La traversée du Mozambique par temps calme
de Patrice Pluyette
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Prix Amerigo Vespucci
"Il jouit de sa fantaisie"
Allez, comme je l’ai déjà dit, des liens imprévus s’établissent entre les lectures que nous faisons et je reprends comme titre de ce commentaire une phrase clé du dernier roman de J.C Somoza, que j’avais lu juste avant celui-ci*. Car si j’ai jamais lu un livre "plein de fantaisie", c’est bien cette «Traversée du Mozambique».
Tout comme «L’automne à Pékin» de Vian qui ne se passait ni en automne, ni à Pékin, on ne traversera pas ici le Mozambique (ou alors, sans le savoir) et le temps ne sera pas très souvent calme. Il n’empêche que tout lecteur un tant soit peu sensible à la poésie des mots ne peut éviter la force d’attraction de ce titre envoûtant et que l’auteur a su tendre là un filet qui en capturera beaucoup. Sans qu’ils aient à le regretter d’ailleurs, les pages intérieures étant à la hauteur du titre.
Et c’est ainsi que je me suis trouvée avec un texte aux allures de récit de voyage scientifico-aventureux dans la plus grande tradition -du 19è siècle à Indiana Jones- mais truffé de détails loufoques, se rattachant à l’onirisme, au farfelu ou/et à la poésie. Cela attaque dès les premières pages."… nos deux types embarquent clandestinement à bord d’un cargo pour l’Europe, couchés sur le flanc dans une cage de la dernière soute, déguisés en barzoïs." ! Je saluai cette déclaration de mon premier éclat de rire et m’embarquai avec eux, nantie d’un sourire qui n’allait plus me lâcher jusqu’à la dernière page.
C’est ainsi que j’ai découvert les fabuleuses aventures de Belalcazar, capitaine et archéologue, qui bien avant d’être tout cela, avait senti au plus profond de lui l’appel de la cité de l’or et s’était lancé dans sa première expédition.
"Il part pour les Andes quelques semaines plus tard, seul et sur un coup de tête, en barque. Il ne connaît rien aux grandes expéditions, ni à la navigation. La traversée en barque dure neuf semaines. Il échoue à quelques kilomètres de son lieu de départ, inanimé, père adoptif d’un baleineau tournant autour de la barque et le poussant par à-coups de la queue vers la côte."
Cette première tentative sera suivie de plusieurs autres jusqu’à celle que nous suivons aujourd’hui. Cette fois, Belalcazar s’embarque avec un équipage composé de deux indiens du nord de l’Alaska, une cuisinière et une assistante (Florence Malebosse) étrange et quasi invisible ayant d’ailleurs une grande facilité à paraître et disparaître selon que l’auteur a besoin d’elle ou non pour son histoire. Il en sera de même d’une seconde assistante (Sophie). Patrice Pluyette, ne s’embarrasse d’ailleurs pas trop de ses personnages, qui peuvent apparaître (comme Jean Philippe), en pleine mer et disparaître idem sans que l’on se soucie trop de savoir d’où ils viennent ou s’ils sont morts ou vivants, pour de bon ou non et si on les reverra ou pas.
Mais le lecteur fait volontiers avec ces circonstances improbables, pas plus improbables d’ailleurs que le voyage lui-même vu que, parti du sud de l’Europe pour le Pérou, notre Belalcazar va se retrouver pris dans les glaces de la banquise, où il rencontrera d’ailleurs un autre voyageur de son acabit: un aérostier qui lui, cherchait à remonter la source du Nil.
Il arrive même que notre auteur semble parfois quelque peu démuni face à une péripétie inattendue "… il est probable que notre histoire s’arrête dans trois pages sans plus de personnages à notre charge que cette bête (ce qui semble être un fauve menaçant) dont nous ne saurions à elle seule tirer une histoire en rapport avec le sujet de la nôtre sans ennuyer le lecteur." Mais heureusement, égalant en persévérance ses personnages, l’auteur ne se décourage pas et poursuit. "Nous dirons donc que les hommes et femmes composant ce récit, nonobstant le danger rôdeur, ne perdent pas leur courage, continuent chaque matin à démonter le camp pour mener à bien leur progression lente et difficile, tous les soirs à planter la tente dans un endroit différent, toutes les nuits à trembler dans leur lit en s’obligeant à prier, à invoquer l’aide d’un dieu tout puissant à défaut d’un car de CRS armés."
Ce qui donne au lecteur l’heureuse occasion de lâcher un peu son rationalisme habituel et de s’offrir un beau voyage au pays de l’Or denrée commune –mais alors, a-t-il toujours une si grande valeur? - par l’entremise d’un beau récit où la denrée la plus commune est la haute fantaisie.
* "Daphné disparue"
978-2757814628