Quelque chose à cacher
La victime en faisait aussi partie, de ce monde-là, mais tirant un peu à la marge par sa liberté d'allure et de vie. Adolescente elle avait couché avec beaucoup, mais c'était elle qui décidait, qui prenait et qui quittait. Les garçons n’avaient d'yeux que pour elle, à cause de sa liberté, justement, pas un n'aurait refusé. Elle était finalement partie, Paris, beau mariage, mais là, elle était revenue; peut-être pour mettre en vente la maison familiale au beau parc qui part à l'abandon n'étant plus habitée...
C'est dans cette maison qu'on a retrouvé son corps, les voisins s'étant alarmés des lumières restant allumées en plein jour et de la porte restée ouverte, battant au vent. Un coup de fusil, l'arme de la maison, accrochée au mur (chargée!) et donc sans doute pas de préméditation. Un rôdeur ? Un amant... La piste du voleur est vite abandonnée. On arrête un amant. Il nie mais se pend. Il survit mais le cerveau a manqué d’oxygène... On ne saura peut-être jamais. C'est que parmi les garçons dont elle avait tourné la tête en son jeune âge, il semble qu'il y en ait qui l'aient gardée comme un fantasme de ce que leur vie aurait pu avoir de plus réussi, de plus flamboyant. Le regard des hommes sur les femmes, qui donnerait à ces dernières, des obligations... Encore un féminicide.
Le récit de tout cela nous est fait par un autre notable, car fils de l'ancien médecin. Mais, artiste, il a tenté de se faire un nom dans la peinture, et même, il peint encore, dans une grange aménagée en atelier. Mais pour faire bouillir la marmite, il compte tout de même davantage sur son poste assez modeste de guide-conférencier et gardien du musée de la ville. Lui aussi, nous confie-t-il, avait en son temps, eu et perdu les faveurs de la jeune-fille. Et, adepte de la marche, même sous cette pluie qui ne cessera pas de tout le livre, il avait beaucoup tourné autour de la-dite maison, hésitant à aller la revoir.
C'est ce qu'il dit du moins, car le lecteur suspicieux se demande dès le départ si ce narrateur si bien informé n'aurait pas des allures de témoin, voire de suspect, voire d'assassin.
Et le lecteur n'est peut-être pas le seul, car son ami le commissaire Massonneau, mine de rien, lui pose beaucoup de questions et semble tourner autour de lui comme un gros chat autour d'une souris. Il en est conscient. "Massonneau était un brave type, mais c'était difficile de savoir ce qu'il avait exactement dans la tête."
Mais il semblerait bien qu'en fait, ce soit deux gros matous que nous ayons là, quant à la souris, ça fait longtemps qu'elle est mangée.
Un roman tout en atmosphère. On est loin du thriller. La province ouatée, les rumeurs, les non-dits. Ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, ce qu'on sait et ce dont on parle. Et cette pluie, cette pénombre d'hiver qu'aucun néon ne vient éclater. Beaucoup d'images très poétiques. Les rues vides, le parc ensauvagé, le cimetière, les chrysanthèmes... Beaucoup de points de suspensions dans mon commentaire, vous l'aurez compris, c'est qu'ils correspondent exactement à l'ambiance créée, tout ce qui se sait, se devine, mais qui n'est pas dit, ce que l'on met en branle et qui se fait tout seul, après.
C'était mon deuxième Dominique Barbéris et il y aura très certainement un troisième, car moi, j'aime ce genre de livres aussi, profonds et subtils.