25 avril 2025

Les messieurs de Delft

de Charles Exbrayat

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978-2702418185


Dans les années 60 à 80, Charles Exbrayat était une célébrité dans le monde du polar. Il a publié une bonne centaines de romans policiers ou d’espionnage, qui plaisaient beaucoup en particulier grâce à leur ton plus ou moins humoristique. Plusieurs sont devenus des films. Certains sont excellents, d’autres un peu moins. Il écrivait au kilomètre. A une époque, j’en ai lu des quantités, puis Exbrayat est passé de mode, remplacé par des concurrents plus modernes, et voilà que l’autre jour, je tombe sur un de ses romans dans une boite à livres ! Il sentait un peu le moisi, ce que je fuis normalement, mais je l’ai pris quand même car j’avais envie de voir comment ce bon vieil Exbrayat avait vieilli. Et me voilà partie à Delft.

Dans cette ville très bourgeoise, le très riche et puissant directeur d’usine Karel Klundert a coutume de régaler régulièrement quelques amis, notables comme lui pour les faire bénéficier des talents de sa très excellente cuisinière. Ces repas sont de notoriété publique et nul ne doute à Delft que les sommets des plaisirs de la table y soient atteints. Mais ce soir-là ne sera pas comme les autres puisque Klundert y reçoit un coup de fil d’une inconnue qui se prétend sa maîtresse et le somme de tenir les engagements qu’il a pris envers elle. Klundert n’a rien d’un coureur et pensant avoir affaire soit à une mauvaise blague, soit à une tentative d’escroquerie, il répond sur le ton de la grosse plaisanterie quand elle menace d’aller se noyer. Le dîner avec ses amis se termine dans les éclats de rire. Seulement voilà, le lendemain, le corps d’une jeune femme est repêché dans le canal. Seulement voilà, voilà, il s’avère qu’il ne s’agit pas d’un suicide mais d’un meurtre. Notre Karel qui, pour bien faire est sorti seul marcher en ville après le départ de ses amis, est dans de beaux draps, d’autant qu’il s’estime lui même coupable en raison de sa réaction négligente lors de l’appel. Mais que se passe-t-il donc dans cette bonne ville de Delft ?

Alors pour avoir vieilli, certes oui, ça a vieilli, et sérieusement. Des patrons comme Klundert ne feraient pas long feu aujourd’hui, du moins en Europe, mais également toutes les relations sociales, le machisme radical, etc. Le mystère n’est pas très surprenant et l’enquête pas passionnante non plus, si on peut appeler ça une enquête. Bref, un médiocre Exbrayat. Je suis mal tombée et il va vite retourner dans une boîte à livres, mais je ne regrette pas ma visite à Delft, ni ce petit voyage dans le passé qui rappelle tout de même que certaines choses ont évolué. Je retenterai Exbrayat, mais avec un titre plus connu. Peut-être « Une ravissante idiote » qui a donné un film bof bof avec Bardot et Perkins, mais un meilleur roman, ou un opus de la série Imogène car j’en ai gardé un lointain mais plaisant souvenir. Oui, un Imogène, tiens !




21 avril 2025

Le bleu est une couleur chaude

de Jul Maroh

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978-2723498760


"Le Bleu est une couleur chaude" a obtenu divers prix et inspiré le film "La Vie d'Adèle", Palme d'Or à Cannes en 2013. Je n'ai pas vu le film et ne pourrai donc pas faire de comparaison et ce n'est que maintenant que je lis la bande dessinée.

Clémentine, lycéenne, sage fille unique de 15 ans vit une existence sans histoire quand un jour, tout simplement dans la rue, elle a un coup de foudre. Ce genre d'évènement ne lui parait pas vraiment possible, aussi décide-t-elle de ne pas en tenir compte... d'autant que l'objet de son coup de foudre a plusieurs années de plus, les cheveux bleus... et que c'est une femme. Or, Clémentine ne s'est jamais interrogée sur ses préférences sexuelles. Ça lui paraissait évident: les filles avec les garçons, et inversement. D'ailleurs elle a des flirts garçons. C'est vrai qu'elle n'a jamais vraiment envie d'aller jusqu'au bout avec eux, mais ça ne veut rien dire, c'est juste une question de personne, non ? Elle n'est pas attirée par les filles non plus. Du moins, elle ne s'est jamais posé la question avant, mais elle n'en a toujours pas l'impression. Elle a d'autres choses en tête, le bac blanc en l’occurrence, et le temps passe. Son expérience augmente un peu dans son milieu lycéen et son penchant lesbien se confirme. Un soir, le hasard la remet en présence de la femme bleue et elle ne peut que constater que son attirance est toujours aussi puissante et là, elle a l'occasion de lui parler, elle s'appelle Emma et semble aussi la trouver sympathique.

