Le Prix Goncourt va
à Kamel Daoud
pour "Houris"
Un excellent billet sur Wodka
GARANTI SANS SPOILER Petite liste de ce que j'ai lu... "J'ai lu quelques bons livres cet été-là, ainsi qu'un grand nombre de mauvais, et le les ai tous aimés." (Quatre saisons à Mohawk de Richard Russo)
L'impératrice du Sel et de la Fortune
de Nghi Vo
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Voici ce que Wikipedia dit de cette auteure : "Nghi Vo, née le 4 décembre 1981 à Peoria en Illinois, est une autrice américaine de fantasy aujourd'hui installée à Milwaukee, dans le Wisconsin. L'Impératrice du Sel et de la Fortune, le premier volume de sa série Les Archives des Collines-Chantantes, gagne le prix Hugo du meilleur roman court 2021"
Eh bien, n'ayant lu ce qui précède qu'après avoir fini le livre, je ne me doutais pas que je lisais de la fantasy, genre dont j'ignore à peu près tout. Je pensais plutôt lire un conte asiatique inspiré plus ou moins librement de légendes anciennes. Je découvre également après coup que ce volume est le premier de la série "Les Archives des Collines-Chantantes" qui en compte cinq en 2024. A la réflexion, il me semble que la différence entre conte et fantasy n'est pas bien grande (en fait même, elle m'échappe. Donc, si quelqu'un peut me l'expliquer, je l'écouterai avec plaisir.).
Voici à grands traits, l'histoire, sans spoiler bien évidemment. Les Archivistes des Collines-Chantantes voyagent en établissant un relevé descriptif plus que méticuleux des lieux où ils séjournent. Ils sont accompagnés de huppes parlantes aux qualités d'observation et à la mémoire développés jusqu'à la perfection. Les archivistes ou adelphes, évoquent des moines par leur mode de vie et sont non genrés. L’adelphe Chih et sa huppe Presque-Brillante arrivent à ce qui reste du domaine abandonné de Fortune-Prospère, ainsi nommé par dérision déjà à son époque, et y trouvent une vieille femme du nom de Lapin qui accepte de les héberger. Chaque matin, l'adelphe Chih observe un des objets qui s'y trouvent et Lapin lui raconte les souvenirs qui y sont liés. Chih note tout, Presque-Brillante écoute et "ne peut rien oublier". Ainsi apprenons-nous que depuis son enfance, Lapin a été mise au service de l'Impératrice répudiée In-yo (c'est elle, l'impératrice du Sel et de la Fortune) auprès de qui elle a passé toute sa vie. Aussi, égrenant les souvenirs de Lapin, l’histoire et la personnalité de l'Impératrice nous apparaît-elle en contrepoint de plus en plus précisément. Nous suivrons avec un intérêt qui ne se démentira pas le récit de la vieille femme jusqu'à une fin un peu mystérieuse qui laisse, à la réflexion, certaines questions en suspens. Ce qui est une très bonne chose, n'est-ce pas ? pour le volume d’ouverture d'une série.
Je tiens vraiment à ajouter aussi que l'écriture est très belle et la narration très bien menée, sans à-coups ni ralentissement. Les images et les scènes évoquées sont grandioses et poétiques, les sentiments mesquins ou nobles mais généralement puissants et leur expression convaincante. Du beau travail. Il y a un vrai charme à cette lecture. Ce que je ne suis pas seule à penser car ce titre a obtenu les prix Hugo et Locus du meilleur roman court en 2021.
Pour ceux qui seraient tentés, voici dans l'ordre les titres de la série des Archives des Collines-Chantantes. Ils sont tous aussi courts (moins de 130 pages).
1 - L'Impératrice du Sel et de la Fortune
2 - Quand la tigresse descendit de la montagne
3 - Entre les méandres
4 - Des mammouths à la porte
5 - The Brides of High Hill, pas encore traduit
Et n’oublions pas : "Les mères révoltées élèvent des filles assez féroces pour combattre des loups". Et c’est tant mieux, parce que les loups sont là.
