Une saison blanche et sèche
d'André Brink
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Mais comment ont-ils pu en venir à bout?
Ce roman, a assis la célébrité internationale d’André Brink. Il a d’abord été publié à Londres puis à New York, car il était interdit en Afrique du Sud. On comprend tout de suite pourquoi : il décrit une dictature inique et totalement hors la loi qui a tout pouvoir dans une société qui refuse de la voir et de reconnaître son existence. De ce fait, le seul fait de rendre cette existence indéniable change complètement la donne et est susceptible de faire s’écrouler tout l’édifice. On ne peut d’ailleurs pas douter que ce livre y ait contribué. En particulier en éveillant les consciences internationales qui ont fait pression, mais pas seulement.
La préface à l’édition de poche est très intéressante. Elle nous explique en particulier les dates qui clôturent le roman : «1976, 1978-1979». C’est que Brink avait commencé ce livre avant la mort de Steve Biko *, qu’il l’a interrompu à ce moment, puis repris 2 ans plus tard.
Ce roman raconte l’histoire d’un professeur qui n’a rien de contestataire ni de particulièrement idéaliste au sens politique du terme. D’ailleurs, la politique ne l’a jamais intéressé. Bien installé dans une vie bourgeoise (beau-père député etc.), épouse active et présentant bien, ni passions ni faux pas, son seul intérêt non professionnel est l’ébénisterie. C’est pourtant cet homme-là qui, transformé en une sorte de zombie, contacte un ancien ami d’études complètement perdu de vue depuis des années et lui confie des documents qu’il dit précieux, juste avant d’être tué dans un accident. Ne vous inquiétez pas, je ne vous révèle pas indûment quoi que ce soit que j’aurais dû taire, ici comme dans tous les romans de lui que j’ai lus, André Brink choisit de révéler la fin de l’histoire dès les premières pages. Nous n’avons pas affaire à un adepte de la chute surprise «qui tue».
Donc, l’ami qui est écrivain de romans légers à succès, prend connaissance avec une surprise sans cesse grandissante des notes de son ancien condisciple et les rédige comme si ce dernier avait raconté au fur et à mesure tout ce qui lui est arrivé depuis l’arrestation dans une simple manifestation du fils de l’homme à tout faire noir de l’établissement où il enseigne.
Ce récit décrit une situation désespérément injuste et sans issue, celle des noirs du pays et de ce qu’ils doivent subir jour après jour depuis la misère et les brimades quotidiennes jusqu’aux arrestations arbitraires, la torture et le meurtre. Plus le récit avance, plus le niveau de rétorsion monte et plus la situation semble sans issue, autant aux lecteurs qu’à Ben Du Toit, le personnage principal et pourtant, contrairement à la plupart des autres blancs, il est bloqué dans son incapacité fondamentale à accepter de ne serait-ce que tolérer une telle injustice sous ses yeux et il continuera jusqu’au bout à la dénoncer, même quand il constatera que tous ses espoirs d’obtenir justice n’aboutiront à rien (l’on verra comment). Et nous voyons tout autant comment, bien que ce mouvement de justice ne puisse pas vaincre, l’on ne peut pas davantage lui imposer silence.
Un livre qui mérite largement le succès qu’il a rencontré et que l’on ne peut en aucun cas se dispenser de lire si l’on s’intéresse à l’Afrique du Sud. Un livre qui nous rappelle, Histoire à l’appui, que même là où on n’a aucune chance de vaincre la dictature… on y parvient quand même. A la longue.
* militant noir d'Afrique du Sud et une des grandes figures de la lutte anti-apartheid (1946-1977 Mort inexpliquée en détention)
Le témoignage de Brink sur les conditions de vie à cette époque fait de ce livre engagé et humaniste, plaidoyer contre le racisme, la ségrégation et l’intolérance, un ouvrage courageux. C’est un livre dur, très dur.
RépondreSupprimerLa technique de narration est intéressante et fait penser à Stefan Zweig : l’auteur en effet se met en scène et à partir d’un fait concernant un de ses amis, va construire l’histoire de l’obstination et l’acharnement d’un homme que rien n’arrête pour être en paix avec sa conscience .
A noter qu’aujourd’hui, André Brink, longtemps engagé dans la lutte antiapartheid est déçu par la gouvernance noire, aussi arrogante que l’était les Blancs. « La fin de l’apartheid n’a rien changé à la vie quotidienne des sud-Africains les plus pauvres » déclarera quelques années plus tard André Brink.
La vaine lutte de Ben n’en prend que plus de beauté et tout au long de ce récit palpitant, je pensais à la phrase de Guillaume d’Orange qui disait : « Il n’est point besoin d’espérer pour entreprendre. » Car c’est bien cela que j’ai ressenti dans la deuxième partie du livre : Ben désespéré, surveillé, espionné, menacé, agressé, veut aller jusqu’au bout, mais ne sait jusqu’au bout de quoi…
Un très grand roman.