L'arme domestique
de Nadine Gordimer
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Ce roman de Nadine Gordimer, paru en 1998, se concentre sur un fait, le noyau central, qui est un meurtre, et irradie tout autour : préliminaires, circonstances, les personnages, leur psychologie et leur passé, et également leur famille, environnement social et historique, déroulement et conséquences, sans rien négliger et ce qui m'a le plus frappée, c'est de voir avec quelle maitrise, l'auteur parvient à organiser et nous présenter tout cela, sans laisser quoi que ce soit dans l'ombre. On est dans le grand art, un travail admirable pour un livre douloureux et très intelligent.
Les faits : Duncan Lindgard, a tiré un coup de révolver sur Carl Jespersen, un ami. Un autre ami l'a vu quitter les lieux en jetant l'arme du crime dans une plate bande, et s'enfermer chez lui.
Le roman commence quand un de ces amis - il s'agit d'un petit groupe vivant ensemble dans cette villa - vient apprendre la nouvelle aux parents de Duncan, Harald et Claudia. Ils s'agit d'un couple aisé de gens cultivés qui viennent de s'installer dans une résidence sécurisée, un couple qui s'aime et n'a eu aucun problème avec son fils et que la nouvelle frappe comme un coup de tonnerre. Il leur semble absolument impossible que leur fils ait pu tuer. Ils traverseront successivement, stupeur, incrédulité, frayeur pour lui, remise en cause, perturbation de leur environnement social et tout ce qui peut devenir le lot de parents de criminels. C'est le premier point fort. Le début du livre est axé sur Harald et Claudia et N. Gordimer sait parfaitement nous les faire comprendre, et on se voit avec eux, parent d'un assassin. Duncan de son côté ne dit rien, n'explique rien, et nous aurons besoin de l'intervention d'un autre personnage vraiment marquant pour en savoir plus sur ce qui s'est passé.
Ce nouveau personnage, c'est Motsamaï Hamilton, avocat, le meilleur, leur dit-on, et pas n'importe qui. Noir issu des ghettos, il a réussi à mener ses études puis à faire une belle carrière en Angleterre, jusqu'à la fin de l’apartheid. Puis il est revenu, précédé par sa brillante réputation, et il s'est fait une place de choix ici aussi. A lui, Duncan parlera et racontera. Lui, saura expliquer les choses aux parents, puis aux juges. Sur ses épaules pèsera le poids de tout l'avenir de Duncan et de sa famille. Il a tué et à cette époque, la peine de mort existait toujours en Afrique du Sud.
Parce qu'il est noir, brillant, efficace, admiré et riche, Motsamaï Hamilton offre une image de ce que l'égalité raciale peut apporter. Les parents, bien qu'intellectuellement avancés et conscients de la sordide injustice de la ségrégation, n'ont jamais participé de quelque façon à la lutte contre l’apartheid. Par conformisme, par souci de leur confort... mais ne sont pas du tout racistes et fréquentent ou voient leur fils fréquenter des noirs, sans problème. En ce sens, ils sont bien M. et Mme Toutlemonde. L'auteur sait nous montrer cette nouvelle société qui s'est créée et s'installe de plus en plus solidement. Il n'y a pas que les noirs qui ont enfin gagné le droit à l'égalité, il y a aussi les homosexuels, et d'eux aussi, il faudra parler, car, vous l'aurez sans doute compris, la petite communauté, ou "famille" qui partageait cette villa, était homosexuelle. N. Gordimer sait réaffirmer leurs droits en les présentant comme une évidence.
Cependant, cette société encore en mouvement, est loin d'être calme et exempte de sursauts de violences, de dangers. La criminalité est énorme. C'est pourquoi, chose étrange pour nous Français, dans beaucoup de maisons, se trouve au moins une arme, que tout le monde sait manier et dont chacun envisage de se servir en cas d'attaque par des voyous trop violents, c'est "l'arme domestique".
Comme partout, elle tue d'abord ses propriétaires.
978-2264029133
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