13 janvier 2024

La dernière rose de l'été

de Lucas Harari

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J'ai lu il y a peu "L'aimant" du même auteur, qui m'avait bien plu, tant le récit que le graphisme (j'avais fait un billet), j'ai alors regardé à la bibliothèque s'il y avait d'autres titres de Lucas Harari, et il y avait cette dernière rose, que je suis donc allée cueillir.

Leo se veut écrivain. Son livre de chevet est "Martin Eden" comme s'il cherchait déjà à contrer l'effet délétère d'un trop grand succès alors qu'il est loin d'avoir débuté. Le chef d’œuvre projeté fuit sa plume et le voilà à travailler dans un lavomatic. Voilà qu'un hasard farceur amène dans ses murs un cousin perdu de vue depuis des années. Voilà que peu après, le cousin s'aperçoit qu'il a besoin que quelqu’un occupe sa belle villa Corse qui surplombe la mer et qu'il propose le poste à Leo : le gardiennage contre un endroit paradisiaque où se laisser habiter par l'inspiration... Et c'est parti! Leo aura des voisins qui, on s'en doute seront un peu étranges, il les fréquentera, des choses lui sembleront mystérieuses... puis il y aura une mort violente et ensuite... eh bien, je vous laisse le découvrir.

C'est un gros album, presque 200 pages, grand format. Une fois tous les personnages en place, j'ai cru reconnaître une trame un peu trop banale et j'ai failli me désintéresser de ce livre, mais j'y suis tout de même revenue pour le terminer et j'ai eu bien raison car le scenario est bien plus original et intéressant que celui que j'avais suspecté et on se trouve en fin de compte avec une intrigue de qualité tout à fait honorable.

J'aime toujours autant le graphisme. On se retrouve comme dans "L'aimant" avec des angles de vue spectaculaires, de beaux dessins d’architecture grand luxe, et cela aussi, j’aime bien. Je m'y suis promenée avec plaisir. Les paysages sont toujours très bien rendus et les jeux d'ombres et de lumières, tranchés et saisissants. Bref, un excellent album et je guetterai d'un œil attentif d'éventuels autres parutions de Lucas Harari.


978-2377314768


08 janvier 2024

Veiller sur elle 

de Jean-Baptiste Andrea

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Prix Goncourt 2023

Un titre qui m’a réconciliée avec ce bon vieux Prix Goncourt, quoi qu’il soit par ailleurs.

Dans le monastère retiré de Pietra d'Alba près de Gènes, les moines accompagnent l'un des leurs dans ses dernières heures de vie. L'un des leurs pour l'existence qu'il a menée pendant toutes ses dernières années, mais pas un moine cependant. Il vit parmi eux depuis plusieurs décennies, depuis que leur monastère abrite une statue si remarquable qu'il a fallu la soustraire au regard du monde qu'elle troublait trop; et depuis elle est là, enfermée dans une salle du sous-sol et ne reçoit que de très rares visiteurs.

Le mourant s'appelle Michelangelo Vitaliani. dit Mimo, et pendant les longues heures de son agonie, se déroule le récit de son existence depuis son plus jeune âge, existence qui ne fut pas banale et que le lecteur dévore avec un intérêt passionné. Michelangelo était sculpteur, il est né au début du vingtième siècle et a tôt perdu un père aimant et pauvre, sculpteur qui a servi de chair à canon en 1914. Envoyé chez un oncle en Italie, Mimo a appris la sculpture à la dure mais avec un talent hors norme. Il a vécu quatre-vingt deux ans et a donc été témoin des transformations incroyables qui ont vu ce siècle passer du cheval de trait au tout connecté, mais le principal fait est que lui, l'orphelin pauvre, a rencontré Viola Orsini, la riche fille d'une grande famille, aussi extraordinaire que lui, et qu'ils se sont reconnus et mutuellement adoptés et toute leur vie (et celle de quelques autres) en a été changée. Une précision, Michelangelo adulte mesure un mètre quarante.

Un roman magnifique que je ne déflorerai pas davantage puisque de toute façon, vous allez le lire et vous en régaler également.

C'était ma première lecture de J-B Andrea mais maintenant, d'autres sont déjà prévues car j'apprécie plus que tout les écrivains au très beau style et à l'imaginaire puissant. Je n'ai que faire des "fines" analyses égocentrées, mais si je trouve un auteur qui me livre des mondes, qui me transporte dans le temps et dans l'espace, qui me fait rencontrer des personnages vrais, alors je ne le quitte plus avant d'avoir tout lu.