979-1036001314
L'été de cristal
de Philip Kerr
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Quatrième de couverture :
«Vétéran du front turc, ancien de la police, Bernie Gunther, trente-huit ans, est devenu détective privé, spécialisé dans la recherche des personnes disparues. Berme ne se plaint pas. Les disparitions sont monnaie courante à Berlin, en 1936, et il ne manque pas de clients... Mais aujourd'hui, Hermann Six, le puissant industriel qui engage Bernie, ne cherche pas à trouver sa fille : celle-ci a été assassinée chez elle, ainsi que son mari. Non, ce qui intéresse Herr Six, ce sont les bijoux qui ont disparu du coffre-fort...
A la veille des Jeux Olympiques, tandis que les S.A. se chargent de rendre la ville « accueillante » aux touristes attendus, Bernie se met en chasse. Et cet été-là, l'ordre nouveau qui règne sur l'Allemagne va se charger de faire voler en éclats le peu d'illusions qui lui reste... »
Ce premier roman de la Trilogie berlinoise qui n'allait pas tarder à compter bien plus de trois tomes, est une relecture pour moi. Je l'avais déjà dévoré à sa sortie en 1993. 1993! Bon sang! Cela ne me rajeunit pas. Passons. J'aime bien les relectures. J'aime comparer mes impressions actuelles à mes souvenirs. Quand j'en ai, car certains livres s'effacent complètement. Mais ce n'était pas le cas ici et je me souvenais assez bien de ma première rencontre avec Bernhard Gunther.
Le roman en lui même m'avait impressionnée. Placer les aventures d'un détective privé à Berlin à cette époque et avec ces protagonistes (Goering, Himmler)! A ma connaissance, Philip Kerr était le premier à le faire. J'avais tout de suite accroché. J'avais admiré la fermeté, la précision et l'assurance du socle documentaire. Et l'audace! Envoyer son héros mener son enquête à Dachau. Fallait oser. J'avais aimé Bernie, sa stabilité, sa façon de subir l'omniprésence croissante de cette peste brune comme ont dû le faire bon nombre de Berlinois. Sans compter que l'histoire était bien trouvée, bien menée et suffisamment mystérieuse pour captiver son lecteur.
Alors, qu'en reste-t-il trente ans après? Eh bien, rien n'a changé du côté de Bernie. C'est toujours un aussi bon roman policier mené de façon aussi fascinante en plein cœur du nid de scorpions, et on le lit toujours avec autant d’intérêt. C'est nous qui avons changé. Son machisme primaire saute aux yeux (je ne l'avais pas vu à l'époque) et dérange. Sa façon de considérer les femmes, toutes, est juste "pas possible"! J'étais un peu consternée en lisant cela, et puis j'ai décidé de m'en réjouir au contraire, moi qui ai l'impression qu'on n'a pas tellement progressé en trente ans, j'ai réalisé que, quand même, si. Les types comme Gunther n'ont plus aucune chance de devenir des héros aujourd’hui, et les héros ne considèrent plus le monde de cette façon lamentable. C'est déjà ça. On avance. J’ai enchaîné avec un Robert Galbraith dont le Cormoran Strike ressemble pas mal à une version moderne de Gunther. Ancien vétéran de guerre, solitaire, costaud, taciturne, détective, affaires pas florissantes, secrétaire etc. mais pour le coup, pas macho. J’accroche bien.
978-2702423615
Ce que je sais de toi
de Eric Chacour
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A force de le croiser sur les blogs littéraires et avec son Prix des Libraires, il fallait bien que je finisse par lire ce premier roman d'Eric Chacour vers lequel je ne serais peut-être pas forcement allée naturellement, le sujet n'étant pas très porteur pour moi.
Nous sommes au Caire dans les années 1980, et le narrateur nous parle de Tarek, jeune médecin qui complète ses journées de travail dans la clinique familiale par un travail qu'il a lui même choisi et pour lequel il est plus motivé, à savoir animer un dispensaire dans le quartier défavorisé du Moqattam. Le narrateur, qui ne s'est pas présenté, nous raconte la vie de Tarek comme si c'était à lui qu'il s'adressait, en le tutoyant. C'est comme s'il était derrière son dos et nous décrivait les scènes.