Le dessin est harmonieux, peu coloré, majoritairement sépia et bleu, est très explicite dans certaines scènes.

C’est un roman de formation pourrait-on dire. Dans cette BD, nous allons suivre l’éveil à la sexualité d’une adolescente, avec la particularité que c’est une homosexualité et que Clémentine va découvrir dans le même temps ce qu’est l’homophobie, au lycée, pour commencer, et jusque chez elle puisque ses parents ne veulent même pas en entendre parler. C’est bien fait, bien vu, sans exagération, et c’est avant tout une histoire d’amour, une passion sans concessions… La psychologie paraît assez juste et précise. C’est intéressant, que l’on soit concerné ou non, surtout si on aime les histoires d’amour, qui comme on le sait, en général...




16 avril 2025

Un mois à Sienne

de Hisham Matar

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978-2072850028

Ce court ouvrage (140 pages) relate un séjour que l’auteur a fait à Sienne en 2015. Il explique que, passionné d’art et plus particulièrement de peinture, il a nourri depuis ses 19 ans une véritable fascination pour l’École siennoise et que ce séjour était donc la réalisation d’un rêve ancien. Ce livre va être une sorte de compte-rendu de son séjour là-bas. Nous allons avec lui visiter les musées, stationner des heures devant les mêmes tableaux comme il a coutume de le faire, et le voir les ressentir et les comprendre. Nous allons avec lui visiter la ville à sa façon déterminée de poursuivre ses marches tout droit jusqu’à la limite de la cité, puis de faire demi-tour. Nous allons y faire des rencontres, peu nombreuses, mais chaleureuses et éclairantes.

L’intérêt du livre tient à la culture et à l’intelligence de l’auteur puisqu’il consigne par écrit ses connaissances sur l’histoire, l’architecture et l’art de la ville, comme sur les tableaux qu’il observe longuement l’un après l’autre. Il évoque également savamment la période historique, les effets civilisationnels de la Grande Peste, par exemple.

« Après 1348, l’art changea parce que l’humanité avait changé. Une des premières vies que la peste emporta en arrivant à Sienne fut celle de Lorenzetti. Nombre de ses contemporains succombèrent aussi. Avec eux disparurent leur expertise et leur capacité à former la génération suivante. Les jeunes artistes étaient désormais pour la plupart privés de maîtres et de soutiens financiers : l’économie ayant été dévastée, il n’y avait plus de mécènes. La ferveur religieuse inspirée par tant de souffrances avait renforcé l’emprise de l’Église. »

S’y mêle des réflexions plus personnelles, par exemple sur son père disparu sans que l’on sache exactement dans quelles circonstances, à la suite de son enlèvement au Caire par la police secrète égyptienne et de sa remise au régime de Kadhafi. Hisham Matar sait qu’il a été enfermé dans la terrifiante prison d’Abou Salim, mais ses informations s’arrêtent là et, à l’époque où il fait ce voyage à Sienne, il est temps pour lui d’admettre qu’il n’en saura très probablement jamais plus sur ce qui est arrivé à son père. Pour cela, c’est aussi un voyage de réflexion et de deuil. J’ai aimé également le lire évoquer sa façon de penser le monde, par exemple, l’importance qu’il accorde à l’influence des bâtiments et même des objets sur les humains. C’est un de mes credo et je suis contente de ne pas être seule.

« Or, je fais confiance à la présence physique des choses – bien plus qu’aux abstractions intellectuelles.Je crois qu’un objet peut exercer une influence, indépendamment du fait que les gens qui occupent la pièce où il se trouve interagissent ou non avec lui, et lui accordent ou non la moindre attention. »

Fasciné qu’il est depuis tant d’années par cette École siennoise, il ne faut pas s’étonner de l’étendue de ses connaissances à son sujet. Il nous décrit en détail les tableaux qu’il est allé voir et nous en donne son interprétation, décrypte par exemple, les significations possibles des allégories qu’il observe. Le gros problème en l’occurrence, c’est que l’ouvrage ne nous offre que des reproductions vraiment médiocres, aussi à mon avis, on ne peut en tirer aucun bénéfice si on ne fait pas cette lecture avec un ordinateur ou une tablette qui nous permette d’observer en même temps de bonnes photos des œuvres. C’est ce que j’ai fait et autrement, vraiment, je ne vois pas ce que j’aurais pu tirer de celles du livre.

Plutôt destinée à ceux qui s’intéressent soit à Sienne, soit à l’art, soit à Hisham Matar, cette lecture est intéressante, instructive, sans jamais être ennuyeuse.