978-2378803759

03 janvier 2024

Saules aveugles, femme endormie 

de Haruki Murakami

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Un recueil de nouvelles, chose assez rare chez moi. Il aura fallu que ce soit un auteur qui m'attire vraiment, mais pour Murakami, je suis prête à surmonter ma réticence envers les récits courts. Vingt-trois nouvelles, quand même, c'est dire que certaines sont assez brèves mais le recueil compte quand même 510 pages... Certaines de ces nouvelles avaient déjà été publiées auparavant, mais pas toutes, d'autres ont été rédigées pour l'occasion. L'auteur dit parfois que la rédaction de nouvelles est comme une récréation pour lui au milieu de l'écriture de romans. J'ai eu à la lecture l’impression qu'elles avaient été écrites par un Murakami trentenaire ou à la limite quadragénaire, ce qui se confirme, même si certaines ont été rédigées plus tard. Elles le furent entre 1980 et 2005 selon Wikipédia (soit de 31 à 56 ans).  Dont acte. Elles ont été choisies par l'auteur lui-même pour composer ce recueil.

Les sujets sont très divers mais on trouve très souvent des histoires de jeunes couples en formation ou en voie de délitement. On retrouve les personnages de Murakami, propres, lisses et en même temps insondables. Plusieurs ressassent des histoires par lesquelles on sent que l'auteur est lui-même fasciné. Il les saisit, les anime, les fait tourner devant ses yeux pour en examiner les différentes facettes et les pousser un peu plus loin qu'elles ne sont allées, ou pourraient aller...  La nostalgie n'est pas exclue non plus car on se plonge plusieurs fois dans des souvenirs d'adolescence, les études, les amis, les filles,  les soucis de virginité, peu ou pas de famille ou juste à l'arrière plan, dans le décor (sauf pour la nouvelle éponyme, justement). Une vision poétique du monde qui frôle souvent le fantasme, où l'imaginaire flirte avec le réel, où le non-dit est à créer par le lecteur.

Si vous ne connaissez pas encore l’œuvre de cet auteur, premièrement, il faut rapidement faire quelque chose, deuxièmement, ce recueil peut être une base de départ. Il ne me semble pas exagéré de dire que selon que vous l'aimerez ou non, vous aimerez l'ensemble. Il y a "l'ambiance Murakami".

C'est un bon recueil. N'hésitez pas s'il passe à portée de votre main.

978-2264044747



01 janvier 2024

2024

 Cette année je fais un challenge ABC. C'est Enna qui m'en a donné l'idée.

En quoi cela consiste-t-il?  C'est simple: lire tout au long de l'année, faire les billets et relever un lien par nom d'auteur de chaque lettre de l'alphabet. Le but est d'avoir rempli l'alphabet avant le 31 décembre 2024.

Si vous en faites un aussi, on peut échanger nos liens et suivre nos progrès pour nous encourager mutuellement. Dites-le moi. Nous échangerons nos liens. Ca sera sympa.

Le mien :

A - Andrea Jean-Baptiste "Veiller sur elle" 

B - Brussolo Serge "Le livre du grand secret"  

C - Clicquot Guillaume "Prenez-moi pour une conne" 

D - Ducoudray Aurélien "Inspecteur Balto"  

E - Everett Percival "Montée aux Enfers"  

F -  Floc'h & Rivière François "Olivia Sturgess 1914-2004" 

G - Guenassia  Jean-Michel  "A Dieu vat"  

H- Hassaine Lilia "Panorama"

I - Igounet V. & G. Le Besnerais  "Crayon noir - Samuel Paty, histoire d'un prof" 

J - Jorge Lidia  "Misericordia"

K - Kantcheloff Dimitri "Vie et mort de Vernon Sullivan" 

L - Luz "Testosterror"

M - Murakami Haruki  "Saules aveugles, femme endormie"

N - Némirovsky Irène  "Le bal"

O - Ouedraogo Roukiata  "Ouagadougou pressé"

P - Pennac Daniel "Le cas Malaussène"

Q - 

R - Rushdie Salman  "La Cité de la victoire"  

S - Sfar Joann "Chagall en Russie"  

T - Tournier Michel "Le bonheur en Allemagne" 

U - UNO Chiyo "Ohan" 

V - Vo Nghi "L'impératrice du Sel et de la Fortune" 

W - Wohlleben Peter "La vie secrète des animaux"  

