Les abeilles grises
d'Andreï Kourkov
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Ecrit et publié avant le déclenchement de la guerre de Poutine en Ukraine, ce roman témoigne d'un long passé de "guerre" entre l'Ukraine et les séparatistes prorusses. Sergueïtch, le personnage principal, vit dans le Donetsk, dans un petit village sous les bombardements. Ils ne sont plus que deux solitaires dans ce village fantôme, lui et son ennemi d'enfance, Pachka. Ils ont les Ukrainiens d'un côté, les séparatistes de l'autre, avec les tirs qui passent au-dessus de leurs têtes, c'est ce qu'on appelle la zone grise. Ils sont restés parce que, sans famille, leur maison est tout ce qui leur reste. Ils se sont donc rapprochés un peu, d'autant que leur antipathie de bancs d'école n'est pas étayée par grand chose, mais chacun reste sur la réserve et refuse sa confiance. Pachka, à tendance indépendantiste, trafique avec les soldats; Sergueïtch à tendance ukrainienne a son miel et ses abeilles. C'est un apiculteur passionné et plus encore que sa maison, son monde, ce sont ses six ruches pour le moment en repos hivernal. Ils ont beau refuser de s'en mêler, la guerre est tout près, déposant parfois le cadavre d'un soldat devant leurs fenêtres ou pulvérisant à l'improviste une maison du village. Tous deux attendent que la paix revienne, et avec elle, les villageois...
"- Rien n'a changé, sauf qu'on se tire dessus plus souvent.
- Et sur qui on tire?
- Comment, sur qui? Les uns sur les autres. Chaque nuit. Parfois ça vole si bas qu'on peut voir les obus à l’œil nu. Ca devient effrayant! Et ensuite, "Bam" de l'autre côté!"
Mais un jour, un bombardement trop proche affole les abeilles de Sergueïtch, chose qu'il ne peut accepter et il décide de partir avec ses ruches et son matériel de camping vers une zone plus pacifique en attendant que les choses se calment sur la zone grise. Son départ laisse Pachka seul au village. Sergueïtch part vers la Crimée, parce que c'est une belle région, qu'elle lui évoque les plages et les vacances. Il s'appuie sur le vague souvenir d'avoir sympathisé bien des années auparavant, à un congrès d'apiculture, avec un apiculteur Tatar et d'avoir son adresse, alors il ira là. Il charge les ruches sur son véhicule, et les voilà partis, se heurtant d'abord à toute une série de checkpoints tatillons, menaçants et imprévisibles, puis, une fois arrivés, au poids étouffant des forces russes et à l'oppression dont les Tatars sont spécialement victimes.
Je vous laisse découvrir par vous-mêmes.
C'est un bon roman, intéressant, qui s'est trouvé propulsé sur le devant des vitrines avec le déclenchement de la guerre peu après sa parution, mais à mon sens, c'est un roman qui peine à trouver son rythme. La mise en place des lieux et personnages prend la moitié de l'ouvrage, sans qu'il s'y passe grand chose ni même que le lecteur sente spécialement que l'histoire tend vers quelque chose. Puis, une fois que Sergueïtch a pris la route, c'est bien plus stressant mais avec quelque chose d'incertain dans la progression. Ca, c'est pour le côté tension romanesque, par contre la peinture de la vie des population civiles en temps de guerre semble extrêmement juste. Certains tentent de fuir, d'autres s'accrochent à leurs lieux et tentent à tout prix de mener la vie la plus normale possible, mais la violence et le drame peuvent surgir et frapper n'importe quand, tout comme de longues périodes peuvent s’écouler sans accroc; et les gens doivent s’adapter à ça faute d'y pouvoir quoi que ce soit, poursuivre leur vie, ne pas mourir, toujours tendre vers la "normale". Montrés dans leurs quotidien, on s'imagine très bien à leur place. Kourkov a su nous faire éprouver une vraie proximité avec ces populations C'est une des grosses qualités de ce roman. Si bien qu'en conclusion, je vous rapporte un rêve de Sergueïtch:
"- Qu'est-ce qui se passe? Lui demanda-t-il
- La victoire! dit l'autre radieux. La victoire!
- Mais qui est le vainqueur? (...)
- Je ne sais pas répondit Pachka, mais on s'en fout! L'important, c'est que c'est la victoire! La fin de la guerre!"
9791034905102
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