A Dieu vat
de Jean-Michel Guenassia
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"A Dieu vat" est une expression courante de ces années-là qui voulait dire "Alea jacta est", "Le sort en est jeté", "Allons-y, le reste ne dépend plus de nous" (le "t" étant un maintien de l'expression en son état original ), et les occasions de l'employer ne vont pas manquer dans ce roman captivant.
Le récit que Jean-Michel Guenassia nous fait débute en 1924 quand Irène, jeune serveuse de guinguette tombe amoureuse d'un "Valentino" de pacotille, et nous emmène jusqu'à la fin des années soixante, avec un focus sur l’Algérie qui cesse d'être française et les essais nucléaires ultimes qui ont été commis sur son sol. Personnellement, je ne suis pas fan des regrets, des excuses, des longues "dettes de l'Histoire" qui à mon sens n’arrangent rien, mais je ne le suis pas davantage des omertas, et cette mise à plat de notre accession au rang de puissance nucléaire, m'a beaucoup intéressée.
Les circonstances font que quatre enfants sont élevés ensemble. Ce sont les enfants de deux amies de la haute société: Daniel, fils de Madeleine Jansen et Thomas et Marie, jumeaux, enfants de Jeanne. A eux s'ajoute Arlène, fille d'Irène, modeste couturière mais aussi amie des deux précédentes. Arlène et Daniel ont la particularité d'être nés le même jour. Les quatre enfants grandissent en restant proches et bientôt, à la surprise générale, Arlène révèle avoir des dispositions exceptionnelles en mathématiques. C'est ce qui incitera les familles aisées à la soutenir dans des études que sa mère ne voit pas d'un bon œil. Elle s'acharnera jusqu'à surmonter toutes les injustices sexistes possibles, jusqu'à devenir l'une des première femmes ingénieur atomique de France.
Les quatre enfants, sont des personnages auxquels l'auteur a vraiment bien su donner vie et épaisseur. Les quatre nous captivent. Je pense que pour quasiment tout le monde, Arlène restera la personnage le plus attachant et le plus marquant du fait de sa vie beaucoup plus difficile et de ses mérites réellement exceptionnels. On rage du sexisme qui la bride, et on doit s'avouer qu'il a encore de beaux restes, hélas.
"Après huit ans de présence, je suis la seule de l'équipe du Fort de Châtillon à n'avoir obtenu aucun avancement quand tous mes camarades sont devenus directeurs de départements ou chefs de service. Moi, je suis restée ingénieur, voyant une foule de nouveaux venus me passer devant à chaque promotion, et quand j'ai exprimé ma déception, on m'a fait comprendre que j'étais une râleuse, jamais contente."
Une peinture très vivante de toute une époque, un roman qui nous emporte et qui comble son lecteur, sont les raisons pour lesquelles je le recommande vivement malgré des explications techniques peut-être trop détaillées et trop longues dans le dernier tiers (sans doute, Jean-Michel Guenassia ne voulait-il pas se laisser accuser d'approximation ou de méconnaissance du sujet). Mais globalement, le rythme est préservé et le récit se maintient.
978-2226483935