X - Xu Ann & Hiromi Goto "Shadow Life" 

Y - Yvert Fabienne   "Papa part maman ment mémé meurt"


ChallengeABC

29 décembre 2023

Un été avec Montaigne

d'Antoine Compagnon

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Cela faisait longtemps que je les voyais passer sur les rayons des bibliothèques et des librairies ou encore sur les blogs,  ces petits volumes aux couleurs vives qui vous invitaient à passer un été avec Montaigne, Pascal ou Jankélévitch. Ils étaient bien tentants, pas trop épais ce qui permet de se persuader que malgré la PAL himalayenne, on va aisément trouver un peu de temps pour les avaler entre deux lectures plus longues (ce qui est d'ailleurs arrivé) , alors un jour que l'un d'eux est passé trop près de ma main, hop! Je suis repartie avec et du coup, je l'ai dévoré sitôt rentrée. Comme ça, c’était réglé. On était fin décembre, en plein dans les préparatifs de Noël, je l'avais croisé en faisant les derniers achats de cadeaux... On commençait fort pour passer un été avec...

Mais le philosophe est au-dessus de ces contingences.

Pour le dire tout de suite, j'ai beaucoup apprécié ce petit livre qui regroupe quarante très courts chapitres (5 pages), chacun consacré à un point relevé dans les Essais. Le travail est dû à Antoine Compagnon, académicien et professeur au Collège de France qui a ainsi préparé ces courtes chroniques pour une émission quotidienne de 5 mn sur France Inter. Ces chroniques lues par Daniel Mesguich m'avaient échappé mais l'on peut facilement les retrouver en podcast ici, même si moi, je les ai lues.

Cela commence généralement par une citations de quelques lignes en langage de l'époque (que j'avais du mal à saisir pleinement) qu'il explique d'abord par la paraphrase et des considérations contextuelles et annexes. Cela n'a pas le temps d'être fastidieux qu'on a déjà bien vu l’intérêt et qu'on arrive à la dernière phrase  qui résume en quelques mots l'idée maîtresse, en donne le miel,  et l'on est content de l'avoir parfaitement saisie en si peu de temps et sans effort. Je trouve que cette initiative est bien conforme aux idées de Montaigne qui déjà, écrivait en français et non en latin pour toucher des lecteurs moins doctes (et sans doute aussi  moins rassis de certitudes) que ceux capables de pratiquer la langue de Virgile. Ce petit livre, comme ces chroniques radiophoniques estivales, parle à tout un chacun, sans faire appel à des connaissances antérieures particulières. C'est ce qui fait son charme; Pour ma part, j'aime beaucoup à chaque fois que la culture s'invite ainsi dans la vie quotidienne et les discussions à bâtons rompus. Je suis toujours partante pour 5mn de philo ou de science entre la poire et le fromage. Cet ouvrage sera d’une grande utilité également aux élèves de terminale, tout en comprenant bien qu’on n’a ainsi qu’un vernis de connaissance et qu’en ce qui concerne les étudiants, il leur faudra aller plus loin.


PS: Je relève une des idées originale de notre Michel national, son vœu de mourir "à cheval, en voyage, loin de chez lui et des siens." Tiens, oui, pourquoi pas? Je n'ai pas de cheval, mais je suppose qu'on peut transposer.

PPS : Ayant passé un si bon moment avec Montaigne, j’ai écouté "Un été avec Jankélévitch" (très intéressant également) mais en conclusion, je préfère la lecture à l’écoute qui s’interrompt à chaque chronique et qu’il faut sans cesse relancer, alors que les pages s’enchaînent sans délai quand on lit.



978-2849902448 

24 décembre 2023

Il faut toujours envisager la débâcle

de Laurent Rivelaygue

***+


Un livre pour vous distraire ? Celui-là peut faire l’affaire. Il est léger, hyper fantaisiste et sans queue ni tête. Il vous fera sourire, bien que ce soit d’une enquête sur de multiples viols et meurtres qu’il s’agit. J’ai lu ce livre après en avoir entendu parler sur le blog Tête de lecture.

Le narrateur est, ou plutôt était, journaliste. Alors qu’il se croyait promis aux unes et à la célébrité, il n’a jamais fait mieux que les petites chroniques bouche-trou et même cela, c’est fini maintenant qu’il s’est fait licencier. Il décide 1° de s’empresser de trouver un nouvel emploi 2° d’occuper son temps libre à résoudre la sombre énigme du Grêlé, le serial-violeur qui a sévi dans les années 80 et que l’on n’a jamais réussi à démasquer. Quand il aura résolu ce mystère, il en fera un livre qui sera un best-seller et le rendra enfin célèbre, sans parler du grand pas en avant qu’il aura fait faire à la justice, bien sûr.