« Cela faisait longtemps que tu n’avais pas dîné avec ta sœur et ta mère. »
Un soir, Ali, un jeune homme vif vient chercher le docteur à la fin de ses consultations pour l'amener chez lui voir sa mère qui refuse d'aller au dispensaire. Touchée par les premières atteintes de la maladie de Huntington, fléau familial, elle se partage entre déni et résignation. Séduit par la personnalité de ce duo, le docteur multipliera ces visites avant même de réaliser à quel point il est sensible aux charmes d'Ali. Parallèlement, bien marié à une belle femme qu'il aime, il mène la vie classique du notable proche de sa mère dominatrice et abusive. De manière douce mais inexorable, les faits s’enchaînent...
Inutile d'en dire plus de l'histoire. C'est un livre intelligent, à la construction délicate et spécialement adroite. L'écriture est particulièrement belle, chose que j'ai beaucoup appréciée. On nous vend trop de livres rédigés en une langue bien trop proche du langage parlé. Ça va pour les romans policiers, par exemple, mais pas pour la Blanche. Ici, les images sont choisies avec autant de soin que les mots, les passages poétiques ne sont pas rares, la langue est soutenue. De même, loin des emballements à l’emporte-pièce, les sentiments -diverses formes d’amour- sont montrés avec beaucoup de justesse. On pourrait dire que c’est un livre sur l’amour, les différents amours et les façons dont ils se manifestent. Je suis assez réfractaire aux succédanés de sentiments qu’on nous sert souvent, épicés des passions artificielles, mais là au contraire, tout m’a semblé juste, bien pesé. Un bon livre, qui méritait son prix et vous fera visiter Le Caire.
978-2384820344
Inoubliables
de Fabien Toulmé
***
Pas totalement convaincue par cet album graphique qui regroupe "six histoires vraies" sous le titre "Inoubliables". Alors, peut-être cela vient-il tout simplement d'un malentendu sur le contenu. Je m'attendais à des récits de ces moments spéciaux, spécialement ravissants ou au contraire horrifiants, mais en tout cas à haut impact sur notre esprit, qui s'y sont gravés et sont et seront toujours là. En fait, c'est autre chose. "Le jour où ma vie a changé" aurait été un titre plus juste. L'auteur a choisi de nous raconter six vies malheureuses que leur personnage principal a un jour décidé de changer. Ce n’est pas sans intérêt, mais quand on a une certaine attente pour un livre et qu'on trouve autre chose, il y a toujours un flottement.
Le six vies en question sont sinistres. Les deux premières sous emprise religieuse, puis un viol et carrément le massacre rwandais et une histoire de couple pas très jolie. Le dernier enfin, le plus long, est l'édifiante histoire d'un homme qui après une jeunesse voyouteuse et une sortie de prison pour devenir un mari violent est retourné en prison où il a reçu une formation professionnelle. Malheureusement, à sa sortie il s'aperçoit que travailler, c'est fatigant et que ça ne paie pas tant que ça, alors il replonge bien plus profondément dans les trafics et se retrouve une troisième fois en prison. Parlant au nom de ses codétenus, il se fera remarquer et cette fois, à sa sortie, c'est la politique qui lui tendra les bras. L'histoire s'arrête là. J'en vois qui ricanent, mais ce n'est visiblement pas l'intention de l'auteur.
Bon.
Bilan, toutes les histoires m'ont laissée avec l'impression qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, comme si le regard sur ce qu'on racontait était biaisé -à mon point de vue du moins- ou la situation elle-même, et avec des personnages dont aucun ne m'a vraiment touchée.
Le graphisme est simple, chaque histoire illustrée sur deux couleurs complémentaires. Classique maintenant. Rien qui choque, mais rien qui enthousiasme non plus.
Tout cela fait un album que je ne descendrais pas en flammes mais que je ne conseillerais pas non plus. Faites comme vous le sentez.
9791034764570
Crayon noir - Samuel Paty, histoire d'un prof
Texte de Valérie Igounet
Dessins de Guy Le Besnerais
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Une fois encore, la forme graphique a été choisie pour présenter un dossier extrêmement sérieux, précis et documenté. Cette fois, il s'agit du meurtre de Samuel Paty, professeur d'Histoire, par des fanatiques religieux le 16 octobre 2020. Cette date anniversaire, quatre ans plus tard, est le bon moment pour en parler.
