Pollution
de Tom Connan
*****
Quatrième
de couverture :
"David,
jeune diplômé au chômage partiel, décide de quitter un Paris sous
covid, pour faire une expérience de woofing dans le Cotentin. Sur
place l'attendent Alex, le fils du fermier et Iris, une autre
woofeuse, addict des réseaux sociaux. Tous les trois ont pour
mission de s'occuper de la ferme jusqu'au retour des parents d'Alex.
Alors qu'en quittant son studio parisien, David pensait fuir la
pollution et l'épidémie, son séjour bucolique vire au drame, après
la mort suspecte de plusieurs vaches..."
Ce
roman porte hyper bien son titre parce que la pollution, on va la
rencontrer, sans arrêt, et sous diverses formes. Comme si elle était
la marque de notre époque, et peut-être l'est-elle, et comme si
elle arrivait au stade où elle prenait le dessus sur nous, favorisée
par le déni de tous.
Première
fois que je lis Tom Connan, et pas la dernière, soyez-en sûrs. J'ai
pris ce roman à la bibliothèque parce que je connais bien la région
dont il est question et que j'avais envie de voir ce qu'il en disait.
Je n'attendais pas grand chose et je n'étais même pas très sûre
de mon choix, mais j'avais à peine fini de le lire que je l'ai
acheté pour en garder un exemplaire dans ma bibliothèque. C'est
dire s'il m'a convaincue. J'ai particulièrement aimé ce que j'aime
également chez Virginie Despentes, à savoir une excellente saisie
du monde actuel et de son fonctionnement réel. Ils ne sont pas si
nombreux ceux qui connaissent et savent parler du monde de l'hyper
connexion, même si nous le vivons tous à un degré plus ou moins
fort. Peu d'écrivains l'évoquent et ce n'est peut-être pas plus
mal, on lirait sans doute sous leurs plumes une peinture complètement
à côté de la plaque. Ici, tout au contraire, on est pile dedans.
"On vivait dans un monde bizarre où des boîtes privées,
dont les finalités purement commerciales ne faisaient aucun mystère,
en savaient plus sur l'humanité que la totalité des états réunis.
Les gouvernements n'arrivaient même pas à anticiper les lits
nécessaires pour pouvoir absorber l'épidémie en cours, en
revanche, les GAFA connaissaient mes goûts politiques, mes affinités
sexuelles, mes peurs, mes désirs professionnels et, bien sûr,
toutes mes allées et venues. Mais cet invraisemblable transfert de
pouvoir ne choquait pas grand monde à la surface de la terre."
C'est
presque un polar, un thriller du moins, passionnant de bout en bout
et le lecteur se demande constamment comment tout cela va tourner.
L'écriture est vive, nette et efficace mais surtout, les
personnages, jamais caricaturés mais dont au contraire les beautés,
failles et contradictions sont révélées ont tous une réelle
profondeur humaine. Aucun manichéisme (ce que je craignais un peu)
dans ce récit, mais au contraire une vraie empathie pour les gens.
Beaucoup de choses bien vues. On est juste après les premiers
confinements. L'étau s'est un peu desserré, laissant apparaître
des gens encore traumatisés et incrédules (et à ce propos. T.
Connan en a très bien observé les manifestations) : "Depuis
le Covid, on était facilement dégoûté du corps des autres et on
ressentait tout contact physique non sollicité comme une véritable
agression."
C'est
presque de la SF et de l'uchronie car l'histoire commence après le
premier confinement (c'est vrai qu'on avait l'impression d'être dans
un film de SF) et va jusqu'en mars 2024. Le livre quant à lui, est
paru en décembre 2021.
Le
narrateur est bien monsieur tout le monde (jeune) Il tente de mener
sa barque au mieux. Il a des scrupules mais écoute surtout son
intérêt, comme la plupart des gens, quoi. "Je n'étais pas
très à l'aise avec l'idée de gagner ma vie de cette façon, mais
le contexte..." Mais on le voit exercer plusieurs
métiers tout au long du roman et cette concession-là, il la fait à
chaque fois. Ils ont d'ailleurs tous des métiers plus ou moins bien
payés selon les moments, sans stabilité et surtout, qui ne
produisent pas du réel. Ils sont "dans l'évènementiel",
conseiller, influenceuse, coach, etc. Ils vendent de l'influence ou
des objets inutiles et de faible qualité à des gens qui n'en ont
aucun besoin... Notre narrateur est plutôt sympathique et crédible,
mais pas admirable. Un homme jeune qui se cherche
"J'essayais
toujours de voir la réalité qui se cachait derrière les phénomènes
matériels, comme pour en retirer le voile trompeur. Il n'y avait
souvent rien à découvrir, mais c'était bien plus plaisant de voir
le monde à travers des représentations qu'en accès direct."
dans une époque très difficile.
"On
avait tué Dieu au XIXème, puis l'amour au XXème, le XXIème siècle
était en train d'abolir le travail, avec d'ailleurs un certain
succès, car bientôt les softwares les plus divers seraient en
mesure de satisfaire l'ensemble de nos besoins. Mais qu'allions nous
faire, nous, les humains, pendant que la galaxie Amazon et l'armée
Apple viendrait tout nous offrir sur un plateau en échange de
quelques abonnements à 9,99€ par mois? Une fois la série livrée,
le cours en ligne distribué, le grille-pain réceptionné et la
housse de couette déposée sur le paillasson, de quoi seraient
composées nos modestes journées? D'autant qu'avec le revenu
universel, le complexe technico-social voulait vraiment s'occuper de
tout. Qu'étions-nous en train de fabriquer à l'échelle planétaire,
sinon une grande nurserie, au passage réservée à la crème de la
crème des pays occidentaux ou a minima occidentalisés? "
A lire.
9782226464835