Et le travail commence, s’appuyant sur une documentation fouillée (récits amusant des visites à la bibliothèque), sur des enquêtes de terrain et sur la participation très active à un forum internet de passionnés du sujet. Parallèlement, il a décroché un petit travail alimentaire sans gloire… Et surtout, parallèlement, il perd quelque peu la raison et est tellement autocentré que sa vie privée tombe en ruine. Il s’en aperçoit à peine, mais quand sa femme s’en va, il doit bien se rendre à l’évidence, cette face-là de son existence n’est pas non plus une franche réussite. Tout va mal.

Le roman n’avance pas. « J’ignorais tout à fait comment mener un récit avec un début, une fin, et probablement un vrac intermédiaire qui devait mener de l’un à l’autre. J’avais décidé que, pour commencer, je devais créer un environnement propice à la création.»

L’enquête, quant à elle piétine. Il est pourtant bien secondé car, s’il n’a pas retrouvé le Grêlé, il a bel et bien retrouvé Xavier Dupont de Ligonnès que tout le monde cherche partout sans succès et qui tient à l’aider. (Vous me direz, il n’a pas eu grand mérite à le trouver puisque ce dernier se cachait depuis longtemps dans le troisième tiroir de son bureau comme il s’en est enfin rendu compte en rangeant pour créer son « environnement propice à la création.»)

Les investigations reprennent, avec la collaboration des autres membres du forum du Grêlé. Vont-elles aboutir ? Et pendant qu’il est dans les recherches, notre journaliste retrouvera-t-il la raison ? Sa femme ? Un emploi?

Vous le saurez en lisant ce roman pour rire de style délirant.

Un défaut cependant, ce livre (lu sans déplaisir) s’oublie à la vitesse grand V. J’ai tourné la dernière page il y a peu et j’ai déjà le plus grand mal à me souvenir ne serait-ce que des grandes lignes du récit. Les détails, je n’y songe même pas. C’en est même remarquable et suscite l’étonnement. Bravo !


978-2702189023


19 décembre 2023

Meursault, contre-enquête
de Kamel Daoud
*****

Goncourt du Premier Roman

Ce roman est un exercice de style, un rébus, un sudoku. Il est plein d’astuces et de clins d’œil à L’étranger de Camus, qui permettront à tous des petites jubilations, des sentiments de connivence bien plaisante, à chaque fois qu’ils en reconnaîtront un. Au "Aujourd'hui, maman est morte.", incipit du chef d’œuvre, répond un insolent "Aujourd'hui, M'ma est encore vivante.") qui cueille directement le lecteur et le met tout de suite dans l'ambiance. Pour ma part, j'ai tout de suite été séduite. De même, la dernière phrase est celle de L’Etranger, sans modification, cette fois. Entre les deux pourtant, ce n'est pas la même histoire. Je trouve qu'on pourrait voir celle-ci comme si elle avait été dessinée à partir d'un calque posé sur celle de Camus, mais mal posé, qui aurait gondolé par endroit, bougé à d'autres, avec même des passages au carbone, comme quand le 14h, soleil étourdissant de Camus, devient le 2h du matin, sous la lune de Daoub. Entre l'incipit et la "haine sauvage des spectateurs", Haroun, le narrateur, avait 7 ans quand le frère Moussa a été tué par l'Etranger. D'ailleurs, c'est lui qui nous apprend qu'il s'appelait Moussa, car rien, dans le livre de Camus, ne donne la moindre indication de l’identité personnelle de "L'Arabe" , l'idée étant justement de ne pas le personnifier. Mais la mère, dont le mari avait un beau jour disparu sans laisser de traces, des années auparavant, avait tout de suite compris que c'était son fils. Pourtant, elle n'avait jamais pu retrouver son corps et ce qui restait de la famille avait dû faire son deuil sur une tombe vide. Le deuil d'ailleurs, n'avait jamais été fait. La mère, ayant découpé dans un journal, deux brefs paragraphes évoquant le meurtre d'un "Arabe" par un Français, avait décrété qu'il s'agissait de Moussa et avait pieusement conservé cette relique qu'elle ne savait même pas lire. Ce fut son fils plus tard, qui la lui déchiffra, puis, comme elle la lui faisait relire en exigeant chaque fois qu'il en déchiffre plus long, ses études ayant progressé, il s'est mis à broder une histoire de plus en plus complète, leur mythe familial. Mais Haroun, depuis ses sept ans, n'avait plus eu de vie à lui. Soumis à sa mère sans image paternelle, il avait été entièrement consacré au culte du grand frère assassiné. On ne lui avait jamais ouvert les portes de sa propre vie et il se retrouvait, célibataire définitif, ayant peu connu les femmes, rassis dans un travail médiocre, une vie médiocre, même son propre  crime, il l'avait commis téléguidé par sa mère, tuant "un Français" presque aussi dépersonnalisé que l'Arabe de Camus. Pour lui, du moins, parce que pour sa mère, pas tout à fait, et ce n'est que   bien plus tard, bien  trop tard, qu'il a réalisé la folie de sa mère et l'étouffement permanent qu'elle a exercé sur lui depuis son enfance.