Le choix de la forme graphique me parait être une excellente idée car elle permettra à de nombreuses personnes qui ne se seraient pas lancées dans la lecture d'un volume serré, d'avoir accès à tous les faits et leurs enchaînements. C'est par ailleurs, une totale réussite. Ce livre devrait se trouver dans toutes les bibliothèques et CDI pour le sérieux de son enquête et l'objectivité de sa narration.
Le graphisme est clair, dépouillé mais hyper réaliste et juste. J'ai aimé ces dessins. Les portraits sont frappants. Les couleurs sont en à plats. L'album commence par l'enterrement et les cérémonies d'hommage, les honneurs officiels, tout un pays horrifié derrière son cercueil. Ensuite, l’album reprend le film des évènements depuis le tout commencement, sans omettre le passé professionnel de l'excellent professeur motivé qu'était Samuel Paty.
On est juste après les massacres de Charlie Hebdo et le professeur entreprend de faire un cours sur la liberté de la presse dans une République.
Et on voit comment de petit mensonge en exagération et diffusion d' "informations" non vérifiées, on voit les gamins se donner de l'importance en répétant des versions de plus en plus intéressantes mais également de plus en plus éloignées de la réalité.
.. et les adultes qui s'en mêlent, mais hélas pour ne faire qu'amplifier et dramatiser et diffuser la désinformation et la haine. On n'est consterné de voir ça. Partir de si peu pour déclencher un tel torrent de haine, et finalement cet acte odieux. On a un sentiment d’impuissance face à un engrenage. Comme toujours, à part l'assassin final, personne n'aura rien fait, ou presque rien, et ne se reconnaît coupable que de pas grand chose: de s'être trompé ou plutôt d'avoir été trompé, d'avoir mal réagi, mais parce qu'on avait insulté sa religion (en fait non, alors, qu'est-ce que c'est que cette réponse?) etc. Toutes ces petites malveillances ordinaires mais terribles, participaient en fait d'un assassinat annoncé. On espère que c'est ainsi qu'ils seront jugés et on leur souhaite de réaliser un jour ce qu'il ont vraiment fait.
Les collégiens qui avaient alimenté la campagne de diffamation contre Samuel Paty et permis son assassinat ont été condamnés à des peines de prison avec sursis allant de 14 à 24 mois. Le procès des adultes est prévu pour fin 2024. Tiens! C'est bientôt. Quelles seront leurs peines?
Au vu de l’immobilisme de l’administration ou de la police qui étaient au courant de la situation et avait promis protection, la famille Paty a porté plainte contre l'Etat pour non assistance à personne en danger et non empêchement de crime. On attend.
Depuis le drame, un proviseur s'est trouvé pris dans une spirale similaire à celle qui a emporté S. Paty et a choisi de démissionner peu confiant en la protection qu'il pouvait espérer. Combien de proviseurs ou professeurs allons nous encore céder à l'obscurantisme, nous qui en manquons déjà? Je ne parle même pas de ceux qui, au vu de la situation, ne s'orienteront pas vers l'enseignement.
9782958292782
L'Hôtel des oiseaux
de Joyce Maynard
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Amelia n'a que 27 ans mais elle vient de tout perdre pour la seconde fois de sa vie. Incapable d'imaginer le reste de son existence, pour tout dire au bord du suicide, elle quitte tout à l'aveuglette sans rien emporter et se laisse mener par des rencontres de hasards qui la conduiront fort loin en cette époque de hippies et de road trips. Elle atterrit dans une espèce de bout du monde, une île volcanique où un guide de six ans lui fait prendre une chambre dans un hôtel qui est une belle bâtisse au milieu d'un parc de jardinier passionné. L’hôtel n'a que quatre chambres, mais cela s'avère bien suffisant parce qu'elle est la seule cliente. Elle s'y liera peu à peu d'amitié avec Leila, la propriétaire esthète.
Je ne vous en dirai pas plus sur ce que va vivre Amelia, mais y a-t-il meilleur lieu pour rencontrer des gens et découvrir un bout de leur vie, qu'un hôtel? Joyce Maynard sait parfaitement montrer ces nombreuses vies qui à un moment où un autre de leur parcours, font un passage par l’hôtel, tout comme elle sait décrire la population autochtone qui voit avec philosophie et détachement passer ou s'installer ces étranges gringos qui vivent selon d'autres préceptes et préoccupations qu'eux. Chacune de ces existences que nous découvrons, l'espace d'un moment, nous présente une facette possible de la vie. Elle sait aussi nous montrer l'importance de la beauté des lieux qui nous entourent, de l'adéquation et de la légitimité des activités qui occupent nos vies, ainsi que de la juste évaluation de nos besoins.
