27 décembre 2025


L'homme qui lisait des livres

de Rachid Benzine

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978-2260056867


Comment peut-on dire et faire comprendre autant en si peu de pages?

En une belle langue poétique, Rachid Benzine nous raconte l’histoire du libraire de Gaza et, à travers lui, celle des Palestiniens. Pour le libraire, nous nous le représentons d’autant plus aisément qu’il évoque irrésistiblement cette photo célèbre du libraire de Rabat (je ne me risque pas à vous la montrer ici, il doit y avoir des droits d’auteurs, mais vous la trouverez sans peine). Ce n’est pas de lui qu’il s’agit mais l’image est là. Pour le narrateur, c’est un photographe français, venu faire des photos du conflit. Les journalistes étant devenus charognards, il sait qu’il vendra mieux des photos violentes ou poignantes, mais au détour d’une rue il tombe sur le spectacle d’un vieux libraire qui lit assis sur une chaise, à l’entrée de sa boutique qui déborde de livres, et cette vue le subjugue, touche une part de lui qui n’est pas dans le spectaculaire-marchand. Une oasis au cœur de la guerre. Il veut prendre une photo mais le vieil homme refuse, disant qu’on ne peut prendre une photo de quelqu’un dont on ne sait rien, dont on ne connaît pas l’histoire, ce qui est faux, bien sûr, mais sans doute a-t-il besoin de parler, de raconter une fois encore son histoire, de réveiller ses souvenirs. Le libraire lui offre une tasse de thé s’il veut bien prendre le temps de l’écouter. Séduit, le photographe accepte, il lui faudra plusieurs visites et de nombreuses tasses de thé pour arriver au moment où la photo sera prise.

C’est l’histoire désespérée d’un homme qui est allé de perte en perte depuis sa naissance au village, son enfance passée dans des camps de plus en plus dangereux, et voyant au fil des années, tous ses proches mourir de mort violente. C’est un récit sans une once de haine, sans jugement non plus.

« Une soixantaine d’habitants a ainsi été massacrée. Surtout des hommes, mais aussi quelques femmes et enfants. Pour venger des Juifs tués par des Arabes à la raffinerie de pétrole, parait-il. Des Arabes qui eux-mêmes avaient été victimes de Juifs de l’Irgoun. Cette terre est une litanie de représailles sur représailles, de haines empilées, de tristesse recouverte de tristesse. »

Bien sûr, venant d’un libraire fou de livres, qui donne autant qu’il vend, qui a, à vrai dire, dans cette zone dévastée, dépassé le stade du commerce et semble se nourrir de thé, le récit est littéraire. De nombreux écrivains sont évoqués, Mohamed Dib, Mourid al Barghouti, Frantz Fanon et d’autres. Et surtout, il parle si bien de la lecture ! C’est un enchantement au milieu des ruines et du deuil. Lui aussi croit depuis son enfance que les livres nous sauveront de tout, à commencer par l’ignorance.

« Je voulais tout lire. Toujours plus. Comme si j’étais pris d’une fièvre. Des histoires, des essais, des textes religieux, des revues. Même les vieux journaux abandonnés. Je voulais comprendre, m’évader, grandir, respirer, m’envoler. Et en même temps être utile aux autres.»

Et il est là, maintenant, pour un temps encore, témoignant de tout et, envers et contre toutes les horreurs, n’ayant jamais lâché ses livres qui sont sa foi, sa seule vie, et son âme.

« Mais moi, je les attends. Je les attends tous, mes lecteurs. Imaginaires ou réels, qu’importe. Je ne suis pas seul. Les mots des livres déchirent tous les silences. »

Un texte beau et utile.

« Les mots des livres déchirent tous les silences. »

  128p

25 décembre 2025

Le banquier anarchiste

de Fernando Pessoa


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978-2267048667

Ce très court roman de Fernando Pessoa se présente comme une discussion de fin de repas entre un banquier très prospère et un de ses amis. En fait de dialogue, le banquier parle longuement et l’ami, dans le rôle d’interviewer, ne fait qu’écouter et relancer la conversation quand besoin est. Le banquier explique qu’il a toujours été un anarchiste convaincu. Dès sa prime jeunesse, il a refusé de suivre les sentiers battus des règles communes et a tenu à soumettre toute loi et toute organisation à son propre jugement. Pour ce faire, il a rejoint des groupes et lu et étudié les auteurs anarchistes. C’est le cheminement de sa philosophie de la vie depuis sa jeunesse jusqu’à son présent de banquier prospère qu’il explique à son interlocuteur pour lui démontrer que tel qu’il est actuellement, il est encore plus anarchiste que dans sa jeunesse d’activiste et que même, il a atteint le summum en la matière.