Alors reprenons, toute l'affaire. Comment l'Arabe tué dans un roman, pourrait-il être le frère dans la vraie vie, de notre narrateur ? Le fait qu'il n'y ait pas de corps, cristallise le paradoxe. Si nous étions dans le monde réel, Moussa n'aurait pu être tué par un personnage de fiction, si nous étions dans la fiction, la Mère aurait récupéré le corps. Ici, Moussa est mort, mais il n'y a pas de corps.

Haroun présente dès le début, sa mère, comme mythomane effrénée, mais n'en tire pas de suspicion. C'est vrai qu'il n'est qu'un enfant et d'ailleurs, ni l'un ni l'autre ne connaît le livre de Camus. Il ne le connaîtra qu'à l' âge adulte, avant, ils n'ont que quelques lignes de journal, ensuite, tentant de faire coller réalité et fiction il suppose à un moment que "A sa sortie de prison, l'assassin écrit un livre qui devient célèbre où il raconte comment il a tenu tête à son Dieu, à un prêtre et à l'absurde" (63)
Il poursuit en amont la confusion entre réalité et fiction, mêlant Camus et Meursault, comme il avait mêlé Moussa et l'Arabe en aval. Et il reproduira d'ailleurs cette scène finale, tenant lui aussi tête aux mêmes. Car plus les ans passent, plus il réalise qu'en fait, c'est de Meursault qu'il est devenu le double. D'ailleurs, comme lui, il sera jugé, moins pour ce qu'il a fait que pour ce qu'il est. On retrouve l'idée du calque que j’évoquais tout à l'heure. L'Etranger est "Un miroir tendu à mon âme"

Ou alors, on est strictement dans la réalité, et Moussa, qui fréquentait une jeune femme libérée d'Alger qu'il savait parfaitement que sa mère n'accepterait jamais, a un jour décidé de faire comme son père et de disparaître sans plus d'explications.

Ou alors, on est tout autant dans la vraie vie (toujours celle du second roman du moins) et un vieil alcoolique cultivé dont le dernier plaisir est la conversation avec les étrangers (car les intégristes le révulsent) apprenant que cet étudiant recherche l'Arabe tué par Meursault, se délecte à lui broder au fil des soirs de bistrot, ce conte qui lui permettra de faire durer ces soirées en  agréable compagnie. Ce qui expliquerait le décalage entre le Haroun médiocre et sans autonomie du récit, et le Haroun indépendant et cultivé qui raconte.  Cet Haroun-là est un homme libre. Mais là, ce n'est plus Meursault, c'est Shéhérazade... 

Ou alors, on est chez nous, un livre à la main, et un jeune écrivain algérien nourri de littérature française, a voulu rendre à Camus un hommage érudit et ludique... et y a d'autant plus parfaitement réussi qu'il était armé d'une fort belle plume.
"Il était presque 2h du matin et seuls les aboiements de chiens au loin, traçaient la frontière entre la terre et le ciel éteint."



Amour

"L'amour est comme une bête céleste qui me fait peur. Je le vois dévorer les gens deux par deux, les fasciner par l’appât de l'éternité, les enfermer dans une sorte de cocon puis les aspirer vers le ciel pour en rejeter la carcasse vers le sol comme une épluchure."


Mer

"La mer, c'est comme un mur avec des bordures molles."