C'est aussi un livre sur la résilience, notre capacité à gérer et surmonter nos pertes, Amelia deviendra très forte à cet exercice et de la voir faire nous amènera à réfléchir à la façon dont nous le faisons, nous, tout comme la probité dont elle fait toujours preuve nous amènera à jauger la nôtre.
On est presque plus près du conte que du récit. Il ne faut pas trop se soucier de vraisemblance et de probabilité, ce qui est une optique que le lecteur peut accepter d'avoir. Cela ne m'a pas posé de problème. On peut reconnaître aussi qu'aux deux tiers du romans, la succession de clients de l’hôtel et du morceau de vie qu'ils donnent à voir, devient un peu systématique et aurait pu être moins longue, même si chacune illustre bien un thème différent. C'est pour cela qu'on accepte tout de même ce petit défaut. Peut-être Joyce Maynard a--t-elle voulu englober trop de choses et aurait-elle gagné à renoncer à quelques unes, mais l'histoire finit tout de même par repartir jusqu'à sa conclusion.
Un roman qui, comme tous les bons romans, nous parle du monde, de ses habitants, de ce qu'ils peuvent y faire et y trouver, et de nous.
Violette l’a lu, mais a été gênée par le manque de réalisme.
La Désolation
Scenario : Appollo
Dessin : Gaultier
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Jean-Louis Payet, auto-rebaptisé Évariste Payet, instit à La Réunion, a vendu le peu qu’il possédait sur un coup de tête et a disparu du jour au lendemain sans rien dire à personne. Il a acheté un billet sur le Marion Dufresne, en partance pour les Kerguelen. Le Marion Dufresne n’est pas un navire de croisière mais un bateau ravitailleur qui fait le trajet en emportant le fret et quelques passagers. Parmi ceux-ci, les scientifiques qui travaillent aux Kerguelen et quelques touristes en quête de périples un peu moins fréquentés que les autres. Quant à Évariste, c’est une vieille chanson de Dave qui lui avait mis ce nom dans la tête et au moment de faire un break, il lui avait semblé que c’était la destination idéale.
Les passagers découvrent ou retrouvent la base, se mettent au travail pour les uns, se font expliquer les lieux pour les autres. Evariste apprend que cette île de la Désolation est tout particulièrement éco-protégée. On lui propose bientôt une randonnée dans une zone inhabitée, c’est un peu sportif (6 heures de marche) mais c’est une occasion exceptionnelle de découvrir les vraies Kerguelen et il accepte, bien sûr. Seulement, alors qu’il sont au cœur de cette zone réputée totalement désertique, voilà qu’ils sont sauvagement attaqués par des agresseurs qui ressemblent à des hommes préhistoriques. Il y a des morts et Évariste a une jambe cassée. Il est capturé ainsi qu’un autre touriste et ils sont emportés. Ce qui va lui arriver ensuite, vous le découvrirez si cela vous intéresse.
Un dessin coloré et sombre à la fois, assez violent, expressif, très réussi. Il convient parfaitement à ce récit.
Évariste est un personnage principal qui reste assez neutre au cœur du lecteur. Les gens qui disparaissent comme ça du jour au lendemain sans prévenir personne livrent lâchement leur entourage à tous les tourments (Ils vont commencer par chercher partout s’il leur est arrivé malheur) et les empêchent de se reconstruire (ils ne savent pas si cette disparition est volontaire ou non, si elle va durer quelques jours ou longtemps ou toujours…). Le lecteur suit donc les aventures d’Evariste d’un œil plutôt objectif et compte les points sans préjugé. C’est le parfait angle de vue pour découvrir tout ce qui va se passer sur ces peu hospitalières îles Kerguelen.
Suspens !