Nous voyons à cette occasion que Fernando Pessoa connaît parfaitement les théories et penseurs anarchistes et qu’il sait de quoi il parle. Son raisonnement, spécieux par nature, a toutes les apparences de la plus parfaite logique et de la plus parfaite justesse. C’est un sophisme. Il interpelle, amuse, séduit… ou pas. En tout cas, il capte l’intérêt car on est curieux de savoir comment le plus parfait anarchiste pourrait se trouver être un banquier prospère… et il nous le dit. Il n’élude pas, ne biaise pas et n’a pas recours à la si commune langue de bois. C’est tout à fait bien fait. L’ironie court bien sûr tout au long du dialogue, mais on est forcé d’admettre sa cohérence interne. C’est intéressant. Mais on le sait, les banquiers gouvernent le monde et ont toujours su nous montrer les choses sous l’angle qui leur convenait. Fernando Pessoa, connu pour n’être jamais satisfait de ses œuvres, valida pourtant celle-là. Ce dialogue lui plaisait. Il m’a plu aussi. Je ne peux pas être plus royaliste que le roi. Oups ! Plus anarchiste que le banquier. Malgré des errements terriblement misogynes que je mettrai sur le compte de l'époque et d'un célibat pénible.


"Ecoute... Détruis tous les capitalistes du monde, mais sans détruire le capital. Vingt-quatre heures après, le capital, déjà passé dans d'autres mains, perpétuera sa tyrannie à travers celles-ci. Détruis au contraire, non plus les capitalistes, mais le capital, est-ce qu'il restera des capitalistes ? … Tu vois?"

 128p

23 décembre 2025

Nouvelles orientales

de Marguerite Yourcenar

*****

978-2070299737


Ce recueil de nouvelles a été publié en 1938 mais souffre peu du vieillissement. Cela est dû à la forme proche du conte qui leur est donnée et aux thèmes éternels qui sont abordés. : le but de la vie, les relations amicales, amoureuses ou de pouvoir entre les hommes, l’art, la mort. Nous évoluons dans des mondes aux possibilités magiques où toute transformation st possible, bel accès à la poésie.

Le prétexte central d’une croisière d'Européens nantis sur la Méditerranée les unit de façon lâche. Sur le pont ou en escale, ces coreligionnaires d’occasion aiment se distraire les uns les autres en se racontant des histoires qu’ils ont eux-mêmes glanées au fil de leurs voyages. L’inspiration en est "orientale", mais au sens large d’un Orient qui va des Balkans aux confins de la Chine. Nous découvrirons ainsi dix courts récits. Mon préféré, s’il fallait en choisir un serait sans doute le premier "Comment Wang-Fô fut sauvé". Ce n’est sans doute pas par hasard qu’il est le premier à se présenter à nous, le lecteur harponné ne peut que se laisser ensuite emporter jusqu’à la fin du livre, dégustant l’une après l’autre ces dix friandises au style merveilleux, toujours étonné et toujours curieux de découvrir la surprise de la suivante. Mais n’allez pas imaginer un monde de contes de fées, bien au contraire ! Aucune de ces nouvelles n’est dénuée de violence et même, le plus souvent, de cruauté. On frémit souvent de l’extrême brutalité des événements. De même, le personnage principal survit rarement au point final. C’est dur, cruel, impitoyable, violent. Avec "Le sourire de Marko" par exemple, on atteint à une histoire atroce, ridicule et magnifique à la fois. C’est trop tout.

La morale cachée dans ces récits n’est pas une morale convenue et "sociale", c’est une réflexion individuelle, un pas dans la voie de la sagesse.

Mais ce qui frappe surtout, c’est la beauté de l’écriture de Marguerite Yourcenar et sa dimension poétique. Presque chaque phrase est une image,

"Je me représentais le monde, le pays de Han au milieu, pareil à la plaine monotone et creuse de l main que sillonnent les lignes fatales des cinq fleuves."

un dépassement de la simple réalité. Elle nous dit tant de choses à la fois ! Quelques mots lui suffisent.

