05 novembre 2021

Cette chose étrange en moi 

d'Orhan Pamuk

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Ne vous lancez pas dans ce roman si vous n'aimez pas les longues histoires. Certes, vous avez vu dès l'abord que vous aviez face à vous 832 pages dans l'édition poche. Si vous êtes allé un peu plus loin et que vous l'avez feuilleté, vous avez vu que les dialogues ne sont pas très nombreux et que l'on a surtout des pages de récit. Mais ce n'est pas seulement à cela que je fais allusion, si je vous dis qu'il vaut mieux aimer les histoires longues, c'est qu'ici le rythme est lent et que la façon de raconter, qui aime aller dans les détails, est tout à fait différente de celle de la plupart des romans actuels. Orhan Pamuk prend son temps, il nous raconte son histoire à sa façon, sans jamais oublier que le plaisir est autant dans le récit que dans les informations qu'on en tirera. Si vous n’êtes pas prêt à accepter cette façon de faire, passez votre chemin, ce livre n'est pas pour vous.

Oui, ce livre est long, mais on ne peut pas dire qu'il y ait des longueurs, c'est tout à fait autre chose. Oui, ce livre se lit lentement, mais ce n'est pas du tout parce qu'on peine à le lire, c'est parce qu'il nous impose son rythme, et qu'il serpente tout au long d'une vie et d'une ville, ce qui ne se fait pas en quelques instants. J'ai eu un moment l'impression qu'il ne finirait jamais et j'ai réalisé à ce moment-là que, quoi qu'il en soit, il était hors de question que je l'abandonne en route et même que j'en saute la moindre ligne. Alors oui, c'est une longue histoire mais je suis très heureuse de l'avoir découverte, de l'avoir méritée peut-être, en un sens. Bref, je suis heureuse de m'en être enrichie et je vous le conseille aussi. Faites un break. Acceptez de passer beaucoup de temps sur un livre, vous en sortirez meilleur.

Alors, de quoi tout cela parle-t-il ? Eh bien cela parle de Mevlut et cela parle d'Istanbul. Mevlut est le personnage principal. A chaque fois que le récit se fera par ses yeux, le paragraphe commencera par un petit dessin le représentant, portant sa boza et son yaourt qu'il vend dans les rues. (Quand j'ai commencé ma lecture, je ne savais même pas ce qu'était la boza). Comme le récit est vu par différents personnages, à chaque fois que les choses sont vues par d'autres yeux, le nom de ce personnage s'affiche en gras en tête de paragraphe. C'est ainsi que bien que nombreux soient les intervenants de cette grande histoire, le récit ne perd jamais de sa clarté. De plus, l'ouvrage se termine par un « Index des personnages » au cas où vous auriez mis vraiment longtemps à le lire et que vous ne vous souviendriez plus qui est et ce qu'à fait cet homme dont on vous reparle soudain. Personnellement, je n'en ai pas eu besoin, mais pourquoi pas ? Ainsi, on ne perd personne en route. De même une « Chronologie » récapitule tous les évènements relatés. Donc, si quelqu'un vous dit qu'il s'est perdu ou embrouillé dans ces 800 pages, vous pouvez le gratifier d'un sourire narquois, ça lui fera le plus grand bien.

Mais je n'ai toujours pas dit de quoi cela parle. Nous suivons Istanbul de 1954 à mi-1999, et Mevlut à partir de 1957 seulement parce que c'est à ce moment qu'il naquit, dans un pauvre village. Son père, comme tant d'autres, a dû partir pour la capitale pour y gagner sa vie et plus tard, il fit venir Mevlut pour l'aider ; mais il ne fit jamais venir sa femme et ses filles, contrairement à ce que firent la plupart des autres hommes arrivés en ville, à commencer par son propre frère. A leur arrivée, ces hommes ont créé les bidonvilles autour du noyau de la ville, à la fin, ces zones misérables sont devenues elles-mêmes centrales et les bicoques, puis maisons ont été remplacées par des immeubles. Comment une population passe-t-elle du village misérable à la vie en appartement de standing, même si cela prend plusieurs décennies ? Comment réussissent ou non ces hommes, puis ces femmes, venus mêler leurs vies à celle d'Istanbul ? Certains ont fait fortune, d'autres non. Certains sont dignes de confiance, d'autres -la plupart- sont prêts à toutes les fourberies pour obtenir ce qu'ils veulent. La lutte est âpre... Tant de chemins différents dans une société où les liens familiaux ont une puissance bien plus grande que dans la nôtre (pour le pire ou le meilleur). Bien sûr, le sort des femmes est triste, qu'elles s'en rendent compte ou non. L'égalité des sexes n'est pas encore en vue...

Alors, si vous en êtes capable lisez ce toman d'Orhan Pamuk. Il vous fera du bien et vous apprendrez beaucoup de choses, et pas que sur Istanbul, mais bien sur l'humain en général. Le propre des bons romans.


Extrait :

« Parce que les mots étaient des objets, et chacun de ces objets une image. Il sentait que le monde intérieur qui l'habitait et le monde qu'il arpentait la nuit en vendant de la boza formaient désormais un tout. Cette connaissance étonnante lui apparaissait parfois comme sa propre découverte ou bien comme une lueur, une lumière que dieu lui avait accordée. Les soirs où Mevlut sortait du restaurant l'esprit confus et embrouillé, quand il déambulait pour vendre de la boza, il découvrait son monde intérieur dans les ombres de la ville. »

978-2072825286

2 commentaires:

  1. J'ai eu la chance d'entendre Orhan Pamuk parler de ce livre (je crois qu'à l'époque c'était son dernier) et ça m'avait donné très envie de le lire: la transformation de la Turquie vue par un gars du village qui arrive dans la grande ville, c'est un thème qui me plait beaucoup. Je rassemble mon courage pour le jour où je m'attaquerai à ses 832 pages. Merci pour cette piqûre de rappel alléchante.

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    1. En fait, les 800 pages passent facilement. Faut pas se tracasser pour ça.

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