Betty
de Tiffany McDaniel
****+
Je n'ai eu aucun mal à accrocher à ce livre qu'on m'avait chaudement conseillé (alors que, c'est bien connu, les conseils trop enthousiastes ont souvent un effet rebond désastreux). J'ai été happée par l'histoire bien découpée, un événement à chaque chapitre, cet événement étant généralement un coup dur mais le chapitre ne se terminant pas sans que le problème ne soit sinon réglé, au moins intégré et géré. J'ai aimé à ce propos que les obstacles, même les plus violents, soient combattus par la douceur et la poésie. C'est un aspect fascinant de la philosophie du père. J'ai donc suivi avec intérêt la "Petite Indienne" qui est notre narratrice depuis sa plus jeune enfance, jusqu'à son envol quelques 700 pages plus tard.
Ce sera un difficile périple. Des huit enfants du couple parental, bien peu survivront. Presque chacun était doué d'un talent artistique, combien l'exerceront ? Je vous laisse le découvrir. J'avais sans arrêt en tête ces photos des petits blancs miséreux à la Faulkner, sillonnant le pays à la recherche d'une embauche, d'une pitance, les enfants tristes accrochés à des femmes exsangues... et ici c'est pire, car si la mère est blanche, le père est indien et le racisme s'exerce sans fausse pudeur.
Etant la plus foncée de la fratrie, notre narratrice sera celle qui pâtira le plus de ce racisme, pourtant, plus encore que le racisme, ce que ce roman dénonce, c'est l'oppression des femmes. C'est vraiment un roman féministe, même si l'un des personnages principaux (et le plus sympathique pour moi) est un homme. Mais c'est un Indien, rejeton d'une culture matriarcale, et cela change tout chez un homme. Son âme habite tout le livre, avec sa vision animiste, toujours si positive malgré tout ce qu'il a vécu, sa bienveillance sans limite et son amour total de sa famille.
"Ta maman m'a trouvé. J'étais perdu mais elle m'a quand même trouvé. Je n'avais ni but ni nom avant ta maman. Quand j'étais enfant, les gens m'appelaient Tomahawk Tom ou Tepee Jack ou Pow-wow Paul, toutes sortes de noms, sauf le mien. Personne ne m'avait même jamais demandé comment je m'appelais, avant ta maman. Non seulement elle me l'a demandé, mais elle a même ajouté un «monsieur», à la fin. «Quel est votre nom, monsieur ?» On ne m'avait jamais dit «monsieur» avant cela."
Un roman très beau, très poétique, passionnant, allant d'une scène poignante à une autre, cette peinture de vies très difficiles ne laissant jamais l’intérêt retomber et parvenant à surprendre son lecteur jusqu'au bout. Cependant, pour ce faire, il aura fallu à Tiffany McDaniel être un peu trop systématique à mon goût. (un art distinct par enfant, l’éventail complet des crimes racistes et sexistes... ) On flirte un peu avec les limites de la vraisemblance, on frôle peut-être la caricature, mais moyennant quoi l'auteure n'occulte rien des réalités qu'elle voulait montrer et je pense que c'était le principal pour elle. Et puis il faut ce qu'il faut pour faire enfin comprendre les choses aux gens qui se demandent encore si les femmes n'exagèrent pas un peu... Au final, un beau bouquin quand même et captivant de bout en bout, ce qui ne gâte rien. Je conseille vivement malgré ce petit défaut..
Alors maintenant, imaginons : vous êtes dans la librairie ou une bibliothèque et vous vous demandez si vous allez ou non prendre ce livre. Alors, vous allez page 380 et vous commencez en bas, « Un jour, ... » jusqu'à fin 382 et vous saurez si vous allez aimer ce livre ou non. A vous de jouer.
Extraits :
« Papa dit qu'il n'y a rien de tel qu'un vieux chien pour attendrir un cœur dur comme la pierre. C'est pour ça qu'ils ont tant de valeur. »
« Pendant l'absence de Maman, Fraya a abandonné le lycée. Papa a été tellement déçu qu'il a peint en noir la dernière marche du porche devant la maison.
- Parce qu'une marche vient de mourir, a-t-il dit à Fraya.
- Les marches ne meurent pas, Papa.
- Elle est morte, Fraya, parce que tu n'as pas franchi cette dernière marche qui te menait vers une vie meilleure. »
« Donnez à mon père un couteau et un morceau de bois et il vous le transforme en quelque chose de beau. »
9782351782453
- Éditeur : GALLMEISTER (20 août 2020)
- Broché : 720 pages
- ISBN-10 : 2351782453
- ISBN-13 : 978-2351782453
Sans conteste un roman de qualité, mais j’avais trouvé le trat trop appuyé sur certains aspects pour être vraiment séduite.
RépondreSupprimerOui, je le dis aussi mais d'un autre côté, pour parler de tout ça dans un seul roman, il fallait bien. Bref, je lui pardonne :-)
SupprimerExcellent, ton conseil final ! Mais j'attendrai néanmoins sa sortie poche (puisque j'ai l'intention de le lire, même sans aller découvrir le texte des pages 380 à 382), je me suis un peu trop lâchée sur les achats ces derniers temps..
RépondreSupprimerMoi je l'ai eu à la bibli. Certains considèrent la surconsommation de livres comme autre chose que de la surconsommation, mais moi pas. J'emprunte et j'achète beaucoup chez les soldeurs, en ligne ou sur place.
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