H. P. Lovecraft - Contre le monde, contre la vie
de Michel Houellebecq
GARANTI SANS SPOILER Petite liste de ce que j'ai lu... "J'ai lu quelques bons livres cet été-là, ainsi qu'un grand nombre de mauvais, et le les ai tous aimés." (Quatre saisons à Mohawk de Richard Russo)
H. P. Lovecraft - Contre le monde, contre la vie
de Michel Houellebecq
Le maître du haut château
Philip K. Dick
Cette édition "J'ai Lu" de 2013 978-2290082324 présente un grand intérêt du fait de la postface de L. Queyssi très documentée et des deux chapitres que P.K. Dick avait rédigés pour une suite éventuelle. Cette suite n'a jamais vu le jour mais ces chapitres éclairent tout de même rétroactivement l'ouvrage que nous venons de terminer. La postface quant à elle est une mine de renseignements et permet de comprendre avec une toute autre précision ce roman étonnant.
Il s'agit d'une uchronie. Une bonne vingtaine d'années après la fin de la seconde guerre mondiale, Allemands et Japonais, qui ont remporté la victoire et anéanti toute opposition, se sont partagé le monde. L'est du globe jusqu'à et y compris la partie est des ex-USA, maintenant PSA : Etats pacifiques d'Amérique, est aux Japonais. L'Europe et la partie ouest des PSA est aux Allemands. Entre les deux, soit le centre de l'Amérique du Nord, est une sorte de no man's Land non revendiqué car « jugé sans intérêt » dit un personnage, on peut estimer aussi que cela évite aux deux vainqueurs d'avoir une frontière commune. Etre alliés est une chose, s'aimer en est une autre.
Nous sommes à San Francisco, donc zone nippone et c'est là que nous faisons connaissance de nos personnages et de la drôle de situation qui est la leur. Tout ce qui est important, distingué, chic et qui compte, est japonais. Les indigènes nord américains les admirent, les envient et les imitent car il n'y a nulle part dans le monde le moindre esprit de rebellion. Chacun tente d'être le plus japonais possible et le mieux vu possible par eux, tout en considérant qu'il leur sera toujours inférieur. C'est assez étonnant comme état d'esprit. Parmi les habitudes venues de l'Est et, peut-être au premier rang d'entre elles, l’usage du Yi King. Chacun consulte constamment ce livre des oracles au moindre doute, à la moindre inquiétude sur l'avenir ou sur une décision à prendre. Ses réponses sibyllines se prêtent bien sûr à toutes les situations. Le monde est hyper raciste, antisémite, homophobe, oppressif et vertical, le nazisme règne en maître incontesté. Il y a des esclaves. Les génocides ont réglé tous les conflits. Dans la partie plus apaisée, l' ambiance est délétère, une auto-surveillance de tous les instants est indispensable.
Dans ce monde difficile et stressé, circule un roman de science-fiction uchronique qui imagine un monde dans lequel les alliés, et non les forces de l'Axe, auraient gagné la guerre. Ce roman a été écrit par un écrivain qui habite une demeure fortifiée sur les hauts plateaux de crainte (justifiée) de se faire assassiner (c'est lui le Maître du titre). Dans les parties allemandes du monde, ce roman est interdit, dans les parties japonaises il ne l'est pas et est même un best-seller. Il captive ses lecteurs par l'originalité du point de vue tant la victoire nazie est indiscutée.
Premier gros succès de P.K. Dick, ce livre n'est peut-être pas aussi bien rédigé que le seront d'autres. . Je pense en particulier à l'idée de s’inspirer du style bref et coupé des haïkus pour évoquer la façon de penser d'un Japonais... je n'ai pas été convaincue par le procédé. Mais ce roman est par contre vraiment très habilement monté. Ainsi, on s'attendrait à ce que le monde évoqué par le Maître revienne à une peinture de notre monde, puisque les Alliés ont effectivement gagné. Eh bien il n'en est rien. C'est encore un autre monde qui apparaît et le lecteur ne peut s’empêcher de se demander combien d'autres variations sont possibles et cela le laisse songeur... Une autre mise en abyme apparaît. On l'a dit, les personnages utilisent le Yi King mais l'on apprendra plus tard que le Maître du haut plateau lui aussi, a utilisé le Yi King pour écrire son livre. Au point qu'il dit que c'est le Yi King qui a écrit son roman. Et pour rajouter encore un étage, nous apprendrons, nous, que P.K. Dick l’utilisait beaucoup alors qu'il écrivait ce livre.