9782205085167
La Route
de Cormac McCarthy
et Manu Larcenet
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C'était en 2006 que Cormac McCarthy avait publié "La route", 2008 en français, et, par chance, je l'avais lue tout de suite. Cela avait été un vrai choc, une fascination. Pour une fois, un roman post apocalyptique me parlait vraiment, non pas tant qu'il soit plus ou moins réaliste que tous les autres, cela tenait plutôt à l'ambiance et à sa focalisation sur les questions réellement essentielles: deux personnages dont l'un entièrement dévoué à l'autre plus faible, un monde vide, plus aucune plante ni animal mais encore quelques rares humains qui errent et peinent énormément à se nourrir. Et parce que l'humain a survécu, ne serait-ce qu'un peu, les grandes problématiques sont toujours là: le bien, le mal, l'abnégation, les limites repoussées de l'instinct de survie, le juste et l’injuste, les éthiques individuelles réduites à l'os, la cruauté, la générosité, le carnage et le don de soi. McCarthy avait su dire tout ça, Pas vraiment en le disant d’ailleurs, plutôt en le montrant à travers ce qu’il faisait vivre à ses héros et en théorisant tout de même un peu dans ce que le père disait au fils. La transmission, réduite à l’ultra strict nécessaire, puisqu’il ne reste rien du monde. Et tout de même, pour eux du moins mais pas pour tous, dans ce presque rien qui reste, pas juste l’instinct de survie, mais une éthique, une morale… Passionnant et poignant. Ce roman est un chef d’œuvre.
Je n'avais pas été la seule à être envoûtée, en 2007, le prix Pulitzer de la fiction lui avait été attribué. Nous avons été très nombreux à le lire et à succomber et chacun se demandait, "Et moi, qu'est-ce que j'aurais fait?" et tous voulaient savoir comment tout cela allait se terminer et après quelles mésaventures et choix cornéliens. Un film en avait été tiré avec Vigo Mortensen dans le rôle du père. D’après les photos, il me semble convenir pour ce rôle, mais je n'ai pas voulu le voir parce que je ne voulais pas qu'on touche à l'expérience que j'avais eue avec le roman. Pour la même raison, je ne me suis pas précipitée pour lire l'adaptation que Manu Larcenet en avait fait en bande dessinée, mais à force de la voir mise en avant à la bibli, il a bien fallu que je cède, et finalement, je l'ai lue.
J'estime que Manu Larcenet a réussi ce challenge extrêmement difficile. Il a produit une vraie œuvre graphique. Il a su rendre par le dessin, les personnages, le décor, l'ambiance, et quinze ans après cette lecture si marquante qu'elle me semble ne remonter qu'à bien moins, j'ai retrouvé la majeure partie de ce qui fait "La route". Le dessin est parfait, tant pour les personnages que pour tous les choix de décors. Quant à l’œuvre elle-même, je ne l'ai jamais jugée trahie. Rien que cela, c'est une grande réussite. Et cette bande dessinée mettra l’œuvre de McCarthy à la portée de certains qui ne liraient pas le roman.
978-2205208153
Shadow Life
Scenario : Hiromi Goto
Dessin : Ann Xu
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Présentation de l'éditeur:
"Kumiko est placée à Pâturages Verts, une maison de retraite prisée. Ses filles étaient certes bien intentionnées en choisissant cet endroit pour elle, mais la veuve de soixante-seize ans s’enfuit au bout de quelques jours. Rebelle et indépendante, elle refuse qu’on lui dicte sa condition et emménage seule dans un appartement, gardant le lieu secret. Kumiko se délecte des petits plaisirs quotidiens : décorer à sa guise, manger ce qu'elle veut et aller nager à la piscine. Sauf que quelque chose l'a suivie dans ses bagages : l'ombre de la mort… "
Noir, blanc et quelques nuances de gris (seule la couverture est colorée) pour ce roman graphique de 368 pages extrêmement émouvant, grave, mais pas triste à mon avis. Un graphisme simple et tout à fait adapté. Cela commence quand Kumiko quitte discrètement et nuitamment la maison de retraite où ses filles l'ont installée pour être rassurées à son sujet. Elle avait accepté d'y aller, mais maintenant, elle se rend compte qu'elle ne veut pas de cette vie où les autres décident tout pour elle jusqu’à l’heure de ses repas, même si c’est avec un soin permanent de sa sécurité. Alors elle part et, pour couper court à toute discussion, elle se loue un petit appartement dont elle ne révèle l'adresse à personne. Elle a le sentiment réconfortant de reprendre en main les rênes de sa vie (ce qui est l'exacte réalité d'ailleurs). Kumiko a trois filles. La cadette, immature et exigeante, ne cesse de la harceler par téléphone pour être rassurée. Elle n'accepte pas ce que la vieille dame a fait, elle exige d'être rassurée (au moins, quand elle était dans la maison de retraite, elle n'avait plus à s'inquiéter). Kumiko essaie de lui expliquer que ce n'est pas ainsi que les choses se font et lui demande de respecter ses choix comme elle même a respecté les siens quand elle était jeune. Bien sûr, c'est peine perdue, mais Kumiko ne cède pas et poursuit sa nouvelle vie. Sont nouvel appartement lui plaît. Elle occupe ses journées en allant à la piscine et à la bibliothèque.