978-2073007278 

14 décembre 2023

Humus

de Gaspard Koenig

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Prix Interallié 2023

Nous avons tous entendu parler d’eux, on les appelle les "bifurqueurs", ce sont des étudiants de grandes écoles, en particulier Agro, qui, au moment où ils reçoivent leurs diplômes, déclarent publiquement qu'ils refusent de travailler pour les entreprises qui nuisent à l'écologie. Que deviennent-ils ensuite? Trouvent-ils d'autres voies? Rentrent-ils dans le rang? Je ne le sais pas. Il faudra que j’aille me renseigner un peu. Les deux héros de ce roman ne sont exactement des Bifurqueurs, mais ils ont les mêmes préoccupations. Sur les bancs de leur école, ils se sont liés d'une profonde amitié et se sont d'autre part tous deux pris de passion pour cet animal étrange que l'on appelle ver de terre, lombric, Lumbricidae etc.  Une fois les études terminées, les deux amis se séparent et chacun va suivre sa voie: Arthur, origine aisée, parleur habile mais plus sombre de caractère, va reprendre une vieille ferme familiale à l'abandon mais qui a été ravagée par les pesticides et autres ...-cides. Il va entreprendre de redonner vie à cette terre stérilisée par la chimie en laissant pousser les plantes et en réintroduisant des vers de terre. Il va tenir un blog de son expérience dans l'idée d'abord de passer une thèse, et ensuite de faire école en diffusant les informations sur le sujet. Kevin, de son côté, taiseux mais solaire, d'origine très modeste, poussé par une ambitieuse camarade, va se retrouver à lancer une start-up de vermicompostage qu'il espère vouée au succès, vu que tout le monde ne parle plus que de compostage...

Nous allons suivre ces deux expériences comme si nous y étions. C'est parfaitement raconté et si on passe deux ou trois détails peu vraisemblables*, une ou deux affirmations formelles dont je doute**, l'histoire tient vraiment bien la route. C'est même un peu plan-plan vers le centre (ce ventre mou des romans un peu longs) mais la fin va bien vous réveiller. J'ai adoré. Je me demandais justement "Que se passerait-il si...?" Eh bien G. Koenig le teste grandeur fiction et ça vaut vraiment le coup d’œil. Quand on pousse les théories à leurs limites, on n'est pas déçu.

Je recommande vivement cette lecture qui expérimente sur une problématique vraiment centrale de notre époque racontant donc une histoire qui nous concerne tous au plus haut point. Que vont donner les tentatives de nos deux amis? Où  vont mener ces deux voies si différentes?  Qu'est-ce qui marchera? Qu'est-ce qui échouera? Pourquoi? Quelle conclusion en tirer? Il va falloir vous imaginer sur le terrain dans les deux cas. Qu'est-ce que vous auriez fait? Ca, c'est le talent de Koenig, il nous met vraiment en situation et le lecteur un peu imaginatif peut s'impliquer à fond et y croire au moins le temps de quelques centaines de pages. J'ai marché à fond. Bravo.



* En Province, TOUT le monde sait qu'on n'a pas le droit de planter un arbre à moins de 2m du voisin. Quelqu'un le lui aurait forcément dit si tant est qu'il ne l'ait pas appris dans son école.

**  Que même à Paris dans les milieux évolués, le fait d'avoir une sexualité variable et à spectre large ne soit pas admis, assertion longuement assenée par l'auteur, je ne sais pas où il a vu jouer ça, je n'y crois pas une minute.



Citation que j'ai particulièrement aimée:

(Les étudiants des grandes écoles) "acquéraient une forme d'incompétence générale qui leur permettrait ensuite d'occuper n'importe quel poste avec assurance".  Formule magnifique qui saisit bien ce que le citoyen lambda constate chaque jour avec incrédulité et consternation ; et là, tout est dit.

9791032927823

09 décembre 2023

Trust 

de Hernan Diaz

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Je n'avais encore jamais lu de roman de Hernan Diaz bien que "Au loin" patiente depuis déjà un bon moment dans ma PAL, mais le Pulitzer qui vient de lui être attribué m'a décidée et c'est maintenant chose faite.

"Trust" est vraiment un roman remarquable, par sa construction tout d'abord, complexe et très intelligente, par ses thèmes plus nombreux qu’on ne le croit au début et par sa belle écriture. C'est un livre très féministe aussi, alors qu'il n'est pas du tout donné comme tel. Et il m'est par ailleurs très difficile de parler maintenant de ce roman car il est important de ne surtout pas en dire trop pour ne rien déflorer, tant la construction est habile.