12 avril 2025

VilleVermine Le garçon aux bestioles

de Julien Lambert

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Ceux qui suivent savent comment j’avais été brutalement stoppée à mi-parcours lors de ma lecture précédente de "L’homme aux babioles", heureusement, l’alerte aura été de courte durée et une rapide visite à la bibliothèque m’a mise en possession de la fin de cette première aventure. Je dis première car cela a été pour moi l’occasion de découvrir que Jacques Peuplier avait encore mené une autre enquête difficile, mais je vous en parlerai une autre fois, aujourd’hui je termine la première enquête avec ce "garçon aux bestioles".

Le garçon aux bestioles est bien le gamin sauvage rencontré dans le premier tome, celui qui est accompagné d’un gros matou pas commode et d’une sorte de grosse libellule, une "bestiole", quoi. Jacques se lance à sa recherche parce que s’il s’est tiré de justesse des griffes du savant fou, il pense que ce dernier lui a pris son don de parler avec les objets car la terrible vérité est là, il ne le peut plus. Or, sans ce don, Jacques n’est plus rien, il perd sa seule compagnie (car il fréquente peu les humains) et son métier de "retrouveur" d’objets. Il veut donc mettre rapidement la main sur le savant et lui faire rendre ce qu’il lui a pris. Jacques ne sait pas où se cache le savant, mais il se souvient que le gamin, lui, le sait. Il part à sa recherche. Ça n’est pas gagné non plus. Et je ne vous ai pas encore parlé de la super bestiole de 15 mètres…



Voici le thème de ce deuxième volume, plein de suspens, de dangers et même assez dramatique, pour le coup. Je dirais même que le tome un avait beau être excellent, celui-ci est encore meilleur. En effet, les personnages sont de plus en plus intéressants et attachants avec toute leur humaine faiblesse, loin de faiblir, l’action se durcit, les personnages s’épaississent, la réflexion est plus profonde également. Vraiment, une réussite, cette première enquête ! Je vous la conseille vivement. Et j’ai hâte de vous parler de la prochaine aventure de Jacques Peuplier.

Quant à l’intégrale (Tomes 1 et 2 ensemble) comme elle est parue en 2024, si c’est pour l’avoir en 16 X 20cm, pour moi, c’est non. J’aime le dessin et je déteste les mini-BD, on n’en profite pas.

978-2377312030




07 avril 2025

Cadres noirs

de Pierre Lemaitre

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Ce que j'admire toujours chez Pierre Lemaitre, c'est sa maîtrise et son savoir faire. Une fois encore, je n'ai pas été déçue, et pourtant, Lemaitre débutait presque avec ce roman, mais il connaissait déjà son métier et il le faisait fort bien. Voyons de quoi il est question

Quatrième de couverture:

"Alain Delambre est un cadre de cinquante-sept ans complètement usé par quatre années de chômage. Ancien DRH, il accepte des petits jobs qui le démoralisent. Au sentiment d’échec s'ajoute bientôt l'humiliation de se faire botter les fesses pour cinq cents euros par mois... Aussi quand un employeur, divine surprise, accepte enfin d'étudier sa candidature, Alain Delambre est prêt à tout, à emprunter de l'argent, à se disqualifier aux yeux de sa femme et de ses filles, et même à participer à l'ultime épreuve de recrutement : un jeu de rôle sous la forme d'une prise d'otages. Il s'engage corps et âme dans cette lutte pour retrouver sa dignité. S'il se rendait compte que les dés sont pipés, sa fureur serait sans limite. Et le jeu de rôle pourrait alors tourner au jeu de massacre… "

Vous avez saisi la problématique et le potentiel? Eh bien je peux vous dire que P. Lemaitre va en tirer le maximum. Il ne nous épargnera aucun rebondissement inattendu, aucune surprise, aucune angoisse, aucun succès enivrant, aucune défaite cuisante. Les règles du management qui sont les bases de la formation de Delambre, vont être implacablement mises à l'épreuve du réel, car c'est vers elles que se tournera notre héros à chaque fois qu'il sera en danger de perdre pied.

On part d'un chômeur désespéré que l'on voit accomplir les derniers mètres de descente au 36ème dessous en entraînant toute sa famille et qui réalise que son ultime espoir n'était en fait qu'un mirage, pire, une cruelle et impitoyable manipulation des nantis sur sa misère. A partir de là, comme on dit "le cave se rebiffe" et ça va faire TRES mal, à tout le monde.

Évidemment, on est là pour l'aventure, le suspens, le danger et les surprises. Il serait stupide de lire ça comme un documentaire sur le chômage ou même sur la banditisme (en col blanc ou survet'), la vie carcérale etc. N'allez pas bloquer sur les
invraisemblances, elles sont nombreuses et, je pense, assumées. Quand vous lisez James Bond, vous ne protestez pas que ce n'est pas possible. Laissez-vous mener en bateau. Prenez votre plaisir là où il est. Ca commence un peu lentement pour la mise en place et le lancement (trop longs à mon avis) intéressants mais manquant de rythme, mais je peux vous rassurer, ça va bien bien durcir et accélérer par la suite. Vous ne serez pas déçus. Et au moins, on ne peut pas accuser Lemaitre de manichéisme, car son héros qui manipule et utilise tout le monde, même ses alliés, n'est pas vraiment sympathique non plus. Notre chômeur acculé est vraiment prêt à tout, et il le montre. Et il se trouve qu'il a des dons et de la ressource.

