29 avril 2021

 La transparence du temps 

de Leonardo Padura

****

   Mario Condé nous la joue au "vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire" dans ce tome qui le voit arriver à ses soixante ans. Il est bien désabusé, notre enquêteur. Voilà qu'il vieillit ! Que ses articulations ne sont plus ce qu'elles étaient, et même son estomac et sa tète tiennent moins bien l'alcool ! Oubliant donc qu'il y a plus triste que de vieillir (à savoir, ne pas avoir l'occasion de le faire), Mario interdit qu'on lui fasse une fête d'anniversaire et remâche ses désillusions. Mais les amis ne sont pas faits pour tenir compte de ce genre d'interdiction et les désillusions, si elles blessent, ont tout de même l'immense chance de ne toucher ni ses amours, ni ses amitiés. Mario devrait se considérer comme heureux. Pourtant, c'est vrai qu'il n'est pas riche. En temps normal du moins, parce que justement là, un riche client va asperger de beurre les épinards du quotidien.

     Le riche client se trouve être un ex-camarade de lycée (quelle surprise!), Boby. Un gamin qui avait beaucoup souffert à l'époque de son homosexualité cachée mais devinée par ses congénères, mais qui a su se rattraper depuis, assumer et faire fortune dans le monde de l’achat et la vente d’œuvres d'art. S'il fait aujourd'hui appel à Mario, c'est que son dernier amant a profité d'une de ses absences pour dépouiller toute la maison de ses valeurs En plus de la perte financière, il y a une statue de vierge noire à laquelle Boby tient énormément car elle est dans sa famille depuis toujours, et qu'en plus de sa valeur marchande, elle "a des dons", au point qu'il lui attribue la guérison de son récent cancer. Boby préférerait que la police ne vienne pas mettre son nez dans ses affaires de cœur et d'argent, et que ce soit Mario qui se charge de tout retrouver, ou au moins, la vierge noire.

     Mais cependant, la police (dans laquelle Condé a toujours ses entrées) ne va pas tarder à s'en mêler, car les morts vont pleuvoir, la vierge n'étant semble-t-il pas salvatrice pour tout le monde.

   Voilà donc une nouvelle enquête réunissant tous les ingrédients d'un nouveau tome des aventures du grand Mario. Nous voyons toujours en décor et quasi personnage, la Havane et sa vie quotidienne, et elle a évolué au fil du temps. Le carcan s'est relâché, tant côté blocus que côté administratif, mais l'embellie n'est toujours pas là et force est de constater que les décennies de privations endurées pour la bonne cause n'ont pas porté les fruits espérés. Mario promène son regard sur les quartiers les plus contrastés, nous les faisant découvrir, et c'est intéressant. Cependant, ce volume des aventures de Mario Condé ne fera pas partie de ceux que je conseillerai en premier lieu.

     Pourquoi a-t-il fallu que L. Padura se lance dans toute cette partie historique ?! Il va entreprendre d’entrelarder l’enquête de Mario de longs chapitres historiques aux dates mêlées du 12ème au 20ème siècle et qu'on a quand même beaucoup de mal à réorganiser et à suivre, sans parler de reconnaître les protagonistes. Cela a le charme d'attirer le lecteur qui aime toujours les histoires de Templiers, mais ce sont de longs chapitres qui coupent la lecture et désarçonnent le lecteur qui finit par retomber dans l'enquête de Mario au moment où il l'avait quelque peu oubliée. Cela nous fait un gros livre (420 pages), lourd dans les deux sens du terme, et sans rythme malgré les assez nombreuses scènes d'action. Il m'a semblé que Leonardo Padura avait été trop ambitieux sur ce coup-là. Il avait voulu que son roman dépasse le statut de polar pour devenir un roman à ampleur historique, affichant une documentation et une connaissance etc. mais la vérité est que tout ce passé historique ne change rien à l’enquête en cours et n'y apporte pas davantage. Mon avis est qu'en voulant enrichir son roman, il en a réduit l'impact et la qualité générale. Quand je lis Mario Condé, c'est pour l’enquête et l'ambiance cubaine réaliste, pas pour l'histoire de France ou d'Espagne. Qui trop embrasse, mal étreint.


Série Mario Conde :

Cycle Les Quatre Saisons :

Passé parfait - Pasado perfecto (1991) - Prix des Amériques insulaires 2002

Vents de carême - Vientos de cuaresma (1994)

Électre à La Havane - Máscaras (1997) -  Prix Hammet 1998

L'Automne à Cuba - Paisaje de otoño (1998) - Prix Hammet 1999

Mort d'un chinois à La Havane - La cola de la serpiente (2000)

Adiós Hemingway - Adiós Hemingway (2001)

Les Brumes du passé - La neblina del ayer (2005)

Hérétiques - Herejes (2013)

La Transparence du temps - La transparencia del tiempo (2018)

979-1022608329

27 avril 2021

 Montedidio 

de Erri De Luca

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Prix Femina étranger 2002

« La journée est une bouchée »

Une bouchée mordue dans le temps.

Un livre à la voix rude et puissante comme celle qui viendra au narrateur à la dernière page. Une voix forte comme un braiment d’âne (dit-il lui-même) et pareillement causée par la douleur.