Le complot contre l’Amérique
de Philip Roth
Le Judas de Léonard
de Leo Perutz
Leo Perutz excellait dans les romans historiques où il mâtinait à sa sauce les faits historiques, sans jamais les heurter ou les ridiculiser, pour en tirer des romans passionnants. Celui-ci est son dernier, publié à titre posthume après que Alexander Lernet-Holenia eut apporté la dernière main à l'ouvrage presque fini.
Nous sommes en 1498, Léonard de Vinci est en train de peindre La Cène pour un couvent de Milan, ou plutôt, il le devrait, car en fait, il ne peint plus depuis longtemps et partage son temps entre la contemplation de son œuvre inachevée et la fréquentation assidue des bouges de la ville... Le prieur du couvent qui désespère d'obtenir la livraison de sa fresque, vient s'en plaindre au Duc de Milan devant lequel, Léonard doit bien s'expliquer, ce qui permet au lecteur d'entrer de plain-pied dans l'action. Si Léonard ne peint plus, c'est qu'il lui faut un modèle pour le visage de Judas et qu'il n'en trouve pas... S'il fréquente les mauvais lieux, c'est dans l'espoir d'en découvrir un. Le Prieur ne peut que s'incliner.
Nous voici donc dans les estaminets où nous retrouvons un marchand allemand, Joachim Benhaim, qui vient de vendre deux très beaux chevaux au Duc et qui cherche à se restaurer. Dans cette auberge, il trouvera une compagnie bohème qui compte autant d'artistes, peintres, sculpteurs, poètes, que de voyous ; et d'ailleurs, se sont parfois les mêmes. Parmi eux, le plus dangereux est sans doute ce Mancino, qui trousse la rime mais loue aussi bien son poignard pour de basses œuvres. Il est amnésique, a été trouvé blessé et errant sur les routes, et ne sait plus rien de son passé. Il lui semble avoir été riche et puissant, et il semble à Joachim Benhaim l'avoir déjà vu avant... mais ils ne tirent rien de plus de ces vagues réminiscences. Seul, le lecteur en saura bientôt davantage grâce à une postface de l'auteur. Mais chaque chose en son temps.
A partir de là, nous allons nous attacher aux pas du marchand de chevaux, qui vend par ailleurs toute marchandise précieuse susceptible de lui valoir un bénéfice. Il est fort, intelligent et entreprenant, il a déjà beaucoup voyagé de par le monde et ses affaires se portent bien. Il décide d'ailleurs de profiter de son passage à Milan pour recouvrer une dette que son père y a laissée en attente depuis bien trop longtemps. 17 ducats, c'est une forte somme ! Quand il s 'enquiert auprès de ses nouveaux amis de l'adresse de son débiteur, ceux-ci éclatent de rire et la lui donnent tout en lui assurant qu'il ne pourra jamais recouvrer sa créance. Il soutient que personne n'abusera jamais ainsi de lui, chacun s'enflamme, et un pari est pris. Joachim Benhaim va consacrer le reste du roman à tâcher de récupérer ses 17 ducats, ce qui s'avère effectivement bien difficile.
Pour corser le tout, il aperçoit dès le premier jour une magnifique jeune fille, et c'est le coup de foudre !
Joachim pourra-t-il mener à bien ces deux affaires ?
Léonard finira-t-il bientôt la Cène ?
Je vous laisse le découvrir avec ce très plaisant roman qui n'a pas pris une ride.
Attention : Ne lisez pas la quatrième de couverture de l'édition Phebus qui en dit bien trop (quel gâchis!), ce qui n'était pas le cas de l'édition 10-18.
L'enfant
de Jules Vallès
Mémoires d'un révolté
On ne lit plus guère cette autobiographie romancée d’un personnage qui est loin d’être anodin: Jules Vallès. On ne la lit plus guère et on a tort. Si l’ambiance est datée, le trait est vif et sans détour et l’intérêt historique, psychologique et social énorme. C’est le genre de lecture un peu rébarbative mais très instructive à laquelle on peut/doit se livrer de temps en temps, soit en s’y jetant entièrement pour un bref moment, soit en en absorbant un quota quotidien en même temps que l’on se livre à une autre lecture purement récréative. On peut aussi l'écouter en audiolivre grâce à Litteratureaudio.com alors qu'on se livre à une autre occupation. Bref, quelle que soit la méthode employée, la lecture de Jules Vallès est utile, voire nécessaire. J’ai donc attaqué pour cette fois le premier tome de la trilogie autobiographique.