Voilà, je vous en ai assez dit sur l'histoire, vous découvrirez la suite si vous le voulez. Ce que j'ai le plus admiré, c'est la justesse du récit. Comment l'auteure a-t-elle pu savoir avec autant d'exactitude ce qui se passe dans la tête d'une vieille dame? Les jeunes n'en ont généralement aucune idée. Un coup d’œil à Wikipédia m'a appris qu'elle était née fin 1966. Elle a donc vingt ans de moins que son personnage et cependant, tout est juste dans ce qu'elle montre. Juste et délicat. J'ai beaucoup apprécié ce roman graphique qui éclaire une problématique que nous connaissons ou connaîtrons tous, pour nous même ou des proches. Elle rappelle aux jeunes que ce n'est pas parce que les plus anciens se mettent à avoir besoin d'aide qu'ils perdent pour autant leur droit à l'égalité et à la liberté. Elle rappelle aux vieux qu'il arrive un moment où on ne peut plus se débrouiller complètement tout seul.
C'est ainsi.
Bonne lecture!
9791033513414
Le Voyage d'Hanumân
de Andreï Ivanov
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C'est l’histoire de deux types qui débarquent au Danemark et découvrent l'Occident à la fin des années 90. L'un, Hanumân, est originaire d'Inde, l'autre, Johan, le narrateur, d'Estonie. Ils sont amis, ils sont en situation irrégulière et n’ayant nulle part où aller, ils se retrouvent dans un camp de la croix rouge. Ce n’est n'est pas un camp fermé. Ils peuvent en sortir comme ils veulent d’autant que, même là, ils sont clandestinement. Ils peuvent aller où ils veulent et revenir, et c'est ce qu'ils font. Mais tant qu'ils ne sont pas contrôlés du moins. C’est pourquoi leurs expéditions sur les routes sont des parties de cache-cache. La peur de la police qui les reconduira à la frontière est leur principal moteur. Même au camp ils sont en situation irrégulière, car ceux qui y séjournent sont censés attendre que leur demande d’asile soit examinée, eux ont déjà été refusés plusieurs fois et n’ont même plus le droit de se trouver là. Partageant discrètement la chambre d’un camarade dans le baraquement, ils dorment la fenêtre ouverte hiver comme été, prêts à foncer dans les champs voisins s’il y avait un contrôle nocturne.
Ils sont jeunes, et quoique de nationalité différente, ils ont tous deux reçu une éducation d’inspiration soviétique. Ils ne savent rien du monde occidental en dehors des aides et subsides qu’ils peuvent en espérer. Ivanov ne brosse pas d’eux un portrait flatteur. Il les montre prêts à tout, profiteurs, immoraux, aisément agressifs, consommateurs d’alcool et de drogues, potentiellement dangereux, potentiellement utilisables aussi par la société si elle se décide à leur trouver une place, tout va se jouer là. Pour l'instant, ils sont venus pour prendre, pas pour donner. mais ça peut changer. Hanumân avait des attentes. Il se rêvait dans l’île de Lolland qu’il imagine comme un paradis sur terre. Il s’imagine ayant fait fortune grâce à une de ses idées originales. « Son rêve était le suivant : que ceux qui lui crachaient dessus en face ou dans son dos, voient un jour le monde s’illuminer tout entier de son sourire radieux, placardé dans tous les autobus, les tramways, les gratte-ciel, adressé à tous depuis tous les écrans : « Hello, c’est moi, Hanumâncho ! » Mais il n’arrivait pas à trouver quoi que ce soit, dans ce nid de vi^ère, qui puisse le rapprocher de la réalisation de ce reve. » (...) « il glissait sur le monde pratiquement sans laisser de trace, car il n’arrivait pas à avoir prise sur une vie qui se dérobait, échappait à ses mains comme une soie incroyablement fine. Cela le mettait au désespoir, il souffrait et détestait encore plus le monde entier. »
Plus encore que du Danemark et de Lolland, il rêve des USA. Johan, le narrateur estonien qui se fait passer pour russe, n'a aucune attente précise si ce n'est de ne surtout jamais retourner à l'Est et de ne jamais être identifié. Personne ne sait son vrai nom. Il se cache si soigneusement qu’on peut même se demander s'il n'est pas un droit commun recherché pour un crime. Il s’est lié avec Hanumân d’une sorte d’amitié rude qui durera ce qu’elle durera et, n’ayant aucune préférence de destination, il le laisse décider de leurs déplacements.