Un livre à la très très belle écriture qui vous emporte et vous charme.

Un livre fort, rustique, manuel, viscéral, simple et vrai… je cherche d’autres adjectifs encore qui puissent rendre l’impression que j’ai éprouvée en le lisant.

L’histoire : Elle nous est contée par un gamin napolitain de 13 ans qui vient de quitter l’école pour pouvoir gagner un peu du pain qui est rare à la maison. Il la consigne le soir sur un rouleau de papier de rebut qu’on lui a donné. Quand le rouleau sera fini, l’histoire le sera aussi. Il habite sur le Montedidio, mont des quartiers pauvres, avec ses parents. Son père charge et décharge les bateaux, sa mère est déjà gravement malade du foie. Il trouve une embauche chez un menuisier qui héberge dans un coin de son atelier un cordonnier juif bossu, inexplicable rescapé des camps, qui s’est égaré là dans sa route vers Israël.

Elle nous conte les moments qui transformeront l’enfant tiré des bancs de l’école en homme.

La misère est omniprésente, une misère non pas de confort, mais bien de famine. Omniprésentes aussi sont les superstitions, cette crainte du mauvais œil, des sorts, et cette impression subséquente un peu rassurante en fait, mais si handicapante aussi, que l’on peut les éviter si l’on est vraiment très prudent en tout.

Le texte est émaillé de phrases en napolitain, toujours traduites, qui rappellent que cette langue-là est celle des pauvres. Que les plus miséreux ne connaissent qu’elle et n’ont pas le moindre accès à l’italien qu’ils ne comprennent même pas, et dont ils ne sont pas compris, et qui est la langue des livres…. Et du pouvoir et de la vie plus facile. L’enfant, à cheval sur les deux mondes, comprend l’italien mais vit en napolitain.

Tous les personnages ont une densité remarquable. Rafaniello, le cordonnier bossu est fascinant. Il porte en son dos ses ailes repliées. Le propriétaire et le menuisier auquel l’auteur a prêté son prénom, le sont tout autant ; et Maria, le concierge, les parents … et même le boomerang.

Le malheur est partout, mais l’humanité aussi. Celle dont nous pouvons être fiers.

Un livre exceptionnel. 

978-2070302703

25 avril 2021

 

Nouvelles 
de Jérôme David Salinger
*****

Des textes uniques
    "Dis-moi, s'il te plaît, comment fait-on pour écrire des histoires vraiment émouvantes et fragiles?" Demandait Leonardo Pädura à J.D. Salinger, par l'intermédiaire de son personnage. (Les brumes du passé)
  
   Chacune de ces nouvelles est une histoire totalement originale, avec un contexte, un imaginaire et des pistes de réflexion multiples et très riches. Ces nouvelles sont des textes uniques, qui vous hantent pour toujours.
  
   J’ai lu cet ouvrage pour la première fois alors que j’avais 16 ans. Il s’est gravé dans ma mémoire sans même que je m’en avise. Souvent en été, au bord de la mer, plus tard, je regardais les enfants jouer et je me disais « Un jour rêvé pour le poisson banane… » Personne, bien sûr, ne comprenait de quoi je parlais.
  
   Chacune de ces nouvelles avait fixé en moi une image, une scène… la plage du Poisson-banane, la petite sœur de Teddy, le bus de l’Homme hilare, le divan de l’Oncle déglingué par exemple, qu’il me semble bien que j’ai gardée telle que, jusque dans l’autre versant de ma vie. C’est rare. Il y a peu de livres dont je puisse dire la même chose.
  
   Ce recueil, je ne l’avais pas relu depuis. L’ayant trouvé dans un vide grenier, je l’ai relu il y a peu pour découvrir émerveillée le même envoûtement, la même lumière et un nouveau niveau de compréhension. Par exemple, maintenant, je sais que j’avais raison de supposer chez Salinger un vrai intérêt pour le bouddhisme, ainsi que je l’avais pensé à la lecture de « Teddy ».
  
   Je dois ajouter que je fais partie des gens qui n’avaient pas adoré « L’attrape cœur » alors même que tout le monde criait au génie et que j’avais l’âge du héros. Mais par contre, Les Nouvelles ou "Franny & Zooey" m’avaient emballée. J’avais 16 ans. C’était il y a un siècle, mais ce que la vie nous apprend à notre grande surprise, c’est il y a beaucoup de choses sur lesquelles on ne change pas.
  
   J’ai découvert autre chose : les gens qui lisent ces nouvelles ne lisent pas tous les mêmes histoires, loin de là.
    Vous me direz : «C’est toujours un peu le cas» Oui. Mais pas à ce point là.

978-2266126335

23 avril 2021

 Le monde inverti 

de Christopher Priest 

*****


SF

Titre original : Inverted World

 Prix British Science Fiction du meilleur roman 1975.

 C'est pour ce roman, publié en 1974 et qui fut son deuxième, que Christopher Priest est principalement connu. Totalement différent du précédent (« Le rat blanc » ou « Notre île sombre »), le style de ce monde inverti fait penser à Asimov. C'est dire que c'est à la fois, très bien fait, original, basé sur des explications pseudo-scientifiques, et un peu démodé, mais pas trop, ça se lit encore tout à fait bien, comme Asimov d'ailleurs.