Jules Vallès met en scène un personnage fictif nommé Jacques Vingtras qui lui ressemble tant que nous ne discuterons pas davantage sur cette double identité de J.V. Cependant, s’il lui ressemble par les expériences et les sentiments, il en diffère assez par les stricts faits pour que l’on doive parler de roman plutôt que d’autobiographie. Il couvre ici la période qui va de la naissance à son départ de la maison familiale. Nous décrivant l’existence d’un fils de professeur élevé dans une famille où le «paraître», le sens de son rang social si difficile à tenir qu’il en devient l’enjeu d’une lutte permanente et d’une crispation sans merci sur ses signes extérieurs, dévore tant d’énergie qu’il n’en reste plus une miette pour les sentiments et particulièrement le naturel, la tendresse, l’affection.
Ce roman, suivant les découvertes du jeune Vingtras, se compose particulièrement et surtout au début, des portraits des gens de son entourage le plus proche pour aller s’élargissant puis passer du portrait au paysage puis au récit. Portraits assez brefs et saisis sur le vif. Très visuels et en même temps aussi sentimentaux que peuvent l’être les observations d’un enfant. Une des premières découvertes du petit Jacques/Jules est celle de la vie d’autres enfants. Il compare son éducation stricte et sans amour à celle des enfants d’ouvriers ou de paysans, sa vie jugulée à la leur, plus libre, libérée en tout cas des soucis du paraître, l’éducation tout en coups, brimades sadiques et interdits de sa mère, puis de son père à celle, peu contraignante et souvent affectueuse des autres enfants, qu’ils soient riches ou pauvres.
Il y a des accents de «Poil de carotte» ou de «Vipère au poing», mais avec ce regard social en plus, que Vallès a toujours su avoir et qui le caractérisera en tant qu’homme et citoyen.
Au passage Vallès fut incontestablement un des pionniers de la défense des droits de l’enfant à une époque (incroyable parce qu’apparemment pas si sauvage) où les enfants étaient souvent atrocement battus, où le sadisme trouvait en eux un exutoire permis et où toute la société détournait les yeux sans rien dire quand il arrivait qu’un père un peu excessif tue l’un des siens et ce, quel que soit le milieu social.
Ses rares bons souvenirs de l’époque sont liés soit à ses séjours – très courts ou un peu plus longs - hors de sa famille, soit aux livres et à ses premières lectures – ce qui est aussi une façon de séjourner ailleurs. Comme nous tous, les livres l’ont aidé, soutenu, aimé. Tout enfant, il voue un total respect à l’œuvre écrite et pas seulement à la scolaire instigation paternelle car le respect que son père affiche pour les livres est pleine de contraintes elle aussi. Mais Jules/Jacques saura d’instinct apprivoiser le difficile et profiter du plaisant. Et vous, moi, le lecteur, reconnaîtront là sans faillir leur semblable, leur frère.
A côté de cela, Vallès sait nous montrer l’existence terrible de toute une caste: les enseignants: soumis d’une manière elle aussi maintenant incroyable au bon vouloir et au sadisme non seulement des parents d’élèves mais tout autant, voire plus encore, de leur hiérarchie et de leurs collègues. La seule voie de salut –et encore n’est-il que relatif- est le recours à une cruauté égale. Et peu à peu, cette orientation donnée à leur personnalité ne peut plus se désamorcer et devient leur personnalité présente autant dans leur intimité que dans leur vie professionnelle. Vallès sait montrer les liens ambigus que la bourgeoisie, le pouvoir a toujours entretenus avec les éducateurs de ses enfants. C’est encore le cas maintenant, mais peut être ce 19ème siècle a-t-il été le moment où la situation a atteint son paroxysme dans la cruauté. C’est du moins le sentiment qu’on a en lisant ce premier tome.
Rigolo ou non, je vous le dis tout de suite, vous ne pouvez pas vous en dispenser. C’est comme ça. Faut y aller ! Et je vous parlerai bientôt du second tome.
Une seule citation qui augurera de la suite:
Son père : «Mon enfant, il ne faut pas jeter le pain, c’est dur à gagner.»