Ca ne sera peut-être pas votre Lemaitre préféré, mais si vous passez le cap du démarrage façon diesel, vous en aurez pour votre lecture.



978-2253157212



03 avril 2025

Le dessin

de Marc-Antoine Mathieu

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978-2840557852

Marc-Antoine Mathieu a choisi pour cet album de nous livrer de grandes images (2 par page) en noir et blanc, même pas de gris. Nous n'aurons qu'une touche de couleur à la fin. (N'allez pas voir! Vous vous gâcheriez la surprise). Ce n'est pas ce que je préfère, mais je me suis livrée au jeu et bien m'en a pris car j'ai adoré cette bande dessinée si poétique. Je l'ai lue deux fois de suite, et j'ai bien fait, des finesses m'avaient échappé et je suis prête à parier que si je la relisais une troisième fois, j'en trouverais encore d'autres, cette BD est aussi profonde que la gravure le tableau dont elle parle.

Emile est un homme assez solitaire, si bien que quand son ami Edouard meurt, il se retrouve vraiment seul, et aussi, désorienté. Tous deux artistes, ils avaient l'habitude de se lancer dans des discussions sur le sens de l'art ou des "controverses insensées sur les qualités comparées du mystère et de l'énigme". Edouard qui avait prévu ce désarroi de son ami lui a fait un étrange legs: dans un entrepôt qui contient une quantité extravagante d’œuvres d'art, Emile devra en choisir une mais "oublie l'esthétique" lui précise-t-il et "ne prends que celle qui te plaira". A sa place, j'aurais été perdue, tout m'aurais plu, mais, vous l'aurez deviné, Emile prend celle que son ami lui avait destinée. Il s'agit d'une simple gravure faite par Edouard, et qui représente son appartement. De ce choix découlera tout le reste de la vie l'Emile.

Une histoire complexe, poétique, recherchée et intelligente, presque imperceptiblement fantastique, et où tout fait sens. Chaque détail dans les mots comme dans les images. C'est ainsi que ce récit en trois chapitres passe de "dessin" à "destin", puis "dessein" et que nous nous enfonçons dans cette mystérieuse gravure qui ne semble pas avoir de fond. Nous devrons également réfléchir à ce qu’est la réflexion.

Mais au fond, tout cela, est-ce un mystère ou une énigme? ...


29 mars 2025

Oscar Wilde et le nid de vipères

de Gyles Brandreth

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Mais ce pauvre Oscar a-t-il bien mérité cela???

Je résiste à tout, sauf à la tentation, disait Wilde (le vrai), fidèle à son exemple, je n’ai pas résisté à l’appel du quatrième volume de la série que Gyles Brandreth a lancée et dans laquelle il imagine Oscar Wilde en détective.

A chaque fois je me demande: "Mais ce pauvre Oscar a-t-il bien mérité cela??" et je ne peux pas honnêtement l'affirmer, mais chaque fois aussi, je finis par céder au charme de l'énigme et de l’enquête que je m'efforce de résoudre et mener à bien. Car je crois que c'est cela qui sauve ces romans policiers à l'audace (utiliser un écrivain réel) peut-être exagérée. Ce sont des "whodunit" à l'ancienne dans lesquels le lecteur peut vraiment essayer de trouver la solution. Ici, pas de deus ex machina ou d'information de dernière minute qui change toute la donne, mais un raisonnement logique que l'on peut tenter de mener à son terme. C'est amusant.

Bien que Gyles Brandreth soit un spécialiste de Wilde et qu'il puisse en parler en toute connaissance de cause, ce Wilde qu'il nous met en scène n'est évidemment pas le vrai Wilde, c'est un personnage mythique c'est à dire né d'un mythe autour de la personnalité de l'écrivain irlandais. On imagine que sa vivacité d'esprit puisse servir à résoudre des énigmes particulièrement complexes, on imagine que l'élégance et l'anticonformisme de son mode de vie puisse s’accommoder de fréquentations étranges, voire dangereuses et côtoyer des crimes... Et, pour enrichir le tout, Brandreth recycle avec savoir-faire les aphorismes et sentences wildiens pour notre plus grande jubilation.