Nous allons suivre notre personnage principal Helward Mann de son entrée dans l'âge adulte à son âge mûr et découvrir le très étrange monde dans lequel il vit. Ce monde, considéré comme une cité indépendante, avec son gouvernement élu, est totalement clos, sans vue sur l'extérieur, et Helward  est sur le point de découvrir cet extérieur grâce à sa nouvelle fonction qui exige qu'il y accède. Il va découvrir que cette cité est beaucoup moins grande qu'il ne l'avait supposé, beaucoup plus vulnérable aussi, et qu'elle se déplace sur des rails pour se maintenir proche d'un point appelé Optimum et qui lui même se déplace. Tout autour ce sont des zones semi-désertiques cependant peuplées de quelques indigènes faméliques. Nous allons découvrir peu à peu les particularité physiques très étranges de ce monde où ni l'espace ni le temps ne se manifestent comme nous y sommes habitués. La fin nous donnera plus d'explications.

Ce roman captive son lecteur en lui donnant à découvrir progressivement un monde tellement étrange mais cohérent, ayant ses lois physiques naturelles, mais différentes des nôtres ; avec son organisation sociale aussi, également différente. On dévore le livre poussé par la curiosité et le désir d'en savoir plus, de comprendre comment cela marche et également de voir comment tout cela se terminera car il est visible que la cité ne pourra pas avancer ainsi éternellement et même que l'on n'est pas loin de ses limites. Mais pas loin... entendons nous, le temps lui aussi ne se déroule pas là-bas comme ici. Vous verrez.

 Si vous vous intéressez un peu à la Science-fiction, ce Monde inverti est un indispensable qui, pour son originalité, sa complexité et sa maîtrise n'est pas prêt d'être détrôné.

978-2070421497 

20 avril 2021

 Notre île sombre 

ou

Le rat blanc 

de Christopher Priest 

****+

Titre original : Fugue for a darkening island

 Paru en 1972 et traduit d'abord en français sous le titre Le rat blanc, le roman a été salué au départ comme particulièrement antiraciste puis, au 21ème siècle, comme raciste. Il me semble que cette dernière accusation tienne pour beaucoup au fait que le mot « nègre » y était couramment employé, mais c'est oublier qu'à l'époque il était couramment employé partout et n'avait pas de connotation spécialement raciste, du moins le "negro" anglais. Par exemple, on parlait sans problème d'"Art nègre". Aujourd'hui le mot est tabou. Compte tenu de ce malentendu, Priest a révisé son roman avant sa dernière réédition et la version française que je viens de lire n'avait rien de raciste. Je pense que ce genre de discussion n'a pas lieu d'être. Il y avait bien les britanniques d'un côté et les envahisseurs africains de l'autre, mais on comprend bien que le problème, c'est l'invasion, pas la couleur de leur peau. Ils auraient été vikings, cela aurait été pareil. On comprend bien aussi le bien fondé des motivations des deux camps. D'ailleurs au départ, le héros fait partie des Britanniques qui voudraient accueillir les immigrés mais la situation est telle qu’ils n'en sont bientôt plus là. Voilà l'histoire :

 Les pays riches ayant sur-exploité les richesses naturelles de l'Afrique au-delà de toute mesure sans s'y investir du tout et en laissant les pires situations sociales, spoliations, guerres, massacres etc. s'y développer aussi bien que la destruction de la nature, les incendies, désertification etc. tant que cela ne gênait pas trop leurs affaires, le continent est devenu totalement non viable au sens strict du terme et les survivants réfugiés n'ont d'autre choix que de s'emparer de n'importe quel navire et de tenter de gagner d'autres parties du monde. Le phénomène est mondial. Ils débarquent n'importe où et en particulier chez les anciens colonisateurs dont ils parlent la langue. C. Priest, d'une façon assez typiquement british ne considère que la Grande Bretagne, négligeant les autres pays traversés avant d'arriver chez eux. Pas de vision mondiale, ni même européenne. Mais bon... Au prix de milliers (ou bien plus) de morts, des réfugiés parviennent à atteindre Londres dans des paquebots pleins, des cales aux ponts, de milliers de personnes dont beaucoup n'ont pas survécu au voyage. Pour les autres, à peine touché terre, ils s'enfuient en tous sens et se répandent dans la ville. Ces débarquements sauvages se poursuivant constamment (les Africains n'ont pas d'autre choix) les «envahisseurs» sont bientôt assez nombreux pour se regrouper et s'organiser d'autant que les businessmen qui ont réduit leur monde en cendres sont tout prêts à leur vendre toutes les armes qu'ils veulent. Les affaires sont les affaires. Nous suivons le personnage principal qui en quelques mois va basculer d'une vie bourgeoise et moralement médiocre de professeur peu inspiré, avec épouse, fille, maîtresses etc. à une existence de desperado dépourvue de tout et prêt à tout. Le roman vous raconte comment.