"Ses mains ligotées souffraient, et Ling désespéré regardait son maître en souriant, ce qui était pour lui une façon plus tendre de pleurer."

J’ai déjà lu et aimé la plupart des romans de Marguerite Yourcenar, mais cela commence à dater un peu. Je m’aperçois qu’il est temps pour moi de la relire. Je vous parlerai à nouveau d’elle en 2026.

  168p

21 décembre 2025

Combats et métamorphoses d'une femme

d’Édouard Louis

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978-2757894729


Quatrième de couverture de l’auteur lui-même :

« Pendant une grande partie de sa vie ma mère a vécu dans la pauvreté et la nécessité, à l’écart de tout, écrasée et parfois même humiliée par la violence masculine. Son existence semblait délimitée pour toujours par cette double domination, la domination de classe et celle liée à sa condition de femme. Pourtant, un jour, à quarante-cinq ans, elle s’est révoltée contre cette vie, elle a fui et petit à petit elle a constitué sa liberté. Ce livre est l’histoire de cette métamorphose. »

Si je vous disais que je n’avais encore jamais lu Edouard Louis ? Je me disais que je le lirais sans doute un jour, mais qu’il n’y avait pas urgence. Je ne me précipite pas sur les auto-récits car en général, je les apprécie peu. Si bien que je n’ai même pas lu « En finir avec Eddy Bellegueule » malgré tout le battage dont il a bénéficié. Mais j’ai suffisamment entendu parler du personnage pour ne pas être totalement perdue dans ce récit sur sa mère. A vrai dire, je ne m’attendais pas à être emballée… mais je l’ai été.

L’histoire de cette métamorphose donc, Edouard Louis choisit de la raconter sous forme de brèves scènes qu’il pioche dans son souvenir, dans une chronologie pas très stricte. Il raconte le souvenir de manière vivante et immédiate, très agréable à lire pour le lecteur, puis lui ajoute son interprétation de l’époque (il était enfant) et/ou son interprétation actuelle. Il voit tout sous les prismes multiples, personnels, sociaux en terme de riches/pauvreté, et de domination de genre. On voit que dans ces deux domaines, il est, de fait, « hors gabarit » : issu d’un milieu très pauvre, il accède à l’aisance, et il n’a jamais convenu aux classements hommes/femmes. Ce qui m’a séduite dans ce livre, c’est justement cet automatisme à chaque souvenir, de reculer d’un pas et de comprendre ce qui se joue vraiment derrière l’anecdotique et avec quelles règles. Il aborde ainsi d’assez nombreux problèmes. Il ne cherche jamais à se donner le beau rôle, ni à sa mère d’ailleurs : il se contente de livrer son souvenir puis de l’analyser. Il ne prétend évidemment jamais à l’exhaustivité. Il dit. à hauteur de gamin, puis de jeune, puis d’adulte et toujours, il essaie de comprendre au-delà des relations individuelles immédiates. On ne peut pas le lire sans penser à Didier Eribon. A croire que les histoires individuelles n’existent pas. Nous sommes le fruit du déterminisme social. Quoi qu’il nous soit arrivé, c’est arrivé aussi à d’autres que nous.

Cependant, l’effet obtenu reste optimiste parce qu’en même temps que l’auteur montre le conditionnement qui appuie sur la tête des défavorisés, il montre qu’on peut s’en sortir; et aussi parce que globalement sa personnalité est positive.

A la suite de ce premier essai, j’ai décidé de lire les autres livres d’Édouard Louis, dans l’ordre:

En finir avec Eddy Bellegueule

Histoire de la violence

Qui a tué mon père

Combats et métamorphoses d'une femme

Changer : méthode

Monique s'évade

L'effondrement

(et ce qui tombe drôlement bien, c’est que plusieurs, à commencer par celui-ci, sont des Gravillons.)  

 128 pages   



20 décembre 2025

*

 PAGE RECAPITULATIVE 

LES GRAVILLONS DE L'HIVER

 2025  -  2026

Livres jusqu'à 200 pages

Actuellement :

13  participants 

pour  27  titres

*
Je vais relever ici chaque soir, les liens que vous aurez mis ci-dessous en commentaire et qui sont conformes aux règles du challenge.

Les participants seront classés par ordre alphabétique 
jusqu' au 19 mars.
 Le 20, il y aura aussi un récapitulatif selon les scores avec DISTRIBUTION DES PRIX ! 👍👏
*
Amusez-vous bien ! 