Johan, qui raconte leurs pérégrinations, montre le décor sordide et leur entourage misérable et aussi impitoyable. Andreï Ivanov qui a séjourné dans les camps de réfugiés, a fait une moisson méticuleuse de ce qu’il y a vu et vécu et c’est ce fonds qu’il utilise dans son roman. On est loin d’une vision détachée et angélique des choses. Il y a des histoires atroces, et pas de « gentil » (même lui). On est en plein dans la misère matérielle et mentale la plus cruelle. Comment survivre quand on n’a ni connaissances (même pas celle de la langue), ni relations, ni droits, ni un seul sou de revenu. Tous deux connaissent des crises de dépression profonde et même des attaques de paranoïa, mais en même temps, il y a des éclairs d’un humour amer, mais drôle quand même : « Chaque fois que du Directoire arrivaient des papiers importants destinés au Chinois, Népalino l’accompagnait au bureau du camp. Là, buvant d’un air important le café que lui apportait le staff, placé tout à coup au centre, devenu pour quelques dizaines de minutes qu’elqu’un d’indispensable, Népalino lisait les documents rédigés en danois et, avec sur le visage une gravité sans pareille, il les expliquait au Chinois. Et même si personne ne pouvait savoir si Népalino avait du chinois une connaissance bonne ou mauvaise, tout le monde savait parfaitement qu’il ne connaissait pas un mot de danois. »
Le récit n’est pas toujours chronologique, comme ils passent leur temps à tenter d’atteindre des contrées plus propices et à revenir au camp par nécessité pour recommencer à nouveau plus tard, le récit prend le même chemin d’éternel recommencement où les choses se répètent sans progresser. C’est ce qu’Andreï Ivanov appelle son écriture mimetique. Elle reflète avec une belle maîtrise, l’ambiance de ce qui est raconté.
Dans une interview, l’auteur explique qu’il s’agit d’une trilogie et que cette trilogie est composée d’un roman picaresque, d’un roman d'apprentissage et d’une confession. «Le Voyage d'Hanumân» est donc le roman picaresque. Il faut reconnaître qu’il coche bien toutes les cases et c’est dans cette esprit qu’il faut le lire. Hanumân est le personnage picaresque par excellence. Mais quelle trilogie? Nous n'avons que le voyage d'Hanumân. J’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé que d’autres romans aient été édités, ni en français, ni en anglais. Quel dommage !
Les Editions du Tripode, qui ont édité ce tome en 2016 n’ont jamais publié la suite et semblent même l’avoir oublié au point de ne plus savoir eux-mêmes ce qu’elles ont édité, cf leur propre page où ils le présentent comme un roman graphique !!! 8 ans, ce n’est pas si long quand même pour oublier un de leurs bons écrivains.
J’aurais tant voulu lire la suite! Le style est magnifique, Ivanov est un auteur d’une qualité littéraire incontestable. Dans une interview, il n'hésite pas à se prévaloir de Joyce, Céline, Miller, Nabokov... et il a raison. De plus, il parle sur les immigrés illégaux dont il a fait partie, un discours cru, vrai, et dénué de tout angélisme comme de tout reproche. Cela n’a peut-être pas plu… Encore un grand écrivain que nous ne lirons pas. Alors, que s’est-il passé ?
978-2370550996