"Trust" est composé de quatre récits. Le premier et le plus long, raconte la vie de Benjamin Rask, l'homme le plus riche de New York, depuis sa jeunesse dorée, jusqu'à son veuvage et son retrait de la société qu'il n'avait jamais beaucoup fréquentée. Il est peu sociable, mime une vie sociale plutôt qu'il n'en a une vraie  et demeure longtemps célibataire. Un jour cependant, il rencontrera une femme dont il s'éprendra totalement. Son épouse, à l'esprit artistique, mènera une vie de mécène éclairée.

Benjamin est un solitaire que nous voyons bâtir sa fortune colossale sur ses intuitions géniales, son sens de la Bourse, ses calculs et son expérience. Si on lui envie sa réussite, il n'en est pas moins admiré de tous pour son savoir-faire. On l'accuse par ailleurs d'avoir causé par ses manœuvres en bourse le crash de 1929, entraînant la ruine de milliers d'investisseurs et épargnants alors que lui-même en tirait au contraire profit. 

Ce premier récit se termine à la page 130 sur les 400 du roman. Il sera suivi de trois autres dont je ne peux pas vraiment parler pour ne pas gâcher le plaisir de votre lecture. Je peux cependant vous dire que ce premier récit porte en lui, de façon remarquable, tout ce qu'on verra se développer ou se transformer par la suite. C'est d'une habileté diabolique.

Ce roman parle de l'argent, de ce qu'est et de ce que peut l'argent : une fiction et presque tout. Il montre comment il fonctionne (chose que vous comprendrez plus ou moins bien selon votre connaissance des mécanismes boursiers - nulle pour moi), comment il se gagne et comment il se perd. Il montre son rôle social aussi. Il parle de l'amour, du rôle attribué aux femmes dans la société et de ce qu'elles peuvent ou non attendre des hommes. Il vous montrera les pauvres se résignant ou se saoulant de discours de révolte 

"Je les ai regardés tous les deux, qui fixaient sombrement le fond de leurs verres, et j'ai frissonné de gêne. Leur grandiloquence. Leur sérieux de petits garçons. S'ils avaient su comment les décisions étaient réellement prises, s'ils avaient entendu combien la vraie voix de l'autorité était feutrée, s'ils avaient pu voir la distance impossible qui les séparait de n'importe quelle forme de pouvoir véritable."

et les riches se leurrant du mythe de leur utilité

"Et une fois de plus il prouva, comme ses ancêtres avant lui, que le profit personnel et le bien commun, loin d'être incompatibles, pouvaient devenir les deux facettes d'une même pièce à condition d'être entre de bonnes mains."

et au bout du compte,

"En un cycle infernal, les travailleurs conservaient leurs métiers déshumanisants afin à la fois de produire des biens superflus et de les acheter."

C’est là que nous en sommes.

Lisez-le (et dites-moi, je pratique le partage de liens). 

Keisha l'a lu 

978-2823617887


04 décembre 2023

Le syndrome du scaphandrier 

de Serge Brussolo

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Quand j'ai envie ou besoin de me débrancher de mon quotidien ou, plus largement de la réalité, il n'est pas rare que je me tourne vers Serge Brussolo. Les univers qu'il a créés sont très nombreux et variés, du récit médiéval à celui de science fiction, du polar familial aux aventures aux pôles, de la jungle urbaine à la fantasy, mais toujours, il a le chic pour nous y faire accrocher dès les premières pages et ne plus nous libérer avant le point final. C'est ce que j'attendais de lui en ouvrant ce roman et, comme d'habitude, il l'a fait.

Ici, pas d'aventures spatiales, de fusées ni d'extra-terrestres, mais simplement David, Rêveur de son état. Nous sommes dans un futur non précisé, dans un monde qui a l'air d'être la terre, mais où les gens vivent pourtant bien différemment de nous. Parmi ces gens, il y a les "chasseurs de rêves", et c'est l'un d'eux que nous allons suivre de bout en bout. Les gens comme David, ont un don inné qui est de plonger dans des sommeils très profonds qui durent plusieurs jours, et dont ils reviennent avec un "trésor" qu'ils auront eu le plus grand mal à conquérir au fil d'aventures extrêmes qui différent d'un rêveur à l'autre. Une fois qu'ils ont réussi à saisir ce trésor, quel qu'il soit, ils doivent remonter au plus vite sans le lâcher car c'est leur butin. Une fois revenus dans le monde réel, le butin aura changé d'apparence pour devenir ce qui est considéré comme une œuvre d'art et à ce titre, recherché et acheté. Cette œuvre d’art sera d'autant plus grande matériellement et belle, que le rêve aura été riche et profond. Ces œuvres sont collectionnées, exposées dans des musées etc. et c'est de cela que vivent les rêveurs. Bien chichement d'ailleurs, même si d'autres en tirent meilleur profit.

