L'enfant
de Jules Vallès
Mémoires d'un révolté
On ne lit plus guère cette autobiographie romancée d’un personnage qui est loin d’être anodin: Jules Vallès. On ne la lit plus guère et on a tort. Si l’ambiance est datée, le trait est vif et sans détour et l’intérêt historique, psychologique et social énorme. C’est le genre de lecture un peu rébarbative mais très instructive à laquelle on peut/doit se livrer de temps en temps, soit en s’y jetant entièrement pour un bref moment, soit en en absorbant un quota quotidien en même temps que l’on se livre à une autre lecture purement récréative. On peut aussi l'écouter en audiolivre grâce à Litteratureaudio.com alors qu'on se livre à une autre occupation. Bref, quelle que soit la méthode employée, la lecture de Jules Vallès est utile, voire nécessaire. J’ai donc attaqué pour cette fois le premier tome de la trilogie autobiographique.
Jules Vallès met en scène un personnage fictif nommé Jacques Vingtras qui lui ressemble tant que nous ne discuterons pas davantage sur cette double identité de J.V. Cependant, s’il lui ressemble par les expériences et les sentiments, il en diffère assez par les stricts faits pour que l’on doive parler de roman plutôt que d’autobiographie. Il couvre ici la période qui va de la naissance à son départ de la maison familiale. Nous décrivant l’existence d’un fils de professeur élevé dans une famille où le «paraître», le sens de son rang social si difficile à tenir qu’il en devient l’enjeu d’une lutte permanente et d’une crispation sans merci sur ses signes extérieurs, dévore tant d’énergie qu’il n’en reste plus une miette pour les sentiments et particulièrement le naturel, la tendresse, l’affection.
Ce roman, suivant les découvertes du jeune Vingtras, se compose particulièrement et surtout au début, des portraits des gens de son entourage le plus proche pour aller s’élargissant puis passer du portrait au paysage puis au récit. Portraits assez brefs et saisis sur le vif. Très visuels et en même temps aussi sentimentaux que peuvent l’être les observations d’un enfant. Une des premières découvertes du petit Jacques/Jules est celle de la vie d’autres enfants. Il compare son éducation stricte et sans amour à celle des enfants d’ouvriers ou de paysans, sa vie jugulée à la leur, plus libre, libérée en tout cas des soucis du paraître, l’éducation tout en coups, brimades sadiques et interdits de sa mère, puis de son père à celle, peu contraignante et souvent affectueuse des autres enfants, qu’ils soient riches ou pauvres.
Il y a des accents de «Poil de carotte» ou de «Vipère au poing», mais avec ce regard social en plus, que Vallès a toujours su avoir et qui le caractérisera en tant qu’homme et citoyen.
Au passage Vallès fut incontestablement un des pionniers de la défense des droits de l’enfant à une époque (incroyable parce qu’apparemment pas si sauvage) où les enfants étaient souvent atrocement battus, où le sadisme trouvait en eux un exutoire permis et où toute la société détournait les yeux sans rien dire quand il arrivait qu’un père un peu excessif tue l’un des siens et ce, quel que soit le milieu social.
Ses rares bons souvenirs de l’époque sont liés soit à ses séjours – très courts ou un peu plus longs - hors de sa famille, soit aux livres et à ses premières lectures – ce qui est aussi une façon de séjourner ailleurs. Comme nous tous, les livres l’ont aidé, soutenu, aimé. Tout enfant, il voue un total respect à l’œuvre écrite et pas seulement à la scolaire instigation paternelle car le respect que son père affiche pour les livres est pleine de contraintes elle aussi. Mais Jules/Jacques saura d’instinct apprivoiser le difficile et profiter du plaisant. Et vous, moi, le lecteur, reconnaîtront là sans faillir leur semblable, leur frère.
A côté de cela, Vallès sait nous montrer l’existence terrible de toute une caste: les enseignants: soumis d’une manière elle aussi maintenant incroyable au bon vouloir et au sadisme non seulement des parents d’élèves mais tout autant, voire plus encore, de leur hiérarchie et de leurs collègues. La seule voie de salut –et encore n’est-il que relatif- est le recours à une cruauté égale. Et peu à peu, cette orientation donnée à leur personnalité ne peut plus se désamorcer et devient leur personnalité présente autant dans leur intimité que dans leur vie professionnelle. Vallès sait montrer les liens ambigus que la bourgeoisie, le pouvoir a toujours entretenus avec les éducateurs de ses enfants. C’est encore le cas maintenant, mais peut être ce 19ème siècle a-t-il été le moment où la situation a atteint son paroxysme dans la cruauté. C’est du moins le sentiment qu’on a en lisant ce premier tome.
Rigolo ou non, je vous le dis tout de suite, vous ne pouvez pas vous en dispenser. C’est comme ça. Faut y aller ! Et je vous parlerai bientôt du second tome.
Une seule citation qui augurera de la suite:
Son père : «Mon enfant, il ne faut pas jeter le pain, c’est dur à gagner.»
Trilogie de Jacques Vingtras
L'Enfant (1879)
Le Bachelier (1881)
L'Insurgé (1886)er.
Je n'ai pas lu celui-ci mais "Le bachelier" est très bien
RépondreSupprimerhttp://lebouquineur.hautetfort.com/archive/2012/10/17/jules-valles-le-bachelier.html
En effet, et pas d'impatience, les trois viendront. :-)
SupprimerC'est vrai, on ne lit plus guère Vallès aujourd'hui. J'ai lu cette trilogie il y a si longtemps mais elle est encore très présente dans mon esprit.
RépondreSupprimerTout à fait. Moi, je l'ai écoutée grâce à litteratureaudio.com qui est gratuit. Les trois volumes sont très intéressants. Je mettrai les chroniques progressivement.
SupprimerJe ne me suis pas encore lancée dans les livres audio.
SupprimerBonne journée.