Houris
de Kamel Daoud
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Comme vous le voyez, j'ai donné quatre étoiles à ce livre et non cinq, signe que je n'ai pas été totalement comblée par ce roman, je suis cependant très heureuse qu'il ait été écrit puis publié et également qu'il ait obtenu le Prix Goncourt qui lui a valu une diffusion énorme car c'est un bon livre, d'un excellent niveau littéraire, et cela dit ce qu'un pouvoir essaie de faire disparaître. Partout, toujours, quand un pouvoir tente d'effacer, de nier, d’empêcher de dire, quelque chose qui est arrivé, quelle que soit la raison donnée, il faut s'y opposer et prendre le contre-pied. Il faut parler, raconter, témoigner. Le pouvoir algérien a interdit d'évoquer ses dix ans de guerre civile et ses 200 000 victimes au prétexte que seul ce silence pouvait permettre la coexistence pacifique des deux factions un moment ennemies, et que ce n'était que sur ce no man's land de silence que pouvait se bâtir la suite de l'histoire, une suite pacifique, Mais ce n'est pas exactement ce qui s'est passé. Ce silence a en réalité permis aux responsables de cette période de se maintenir en place. Ils ont dû mettre fin aux exactions les plus sanglantes et se faire discrets, mais pas se retirer, pas tout perdre. Les victimes, elles, ont bien tout perdu. Elles ont perdu tout ce qu'elles ont subi pendant la guerre civile mais aussi depuis, le droit a être reconnues, respectées et aidées en tant que victimes. Au contraire, elles étaient le témoignage vivant et gênant d'une chose qu'on voulait oublier. On ne pouvait pas le leur dire mais on souhaitait les voir se cacher, disparaître, plus encore que les criminels. Elles témoignaient de l'injustice profonde dont tous étaient coupables et qu'elles avaient subi. On commence à douter (plus ou moins sincèrement) de leur réalité. On organise leur oubli. La mémoire est chose fragile. « Un souvenir est toujours écrit sur de l’eau, du sable, des matières qui changent et fuient. »
Ainsi en est-il de Aube qui, égorgée à cinq ans lors du massacre de son village (plus de mille victimes) et ayant miraculeusement survécu, arbore maintenant la cicatrice de son "sourire monstrueux" et oblige ceux qui la voient à se souvenir. Tous la craignent pour cela et sont mal à l'aise en sa présence. Cette tentative de meurtre l'a cependant laissée muette. Elle vit d'un petit salon de coiffure qu'elle possède a Oran et dans lequel se retrouvent les femmes du quartier de plus en plus interdites d'espace public. Malheureusement la mosquée est toute proche et le nouvel imam a la haine des femmes chevillée au corps. Ses prêches sont de plus en plus haineux. Un matin, Aube retrouve son salon de coiffure saccagé dans l'indifférence de la police.
Parallèlement, Aube, célibataire, est enceinte et ne désire pas garder le bébé à venir. Elle est persuadée que ce sera une fille et comment une fille pourrait-elle être heureuse dans l'Algérie qui est en train de se bâtir, de plus en plus répressive. Elle s'est procuré trois comprimés qui lui permettront d'avorter, en attendant, perturbée, elle fait le point de sa vie en se racontant en pensée à cette fille qu'elle porte. C'est ainsi que le lecteur en apprendra plus tant sur ce qui s'est passé pendant la guerre civile que sur ce qui se passe depuis. Ainsi, et également grâce aux rencontres qu'elle fera et aux récits que lui feront ces témoins.
Kamel Daoud use d'une langue très littéraire et belle.
"Les neuf ou dix ou dix-neuf soldats qui se trouvaient sur ce barrage avient été tués une heure après mon passage le matin. Je n'ai pas bougé, sauf une pierre dans ma poitrine qui me broya les côtes. Tout autour, le vent convoitait leur souffle et le grand Sahara nous tournait le dos. On a toujours l'impression qu'une personne vous observe de très loin dans ces lieux où rien ne pousse à part les songes ou les levers de soleil."
Son récit progresse en un mouvement en spirale, comme celui qu'on fait pour nettoyer une vitre. De ce fait, il ne progresse pas vite et semble au contraire, insister sur chaque passage plutôt que filer plus loin. C'est ce qui, volontairement je pense, enlève de la fluidité au récit. L'idée n'est pas qu'il file avec aisance du début à la fin de l'histoire qui nous est racontée. L'idée est au contraire d'insister sur tout, que rien ne "passe tout seul" et même, que rien ne passe du tout. Kamel Daoud veut que les choses soient gravées dans le roc, qu'elles soient là, qu'elles soient dites, et qu'elles s'imposent à tous. La suite, oui, un après pacifique, oui, mais pas sur un déni. Il ne peut en fait se construire durablement que sur une vérité reconnue et publique. Or, "Le colonel voulait arracher mon talent, le déraciner ou l'écraser avec sa chaussure ou lui mettre un voile ou une arme dans la bouche, et même lui interdire d'avoir une bouche, d’ailleurs!"
Ce roman est une belle œuvre, mais elle n'est pas très facile à lire. Elle exige un effort de son lecteur. J'ai trouvé aussi que les motivations d’Aube dans la deuxième moitié étaient un peu incompréhensibles, mais que sais-je de la psychologie d'une rescapée d'assassinat? J'ai trouvé également le passage à cette seconde moitié trop abrupt pour moi. Il n'y a pas de transition et, désorientée, j'ai perdu du temps à resituer les personnages.
978-2072999994
Elle est enceinte, mais ... le père? Un viol?
RépondreSupprimerJe n'ai pas eu envie de lire ce livre, une incursion sur Babelio m'en dissuade encore plus. ^_^
J'aimerais te convaincre du contraire. Quant à te dévoiler l'histoire, tu sais que je ne le ferai pas. C'est dans le titre même de mon blog ;-) Sérieux, tu devrais le lire.
SupprimerEffectivement ce roman n'a pas l'air d'être d'un abord facile.
RépondreSupprimerIl se mérite.
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