 😄😁

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ANNA KRONIK
1 "L'examen" de Richard Matheson  
2 "A voté" d'Isaac Asimov 

ATHALIE
1 "On était des loups" de Sandrine Collette 
3 "34 m2" de Louise Mey

CARO
1 "Abel" d'Alexandro Baricco 
2 "Mes femmes" de Y. Iliukha 

CATH  L.
1 "Traverser les forêts" de Caroline Hinaul

ELETTRES
1 "La fille de son père" d'Anne Berest   

EVA
1 "Mortel Noël" de Denis Michelis

INGANNMIC
1 "Les sources" de Marie-Hélène Lafon  
2 "Voile vers Byzance" de Robert Silverberg

LA BELETTE2911
1 "Un nouveau voisin pour Noël" de Séverine Balavoine    
2 "Le Mystère du Dîner de Noël Empoisonné" de José Maria Alarte Duart

MANIKA
1 "Le prince de la brume" de Carlos Ruiz Zafon 

MAPERO 
1 "Les Billes du Pachinko" d'Elisa Shua Dusapin   
2 "Les vies de Chevrolet" de Michel Layaz
3 "La Bible" de  Péter Nàdas  
4 "L’acajou" de Boris Pilniak

PHILIPPE D.
1 "L'enfant derrière la porte" de David Bisson  
2 "Je me suis tue" de Mathieu Menegaux

PHILISINE CAVE
1 "Badjens" de Delphine Minoui

SIBYLLINE
1 "Combats et métamorphoses d'une femme"  d'Edouard Louis  
2 "Nouvelles orientales" de Marguerite Yourcenar
3 "Le banquier anarchiste" de Fernando Pessoa
4 "L'homme qui lisait des livres" de Rachid Benzine  




19 décembre 2025

 LES CHALLENGES LITTERAIRES 

EN COURS

2026

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Pour annoncer les Lectures Communes, c'est toujours là:  Clic!

Janvier 

 - La petite liste propose du 21/12/25 au 20/03/26 Les Gravillons de l’hiver. (livres jusqu'à 200 pages)

- A partir du 21/12/25 et jusqu’au 20/03/26, challenge Un hiver polar chez Je lis, je blogue (Romans policiers, noirs, thrillers)

‭Challenge « American Year 3 » 🇺🇸 – Chez The Cannibal Lecteur – Du 16 Novembre 2025 Au 15 Novembre 2026 🇺🇸 (livres en rapport avec les USA)


*

Février 

 - La petite liste propose du 21/12/25 au 20/03/26 Les Gravillons de l’hiver. (livres jusqu'à 200 pages)

- A partir du 21/12/25 et jusqu’au 20/03/26, challenge Un hiver polar chez Je lis, je blogue  (Romans policiers, noirs, thrillers)

‭Challenge « American Year 3 » 🇺🇸 – Chez The Cannibal Lecteur – Du 16 Novembre 2025 Au 15 Novembre 2026 🇺🇸  (livres en rapport avec les USA)


*

Mars

 Jusqu'au 20/3 - La petite liste propose du 21/12/25 au 20/03/26 Les Gravillons de l’hiver. (livres jusqu'à 200 pages)

Jusqu'au 20/3 - A partir du 21/12/25 et jusqu’au 20/03/26, challenge Un hiver polar chez Je lis, je blogue  (Romans policiers, noirs, thrillers)

‭Challenge « American Year 3 » 🇺🇸 – Chez The Cannibal Lecteur – Du 16 Novembre 2025 Au 15 Novembre 2026 🇺🇸  (livres en rapport avec les USA)


18 décembre 2025

Pino L'I.A. Émotionnelle

de Takashi Murakami

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978-2811674809

"Pino" est un manga et ordinairement je ne lis pas de manga. Je n’en lis pas en premier lieu parce que je n’apprécie pas la façon dont les mangakas dessinent. Cette fois, cependant, je me suis laissé tenter par le billet de Fanja car le thème m’intéressait beaucoup : Les IA peuvent-elles avoir des sentiments ? Vaste sujet. 