Le début m'a fait penser à «La guerre des mondes», de H.G. Wells, quand les deux héros se rendent sur les lieux où les deux vaisseaux (maritime et spatial) ont touché terre et observent l'arrivée des intrus. Il y a vraiment un parallèle entre ces deux scènes. Ici, le héros n'a rien de particulièrement sympathique. C'est plutôt un «homme moyen», le sujet c'est plutôt la situation et la façon dont elle survient et se développe. Comme souvent en science fiction, l'auteur a voulu explorer un danger en le poussant à son extrême. C. Priest dit qu'il a voulu faire un roman-catastrophe moderne et il y a parfaitement réussi puisque cette fiction de 1972 a l'air d'avoir été écrite hier. Par contre, peut-être parce qu'il a également des ambitions littéraires, la structure choisie (récit éclaté dans le temps en passages brefs, sans avertissement) rend la compréhension un peu difficile au début. C'est néanmoins passionnant.

Moralité, veillons bien à ce que l'Afrique (ou toute autre partie du monde) soit un continent où il fait bon vivre car, "Il apparut bientôt qu'on ne pouvait échapper nulle part à la chute de l'Afrique."

978-2070469031 

17 avril 2021

  Le mystère de la chambre jaune 

de Gaston Leroux

****+

Lecture indispensable

   D’abord avocat, Gaston Leroux se fit journaliste et même grand reporter, allant à travers le monde exercer son métier. C’était dans les années 1892-1907 environ.

   Entré par le reportage dans le monde littéraire, il se lança dans l’écriture de romans et même de pièces de théâtre. Il se spécialisa bientôt dans le style «roman de mystère» et commença à publier dès 1903. Il fut finalement l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages.

     Il connut le grand succès dès son deuxième roman avec ce «Mystère de la chambre jaune » qui n’a jamais depuis perdu les faveurs du public. Et il suffit de le lire pour comprendre pourquoi.

   Nous trouvons dans ce livre un délicieux mélange de mystère, d’énigme à résoudre, de poésie et de psychologie qui ne peut qu’attacher définitivement le lecteur.

   Pour l’énigme, elle est de taille et pas un instant, le lecteur ne renonce à la résoudre lui-même, mieux encore que le policier ou le détective, tant l’on sent, l’on sait, que l’on a en main, aussi bien qu’eux, tous les éléments qui nous permettraient de le faire. L’énigme, en deux mots : Mademoiselle Mathilde Stangerson, fille du professeur Stangerson, a été victime d’une tentative de meurtre qui l’a laissée blessée, alors qu’elle se trouvait dans sa chambre, parfaitement fermée. Eh oui, un mystère de chambre close. Je ne sais pas si ils vous plaisent, moi je les adore.

   Les personnages également sont des plus intéressants et G. Leroux a su leur donner de l’épaisseur et la parfaite cohérence de leur rôle. Le héros, Rouletabille (journaliste, comme l’auteur) fait ici sa première apparition, mais il plaira tellement aux lecteurs et, sans doute aussi, à son créateur qu’on le retrouvera ensuite dans plusieurs autres romans, que je trouve toutefois moins réussis que cette première enquête.

     Ce qui fait le charme tout spécial de cette œuvre, c’est à mon avis que les pires réalités et sentiments baignent dans une atmosphère bourgeoise et feutrée, intelligente et sentimentale un peu décalée et que cela crée une ambiance, sinon onirique, du moins poétique très envoûtante alors même que le cerveau lui, est accroché à cette énigme qu’il sent bien à sa portée.

  

   PS : Savez-vous que Rouletabille s’appelait d’abord Boitabille, mais que G. Leroux dut changer rapidement ce nom, le pseudonyme étant déjà pris (et par une personne réelle, qui plus est.) ?

978-2253005490


15 avril 2021

 Le long séjour 

de Régine Detambel

****+

   Ce roman vous attaque d’un coup, sans introduction. Vous lisez les premiers mots et déjà, vous êtes en pleine situation. Vous avez franchi sans le savoir cette cloison invisible qui séparait votre monde de celui du livre. On ne vous a pas prévenu, on ne vous a pas demandé votre avis. Vous avez posé les yeux sur les premières lignes. Vous êtes entré. Vous y êtes.

   Où ? Dans une maison de retraite, à «L’âge d’or». Joli nom. Certains pensionnaires, incapables de toute façon de trouver l’énergie de visiter, de comparer etc. l’ont choisie pour ce nom. Vous les comprenez. L’âge d’or, ultime mensonge. L’âge dort.

   Une maison de retraite somme toute très convenable d’ailleurs avec, d’une part des «filles en bleu» dont on saisit parfois vivement des éclats de vraie vie, et d’autre part trois pensionnaires. Un homme, une femme, un ni homme-ni femme. Une caméra les scrute tout au long d’une journée, dans chacun de leurs gestes et de leurs routines, rien ne lui échappe. Sauf qu’elle ne voit pas seulement ce qu’ils font, elle voit aussi ce qu’ils pensent et sauf encore que ce n’est pas une caméra, c’est Régine Detambel.

   Elle nous dit, sans explication, ni commentaire. Elle relate. Dans un style qui parvient à reprendre ce qu’on imagine être le cheminement mental de ces trois personnages bien distincts et on croit, on sait, que c’est exactement comme cela.