Trilogie de Jacques Vingtras
L'Enfant (1879)
Le Bachelier (1881)
L'Insurgé (1886)er.
Le Premier qui pleure a perdu
de Sherman Alexie
Ados et +
Illustrations : Ellen Forney
Dur, et drôle, parce que la vie est comme ça...
Ce livre « pour ados » (et qui devrait beaucoup les intéresser) intéressera également beaucoup les adultes qui sauront que cet ouvrage est pour une énorme part autobiographique et qui découvriront grâce à lui qui est Sherman Alexie, amérindien sorti du ghetto, euh, pardon, de la réserve, et ayant réussi à mener des études qui lui ont évité la misère et l'alcoolisme qui guettent ses coreligionnaires avec tant d'avidité.
Ce roman n'est pas donné comme une autobiographie, il relate la vie difficile d'Arnold Spirit, le héros qui, à 14 ans, raconte ce qu'il a vécu jusqu'ici et ce qu'il vit maintenant qu'il a quitté la réserve spokane pour rejoindre un lycée où il est le seul indien. Cependant, c'est bien la jeunesse de S. Alexie, simplifiée et édulcorée qui y est racontée. C'était lui, le bébé hydrocéphale qui dût subir tout de suite une intervention chirurgicale qui seule pouvait lui permettre de survivre. Il aurait pu conserver un handicap mental majeur, la suite montrera qu'il n'en fut rien, même s'il eut par ailleurs d'autres séquelles (épilepsie, entre autres).
Proie des moqueries et maltraitances des autres enfants pour son aspect (trop grosse tête) et ses crises, il ne dut sa survie qu'à son meilleur ami, un voyou encore plus dur que les autres, mais qui l'avait pris sous son aile. Cependant, l'école montre à Arnold que dans ce domaine-là au moins, il serait plutôt le premier que le dernier et c'est ainsi qu'il réalisera que la seule façon pour lui d'échapper au sort misérable et honteux qu'il voit être le lot des adultes de la réserve, est de quitter les lieux et aller faire ses études au lycée des blancs, même si leur niveau au départ dépasse beaucoup le sien, même si des kilomètres l'en séparent (ni cantine, ni internat) et que la voiture familiale n'a pas souvent d'essence, même s'il n'y est pas le bienvenu et même si, comble de tout, les autres indiens ne lui pardonnent jamais cet abandon qu'ils prennent pour une marque de mépris envers eux...
Et j'oubliai ! Les dessins ! Juste parfaits de Ellen Forney (j'ai cru un moment que c'était Alexie qui les avait faits.)
A lire vraiment, vraiment, vraiment, pour savoir que s'en sortir nécessite souvent de très gros efforts et que rien n'est évident. Se rappeler que le courage est une vertu et qu'elle se cultive, que se plaindre et accuser le sort ou les autres ne sert à rien ; et en rire, parce que Sherman Alexie, c'est toujours de l'humour, même dans les pires moments.
Le banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs
de Mathias Enard
"Pour les besoins d’une thèse sur “la vie à la campagne au XXIe siècle”, un étudiant en anthropologie prend ses quartiers à La Pierre-Saint-Christophe, village fictif au bord du Marais poitevin, pour y observer les us et coutumes de ses pittoresques habitants – monsieur le Maire en tête, truculent patron de l’entreprise locale de Pompes Funèbres."
J'ai passé un fort bon moment avec ce roman cependant assez déroutant qui commence bien sagement par le supposé journal intime d'un doctorant en anthropologie ayant décidé de passer un an dans ce petit village français pour y documenter et rédiger sa thèse « selon laquelle la campagne est aujourd'hui le lieu de la diversité là où se côtoient réellement les modes de vie les plus différents. Agriculteurs, jeunes rurbains, retraités étrangers, tous cohabitent dans un même espace ; ce qu'il me faut déterminer, c'est le type de relations qu'ils entretiennent entre eux d'une part, et avec le paysage environnant d'autre part. » Pour ce faire, il se présente au maire et se fait introduire dans le café du village, le but annoncé étant de rencontrer le plus d'habitants possible et de les interroger sur leur mode de vie. Il a laissé à Paris une fiancée étudiante comme lui.
Evidemment, les choses ne se passent pas exactement comme il l'avait prévu.