En ce qui concerne le graphisme, je n’ai d’ailleurs pas trop à me plaindre. Il est bien un peu figé sur les personnages (surtout ce pauvre M. Iwata) mais, quand on voit les décors, ceux-ci compensent. C’est également la première fois que je lis plus de 300 pages imprimées de droite à gauche, tant pour les pages que pour les lignes et on ne peut pas dire que j’aie apprécié. Quand on interroge sur ce point les fans européens de mangas, ils vous répondent doctement que c’est parce que les textes asiatiques se lisent dans ce sens mais c’est une blague. Pourquoi dans ce cas, imprimer les romans asiatiques ou arabes dans le sens européen de lecture ? Fanja m'explique que pour ce faire, il faudrait inverser les dessins, ce qui est gênant d'un point de vue artistique. 

Voici l’histoire : Dans une époque future, les laboratoires pharmaceutiques pratiquent encore l’expérimentation animale. Ils n’en ont pas vraiment besoin et cela ne leur apporte quasiment aucun avantage, mais "quasiment aucun" n’est pas zéro, et comme ils n’ont pas d’éthique, ils pratiquent. Pour résoudre un peu tous les problèmes qui pourraient se poser, ils les font gérer par un petit robot androïde qui, scellé dans un laboratoire isolé, reste dans sa bulle. Il est conçu pour faire naître, soigner et pratiquer des expériences sur les animaux. Choses qu’il fait parfaitement. Ces androïdes sont appelés PINO. On leur a donné une apparence proche de celle d’un enfant pour des raisons techniques et psychologiques. Un jour, la loi change et toute expérimentation animale est interdite, aussi le groupe pharmaceutique décide-t-il de détruire totalement son laboratoire. PINO est chargé de le faire.

...


Des années plus tard, des PINO sont encore utilisés. C’est la génération 3. Ils sont tout particulièrement dédiés à des tâches de soins aux humains, aux animaux ou aux plantes, mais d’autres peuvent par exemple faire du déminage ou de l’enseignement. Ils sont très efficaces. Nous allons suivre l’un de ces nouveaux PINO qui tient auprès d’une vieille dame sénile, le rôle du petit garçon qu’elle a perdu des décennies plus tôt et qu’elle croit voir en lui. Il est en fait son soignant et son auxiliaire de vie. Nous sommes dans un quartier particulièrement pauvre d’un monde très abîmé. Par ailleurs, nous faisons la connaissance de M. Iwata qui avait fait une enquête sur la destruction du labo pharmaceutique et était parvenu à la conclusion que les problèmes avaient été dus au fait que ce PINO 1ère génération avait éprouvé une émotion. Cette expertise réputée invraisemblable, lui avait immédiatement valu de perdre son emploi. Maintenant chômeur, il poursuit cependant ses recherches pour confirmer ou infirmer que les PINO peuvent éprouver des sentiments. C’est ce que ce manga nous raconte.


Comment tout cela finira-t-il ? Et surtout, quelle est exactement notre position vis-à-vis des I.A, émotionnelles ou non ? Que peuvent-ils pu ne peuvent-ils pas faire, être, apporter ? Sont-ils un plus ou un moins pour nous ? Nous, qui sommes à coup sûrs des êtres émotionnels, nous y attachons nous comme à un moulin à café ou comme à un être ? Vous savez, nous, les humains qui avons toujours donné des petits noms à nos voitures ?

Une phrase est à la mode en ce moment. Elle est du poète Pierre Reverdy : "Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour", mais alors, si un robot donnait des preuves d’amour, qu’en serait-il ?

Et d'abord, que sont exactement les sentiments ?

17 décembre 2025

15 décembre 2025

 Rubrique-à-brac (5 volumes)

de Marcel Gotlib

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978-2205055726

Je fais partie des anciens enfants élevés avec un abonnement à Pilote ("Le journal qui s'amuse à réfléchir") J’étais fan absolue d’Achille Talon (mais de lui, je vous parlerai une autre fois), de "Cellulite" de Brétécher et des Dingodossiers, dessins Gotlib et textes Goscinny. Les Dingodossiers prétendaient étudier un sujet de façon scientifique en deux pages de ces petites cases pleines de phylactères que nous apprécions tant. L’humour (potache mais irrésistible) provenait, d’une part, du décalage entre le ton objectif et sérieux et la naïveté de l’observation, et, d’autre part, du décalage entre le texte et le dessin.

J’adorais ! Et je n’étais pas la seule, ça marchait bien, mais parallèlement, René Goscinny, avait lancé les aventures d’Astérix et le succès était encore plus énorme et fulgurant, si bien qu’il ne pouvait plus mener les deux opérations de front. A partir de 1968, Gotlib poursuit donc seul la grande tâche éducative et les Dingodossiers laissent la place aux Rubriques à Brac. Le principe reste le même ainsi que les personnages récurrents, et vogue la galère ! Repartie pour de nouvelles aventures hautement pédagogiques.