   Ce n’est pas une maison de retraite honteuse. Les pensionnaires n’y sont pas volontairement maltraités ou négligés. N’allez pas imaginer des comptes rendus affreux, des atrocités sadiques. Les amateurs de scandales seront déçus.

   Il y a atrocité, pourtant, et il y a scandale, mais ils s’appellent « vieillesse », ruine, usure inexorable et décrépitude, et nous serons peut-être demain un de ces trois personnages (ou peut-être connaîtrons nous pire encore). Ne dites pas «Pas moi !». C’est ridicule. Combien parmi eux avaient prévu de longue date leur présence en ce lieu ? Bien peu. Combien avaient dit «Pas moi !» ? Bien davantage. Et puis, comme les vêtements feutrés, c’est doux aussi.

     Quand elle a écrit ce livre, l’auteure avait 27 ans. Elle venait de travailler comme kiné dans une maison de retraite. Elle dit elle-même qu’à la suite de cette expérience, elle était « totalement habitée par la vieillesse et par la façon dont on la traite et dont on la subit ».

   Mon sentiment de lectrice est que, s’il n’y a pas maltraitance, il y a tout de même bien une vraie négligence de l’humain, un manque d’amour. Inévitable ? Peut-être. Peut-être même cette négligence de l’humain et ce manque d’amour nous sont-ils imposés depuis bien avant la vieillesse.

   De ce livre, Régine Detambel dit : "C’est ainsi que j’ai eu vraiment l’impression de pénétrer dans mon écriture. Par les corps aimant, souffrant et vieillissant, et jouissant et mourant. C’est la vie ». C’est par ce livre que moi, j’ai découvert ce qu’écrivait Régine Detambel et j’en suis impressionnée. Dès que je le peux, je poursuis la découverte de cette écrivaine, parce que, si elle écrivait cela à 27 ans…

978-2260007777

13 avril 2021

 Pourquoi j'ai mangé mon père

 de Roy Lewis

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Fantaisie préhistorique

   C'est d'un ton léger, assez «british» ma foi, en phrases soignées au vocabulaire précis, et même parfois précieux que l'auteur, par la voix de son personnage principal, nous narre cette curieuse histoire. Plus qu'une histoire d'ailleurs, il s'agit d'une vraie saga familiale. Rien là, me direz-vous d'absolument original. Certes. Cependant, cela le devient un peu plus si l'on considère que le dit personnage principal, qui vit en Afrique, est membre d'une tribu de pithécanthropes.

     Edouard, mâle dominant de la tribu, vient de découvrir le feu et ses avantages lui apparaissent chaque jour un peu mieux. Cependant, son esprit inventif et fort soucieux de faire progresser la race (bientôt humaine) ne saurait s'arrêter en si bon chemin. Il découvre chez chacun de ses fils des qualités qui, chacune, font progresser l'humanité dans une branche. (Chez ses filles, non. On ne sait pas pourquoi.) L'un invente le dessin, l'autre est un scientifique, un autre encore ne va pas tarder à inventer l'élevage etc. La spécialité d'Ernest, le narrateur, est plus difficile à cerner, si bien qu'il semble longtemps qu'il ne soit bon à rien... mais cela n'est hélas pas le cas, comme je vous laisse le découvrir.

     Comme je le disais, le comique de situation tient surtout au décalage permanent entre le ton tellement distingué et les rudes réalités du monde préhistorique. Raconter le petit doigt sûrement levé comment les fauves ont encore emporté quelques petits frères et sœurs alors qu'on passait la nuit dans un arbre, n'est pas un exercice si courant. Les différences flagrantes de goût (le pithécanthrope étant très porté sur les femmes à derrière éléphantesque) amusent. Les références sans cesse anachroniques à diverses choses comme la philosophie ou les interrupteurs, le souci paternel de savoir où ils se situent exactement dans l'évolution et mille autres trouvailles du même style sont un régal pour le lecteur qui se laisse malgré tout encore surprendre jusqu'à la fin.

     Du point de vue strictement technique, pas d'erreur bien sûr et les plus jeunes pourront lire cet ouvrage avec bénéfice au moment où leurs cours aborderont ce sujet, puisqu'en les amusant, il leur remettra en mémoire les étapes historiques du « progrès ».

   Didactique ou purement distractive, une lecture agréable et très amusante.

978-2266224109

11 avril 2021

Le dieu des petits riens

d'Arundhati Roy

****+

Ce roman a eu le Booker Prize en 1997 et ce n'est qu'en 2021 que je le lis, comme quoi 1° ma PAL* est énorme  2° la notoriété nuit parfois aux livres. C'est vrai que je rechigne un peu à aller vers les romans que tout le monde encense et j'ai parfois tort. C'est le cas ici car il s'agit en effet d'un roman remarquable. 

D'abord par la qualité de son écriture, une prose précise et évocatrice tout en étant hautement poétique. Par son récit ensuite qui est celui d'une gémellité fusionnelle, d'une famille dysfonctionnelle, d'une enfance malheureuse et d'existences broyées par un ordre social toxique. Nous sommes en Inde, à la fin du vingtième siècle, la notion d'intouchable n'est plus admise légalement, mais depuis si peu de temps qu'elle est encore partout dans la réalité. 

