Le maître du haut château
Philip K. Dick
Cette édition "J'ai Lu" de 2013 978-2290082324 présente un grand intérêt du fait de la postface de L. Queyssi très documentée et des deux chapitres que P.K. Dick avait rédigés pour une suite éventuelle. Cette suite n'a jamais vu le jour mais ces chapitres éclairent tout de même rétroactivement l'ouvrage que nous venons de terminer. La postface quant à elle est une mine de renseignements et permet de comprendre avec une toute autre précision ce roman étonnant.
Il s'agit d'une uchronie. Une bonne vingtaine d'années après la fin de la seconde guerre mondiale, Allemands et Japonais, qui ont remporté la victoire et anéanti toute opposition, se sont partagé le monde. L'est du globe jusqu'à et y compris la partie est des ex-USA, maintenant PSA : Etats pacifiques d'Amérique, est aux Japonais. L'Europe et la partie ouest des PSA est aux Allemands. Entre les deux, soit le centre de l'Amérique du Nord, est une sorte de no man's Land non revendiqué car « jugé sans intérêt » dit un personnage, on peut estimer aussi que cela évite aux deux vainqueurs d'avoir une frontière commune. Etre alliés est une chose, s'aimer en est une autre.
Nous sommes à San Francisco, donc zone nippone et c'est là que nous faisons connaissance de nos personnages et de la drôle de situation qui est la leur. Tout ce qui est important, distingué, chic et qui compte, est japonais. Les indigènes nord américains les admirent, les envient et les imitent car il n'y a nulle part dans le monde le moindre esprit de rebellion. Chacun tente d'être le plus japonais possible et le mieux vu possible par eux, tout en considérant qu'il leur sera toujours inférieur. C'est assez étonnant comme état d'esprit. Parmi les habitudes venues de l'Est et, peut-être au premier rang d'entre elles, l’usage du Yi King. Chacun consulte constamment ce livre des oracles au moindre doute, à la moindre inquiétude sur l'avenir ou sur une décision à prendre. Ses réponses sibyllines se prêtent bien sûr à toutes les situations. Le monde est hyper raciste, antisémite, homophobe, oppressif et vertical, le nazisme règne en maître incontesté. Il y a des esclaves. Les génocides ont réglé tous les conflits. Dans la partie plus apaisée, l' ambiance est délétère, une auto-surveillance de tous les instants est indispensable.
Dans ce monde difficile et stressé, circule un roman de science-fiction uchronique qui imagine un monde dans lequel les alliés, et non les forces de l'Axe, auraient gagné la guerre. Ce roman a été écrit par un écrivain qui habite une demeure fortifiée sur les hauts plateaux de crainte (justifiée) de se faire assassiner (c'est lui le Maître du titre). Dans les parties allemandes du monde, ce roman est interdit, dans les parties japonaises il ne l'est pas et est même un best-seller. Il captive ses lecteurs par l'originalité du point de vue tant la victoire nazie est indiscutée.
Premier gros succès de P.K. Dick, ce livre n'est peut-être pas aussi bien rédigé que le seront d'autres. . Je pense en particulier à l'idée de s’inspirer du style bref et coupé des haïkus pour évoquer la façon de penser d'un Japonais... je n'ai pas été convaincue par le procédé. Mais ce roman est par contre vraiment très habilement monté. Ainsi, on s'attendrait à ce que le monde évoqué par le Maître revienne à une peinture de notre monde, puisque les Alliés ont effectivement gagné. Eh bien il n'en est rien. C'est encore un autre monde qui apparaît et le lecteur ne peut s’empêcher de se demander combien d'autres variations sont possibles et cela le laisse songeur... Une autre mise en abyme apparaît. On l'a dit, les personnages utilisent le Yi King mais l'on apprendra plus tard que le Maître du haut plateau lui aussi, a utilisé le Yi King pour écrire son livre. Au point qu'il dit que c'est le Yi King qui a écrit son roman. Et pour rajouter encore un étage, nous apprendrons, nous, que P.K. Dick l’utilisait beaucoup alors qu'il écrivait ce livre.