28 janvier 2025

A moi seul bien des personnages

John Irving

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Le narrateur, William (dit Bill) Dean, est un vieil homme qui reprend ses souvenirs depuis son enfance, si bien que j'aurais aussi bien pu dire que le narrateur était un jeune homme. Celui qui dit "Je" commence par nous parler de l'adolescent qu'il fut et auquel le hasard fit découvrir en même temps la littérature et la sexualité. Bill, qui n'a jusqu'à présent guère été un lecteur, constate avec perplexité et gène, qu'il est amoureux du beau-père que sa mère vient de lui donner. Bill n'a jamais connu son père et sa mère, qui est souffleuse dans un petit théâtre, vient de se marier avec Richard, professeur de littérature, acteur, puis metteur en scène de théâtre amateur. C'est ce Richard qui amènera Bill à la bibliothèque municipale car il estime que tout adolescent doit avoir sa carte de bibliothèque. Il lui y présentera Melle Frost, la bibliothécaire (aux USA, les bibliothécaires semblent avoir un rôle beaucoup plus dirigiste qu'ici vis à vis des jeunes) qui saura lui faire lire les romans qui le transformeront en lecteur passionné. Et Bill tombe aussitôt amoureux de Melle Frost aussi, ce qui lui paraît d'ailleurs moins saugrenu que de son beau-père, mais reste la différence d'âge.

Nous suivons Bill qui grandit, qui poursuit sa scolarité dans un internat de garçons, et dont le gros problème est que, plus ses pulsions sexuelles se manifestent, moins elles lui semblent aller dans le sens qu'elles devraient avoir. Bill se met à se tracasser beaucoup pour ses "erreurs d'aiguillage amoureux" qui l'étonnent, l’embarrassent et ne lui offrent qu'un avenir d'autant plus bouché que le sujet est tabou, autant chez lui qu'au collège.

Et pourtant! Pourtant, sa famille n'est pas particulièrement stricte et le théâtre shakespearien auquel ils vouent leurs loisirs, multiplie les ambivalences sexuelles (belles pages sur les pièces de Shakespeare, très vivantes et captivantes à l'occasion des répétitions). Pourtant encore, son grand-père (patron d'une scierie, travail viril s'il en est, ne joue que des rôles de femmes, toujours déguisé). Alors que Miss Frost (belles pages à nouveau sur ses lectures conseillées par elle) continue à le fasciner et notre Bill, qui ne se sent pas plus homo qu'hétéro, grandit en se considérant "de sexe indécis" et en se tracassant pour "son orientation sexuelle déroutante".

Nous le verrons ainsi grandir, devenir un homme, puis un homme âgé, sous les deux focales de sa sexualité particulière et de la littérature qu'il ne quittera plus car il va devenir écrivain. A travers les lectures du jeune Bill et les pièces du répertoire des troupes de théâtre, ce roman atteint une vraie dimension littéraire.

Comme le dit l'auteur, c'est un livre sur la tolérance sexuelle. Ne se contentant pas de dynamiter, les classes homme-femme, en particulier avec les transsexuels (on dit "transgenre" maintenant), il va poursuivre de même l'intolérance des homosexuels qui méprisent les bisexuels etc. montrant par là que même ceux qui souffrent de l'ostracisme sont capables très facilement de le reproduire.

Après nous avoir fait entrer dans ce milieu particulier et y avoir pris place, Bill nous fera traverser les années Sida à New York dans toute leur horreur mais sans jamais aucun larmoiement. C'est remarquablement documenté et rendu. Le drame n'est plus individuel, il prend une dimension sociale universelle. Face aux milliers de morts, le non-dit explose.

Si vous avez des problèmes avec les catégorisations sexuelles, vous allez vous sentir très mal à l'aise en lisant ce roman, mais en échange, peut-être serez-vous débarrassé de vos barrières mentales une fois la dernière page tournée (on peut rêver). Si vous êtes plus tolérant que cela, vous allez le devenir encore plus.

C'est un des tout bons romans de John Irving, un hétéro (je crois) qui arrive à nous y faire croire complètement et nous montre, en creux, où est le moyen-âge.

978-2757841433

4 commentaires:

  1. Il y a une époque où je lisais tous les romans de John Irving qui me tombaient sous la main. Je me souviens d'un sacré fou rire toute seule dans le bus à cause/ grâce à lui.

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    1. Moi aussi j'en ai lu beaucoup et depuis toujours. J'ai toujours aimé ses histoires et sa façon de les raconter.

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  2. Je pourrais recopier le commentaire précèdent (sauf le bus). Il mes reste les derniers, dont celui ci et son dernier vu en médiathèque. Bref, pavés pour cet été? ^_^

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    1. Celui-ci, c'est un de mes préférés. Le dernier, je l'ai eu à Noël mais je fais passer d'autres de ma pal devant car il fait 1000 pages et va donc me tenir un moment. Mais ça n'attendra sans doute pas cet été quand même. ;-)

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