Une trop bruyante solitude
de Bohumil Hrabal
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Publié en 1977
« Les cieux ne sont pas humains »
Joliment agrémentée d'un prologue et d'une quatrième de
couverture qui divulguent absolument tout de l'histoire jusqu'au
point final, mon édition a tendance à dater un peu. J'ignore si
les éditions plus récentes présentent le même défaut, mais
méfiez-vous quand même. On ne sait jamais.
Une fois cette précaution prise, vous découvrirez un
petit chef-d’œuvre dont vous vous lécherez les babines.
Depuis 35 ans, Hanta, sorte de brute sans méchanceté mais au
cerveau épais, est chargé du pilon. Une grosse presse hydraulique
installée dans un sous-sol. On y balance par bennes entières des
livres qui ne seront pas vendus, faute d’acheteurs ou pour des
raisons politiques.
"Je ne suis guère plus qu’un tendre boucher"
Hanta ne se préoccupe guère des motifs qui ont amené les livres
à sa presse, lui, ce qu’il aime, c’est bien faire son travail : de
jolis cubes, bien réguliers, décorés d’une belle feuille illustrée
qu’il place soigneusement en extérieur, et munis d’un cœur. Car
oui, ces cubes de papier ont un cœur, Hanta le leur fabrique en
plaçant soigneusement au centre de chacun d’eux un livre
remarquable (et parfois aussi une poignée de souris). Il y a aussi
des livres qu’il rapporte chez lui, transformant son très humble
logis en un endroit dangereux où des avalanches le menacent, mais
il estime que cela en vaut le risque.
A choisir ces illustrations, ces livres, à les lire pour faire
son choix etc., il perd beaucoup de temps et son rendement en
cubes de papier ne satisfait guère sa hiérarchie. Hanta craint
plus que tout ces réprimandes d’autant que cette cave et ce
travail sont toute sa vie. Pour se consoler il boit pas mal,
parfois avec des amis comme lui à la dérive. Il y a en particulier
ses amis égoutiers qui sont d’anciens universitaires avec lesquels
il parle de Goethe ou de Hegel, et de la sociologie des rats. On
comprend qu’il y a beaucoup de gens bardés de diplômes dans ces
emplois du bas de l’échelle. Mais on n’en dit pas plus, tout comme
on ne s’était pas appesanti sur les raisons qui amenaient les
livres au pilon. Hanta lui, qui use d’un vocabulaire étendu, qui
sait choisir les livres, cite à bon escient tous les philosophes
et passe du temps à soupeser leurs théories, se dit "Instruit
malgré moi". Des hallucinations lui font même rencontrer
Schopenhauer, Jésus ou Lao Tseu. Peut-être qu’il n’a pas ce
cerveau épais que je vous annonçais au début… Pourtant, crasseux
comme pas possible, "Si je prenais un bain, j’en tomberais malade,
je dois y aller tout doucement avec l’hygiène", mal coordonné,
baveux, terré dans son terrier, il affiche tous les signes d’une
débilité légère. Le lecteur jugera.
Dans 5 ans il sera à la retraite et il a prévu d’emporter sa
presse, mais le service se modernise vite et Hanta convient de
moins en moins à ce qu’on attend de lui. Ce vieux semi-clochard
alcoolique est talonné par de jeunes ouvriers très propres et des
machine automatisées et rapides…
L’écriture est superbe et le style volontiers humoristique,
humour noir ne répugnant pas à la scatologie. Le ton est donné,
c’est à la Rabelais ou à la Ubu que Hrabal va mener sa mission, au
grand plaisir du lecteur.
Le pilon, Hrabal lui, le connut dès la sortie de l’imprimerie
pour certains de ses livres qui n’atteignirent jamais les rayons
des librairies. D’autres dont celui-ci, parurent amputés ou
modifiés. C’étaient les années 60 et suivantes… on ne publiait pas
ce qu’on voulait en Tchécoslovaquie et des universitaires étaient
égoutiers.
Les éditions françaises fournissent le texte intégral
normalement.
Extrait :
"Ainsi étranger, aliéné à moi-même, je m'en reviens chez moi en
silence, plongé dans une méditation profonde, je marche dans la
rue, perdu dans le flot de livre que j'ai trouvé ce jour-là et que
j'emporte dans mon cartable, j'évite les tramways, les autos, les
piétons, je passe au vert sans m'en rendre compte, sans heurter
les passants ou les réverbères, j'avance empestant la bière et la
crasse, mais je souris car j'ai dans mon cartable des livres dont
j'attends ce soir-même qu'ils me révèlent sur moi ce que j'ignore
encore."
978-2221188743
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