Le récit est centré sur Rahel, la jumelle devenue adulte, qui après les événements décisifs de ses huit ans et une tentative d'établissement aux USA à l'âge adulte, revient dans sa ville natale et retrouve l'abominable grand-tante seule survivante de la famille avec son frère, devenu mutique. De la famille de notables aisés, il ne reste plus grand chose...

Les souvenirs éclatés sans ordre chronologique de cette année de leurs huit ans parsèment le plus succinct récit actuel de ce retour aux sources qui est un constat d'échec de la tentative de dépasser ce qui advint cette année-là. Le lecteur sent d'emblée, puis sait qu'il y a eu un (ou plusieurs) drames et comprend très progressivement ce qui s'est passé. Il est sensible à l'oppression croissante de cette révélation progressive du cœur du problème et en éprouve une tension qui n'est pas vraiment agréable. Il sent que tout cela va très mal finir et se demande qui, comment et jusqu'à quel point. La cruauté de ce monde blesse chacun et l'on constatera bientôt que pas un seul personnage n'a échappé à un traumatisme ou à une perte. Les gens malheureux rendent les gens malheureux. Ici, nul n'y échappera.

Pas gai, mais beau et riche en enseignements. Ce roman n'a pas pris une ride.

*: Pile à Lire

978-2070411726

09 avril 2021

 La Ferme des animaux 

de George Orwell 

*****


Orwell en lanceur d’alerte

   En 1937, par conviction, Eric Blair, alias George Orwell, est venu se battre en Catalogne au côté des Républicains. Il assiste, écœuré, à l'arrestation et au massacre des trotskistes que dirigeait Andreu Nin — ce dramatique épisode de la Guerre d'Espagne que rapporte Javier Marias dans “Ton visage demain”. Nin et ses camarades du POUM ont été exécutés sous les ordres du général Orlov. Tout a été manipulé par les hommes de Moscou. C'est sans doute l'un des événements qui décident l'écrivain anglais à régler ses comptes avec Staline et sa version du communisme, comme il le suggère dans la préface de 1945 pour la première édition d' "Animal Farm" : "L’idée de ce livre, ou plutôt de son thème central, m’est venue pour la première fois en 1937, mais c’est seulement vers la fin de l’année 1943 que j’ai entrepris de l’écrire". Désormais George Orwell, profondément socialiste et démocrate, se donne la mission de dénoncer le régime totalitaire de Staline.

     En cette fin des années trente d'autres livres, presque simultanément, démystifient le stalinisme, par exemple le fameux “Retour d'Urss” d'André Gide, ou le moins connu “Au pays du grand mensonge” d'Ante Ciliga. Après "Animal Farm", l'étape suivante du combat d'Orwell sera "1984". Dans les deux cas l'auteur situe l'action de son roman en Angleterre — ce qui permet d'éviter la critique d'anti-soviétisme primaire. Orwell ne trouva pas facilement d'éditeur pour "Animal Farm" et sa préface fut censurée par les éditeurs — Londres était alors alliée de Moscou — et on l'ignora jusqu'en 1985, trente-cinq ans après la mort de l'auteur. Ce temps perdu a permis au texte d'être durablement réduit à un conte pour enfants, une histoire de petits cochons pour la jeunesse, mais dans le meilleur des mondes où nous vivons il est devenu une fable anti-totalitaire adaptée à la fin du collège puisque le programme d'histoire de la Troisième passe par l'étude de la Révolution russe et du régime de Staline.

     Que retenir d'une lecture littérale? La jolie et prospère Ferme du Manoir appartenait à Mr Jones, exploitant agricole et exploiteur des animaux, mais une révolution dirigée par les cochons l'en a chassé. Instruit par Sage l'Ancien (Old Major), leur théoricien bientôt décédé, un trio de cochons éclairés a pris les choses en mains, promettant monts et merveilles aux autres bêtes. Napoléon, Boule de Neige (Snowball), et Brille-Babil (Squealer) confisquent bientôt le pouvoir et organisent ce qui est désormais la Ferme des Animaux, une société idéale fondée sur l'idéologie des Sept Commandements, dont le premier suffit à comprendre où va l'Animalisme : "Tout deux pattes est un ennemi". Quant au septième, il doit faire l'unanimité des bêtes de la ferme : "Tous les animaux sont égaux". Outre les cochons, la ferme comprend des chiens, des chevaux, des chèvres, des moutons (beaucoup de moutons), des poules, des oies, des pigeons, etc. Mais l'utopie accouche progressivement de son contraire. Les cochons deviennent la classe privilégiée qui n'hésite pas à faire des affaires en secret avec les autres fermiers, à coucher dans les lits du manoir de Mr Jones, à boire de la bière et s'enivrer au whisky, à faire trimer le peuple, quasiment réduit à l'esclavage et à la famine pour réaliser de grands projets industriels. Pour installer sa tyrannie, Napoléon dénonce son rival Boule de Neige transformé en ennemi du peuple, à qui on attribue tous les déboires, s'entoure d'une police politique efficace et soumet la ferme à la terreur. La chute du conte? Les cochons en viennent tellement à se comporter comme les hommes qu'ils ont chassés qu'ils se mettent à marcher sur deux pieds... "Tous les animaux sont égaux mais certains le sont plus que d'autres."