Oscar n'est d'ailleurs pas le seul personnage réel utilisé dans cette série puisque nous y retrouvons entre autres Conan Doyle (qui allie une rigueur -voire raideur- morale et une naïveté qui le portera bientôt à croire aux fées) et Bram Stoker. Le narrateur de toutes ces aventures lui-même, Robert Sherard est un vrai écrivain, réellement ami d'Oscar Wilde et même son premier biographe. En fait, Brandreth, sans chercher plus loin, nous a mis Oscar dans le rôle de Sherlock Holmes et Shérard dans celui de Watson. Le pauvre Sherard n'est d'ailleurs pas épargné, on le dit "falot", terne etc. mais après tout, la neutralité de ton ne fait-elle pas le bon témoin?

Pour cette quatrième aventure, Wilde a vieilli. C'est assez pathétique, surtout au début du roman, ensuite l'action le ragaillardit un peu. D'autre part Brandreth est moins précautionneux sur la nature de sa vie sexuelle et il cesse de ne voir des jeunes gens que pour leur donner des cours. Ecoutons l'un d'eux:

"Je suis venu m'asseoir à côté de lui sur le lit, et j'ai tourné la tête de façon qu'il puisse mieux admirer mon profil.

-Qui êtes-vous Rex? Qu'êtes-vous? Me raconterez-vous l'histoire de votre vie?

Comme il (Wilde) posait sa main sur ma cuisse, je me tournais vers lui et lui souris. Mes lèvres, en s'entrouvrant, lui révélèrent combien mes dents sont blanches et mes canines acérées. Il a éclaté de rire et, jetant sa cigarette, il s'est penché pour m'embrasser."

En dehors de ce coming out auquel nous devons peut-être tout le rose -quelque peu excessif lui aussi- de la couverture, il est cette fois-ci question de vampires (d'où les canines acérées bien que plus loin Stoker parle des prémolaires mais on se demande ce qu'elles viennent faire là-dedans, passons, fin de la parenthèse), Charcot est nettement mis en cause et les frontières entre hypnotisme et charlatanisme se brouillent.

Un épisode donc bien intéressant de ces improbables aventures d'Oscar Wilde, peut-être le meilleur jusqu'à présent, je n'ai pas boudé mon amusement mais en revanche, j'ai tout oublié presque immédiatement. Mémoire sélective.


1. Oscar Wilde and the Candlelight Murders (2007) Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles

 2. Oscar Wilde and the Ring of Death (2008) Oscar Wilde et le jeu de la mort

3. Oscar Wilde and the Dead Man's Smile (2009)  Oscar Wilde et le cadavre souriant

4. Oscar Wilde and the Nest of Vipers (2010) Oscar Wilde et le nid de vipères

 5. Oscar Wilde and the Vatican Murders (2011) Oscar Wilde et les Crimes du Vatican 

6. Oscar Wilde and the Murders at Reading Gaol (2012)  Oscar Wilde et le Mystère de Reading

978-2264051240

24 mars 2025

La distinction

Librement inspiré du livre de Pierre Bourdieu

de Tiphaine Rivière

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Vous le savez tous, "La distinction" de Pierre Bourdieu est un ouvrage majeur et passionnant… mais c’est aussi un gros livre à la lecture difficile. Pour cette raison, beaucoup ne l’ont pas lu à part quelques devoirs scolaires rapides dans les meilleurs des cas. Cet album arrive à point et va beaucoup nous aider.

Alors, une étude de presque 700 pages transposée en 280 pages de gros dessins, vous vous doutez que vous allez lire une vulgarisation simplifiée, n’empêche que vous aurez les grandes lignes et que j’ai trouvé que l’esprit n’avait pas été trahi. Je conseille non seulement de lire cet ouvrage qui devrait se trouver dans toutes les bibliothèques publiques, mais aussi de l’offrir à vos jeunes, qu’ils fassent des études ou non. Ils comprendront mieux le monde dans lequel ils vivent, car ce qui fait l’objet de cette étude de 1979 perdure encore cinquante ans plus tard et si le monde a bien changé, ce dont on parle ici, est toujours là. Preuve que Bourdieu avait bien mis à jour un élément fondamental de notre mode de vie.

Tiphaine Rivière prend le parti de transposer l’action à notre époque. Notre héros est un jeune professeur de lycée qui, face à la difficulté qu’il y a aujourd’hui à faire classe en Terminale, entreprend de faire lire à ses élèves "La distinction" de Pierre Bourdieu. Ce texte est une révélation pour ces jeunes gens qui, peu enclins au départ à accorder leur attention, ne vont pas tarder à se sentir directement concernés par ce dont Bourdieu (et leur professeur) leur parle. Ils vont immédiatement faire rapprochements et comparaisons entre leurs vies, leurs familles, leurs mondes et les théories qu’ils découvrent. Ils prennent conscience de choses qu’ils ont toujours vécues et acceptées sans jamais les comprendre ni les remettre en cause alors qu’ils sont si fiers de leur libre arbitre. A partir de là, ils s’observent eux-mêmes et questionnent leurs motivations réelles. Ils observent et interrogent leurs familles. Leurs visions du monde changent.