Et pas comme le lecteur l'avait prévu non plus puisque qu'après quelques dizaines de pages de ce sympathique journal, nous basculons soudain dans un tout autre récit, ou plutôt une succession de récits, tous très différents les uns des autres, et dans lesquels nous sommes plongés sans transition ni explication, si bien qu'il ne nous reste plus qu'une chose à faire : nous laisser porter et accueillir les histoires sans chercher à comprendre le pourquoi du comment de leur arrivée. Les choses se mettront en perspective à la toute fin, mais d'ici là, que de surprises !
D'abord, nous poserons sur la vie et la mort, un autre regard, après avoir été initiés aux mystères des réincarnations (façon bouddhiste) où pas une vie ne s'éteint sans se rallumer aussitôt dans une autre enveloppe, plus ou moins plaisante selon son karma.
Nous assisterons également au banquet annuel des fossoyeurs qui, pour se tenir non loin de l'abbaye supposée avoir inspiré celle du Thélème, verra nettement souffler l'esprit énoooorme du grand Rabelais sur le style du récit qui en sera fait.
Il y aura encore quelques vies, amenées ou non devant nos yeux pas la roue karmique, qui nous projetteront aussi bien dans les batailles du Moyen-Age que chez les instituteurs-apprentis écrivains du siècle dernier.
A lire.
Et puis aussi, parce que cela est réel et que tout de même, cela pose vraiment un problème et doit nous faire réfléchir, voire réagir :
« … alors qu'ils criaient « La ZAD c'est la planète », « La ZAD est partout », non aux Bassines », « Sauvons nos campagnes », Lucie et les autres « activistes » avaient soudain été chargés par la police qui semblait, c'est du moins ainsi qu'elle relatait l’incident, avoir décidé, à un moment précis, de leur en foutre plein la gueule : gazages, matraquages, arrestations : elle avait été tirée par les cheveux, à terre, par deux flics qui, par plaisir et inadvertance, lui avaient aussi marché sur la main avant de la balancer cul par dessus tête dans le panier à salade. S'en étaient suivies des heures de mensonges, de méchanceté et de suspicion pendant lesquelles elle avait douté de la démocratie, ayant eu peur du pouvoir des hommes d'armes en bleu derrière leur bureau, de leurs titres si militaires, lieutenant, capitaine : capitaine, lieutenant, parce qu'on ne lui reprochait rien, ne lui disait rien, la retenait grâce à un abus de droit qui fait que n'importe qui, dans la pratique, peut être tabassé, embastillé et renvoyé chez lui sans demander son reste, avec ses ecchymoses, ses contusions, sa honte et ses lambeaux de conviction. Ils détruisent l'idée qu'on peut se faire de l'état, disait Lucie. Avant, jamais je n'avais eu peur de l'arbitraire ou de l'injustice. Maintenant je sais que tout est possible, que la violence est là, que la loi du plus fort s'applique. »
L'ombre sur Innsmouth
ou Le Cauchemar d'Innsmouth
de Howard Phillips Lovecraft
Titre original : The Shadow over Innsmouth
Un de mes préférés
Cette histoire a été écrite par Lovecraft six ans avant sa mort et publiée 1 an avant. On peut la rattacher nettement au mythe de Cthulu, contrairement à d'autres rattachements qui me semblent plus "capilotractés".
Le narrateur, jeune homme à l'esprit ouvert et ayant entrepris de voyager à la fin de ses études, entend parler chemin faisant d'un bien étrange village, Innsmouth, et de ses habitants plus étranges encore... Il n'avait pas prévu de passer par cet endroit, et moins encore d'y séjourner, mais un incident de parcours l'amène pourtant à le faire (le bus passant par Innsmouth est bien moins cher que la voie normale).
Somme toute, on lui a dit peu de choses car le sujet semble révulser tout le monde, mais néanmoins, que les habitants de ce port sont riches et possèdent en particulier des bijoux très étranges mais que parallèlement, ils se sont transformés progressivement ; qu'ils ne recherchent pas plus le contact avec les autres villages que ceux-ci ne le recherchent avec eux, et que le seul à parler de ce qui se passe là-bas est un vieil alcoolique dément, interné à l'asile du lieu...
Ah si ! Autre chose : que les gens qui s'aventurent à Innsmouth -ils sont rares, mais certains y sont forcés- ont tendance à ne pas revenir...
Bien sûr, notre narrateur s'y rendra et... je vous laisse découvrir si ce récit est posthume... ou pire.