     La lecture politique? Avec un chef des cochons nommé Napoléon, il est clair que George Orwell s'adressant à des lecteurs britanniques institue ainsi Staline dans le rôle de l'ennemi — alors que Hitler vient juste de perdre la guerre... Les lecteurs d'hier comme d'aujourd'hui peuvent se divertir à deviner quels personnages réels se cachent derrière les animaux de l'apologue, encore faut-il avoir une certaine connaissance de l'histoire soviétique. Sage l'Ancien décédé peu de temps après l'ascension de son parti incarne Lénine. Brille-Babil a des airs de Zinoviev mais c'est aussi la Pravda, etc. Quant à Trotsky, aucun doute, c'est ce Boule de Neige qui après avoir été un artisan de la victoire dans la Bataille de l'Etable devient petit à petit un "traître", un bouc émissaire —c'est dur pour un cochon— et un exilé conspirateur. Le cheval Malabar qui se tue au travail fait évidemment penser à Stakhanov, l'ouvrier modèle. Plus exaltant que de mettre le bon nom dans la bonne case comme dans un texte à trous, on appréciera les épisodes du roman se rapportant à l'expérience soviétique des années 1920 à 1940. Jones et les autres fermiers représentent les forces hostiles du capital et le marché est moqué dans l'épisode de la fausse monnaie. La manipulation de l'histoire, les statistiques mensongères, le “vertige du succès” de la planification quinquennale, la famine provoquée par les exportations de vivres (et invisible aux yeux des visiteurs étrangers), la querelle autour de l'industrialisation (avec les grands travaux que sont les “moulins”) autant de sujets qui attestent d'une compréhension de l'histoire soviétique encore rare vers 1945. Ce roman à clefs a anticipé brillamment sur la connaissance que nous avons désormais de l'histoire de l'URSS et du stalinisme en même temps qu'il a pris sa place au rayon des grandes œuvres du combat contre toute tyrannie.

   En cadeau:   Texte en français de la Préface écrite par G. Orwell pour l'édition de 1945.  

978-2072921414

07 avril 2021

 Hommage à la Catalogne 

de George Orwell

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Témoignage essentiel


   Il s'agit ici d'un texte extrêmement vivant. On est loin des dissertations et des études historiques fruits de l'étude des documents ou de la récolte de témoignages. Nous avons ici le récit, à chaud, par un témoin honnête et intelligent, d'une de ces périodes qui ont fait tourner l'Histoire.
 
   George Orwell, digne anglais, de bonne famille quoiqu'un peu désargentée, devait tout de même être un type extraordinaire! Un co-internaute m'a parlé de son romantisme. Romantique, sûrement, il l'était. Je dirais même plutôt idéaliste...et courageux, car il fallait l'être pour braver les dictats de son monde, de sa société, dans sa vie en Angleterre. Il fallait l'être plus encore pour aller s'engager en Espagne.
 
   Ce n'est pas tout le monde qui a dans sa vie l'occasion, puis le courage de risquer son existence par pur idéalisme; puis, l'ayant fait, d'avoir survécu (de justesse) et de disposer des mots et du talent qu'il faut pour le raconter quelques mois après. Mais c'est peut-être tout le monde qui en aurait rêvé, comme à une sorte de point d'orgue.
 
   Un petit rappel historique: Nous sommes en 1936. En Espagne, un gouvernement républicain est au pouvoir légalement. Les Fascistes tentent un coup d'état pour le renverser et établir leur dictature. Dans un premier temps, ils sont vaincus et font appel à leurs alliés internationaux : Hitler et Mussolini qui leur envoient un soutien logistique conséquent qui leur permet de renverser la situation. Les Républicains font à leur tour appel à l'aide des gouvernements démocratiques, mais ceux-ci préfèrent regarder en l'air en sifflotant d'un air dégagé. Pourtant, dans tous ces pays, des hommes se lèveront pour rejoindre les forces républicaines et tenter d'empêcher les Fascistes de mettre fin à la République en Espagne. Orwell était de ceux-là. On les a appelés les Brigades Internationales. Nous savons qu'ils ont échoué, mais Orwell, au moment où il rédige «Hommage à la Catalogne», revenu en Angleterre depuis sept mois, à cause d'une sérieuse blessure, ne le sait pas encore. Quand il écrit ce livre, il croit que tout n'est pas encore joué. Pourtant, il a perdu à Barcelone une partie de ses illusions. «Je pense qu'il est impossible que personne ait pu passer plus de quelques semaines en Espagne sans être désillusionné. (...) La vérité, c'est que toute guerre subit de mois en mois une sorte de dégradation progressive, parce que tout simplement des choses telles que la liberté individuelle et une presse véridique ne sont pas compatibles avec le rendement, l'efficacité militaire.»
 