Mais parlons-en, des personnages récurrents. Chacun avait ses préférés, pour moi, Isaac Newton, qui ne quittait guère le pied de son pommier et sur la tête duquel tombaient les choses les plus incongrues, permettant chaque fois une découverte scientifique de première grandeur. Un autre personnage cher à mon cœur, le Processeur Burp, non pas pour son charme personnel discutable, mais parce qu'il était chargé des pages "sciences naturelles" qui me ravissaient littéralement . Des décennies plus tard, je me réfère encore à l’occasion à "la dure loi de la nature" dont les ravages navrants m’avaient beaucoup fait rire alors. (et encore maintenant, soyons honnête)

Il y avait aussi l'Enfant sauvage, Super-Dupont, l'Ecolier, Tarzan et le duo policier clairement inspiré de Maigret ou des Cinq dernières minutes, Bougret et Charolles et là, je remercie Wikipedia qui m’a appris depuis qu’ils étaient les caricatures respectives de Gébé et Gotlib. Les deux flics menaient des enquêtes totalement surréalistes mais dans lesquels on retrouvait "chaque fois deux suspects : Aristidès Othon Frédéric Wilfrid, caricature de Fred, et Blondeaux Georges Jacques Babylas, caricature de Goscinny, ce dernier se trouvant toujours être le coupable".


Dans le coin des cases, il y avait une petite coccinelle. Simple décoration amusante au départ, elle a beaucoup plu aux lecteurs (et sans doute aussi à l’auteur) si bien que son rôle est allé grandissant, elle portait sur les scènes qu’on nous montrait un regard critique et désabusé qu’elle a même fini par exprimer quand elle a été dotée de la parole.

La Rubrique-à-brac a survécu à Pilote et même aux autres mensuels de bande dessinée qui lui ont succédé. Certaines histoires prenaient trois ou quatre pages et il y a eu des planches en couleur. Elle a été éditée en albums, et il y en a eu cinq, pour les amateurs.

Maintenant, la Rubrique-à-brac est-elle accessible aux jeunes d’aujourd’hui ? Je le voudrais bien, mais je n’en sais rien. Je n’en suis pas sûre. C’est une forme d’humour qui échappe peut-être à leurs radars, il faudrait tester. Vous me direz...


10 décembre 2025

L'heure des prédateurs

de Giuliano da Empoli

*****


978-2073113207

Ma lecture de ce livre est partie sur un malentendu. Quand je l’ai pris, c’était parce que je m’attendais à un roman, dans le style du "Mage du Kremlin" que j’avais bien aimé et qui avait été un franc succès commercial. J’ai tout de suite compris le malentendu mais au bout du compte, je ne regrette pas ma lecture qui a été très instructive.

J'ai été accueillie par un court prologue où l'auteur fait un parallèle entre lui-même et un scribe aztèque rendant compte de ce qui s'est passé à partir du moment où les autochtones ont rencontré les Espagnols. De là à comprendre qu'il nous voit dans le rôle de la civilisation finissante, il n'y a qu'un pas… qui est immédiatement franchi et l’auteur, politicien toujours dans les coulisses de tel ou tel évènement important, nous en livre des scènes parlantes.

« Comme dans le cas de Moctezuma, leur docilité n’a pas suffi à assurer la survie de nos gouvernants : après avoir fait mine de respecter leur autorité, les conquistadors ont progressivement imposé leur empire. Aujourd’hui, l’heure des prédateurs a sonné et partout les choses évoluent d’une telle façon que tout ce qui doit être réglé le sera par le feu et par l’épée. »

Introduit partout, Giuliano da Empoli est extrêmement bien placé et il n’ignore rien de ce qui se passe d’un peu important. Mieux, il est dans les coulisses et voit comment cela se passe. Il nous livre ensuite une série de courts textes datés et situés qui nous en disent beaucoup sur l’état réel des choses en dehors des discours convenus et déclarations officielles. C’est tout à fait éclairant. Je m’en doutais mais ne suis pas particulièrement satisfaite de me le voir confirmer.

