Le
mage du Kremlin
de
Giuliano da Empoli
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Giuliano
da Empoli a déjà publié plusieurs ouvrages, mais ce sont des
essais sociétaux et politiques, "Le mage du Kremlin" est
son premier roman et je dirais que cela se sent un peu. J'ai trouvé
ce roman peu littéraire et j'ai été stupéfaite de le voir
apparaître sur les listes du Goncourt pour finalement remporter le
Grand Prix du roman de l'Académie. On sait que ces histoires de prix
littéraires ont toujours été fortement mâtinées d'ententes
commerciales souterraines, mais je trouve que cela est de moins en
moins dissimulé d'année en année... Et il me semble, juste
conséquence, que les lecteurs commencent à se détourner. Peu
importe, il leur restera toujours la cohorte de ceux qui "achètent
pour offrir" et se fichent un peu de la réelle valeur
littéraire de l'objet.
N'empêche
que j'ai moi aussi emprunté puis lu intégralement ce "Mage du
Kremlin" tant le sujet éveillait ma curiosité. Poutine nous
titille aux frontières de l'Est, la troisième guerre mondiale
viendra-t-elle de là? A-t-elle même déjà commencé? Il est normal
de ne pas snober les sources de renseignements qui s'offrent à nous,
car Giuliano da Empol, professeur à Sciences Po, homme politique et
ex conseiller de M. Renzi, est quelqu'un de fort bien renseigné sur
le sujet et l'on se dit qu'il doit être en mesure de nous apprendre
bien des choses que nous ignorons. De ce point de vue, on est en
partie satisfaits. Ce passage dans l'environnement proche du Tsar,
dans un entourage que l'auteur qui est un homme de think tank,
connaît fort bien. apprend beaucoup au citoyen lambda. Cependant,
dans l'intimité de Poutine, jamais on ne sera vraiment. Quant à
savoir ce qu'il pense... mais on approche.
"Il
faut que vous compreniez une chose: le tsar ne dit jamais rien de
précis, mais ne dit jamais rien par hasard non plus. S'il se donne
la peine de faire une suggestion, (...) aussi absurde que cela puisse
paraître, l'idée doit être prise au sérieux et mise à
exécution."
Bref
du point de vue documentaire, le livre peut intéresser, bien que les
dates ne soient pas assez souvent rappelées à mon goût. Par
contre, du point de vue littéraire et romanesque, il y aurait
beaucoup à redire.
D'abord,
surtout dans la première moitié, le lecteur s'ennuie un peu. Ce qui
est un comble sur un sujet aussi brûlant. Lecteur de bonne volonté
pourtant, qui accepte de ne pas s'interroger sur la vraisemblance de
voir un idéologue de l'ombre comme Vadim Baranov se précipiter pour
raconter sa vie professionnelle, familiale et amoureuse, dans le
détail à un homme qui ne lui est rien et qui ne lui a même rien
demandé. Mais lecteur qui trouve quand même que les pages ne
tournent pas vite... Ca s'améliore dans la seconde moitié et plus
encore à la fin, mais je sais pour l'avoir lu sur les blogs
littéraires que trop de lecteurs ne vont pas jusque là. C'est
dommage, avec un sujet et un contexte pareil! C'est le mariage contre
nature de l'essai et du roman que je tiens pour responsable.
Quoi
qu'il en soit, c'est tout de même intéressant. Ce Vadim Baranov
"arriviste paresseux", "sceptique et indifférent",
a tout vu et a participé à bien des choses. Il est très habile et
peu scrupuleux, comme il se doit en politique. Il manipule les uns et
les autres, flattant, promettant et mentant avec un cynisme éhonté.
"J'ai
pu constater à plusieurs reprises que les rebelles les plus féroces
sont parmi les sujets les plus sensibles à la pompe du pouvoir. Et
plus ils grognent quand ils sont devant la porte, plus ils glapissent
de joie une fois passé le seuil." (je
me demande si c'est vrai...)
Ce
roman a été écrit avant le début de la guerre de Poutine en
Ukraine, mais on voit à quel point le conflit couvait depuis
longtemps et devenait de plus en plus menaçant...
Extraits
:
"L'intelligence
ne protège de rien, même pas de la stupidité."
"Parti
du théâtre, j'étais passé à la mise en scène de la réalité.
On ne pouvait pas dire que je m'en sois mal tiré. A présent, on me
demandait de projeter sur la scène la réalité que j'avais
contribué à construire. Seulement cette fois, il ne s'agissait plus
d'un petit théâtre d'avant-garde mais d'une immense arène, pour un
public qui comprenait la planète entière."
"Il
est normal que les plus entreprenants parmi les jeunes aient envie de
faire des choses, qu'ils soient à la recherche d'une cause. Et d'un
ennemi. ce que nous devons faire, c'est leur donner cette cause et
cet ennemi avant qu'ils ne les choisissent eux-mêmes."
"Les
Russes aiment à se faire guider par des hommes implacables"
"Tout
le monde doit voir que la révolution orange a précipité l'Ukraine
dans le chaos. Quand on commet l'erreur de se confier aux
Occidentaux, cela finit ainsi: ceux-ci te laissent tomber à la
première difficulté et tu restes tout seul face à un pays en
ruines."
Mais
parfois, le mage (et Poutine) ne sont pas infaillibles
"Le
Tsar ne pouvait pas, bien sûr, envoyer des troupes régulières
envahir un pays souverain" (l'Ukraine) .
9782072958168