15 février 2023


L’œil le plus bleu

de Toni Morrison

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Titre original : The Bluest Eye 

Ecrit alors qu'elle avait 39 ans, ce fut le premier roman édité de Toni Morrison. C'était en 1970. L’œuvre n'est pas encore parfaite mais l'auteur est déjà un grand écrivain, cela se voit tout de suite.

Quartier noir, deux petites filles, deux sœurs : Frieda et Claudia, neuf et onze ans. C'est Claudia qui raconte, la plus jeune mais pas la moins dégourdie. Elles ont des parents sévères, parce que la vie n'est pas facile pour eux, mais pas plus sévères que les autres parents, moins que certains même. La lectrice que je suis n'a pas pu s’empêcher de penser plusieurs fois à Delphine et Marinette*, à des milliers de kilomètres de là, et sans les animaux qui parlent...

Leur famille vient de recueillir pour le moment une petite voisine à peine leur aînée : Pecola dont la famille part à la dérive, et à travers les histoires de Claudia, c'est en fait la jeune vie de Pecola que nous découvrons. Une vie gâchée d'avance, parce que celles de sa mère et de son père -qui nous seront présentées depuis leur plus jeune age- avaient été gâchées auparavant. Ce sont des naufrages individuels, mais ce sont tout autant des asservissements collectifs dus au racisme qui ne leur laisse pas leur chance. C'est pourquoi les trois petites admirent, envient et haïssent simultanément les petites blondes aux yeux bleus à qui tout est offert d'office et toujours, alors qu'elles n'ont rien. Pecola en particulier, est persuadée que si elle avait seulement les yeux bleus, son existence serait tout autre et qu'elle connaîtrait enfin des conditions de vie positives. Elle rêve d'yeux bleus, puis quand le pire se confirme, qu'elle touche le fond, finit par penser qu'ils vont devenir bleus... les plus bleus, et qu'enfin, elle aura droit au bonheur.

Le récit s’étend sur quatre saisons autour de ces fillettes, adjoignant plusieurs portraits saisissants de personnages annexes qui constituent un monde extrêmement bien rendu -en quoi je vous disais que T. Morrison était déjà alors un grand écrivain. Par-delà ses personnages, elle donne à voir une société, et par-delà les cas particuliers, des catégories humaines, des mouvements sociaux.

C'est un roman assez court. Un très bon roman, et qui mérite d'être lu. Les débuts de celle qui allait devenir Nobel de Littérature.


* « Les contes du chat perché » Marcel Aymé

978-2264047991 



7 commentaires:

  1. J'ai une relation contrastée avec Toni Morrison : soit j'adore soit j'abandonne ;-) et celui-ci je l'ai abandonné même si tout ce que tu en dis me donne envie de retenter de lire cette autrice! Merci de ta participation au challenge!

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    1. Oui, je pense que cela mérite une lecture mais il faut aussi accepter que certains livres ne soient pas faits pour nous.

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  2. Les romans de Toni Morrison m'ont beaucoup marquée. Je les ai lu il y a longtemps mais je les garde en mémoire. C'est une formidable romancière

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  3. Il est sur ma pile... je n'ai pas relu Morrison depuis Home, il faudrait que je m'y remette. J'ai beaucoup aimé Le chant de Salomon. Jazz m'avait en revanche laissée perplexe !

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    1. Moi, j'en lis ou relis un de loin en loin. Une grande écrivaine. Je te conseille "Récitatif" si pas encore lu

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  4. Coucou ! Ce roman m'a beaucoup marquée, parce qu'il permet de comprendre, l'espace de quelques heures, ce que je ne vivrai jamais dans ma chair en tant que femme blanche. D'ailleurs, dans la même thématique, L'Amour de nous-mêmes d'Erika Nomeni (ma dernière chronique) pourrait t'intéresser aussi ;) En plus il n'y a que des auteurs hommes dans tes dernières chroniques, hormis celle-ci justement. A tout bientôt !

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