« Le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants. » … « Donald Trump, puisqu’on parle de lui est une forme de vie extraordinairement adaptée au temps présent. L’un de ses traits, dont ses conseillers, en hommage à une époque désormais révolue, se plaignent encore à voix basse, alors qu’ils devraient s’en gargariser haut et fort, est qu’il ne lit jamais. (…) Ni une page, ni une demi-page, ni une seule ligne. Il ne fonctionne qu’à l’oral. Ce qui représente un défi considérable pour quiconque souhaite lui transmettre la moindre connaissance structurée »

Je dois dire que ces courts articles se "dévorent" littéralement. Ce sont des scènes très vivantes, précises, au cœur de l’action et cela a beau être très documenté, ça n’est jamais assez long pour lasser. On reproche à l'auteur son pessimisme, d'autres appellent ça sa lucidité. Je suis dans le deuxième camp, même s'il a peut-être un peu sous-estimé notre sens de l'humour. On ne sait jamais. Et je ne pense pas que sa vision de l’IA qu’il évoque vers la fin de l’ouvrage soit très juste. Elle s’appuie d’ailleurs sur l’analyse de Kissinger qui était à mon sens trop un homme du passé pour bien sen saisir les enjeux. (juste mon avis)

Conclusion : Si vous voulez des infos sur la réalité, lisez-le. Si vous n’aimez pas les mauvaises nouvelles, passez votre chemin.

06 décembre 2025

La mer à l’envers

de Marie Darrieussecq

***

978-2072936296

Bon, disons-le tout de suite, trois étoiles, je n’ai pas accroché avec ce livre. On va voir pourquoi.

D’abord, l’histoire : Rose, psychologue pour enfants parisienne, fait une croisière sur un de ces immeubles flottants qui labourent la Méditerranée. Elle est accompagnée de ses deux enfants, tandis que son mari, agent immobilier qui a le whisky chic, est resté at home. L’idée est de faire une pause et de se recentrer, car Rose est arrivée à un tournant de sa vie. Elle a quarante ans et quitte Paris pour s’installer dans la demeure familiale dont elle a hérité, et retrouver donc la province. Pour l’instant, elle se laisse aller à l’indolence de la croisière vers la Grèce. On en profitera pour montrer le Parthénon au fils aîné, c’est bon pour ses études. Mais, comme pour tous, cette croisière, c’est surtout une pause hors du temps et de la réalité. Farniente, trop manger, trop boire. Mais une nuit, grand branle-bas : le bateau se trouve en présence d’une embarcation fragile, pleine de migrants clandestins africains. Ils montent à bord, et Rose, qui est là, remarque un adolescent noir, seul et si démuni qu’elle est émue. Il est nigérien, il s’appelle Younes ; en dehors de cela, ils ne se comprennent pas. Sans doute en quête d’actes plus brillants dans sa vie que le train-train quotidien, elle lui apporte rapidement des vêtements chauds de son fils, et lui donne même le téléphone de ce dernier. Puis, à la première escale, les clandestins sont débarqués — elle ne sait pour quel avenir — mais, on l’a deviné, le téléphone restera un lien et, plus tard, Younes, clandestin livré à lui-même et perdu, la contactera.

Pendant ce temps, la croisière s’est, bien sûr, terminée et la vie a repris. Rose a retrouvé son mari picoleur, mais gentil, au fond. Elle redécouvre la vie de province, où elle a ouvert un cabinet et attend de se faire une réputation pour qu’on lui envoie des patients, mais les gens d’ici sont plus attirés par les pratiques non scientifiques en tous genres que par la médecine classique (je la rassure, il y en a autant à Paris, c’est juste qu’elle ne les avait pas vus). Mais ce n’est pas grave, car voilà qu’elle-même se découvre un don de "toucheuse" (bah voyons), et sa petite entreprise prospère peu à peu.

