04 janvier 2021

  Le banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs 

de Mathias Enard

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"Pour les besoins d’une thèse sur “la vie à la campagne au XXIe siècle”, un étudiant en anthropologie prend ses quartiers à La Pierre-Saint-Christophe, village fictif au bord du Marais poitevin, pour y observer les us et coutumes de ses pittoresques habitants – monsieur le Maire en tête, truculent patron de l’entreprise locale de Pompes Funèbres."

J'ai passé un fort bon moment avec ce roman cependant assez déroutant qui commence bien sagement par le supposé journal intime d'un doctorant en anthropologie ayant décidé de passer un an dans ce petit village français pour y documenter et rédiger sa thèse « selon laquelle la campagne est aujourd'hui le lieu de la diversité là où se côtoient réellement les modes de vie les plus différents. Agriculteurs, jeunes rurbains, retraités étrangers, tous cohabitent dans un même espace ; ce qu'il me faut déterminer, c'est le type de relations qu'ils entretiennent entre eux d'une part, et avec le paysage environnant d'autre part. » Pour ce faire, il se présente au maire et se fait introduire dans le café du village, le but annoncé étant de rencontrer le plus d'habitants possible et de les interroger sur leur mode de vie. Il a laissé à Paris une fiancée étudiante comme lui.

Evidemment, les choses ne se passent pas exactement comme il l'avait prévu.

Et pas comme le lecteur l'avait prévu non plus puisque qu'après quelques dizaines de pages de ce sympathique journal, nous basculons soudain dans un tout autre récit, ou plutôt une succession de récits, tous très différents les uns des autres, et dans lesquels nous sommes plongés sans transition ni explication, si bien qu'il ne nous reste plus qu'une chose à faire : nous laisser porter et accueillir les histoires sans chercher à comprendre le pourquoi du comment de leur arrivée. Les choses se mettront en perspective à la toute fin, mais d'ici là, que de surprises !

D'abord, nous poserons sur la vie et la mort, un autre regard, après avoir été initiés aux mystères des réincarnations (façon bouddhiste) où pas une vie ne s'éteint sans se rallumer aussitôt dans une autre enveloppe, plus ou moins plaisante selon son karma.

Nous assisterons également au banquet annuel des fossoyeurs qui, pour se tenir non loin de l'abbaye supposée avoir inspiré celle du Thélème, verra nettement souffler l'esprit énoooorme du grand Rabelais sur le style du récit qui en sera fait.

Il y aura encore quelques vies, amenées ou non devant nos yeux pas la roue karmique, qui nous projetteront aussi bien dans les batailles du Moyen-Age que chez les instituteurs-apprentis écrivains du siècle dernier.

A lire.

Et puis aussi, parce que cela est réel et que tout de même, cela pose vraiment un problème et doit nous faire réfléchir, voire réagir :

« … alors qu'ils criaient « La ZAD c'est la planète », « La ZAD est partout », non aux Bassines », « Sauvons nos campagnes », Lucie et les autres « activistes » avaient soudain été chargés par la police qui semblait, c'est du moins ainsi qu'elle relatait l’incident, avoir décidé, à un moment précis, de leur en foutre plein la gueule : gazages, matraquages, arrestations : elle avait été tirée par les cheveux, à terre, par deux flics qui, par plaisir et inadvertance, lui avaient aussi marché sur la main avant de la balancer cul par dessus tête dans le panier à salade. S'en étaient suivies des heures de mensonges, de méchanceté et de suspicion pendant lesquelles elle avait douté de la démocratie, ayant eu peur du pouvoir des hommes d'armes en bleu derrière leur bureau, de leurs titres si militaires, lieutenant, capitaine : capitaine, lieutenant, parce qu'on ne lui reprochait rien, ne lui disait rien, la retenait grâce à un abus de droit qui fait que n'importe qui, dans la pratique, peut être tabassé, embastillé et renvoyé chez lui sans demander son reste, avec ses ecchymoses, ses contusions, sa honte et ses lambeaux de conviction. Ils détruisent l'idée qu'on peut se faire de l'état, disait Lucie. Avant, jamais je n'avais eu peur de l'arbitraire ou de l'injustice. Maintenant je sais que tout est possible, que la violence est là, que la loi du plus fort s'applique. »



978-2330135508

Wodka l'a lu (Si vous l'avez aussi chroniqué, échangeons nos liens)

4 commentaires:

  1. Voilà un avis plutôt fort positif, pourtant j'en ai peu trouvé de semblables. le côté rabelaisien n'est pas trop fort?

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    1. Il est fort mais il est si bien fait! Dans Rabelais, c'est pareil. Il y a des moments où on en a assez de ses listes, ça n'empêche pas qu'on l'aime :-)

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  2. À lire donc. J'espère le faire un de ces jours, dès qu'il arrivera en bibliothèque. "Lire/ Mag litt" le cote 5 étoiles, le décrit assez inclassable, plutôt rabelaisien, drôle parfois, y lis-je.

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    1. Tout cela est vrai et oui, il vaut la lecture, on ne peut pas en douter.

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