à croire qu'il puisse s'agir d'un premier roman tant la maîtrise et la subtilité sont parfaites. Bravo à Gallimard de lui avoir ouvert les portes de la Blanche dès ce premier envoi. Un écrivain que je suivrai avec attention.