Le graphisme noir et blanc, simplifié, vivant, m’a bien convenu. Le montage est passionnant. La mise en scène claire. C’est complètement accessible. C’est convaincant. Beaucoup vont découvrir des choses. Tout le monde va tout comprendre… et certains, une fois cet album terminé, poursuivront les recherches. Je conseille à 100 %.

978-2413081333




19 mars 2025

Prisonnier du rêve écarlate

d' Andreï Makine

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Ce nouveau roman d'Andrei Makine va nous raconter la vie de Lucien Baert, prolétaire français idéaliste acquis aux idées communistes, au long de plusieurs décennies, et, à travers lui, l'évolution de l'URSS et de la France.

A l'époque (1939) où Lucien jeune mécano entreprend ce voyage guidé en URSS avec d'autres camarades communistes après avoir appris un peu de russe, Gide y était déjà allé et en avait dit ce qu’il en pensait « Si je me suis trompé d'abord, le mieux est de reconnaître au plus tôt mon erreur; car je suis responsable, ici, de ceux que cette erreur entraîne. Il n'y a pas, en ce cas, amour-propre qui tienne; et du reste j'en ai fort peu. Il y a des choses plus importantes à mes yeux que moi-même; plus importantes que l'U.R.S.S.: c'est l'humanité, c'est son destin, c'est sa culture. »

Mais ceux qui ne voulait pas y croire n’y croyait pas. Plus tard circuleraient des rumeurs de touristes "coincés" derrière le rideau de fer (mot de Churchill en 46) lors de ce genre de voyage. Il y aura même des romans et des films sur le sujet et on parlera des guides, aussi. Mais en 1939, Lucien et ses camarades refusaient d'y croire. Ce n'était à leurs yeux que propagande capitaliste, et c'est confiants qu’ils partent pour ce voyage dont lui ne reviendra pourtant que plusieurs décennies plus tard, à moitié détruit. Nous verrons avec lui ce qu'était vraiment l'URSS puis la Russie et comment elle a évolué depuis 1939 jusqu'à actuellement. Lucien va goûter à tout, la prison, les camps, l'armée, le Front en tant que chair à canon même pas armée pour se lancer à l'assaut des lignes ennemies (il fallait prendre des armes aux cadavres), puis la Russie profonde, la Mafia omnipotente et omniprésente. Quand il parviendra à rentrer en France, ce sera pour jouer le rôle de témoin professionnel sur les plateaux et dans tous les médias, découvrant un autre monde, moins dangereux mais où le paraître a ôté toute importance à l'être. Et ici non plus, toute vérité n'est pas accueillie. L'époque rejette les nuances, seules les positions tranchées et sans concessions sont reconnues valides. (C’est de l’époque actuelle dont nous parlons).

C'est un roman intéressant, surtout d’un point de vue historique, mais du point de vue humain aussi. Cependant, on est loin du "Testament français" ou de "L'archipel d'une autre vie" en ce qui concerne le style. On n’a hélas qu’une suite de phrases courtes, simplistes, une énumération de faits, un style de compte-rendu à se mettre sous les yeux pendant la majeure partie du livre. Cette page en est un exemple mais jusque là, elles sont toutes du même tonneau :


C’est frustrant.

Et puis soudain, alors que je ne l'espérais plus, dans le dernier tiers, le roman s'envole enfin! Makine retrouve l'inspiration et nous, lecteurs, retrouvons l'écrivain que nous aimons.

C'est un peu tard, bien sûr, mais c'est beau quand même. Ça rattrape presque le bouquin et on le quitte sur une bonne impression qui fera des commentaires de lecture bienveillants.

‎ 978-2246840152

14 mars 2025

Le banquet des Empouses

de Olga Tokarczuk

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Sous-titre : "Roman d’épouvante naturopathique"

Enfin de la Littérature! Vous le savez, je n'ai rien contre les lectures distractives, que ce soit pour se lancer dans des aventures échevelées ou pour sourire à des fables humoristiques, et il y a aussi une quantité de romans que je qualifierais d'"honnêtes" et dont on se satisfait aisément mais on a cependant besoin, au moins de temps en temps, de retrouver la Littérature, avec un L majuscule. C'est ce qui nous arrive quand on met le nez dans un roman d' Olga Tokarczuk et ça fait un bien fou.