   Arrivé plein de conviction, prêt à donner sa vie pour défendre son idéal de liberté, il s'enfuira, gravement blessé, poursuivi par ses propres compagnons (les communistes) qui se sont mis à exterminer les anarchistes pour s'assurer plus fermement d'un pouvoir qu'il ne garderont d'ailleurs pas.
 
   C'est ainsi qu'Orwell quittera l'Espagne et rédigera en Angleterre cet «Hommage à la Catalogne» alors même que tout n'est pas encore joué là-bas, en Espagne.
 
   Cependant je retiens surtout ce final: "Quand on a eu un aperçu d'un désastre tel que celui-ci (...) il n'en résulte pas forcément de la désillusion et du cynisme Il est assez curieux que dans son ensemble cette expérience m'ait laissé une foi, pas seulement non diminuée, mais accrue, dans la dignité des êtres humains."
 
   Ce qui m'a frappée à la lecture de ce texte, c'est le point d'honneur qu'Orwell met à relater avec toute la sincérité et la vérité possible, tout ce qu'il a vu. Ainsi n'hésite-t-il pas à parler du gaspillage et des pertes dues à l'inorganisation de son propre camp, quand ce n'était pas la victoire manquée, ni même des blessés morts d'avoir été mal soignés par les siens. Cela ne l'empêchera pas, en fin d'ouvrage, d'exhorter encore ses lecteurs à ne pas oublier qu'un récit n'est jamais totalement objectif. C'est pour toute cette honnêteté que j'adore Orwell.

978-2264030382

05 avril 2021

 Le Cercle celtique 

de Björn Larsson

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 C'est à la fois un roman policier, un roman d'aventure, un roman d'amour et d'amitié et un roman maritime ; avec, pour relever le tout, un petit fond d'étude ethnologique et historique qui regarde du côté des Celtes, comme le titre vous avait peut-être permis de le deviner, fins limiers que vous êtes.

      L'auteur, mais ce n'est pas lui vraiment, conte à la première personne le récit d'un Suédois qui vit sur un bateau baptisé « Rustica » et qui sillonne les mers d'Europe du Nord. Quand on saura que Björn Larsson est un Suédois qui vivait sur un bateau baptisé « Rustica » et qui sillonnait les mers d'Europe du Nord, on supposera que la matière de toute la partie maritime lui vint soit de ses propres aventures, soit de celles qu'il avait entendu conter dans les différents ports fréquentés. D'une part, cela nous vaut des récits marins au moins bien documentés, vivants et exacts, et de l'autre, cela établit une relation de réalité et d'empathie autant avec l'auteur qu'avec le personnage.

      Ils ont, on ne peut pas en douter, bien des choses en commun. N'empêche que ce sont deux êtres distincts et que les aventures meurtrières, Larsson ne les a pas vécues et tant mieux pour lui. Pour ce qui est de la réalité de la trame celtique? il doit y en avoir une part aussi, mais jusqu'où va-t-elle ? Pour moi, c'est très difficile à déterminer. Pourtant, elle a de l'épaisseur, cette trame et on y croit, au moins assez pour suivre notre skipper sur ces eaux troubles et remonter avec lui ces pistes de druides et de cultes secrets.

      De meurtres en tempêtes, de dangers humains en risques de la mer, d'amour ou d'amitiés trouvés à ceux que l'on perd, d'énigmes en recherches, de trouvailles en exploits marins, ce bateau-là nous emmène où il veut. Et c'est avec plaisir que nous nous livrons à son voyage, goûtant les terres inconnues, les personnages étonnants et les sympathiques scrupules moraux du narrateur.

      Notre skipper, Ulf Berntson, s'adresse donc à nous pour nous raconter ce qu'il a vécu. C'est un récit linéaire, émaillé de commentaires du genre « Je ne savais pas encore à quel point j'avais raison (ou tort)? ». Cette façon de raconter, d'une part oriente pas mal notre compréhension de la narration et d'autre part, est vivante, avec un aspect naturel. Je l'ai bien appréciée.

      Pour ce qui est du récit, je dois avouer que j'ai été tout de même un peu gênée par la profusion de termes marins dont je ne saisissais pas le sens. J'ai dû me résoudre à passer outre plusieurs passages de manœuvres qui m'ont échappé totalement. Cela nuit sans doute à la bonne compréhension des scènes de lutte contre les éléments déchaînés, mais cela n'empêche pas, par contre, de suivre tout à fait clairement tout ce qui n'y a pas trait. A côté de cela, je dois avouer également, que j'ai été parfois saisie par la beauté de certaines images, aussi belles que les paysages sauvages ou les étendues marines évoqués : «L'horizon paraissait infini, comme si on voyait au-delà de ce que l'on regardait.»

      Pour ma part, je conseillerais volontiers à un futur lecteur de se munir d'une carte qui représenterait une portion de notre monde allant du Danemark à L'Ecosse et d'y noter la progression du voilier. C'est ce que je n'avais pas fait et je l'ai regretté. Il me semble que j'aurais beaucoup aimé suivre ainsi son périple et que cela m'aurait permis me croire encore davantage dans son histoire. Lire cette aventure en la suivant sur une carte, cela doit être un vrai régal !


978-2070455980