Mon chien Stupide
de John Fante
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Tout le monde vous le dira, John Fante ne raconte qu'une seule personne dans tous ses romans avec une plus ou moins grande distorsion : lui-même. Ici, c'est sous la forme de Henry Molise que nous le retrouvons. Un Molise à la cinquantaine bien tapée, écrivain, ayant eu son heure de gloire à Hollywood, mais en nette perte de vitesse, gardant quand même encore une belle maison en bord de mer. Dans cette maison, il vit avec son épouse Harriet, qu'il n'écoute guère mais sans laquelle il ne pourrait sans doute pas vivre, et ses quatre enfants en passe de quitter le nid. Miné par l’inactivité et l'affreux défilé des années, cet égoïste éhonté entretient des rêves de départ pour Rome (il est issu d'une famille d'immigrés italiens) et de dolce vita dépourvue de toute obligation familiale. C'est peu dire qu'il n'est pas satisfait de son sort qu'il juge injuste, le lecteur jugera...
C'est dans ces dispositions que la famille voit s'installer sur sa pelouse un énorme chien errant, volontiers bagarreur et obsédé sexuel... inverti. Or, Molise a une passion pour les chiens de combat dominants. Ne doutons pas qu'il y trouve compensation à sa propre situation pas du tout dominante. Il impose donc le chien à son voisinage et à sa famille. On le baptise Stupide, car il n'obéit pas et on préfère croire qu'il ne comprend rien, mais c'est tout qui est stupide chez Molise, à commencer par lui-même et on voit bien qu'il s'en doute.
"J’étais las de la défaite et de l’échec . Je désirais la victoire. Mais j’avais cinquante cinq ans et il n’y avait pas de victoire en vue, pas même de bataille. Car mes ennemis ne s’intéressaient plus au combat. Stupide était la victoire, les livres que je n’avais pas écrits, les endroits que je n’avais pas vus, la Maserati que je n’avais jamais eue, les femmes qui me faisaient envie."
Introduit avec le chien dans l'intimité de cette belle famille américaine, nous en découvrons tous les membres et on peut dire qu'il y a des traits de caractères familiaux qui se sont indéniablement bien transmis. Chacun des quatre enfants est une histoire à lui tout seul et trois d'entre eux sont vraiment les dignes rejetons de leur père, le quatrième tenant plutôt de la mère.
Tout au long du récit, on est partagé entre le rire et le scandale ou la réprobation. Tout est à double niveau. Les situations sont cocasses, féroces, choquantes... et la machine suit quand même son cours, On rit mais on voit en même temps clairement tout le poignant. On écoute et regarde notre Henry Molise qui ne cache aucune de ses pensées les plus minables, ses lâchetés, et en même temps, nous amuse. Comment tout cela va-t-il finir ?
Une peinture sulfureuse, un humour qui décape, une plongée dans les profondeurs de l'âme d'un tricheur né…
978-2264072023