Mais s'il est mal payé, l'état de Chasseur de rêve n'en est pas moins incertain et dangereux, un peu comme celui des plongeurs sous-marins auxquels ils empruntent d'ailleurs du vocabulaire. La "plongée" peut mal se passer, il peut y avoir des accidents de remontée ou des maladies des profondeurs comme le "syndrome du scaphandrier"…  et justement, depuis quelque temps, David a de plus en plus de difficultés à opérer...

Suivez David dans cette période délicate.

Un roman pas exactement "trépidant", mais une histoire si intéressante, si originale (au moins un auteur qui a de l'imagination!) et si bien racontée que les pages se tournent toutes seules.

‎ 978-2070415632

MOIS BRUSSOLO



02 décembre 2023

 PETIT RAPPEL /

N'IMPORTE QUEL JOUR du mois de décembre 2023, je propose une lecture commune:

Un roman au choix (fantastique, SF ou policier) de Serge Brussolo, écrivain français captivant et très sous-estimé.
A poster n'importe quel jour de décembre


Qui joue? :

29 novembre 2023


Le Studio de l'inutilité 

de Simon Leys

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Quatrième de couverture:

"Dans sa jeunesse, Simon Leys passa deux ans dans une cahute de Hong Kong en compagnie de trois amis, une période bénie où l'étude et la vie ne formaient plus qu'une seule et même entreprise .

C'est en souvenir de ce gîte régi par l'échange et l'émulation, surnommé Le Studio de l'inutilité , qu'il a baptisé ce recueil consacré à ses domaines de prédilection : la littérature, la Chine et la mer."

Cet ouvrage regroupe des articles ou essais publiés par le critique littéraire et sinologue Simon Leys. Il se divise en trois parties: Littérature, Chine, Mer

La première partie évoque huit écrivains et ont été pour moi d’intérêt inégal mais souvent grand, car si l'éloge éperdu du Prince de Ligne m'a laissée de marbre, il en est allé tout autrement des articles sur Michaux, Orwell et particulièrement du dernier : "Nabokov et la publication posthume de son roman inachevé". Conrad, Chesterton, Weil et Segalen seront également traités. C'est vraiment très instructif et intéressant.

La seconde partie est consacrée à la Chine dont Leys était spécialiste. Les textes qui y sont regroupés permettent à l'auteur, qui ne céda jamais aux sirènes de la Révolution culturelle, même à l'époque où c'était tellement à la mode, de rétablir les faits et de dire les choses comme il les voyait, L'Histoire allait lui donner le plus souvent raison.

La troisième partie est constituée de textes relatifs à la mer, autre passion de Simon Leys. Il est, rappelons-le, l’auteur d’une anthologie intitulée "La Mer dans la littérature française". Il traitera ici d’"écrivains et la mer", de l'histoire des périples de Magellan et des naufragés sur l'île Auckland. Tous les amateurs de récits marins se régaleront, je n'en fais pas spécialement partie mais j'ai tout de même lu tout cela avec intérêt. 

Ces trois parties sont suivies du texte du discours qu'il a prononcé en 2005 lors de la remise de son doctorat et portant sur son idée de l'université. Je vous laisse le découvrir.

Je crois que si je devais résumer cet ouvrage en deux mots, ce serait "intéressant" (tous les sujets traités ont su capter mon attention puis éveiller mon intérêt) et "instructif" (j'y ai appris vraiment beaucoup de choses). Je recommande donc vivement cette lecture à tous les esprits curieux. Il est venu à moi en version brochée gondolée (météo humide), par l'intermédiaire d'une boite à livres mais il existe en format poche et je pense qu'il peut aussi tout à fait faire office de cadeau. Je l'ai lu par fragments, un article après l'autre, à un moment ou à un autre et maintenant que j'ai tourné la dernière page, je me félicite d'avoir mené cette lecture à bien. Il m'a semblé décerner chez Leys une personnalité avec laquelle je serais moins en accord que je ne le pensais avant de commencer, mais il n'en reste pas moins un érudit qu'il est enrichissant de lire. 

Comme son nom l'indique, la culture générale, ça se cultive. Ne l’oubliez pas ! Bonne lecture à vous!

978-2081303287