Bon, je vous en ai assez dit sur l’histoire. Je vais essayer maintenant de comprendre pourquoi j’ai été perpétuellement agacée du premier au dernier mot. D’abord, le style. Vraiment, je n’ai pas trouvé de charme à l’écriture utilitaire de Marie Darrieussecq. Ça raconte l’histoire, ça ne la transcende pas. Il n’y a pas une seule phrase qu’on ait envie de relire pour s’imprégner de sa beauté. Ensuite, les personnages : Younes, dont on finit par ne plus savoir si c’est un ado, pourquoi il a quitté le Niger où sa famille semble aisée, et notre Rose ! Je n’ai pas du tout aimé cette bobo, c’est le moins qu’on puisse dire. L’argent trop facile, le gagne-pain « à la noix », la position toujours un peu bâtarde vis-à-vis de Younes (et de tout, d’ailleurs), sa meilleure amie qu’elle n’aime pas, en fait, son mari qu’elle hésite à garder, la vie trop facile dont elle n’a pas conscience, sa bonne conscience, justement, ses certitudes molles et son absence de toute autocritique… Bref, quelqu’un que je ne chercherais pas à fréquenter si je la rencontrais, mais avec laquelle il a fallu que je cohabite pendant des pages. D'autre part, tout est montré comme étant vécu superficiellement, sur le mode du ressenti immédiat, sans réflexion, sans approfondissement ni analyse, et ce point m'a gênée et déçue. Qu'un auteur montre juste des faits sans les commenter, c'est une chose, mais que le personnage principal vive tout sans dépasser la surface des choses... 



02 décembre 2025

J'aurais dû épouser Marcel

de Françoise Xenakis

****

978-2843374692

On ne lit plus guère Françoise Xenakis qui eut pourtant son époque, mais il me fallait absolument un X pour mon Challenge ABC avant la fin de l’année et on était déjà en novembre, alors j’ai scruté les rayons de la médiathèque en cherchant un livre pas trop épais (manque de temps) et ce fut celui-ci.

Il commence par une introduction de l’auteure elle-même : « Normalement, à l’âge que j’ai, après quelque vingt-trois romans et récits, il ne me reste plus qu’à écrire LE livre qui m’a fait me promettre à moi-même – j’avais alors neuf ans – que, plus tard, je deviendrais écrivain. La boucle sera alors bouclée et j’en aurai fini avec l’écriture ! (…) Ce récit, je vais avoir soixante-dix neuf ans et il n’est toujours pas écrit ! »

Eh bien, mauvaise nouvelle, ce ne sera encore pas pour cette fois. D’abord parce que ce roman est en fait constitué de nouvelles autour d’un thème commun, que F. Xenakis a à peine reliées d’une trame très légère. Ce genre de bricolage peut être plaisant à lire (et c’est le cas ici), mais ne donne pas de chefs-d’œuvre littéraires. Le thème commun évoqué ci-dessus, ce sont les « veuves blanches » solognotes. L’éditeur nous explique :

« C'étaient, pour la plupart, d'anciennes gamines de l'Assistance publique, débarquées un beau jour d'un car bringuebalant et placées dans les fermes. Les gars, eux, devenaient charretiers, les filles vachères, et, aussi perdus les uns que les autres, ils se mettaient le plus souvent à la colle". En 1914, les garçons furent mobilisés et il n'en revint pratiquement pas. On ne les déclara même pas morts au champ d'honneur, mais disparus. Que faire de ces jeunes femmes seules au village? On les logea dans un minuscule lotissement bâti pour l'occasion et la République leur octroya une modeste pension. En échange de quoi, une loi non dite exigeait d'elles une chasteté absolue, l'entretien de l'église et des tombes à l'abandon. Ces vieilles filles ne cessèrent de fantasmer sur le retour de leur homme. »

Françoise Xenakis a donc imaginé six ou sept récits dans lesquels les veuves en fin de vie font le bilan de leur existence de misère. Condamnées à la solitude, jamais vraiment intégrées au village, elles ont trimé toute une vie de servantes et de préposées aux gros travaux sans autre soutien que leurs fantasmes sur leurs «époux» partis si vite qu’elles n’ont pas eu d’enfant, et que le monde a bien mal traités eux aussi. Ces ruminations de plusieurs décennies qui les conduisent souvent le soir à aller attendre sur la route par laquelle ils arriveraient si c’était possible, ont fait d’elles des femmes pauvres, seules, mais aussi autonomes. F. Xenakis leur prête même cette auto-dérision et cette pointe d'humour qui est plutôt sa marque à elle. Et quand l’une d’elle, fait rare, se marie finalement quand même… c’est pour trouver quoi ? Ça dépend.

Je le disais, une lecture plaisante sur ce thème que je trouve intéressant et qui m’a appris des choses sur le monde paysan fermé de la Sologne du 20ème siècle. J’ai découvert « le ventre jaune solognot » sur lequel, curieuse comme je suis, je n’ai pu m’empêcher de faire des recherches et une vie rurale tout sauf tendre, solidaire et empathique. L'écriture est fluide, agréable et le livre se dévore aisément.