On peut lire entre les lignes la hantise phobique du métissage qui perturbe tant l'auteur. Un bon Lovecraft, très représentatif, totalement conforme aux codes. Architecture spéciale, religion étrange mais puissante, morphologies étonnantes, héros plus curieux que prudent... Les amateurs ne peuvent que l'aimer.
Des vies à découvert
de Barbara Kingsolver
Entre deux confinements, cet été 2020 nous a offert la parution en français d'un nouveau roman de Barbara Kingsolver. Nous avons plus de temps pour lire ? Profitons-en au mieux, et en voilà l'occasion.
Par l'entremise d'un maison familiale commune, nous allons suivre deux familles, l'une au 19ème siècle, l'autre au 21ème. Nous verrons que l'Amérique, ou du moins sa mentalité, n'a pas tant changé qu'on pourrait le croire entre les deux périodes. La maison non plus n'a pas fondamentalement changé. Nous la découvrons au 21ème siècle menaçant ruine et défiant toute tentative de réparation, mais nous découvrirons qu'au 19ème, elle empoisonnait déjà la vie de ses occupants par ses perpétuels (et coûteux) besoins de colmatage. Le problème étant qu'elle a depuis le début été construite en dépit du bon sens par des gens qui n'y connaissaient rien bien que se targuant du contraire.
Le personnage que nous suivons principalement à l'époque actuelle est Willa Knox, la cinquantaine, journaliste et même rédactrice en chef mais au chômage, en pleine période pré-Trump dont le nom ne sera jamais cité mais qu'on l'on subodore derrière le candidat baptisé « Grande Gueule » dont la montée invraisemblable inquiète Willa et autres gens sensés autant qu'elle réjouit toute une frange de petits blancs racistes, sexistes, ignorants, parfois eux-mêmes miséreux. Willa et sa famille en ont un insupportable représentant à domicile en la personne du beau père grabataire qui pourtant ne survivra un peu que grâce aux aides de l'Obamacare que son idole désire tant abroger. La famille, malgré un père professeur d'université (mais n'étant jamais parvenu à se faire titulariser car tel est le système américain), un fils trader (pour simplifier) et une mère journaliste, est dans une misère noire incluant de nombreux jours de frigidaire vide. Le fils vient d'avoir un bébé dont le décès de la mère l'a laissé responsable, charge qu'il ne peut assumer et Willa héritera du bébé. Leur fille, altermondialiste agissante, vient justement de les rejoindre.
Willa, à la recherche d'un passé historique à sa maison pour pouvoir prétendre à des aides pour la réparer, découvre les habitants du 19ème siècle, à savoir Thatcher Greenwood, sa jeune et très belle épouse, sa belle-soeur et sa belle-mère. Thatcher vient de se marier et, bien qu'éperdument amoureux des charmes de sa conjointe, commence à subodorer qu'il n'a peut-être pas fait un choix très judicieux... Par ailleurs, petit prof de science dans une école ultra conservatrice il se heurte au fanatisme religieux du principal (et de la majorité de la population), lui, adepte des toutes nouvelles théories de Darwin. Hélas pour Willa, ce n'est pas lui qui deviendra célèbre, mais sa voisine Mary Treat, scientifique proche de Darwin et d'autres, mais dont les travaux ne seront jamais salués et récompensés, du simple fait qu'elle est une femme et donc, à l'époque, même jamais tout à fait majeure...
Tout cela va-t-il bien se finir ? Pas sûr.
Les admirateurs habituels de Barbara Kingsolver ne seront en rien déçus par ce nouveau roman, qui est magnifique. Précipitez-vous si vous ne l'avez pas encore lu. Il est vraiment remarquable.
EXTRAITS :
« - Une famille de six a droit aux soins gratuits si le revenu familial est inférieur à quarante-quatre mille neuf cents dollars.
C'était largement supérieur à leurs gains conjoints. Willa se sentit à la fois soulagée et désorientée. Mettre un nom sur cette asphyxie prolongée qui la transformait en mort-vivante : la pauvreté. »
« Le tremblement de terre, les flammes, le déluge, la fonte du permafrost, c'était maintenant, et tout le monde continuait à se mettre des briques dans les poches au lieu de fuir le naufrage et de chercher la lumière. »
978-2743651077
Keisha l'a lu (Si vous l'avez aussi chroniqué, échangeons nos liens)
La vie devant soi
de Romain Gary