Nous sommes en 1912. Atteint de tuberculose, le jeune Mieczyslaw Wojnicz a dû interrompre ses études de Polytechnicien juste avant leur fin pour partir en sanatorium. Pendant ses soins, il logera dans une "Pension pour messieurs" tenue par Monsieur Opitz. Vous avez bien compris qu'on n'y voit aucune femme, il y avait bien une Mme Opitz mais elle sort rapidement de l'histoire (suicide? Son mari l'a-t-il "aidée"? On ne sait trop mais on ne s'en soucie pas beaucoup non plus, ou peut-être... mais on ne peut pas encore le savoir.) Mieczyslaw trouvera là une sélection de Messieurs, malades comme lui, mais plus âgés, tous tenant à défendre leur position sociale et tous un peu fauchés (les malades plus aisés sont logés au sanatorium lui-même). Derrière ce vernis assez inauthentique, le lecteur décèle les crispations mesquines, la cupidité, la forfanterie, parfois déchirées par un craquage inattendu pour révéler une chair plus tendre, mais à peine. On se réunit et on bavarde, soutenu par une petite liqueur locale à base de champignons hallucinogènes. Tous ces messieurs réunis là dissimulent leur dilemme personnel de besoin-peur des femmes sous une gigantesque misogynie. Il ne se termine aucune discussion sans qu'on ait trouvé l'occasion de répéter à quel point "le cerveau des femmes fonctionne d'une manière complètement différente du nôtre, il aurait même une autre structure.(...) Là où l'homme s'y entend en chiffres et plus généralement en structures, chez la femme se trouve la maternité." Et le lecteur ébahi découvrira en fin d'ouvrage que loin d'être dans la fiction, "TOUS les propos misogynes sont des paraphrases de textes des auteurs suivants: " suit une jolie liste de messieurs pourtant fort honorablement connus. Eh oui, c'est comme ça.

Mieczyslaw a été élevé par son père et son oncle, assez à l'écart du monde. Sa mère étant morte à sa naissance, la seule présence féminine proche n'a été de toute sa vie qu'une domestique, bienveillante mais sévèrement gardée à distance par le père puis renvoyée dès que l'enfant a été jugé assez grand pour se passer de "soins féminins". C’est peu dire que Mieczyslaw ignore tout des femmes. Il est maintenant frêle, un peu timide, et manifeste une phobie d’être observé à son insu. Il va s'intégrer dans le groupe en tant qu'"étudiant", le seul autre hôte de son âge étant un peintre malheureusement très malade.

Ces messieurs de la pension pratiquent en groupe la petite randonnée de montagne et culturelle, et sont très portés sur la bonne chère et Mieczyslaw se goinfre volontiers avec eux de plats locaux même si la découverte après-coup de leur composition exacte peut le faire vomir (et nous avec). Ce sentiment d'appétit et de dégoût, attirance et répulsion, est central dans ce livre. Par ailleurs, les choses ont souvent un double sens qui apparaît peu à peu et qu’on comprend plus tard (Emérencie, par exemple). Nous sommes dans une fiction très profonde et complexe.

Parallèlement, un mystère rode. Mieczyslaw ne tarde pas à découvrir que les morts suspectes se multiplient dans ce village depuis fort longtemps et qu'on ne peut pas toujours en accuser la tuberculose. Il tente d’en savoir plus, fouille un peu, observe... et nous aussi nous l'observons, car il est tout de même un peu étrange ce Mieczyslaw.

Qui nous fait ce récit? Eh bien, ce sont les empouses qui, invisibles, sont pourtant présentes partout et observent tout, bien que personne ne soupçonne leur présence. Et qui sont les empouses? Ce sont les spectres de la déesse Hécate.

Un grand roman ! Bien sûr, maintenant je n'ai plus qu'à lire "La montagne magique" de Thomas Mann devant laquelle j'ai toujours reculé, à tort, sans doute.

978-2882508669

09 mars 2025

Baignade accompagnée

de Serge Brussolo

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D'abord, je tiens à le préciser, je suis fan de Serge Brussolo. Il a un vrai don pour nous accrocher à des histoires surprenantes qui nous tiennent en haleine d'un bout à l'autre. Avec lui ne se posent pas les questions de vraisemblance, mais les histoires ont toujours une solide logique interne qui permet de s’y croire. De plus, il aime et il sait mettre en action des héroïnes qui n'ont pas froid aux yeux. Et justement, pour cette "Baignade accompagnée", nous en retrouvons une que nous avions déjà rencontrée dans des circonstances tragiques dans "Les enfants du crépuscules" et que nous retrouverons ensuite dans "Iceberg Ltd" (tous deux bien meilleurs à mon avis) parce qu'il faut bien dire que, je ne sais pas pourquoi, je n'ai pas vraiment accroché à celui-là. Pourtant tout y est, l'environnement hyper dangereux (les requins de Key West), les ennemis tout aussi dangereux (qu'ils soient du clubs des mutilés d’attaques de requins que le choc a sérieusement fêlés ou ninjas sadiques trafiquants de drogue) et l'art du récit est toujours aussi bien maîtrisé par l'auteur. Non, je ne sais pas, quelque chose n'a pas marché pour moi. Déjà, les requins ne font pas du tout partie de mes phobies et la plongée sous-marine, pour moi, c'est un peu comme marcher sur la lune, je sais que certains le font mais je ne m’identifie pas. Ou peut-être tout simplement que je n'étais pas d'humeur, bref, j'ai tout lu, j'ai même été surprise par le twist final, mais je n'y suis jamais allée à fond. Mais allez-y, vous, tentez le coup, vous verrez bien.

