Ouest
de François Vallejo
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Le baron paradoxal
Déjà pour commencer, moi qui aime les chiens (et les chiens en bande), j'ai parfaitement ressenti la signification émotionnelle de cette meute pour Lambert. Ne la négligez surtout pas si vous ne voulez pas rater une partie de la chair de ce roman.
Au château, à la mort du baron (aimé, craint et admiré de ses gens), arrive son fils qu'il a toujours détesté et maltraité de toutes les façons possibles pour un père (et elles sont innombrables). La domesticité qui l'a connu enfant dans ses humiliations préfère quitter le château. Seuls restent le garde-chasse et sa famille à cause du logement qu'ils ont et surtout de la meute qui est la fierté et l'amour de Lambert. Mais le nouveau baron «n'a pas les gestes». Il ne se conduit pas en maître. Comment le pourrait-il, lui qui toujours a été brimé? Mais pour ses gens, la noblesse est innée, «dans le sang» (sinon, que serait-elle?) et ils ne peuvent accepter un maître qui n'en est pas un. Pour corser le tout, M. De l'Aubépine est arrivé avec des idées républicaines, rouges même, et ne craint pas de les proclamer haut et fort. Est-ce ainsi qu'un noble doit se comporter? Quand pour couronner le tout il accompagne ces déclarations libertaires d'une tenue de ses gens pire que celle des hobereaux bon teint, que peuvent-ils y comprendre? Sinon, qu'il faut se méfier des maîtres (en quoi ils auront raison de ne pas baisser la garde). Et cet aristocrate paradoxal*, s'il ne gagne guère l'estime des autres, n'en reste pas moins un maître, ce qu'ils ne sont pas et il n'y a pas à chercher plus loin. Il manifeste d'ailleurs bientôt les vices de sa condition.
Dans un premier temps, pour moi, l'empathie s'est bien installée avec Lambert, mais aussi avec le baron dont je sentais la solitude et le «déclassement» de toujours. Cette empathie double m'a permis de bien m'imprégner des événement et, quand les rôles sont devenus plus outrés et on fait éclater cette empathie, de bien ressentir la violence de ce qui se passait.
Les personnages de Magdeleine et d'Eugénie et même Grégoire qui se précisent eux aussi de plus en plus sont animés d'une telle vie que leur réalité éclate. Magdeleine par exemple, à la peau trop blanche, est une victime d'entrée de jeu puis, devenant chasseresse avec son père, balaie ce rôle trop convenu de proie, pour jongler ensuite sans cesse entre ceux de chasseur et de gibier. Cet exemple illustre la profondeur que Vallejo met dans tous ses personnages (même les tout à fait secondaires).
De la profondeur et de la finesse, il en met tout autant dans les événements que nous voyons glisser comme ils le font dans la vraie vie, toute situation évoluant sans déclaration spéciale d'un jour à l'autre, «mûrissant» insensiblement, sans manichéisme. Cette «évolution» est sensible en permanence et, si elle est bien le reflet de la réalité, il n'est pas si courant de la trouver dans les romans, qui sont comme des «photos» qui ont tendance à figer un moment de la vie. François Vallejo a admirablement rendu cela.
Tout ceux qui ont lu ce roman et avec qui j'en ai parlé semblent avoir eu une lecture différente de celle du voisin. Chez chacun, l'un des aspects a prédominé et lui a semblé suffisamment riche, fouillé et traité de façon suffisante pour être l'axe du livre. C'est de celui-là qu'il parle tout de suite et abondamment quand on l'interroge sur ce livre. «Ah oui, c'est la lutte de domination entre le baron et son garde-chasse» «Ah oui, c'est ce roman avec le noble qui veut mettre Victor Hugo au pouvoir» etc. Ce seront les rapports dominant/dominé, ou de l'homme et de l'animalité (chiens), ce sera la perversion sexuelle, les troubles mentaux, les effets d'une enfance «écrasée» ou les idées libertaires chez les privilégiés, le sens de la vie (le baron veut être «grand», «jouer un rôle»); et moi qui n'ai su choisir aucun de ces axes et qui ai été sensible à tous, je termine sur une impression de baigner dans l'extrême richesse et complexité de la réalité parfaitement rendue. Je reste sous l'impression que c'est le livre de tout cela et de bien des choses encore.
Il faut parler aussi de l'écriture. Elle est quasi parfaite, d'une maîtrise admirable. Avec en particulier un magnifique rendu des dialogues. Vous ne pourrez manquer de l'admirer et surtout, surtout, le roman se termine sur une dernière page qui est tout simplement sublime (chose que je ne dis quasi jamais), l'acmé de ce livre. Merveilleuse dernière page!
Vous me direz, si c'est une telle réussite, pourquoi pas 5 étoiles? C'est uniquement une question de goût. La femme que je suis ne s'est pas sentie à l'aise avec cette histoire de perversion sadique. Ces histoires-là ne me plaisent pas. Plaire, c'est tout. La demi-étoile qui manque, c'est celle toute subjective du goût, celle qui dit qu'on se sent chez soi ou non dans une histoire.
* C'est ainsi que l'auteur désigne son personnage dans la préface à «Dérive»
9782757857151