Elizabeth Finch
de Julian Barnes
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Le narrateur s'appelle Neil, la trentaine, acteur qui n'arrive pas à percer et qui toute sa vie, devra compléter ses revenus avec des boulots divers et variés. Retourné sur les bancs des amphis pour parfaire ses connaissances, il tombe, dès le premier cours sous le charme de son prof de "Culture et civilisation", la cinquantaine, personnalité intéressante, il est vrai. Après les études, ils continueront à se voir épisodiquement à Londres, en mangeant ensemble. Leur amour ne sera jamais ni oralisé, ni concrétisé, mais durera jusqu'à la mort d'Elizabeth puis, on peut le supposer, celle de Neil, bien plus tard. C'est une belle histoire, admirablement bien portée par la belle écriture de Barnes. L'ambiance m'a fait penser à son précédent roman, "La seule histoire", même le fantôme de l'alcool, qui ne réapparaît pas ici mais qui flotte dans l'air sans être jamais évoqué (pourquoi cette obligation de restaurant "sans alcool"). On a l'impression qu'il y a beaucoup de l'auteur dans le narrateur, comme c'est d'ailleurs souvent le cas dans ce mode de narration. Cependant, ignorant tout de la vie réelle de l'auteur, je ne sais pas si cette impression est fondée ou non.
Le problème de ce roman est qu'il souffre d'un malentendu causé par sa quatrième de couverture. Il nous y est présenté comme "un roman d'amour pas du tout comme les autres" et portant sur la personnalité mystérieuse et fascinante d'Elizabeth Finch, professeur d'université, objet de cette flamme qui durera toute la vie de cet élève épris. La quatrième de couverture nous dit cela, et rien de plus. C'est passer un peu vite le fait que sur les 200 pages du roman, 50 sont une stricte biographie de Julien l'Apostat (qu'on aurait plus judicieusement dû nommer Le superstitieux), ainsi qu'une étude sur les vertus comparées du mono et du poly théisme. Je ne dis pas que ce soit sans intérêt, bien au contraire, je dis qu'il y a de quoi prendre de court les amateurs d'histoires d'amour et de rater le lectorat des amateurs d'Histoire antique. Beaucoup des premiers ne dépasseront pas la moitié du livre, tandis que les seconds n'ont même aucune raison de l'ouvrir.
L’intérêt de ce livre tient à la quantité de notions intéressantes qui y sont mises en lumière et examinées. Comme par exemple "le narcissisme des petites différences", les projections sur ce qu'aurait pu être un monde non chrétien, etc. Et tout cela se termine par une mise en abyme subtile et amusante.
Bref, ça reste du Julien Barnes.
PS: A noter, le traducteur a inventé un mot, à savoir "monotesticulaire" à défaut de "monorchide".
Extraits:
"Notre héritage génétique peut nous entraver. Ainsi que des évènements passés dans notre vie. Il n'y a pas que les soldats sur le terrain qui souffrent plus tard de troubles liés au stress post-traumatique."
"Etrange qu'il y ait des hommes qui se persuadent que le désir est une émotion. Une des plus ^primaires, alors.
Et il en est beaucoup d'autres qui confondent "se sentir coupables" et "être absous". Ils sont peu conscients qu'il y a des étapes entre les deux."
"Le sentiment que l'existence, en dépit de ce qu'on aimerait qu'elle soit, ne se résume pas à une histoire - ou pas une histoire telle qu'on la comprend et l'espère."
"- De toutes les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d'autres non.
- Continue
- Et il faudrait apprendre à distinguer les unes des autres, et admettre qu'il n'y a rien à faire au sujet de ce qui ne dépend pas de nous, et reconnaître que cela nous conduit vers une véritable compréhension philosophique de la vie."
"Toutes les religions (ou presque toutes) détestent bien plus l'apostat que le paysan ignorant qui peut généralement, avec un peu de sévère persuasion, être hissé, clignant des yeux, vers la lumière. Gibbon écrit que les Juifs de cette époque tuaient ceux qui apostasiaient. Peut-être est-ce vrai de toutes les grandes organisation unitaires. Trotsky fut assassiné à Mexico pour avoir renié la seule vraie foi politique. Mais tout autant que de haïr les apostats, de tels système en ont besoin.: en tant qu'exemples négatifs, pouvant servir d'avertissement. Abandonnez votre religion, prêchez contre elle, attaquez-la, et voyez ce que vous obtenez: une lance dans le foie, un pic à glace dans le crâne."
(Si Julien l'Apostat l'avait emporté) "Imaginez les seize derniers siècles sans guerres de religion, peut-être sans intolérance religieuse ou même raciale. Imaginez la science non entravée par la religion. Effacez tous ces missionnaires forçant des peuples indigènes à adopter leur croyance pendant que des soldats de même provenance volaient leur or."
978-2715258839