Voici l'histoire: Peggy Meetchum gravement déstabilisée par ses aventures des "Enfants du crépuscule" n'a jamais pu reprendre une vie "normale". Après des errances borderline, elle finit par se calmer un peu en s'établissant sur une plage de Floride bien que les requins y pullulent. Elle y a installé une fausse épave immergée qu'elle fait visiter aux touristes qui veulent marier plongée et émotions fortes (étant bien entendu qu'ils ne se feront pas vraiment croquer, mais qu'entend-on par "bien entendu"?). Par ailleurs, elle arrondit ses fins de mois en gardant un parc de requins pour un laboratoire qui les utilise à des fins expérimentales. Un jour, elle trouve dans sa fausse épave, un container suspect. Quelqu’un utilise son décor comme cachette pour ce qui semble bien être de la drogue. Sans trop réfléchir, elle l’emporte pour l’observer de plus près. Ce n’était clairement pas une bonne idée, tout le reste du livre va le lui prouver.


Série Peggy Meetchum : 3 romans distincts qui peuvent se lire dans le désordre.

Les Enfants du crépuscule

Baignade accompagnée

Iceberg Ltd


 978-2253171584

04 mars 2025

VilleVermine  L'homme aux babioles

de Julien Lambert

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Encore une trouvaille due aux hasards de mes fouilles aléatoires en bibliothèque. Je me souviens que je l’ai embarquée en me demandant encore si c’était une BD pour enfants ou adultes. La différence, hormis les images crues ou gores, tient à la simplification des histoires et des sentiments exprimés. Mais là non, s’il n’y a pas d’images choquantes il n’y a pas non plus simplification abusive des choses et j’ai passé un vraiment bon moment avec cet album.

Nous sommes donc à VilleVermine, le nom dit tout. C’est une mégapole en mauvais état et peuplée de gens étranges. "VilleVermine, ville poisseuse, grouillante, crasseuse... Ville de petites magouilles, de petits truands, de sales bizness". Notre héros s’appelle Jacques Peuplier et il vit seul dans une mansarde. Il est détective privé, spécialisé dans la recherche d’objets. Il faut dire qu’il a un atout secret, il parle la langue des objets. Il les aime, il les répare et, quand il est sur une enquête, il peut interroger les objets témoins des faits. Il a donc d’excellents résultats et une bonne réputation dans son métier. Il est par ailleurs aidé par une constitution de colosse et une bonne efficacité dans les bagarres. Ses recherches lui font traverser la ville en tous sens et on croise ainsi les autres habitants, les truands, les bandes de gamins à moitié sauvages, de gros insectes volants et on parle même d’un homme volant, mais Jacques a du mal à y croire jusqu’à ce qu’il le voie de ses yeux. Il y a tellement de choses étranges dans cette VilleVermine… Mais un jour, la Reine des Bas Fonds, lui demande de retrouver sa fille qui a été enlevée. C’est en dehors des compétences de notre détective, mais quand celle-là demande quelque chose, il ne reste plus qu’à obéir, et le voilà parti, interrogeant les objets qui ont assisté aux évènements. Il rencontrera ainsi d’autres personnages dotés de dons tout aussi étranges que les siens et découvrira un complot glaçant dont personne ne se doutait...

Et moi, je lis ça, captivée, car l’histoire est très originale et intéressante, car c’est poétique et ça titille constamment la curiosité, parce que tout peut arriver et que ça n’est pas simpliste. Je me sens comme lorsque, gamine, je dévorais les BD. Le dessin aussi me convient. Lui aussi est original, brut mais parfait et hyper évocateur. Il est exactement adapté au récit. Julien Lambert a assuré le scenario et le dessin et je ne peux qu’admirer son talent. Mais voilà qu’au moment où je suis le plus accrochée, j’arrive à cette vignette :

J’ai fait exactement la tête qu’on voit en haut du dessin et je me suis précipitée dès le lendemain à la bibliothèque pour m’emparer de ce fichu tome 2. Comment avais-je pu ne pas voir que ce n’était pas un one shot ?!

Par contre, mon engouement ne devait pas être totalement infondé car je m’aperçois que cet album a reçu le Fauve polar 2019 à Angoulême.

978-2377311552