30 mai 2024

Testosterror 

de Luz

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Voici un gros roman graphique étonnant, extrêmement original et inspiré. C'est l'histoire de Jean-Patrick, beauf de première catégorie, que nous découvrons lors d'un de ses dimanches habituels, préparant le barbecue avec ses copains, la cannette à la main tandis que les épouses bavardent à la cuisine en préparant le reste du repas. Dans son groupe de copains, il n'a pas un rôle dominant. Parmi ceux-ci, il y a Cébé, vendeur à Bricokosto et Jo le coach sportif et patron d'une salle de gym, hyper machos tous les deux. Jean-Pat, lui, est concessionnaire auto, pas méchant, mais jamais il ne lui viendrait à l'idée de participer aux tâches ménagères, de s'occuper des enfants, d'écouter sa femme etc. Bref, tels qu'on les découvre là autour du barbecue, ils sont insupportables. 


Les enfants sont clairement formatés dans leurs rôles genrés respectifs bien que cela pose visiblement problème pour certains, à commencer par 2 des 3 enfants de Jean-Pat. Mais il continue sur sa lancée sans se poser de questions et sans se rendre compte de rien. Mais voilà qu’apparaît une épidémie mondiale d'un genre nouveau: elle touche les hommes, fait chuter leur taux de testostérones, attaque leurs testicules et les rend stériles. Elle est extrêmement contagieuse et se propage dans le monde entier. Elle terrorise tous les hommes, attachés plus que tout à conserver une "virilité" maximum. Bientôt le pays connaît confinement, pénurie, etc. Vous savez comment ça se passe. Et la maladie se répand.

Se sentant menacées dans leur virilités, certains hommes soupçonnent bientôt les "féministes" d'être à l'origine de la maladie et créent un mouvement masculiniste d'hypersexisme. Jo est le leader de ce nouveau mouvement dans lequel Jean-Pat se trouve entraîné et où il fera entrer son fils qui le dépassera bientôt. Plus les hommes sont paniqués par le virus, plus ils ont tendance à rejoindre ces thèses. Dans les pharmacies apparaissent des compléments Testobooster, Testokrem et autres, dont certains agissent comme des drogues. Jean-Pat ne tarde pas à être contaminé par le virus. 

Peu à peu, il réalise que ses performances sexuelles ne sont pas les seules en chute libre, toute sa personnalité est en train de changer. Il se sent de moins en moins perméable aux injonctions masculinistes, de moins en moins obligé d'être agressif, offensif, costaud, dominant, insensible etc. Et il constate qu'il apprécie cette nouvelle façon de voir la vie et son rôle dans le monde. Bien sûr, il ne peut l'avouer à ses copains. Son fils de son côté, prend du galon chez les virilistes.


Parallèlement, Jean Pat a trouvé et adopté un petit chien qui est un vrai obsédé sexuel au point qu'il devient bientôt impossible de le garder tel qu'il est. Ainsi sera-t-il stérilisé, idée que les virilistes ne peuvent admettre bien que le chien, adoré par Jean-Pat, ne semble pas se plaindre lui non plus de son changement de situation.

Comment tout cela finira-t-il? 300 pages d'un roman graphique hyper créatif, plein d'idées originales, de développements imprévus, de péripéties surprenantes, de scènes cultes, de réflexions plutôt profondes et fouillées, mais présentées de façon drôle, iconoclastes, choquantes parfois. Constamment de nouvelles surprises! A la fois de grosses blagues bien crues et un scenario qui ne manque pas de finesse. Jean-Pat nous retourne. On part du pire beauf possible et on voit son évolution involontaire suite à cet accident de testostérones. Son changement de vie.

 Quant au dessin, il est fantastique. On voit tout de suite que cet album a demandé un boulot énorme et que Luz est un ENORME dessinateur. Il nous offre du mouvement partout, les angles de vue les plus surprenants avec toujours une totale exactitude dans les perspectives. Un travail admirable et une totale réussite à mon sens.


978-2226474674


25 mai 2024

La petite fille qui aimait Tom Gordon 

Stephen King

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Stephen Kig, c'est comme S. Brussolo, j’aime bien en lire un de temps en temps quand j'ai envie de faire un break. Cette fois, c'était ce classique déjà ancien mais que je n'avais pas encore lu ou alors complètement oublié. 

L'ambiance est morose chez Trisha, 9 ans, depuis que ses parents ont divorcé. Elle voit son père toutes les deux semaines, mais vit le reste du temps avec sa mère et son grand frère ado, et ces deux-là passent leur temps à s'affronter. On n'a plus beaucoup le temps de s'occuper de Trisha. Mais la mère, jamais découragée -ça doit être de famille-, lutte contre le vent et continue à organiser des activités récréatives qu'ils font tous les trois.

 Cette fois, c'est une excursion sur la piste des Appalaches. Le matin, chacun a préparé son propre sac à dos dans les règles de l'art. Pique-nique, boisson, vêtements adaptés et bonnes chaussures, et les voilà en route. Ils sont des randonneurs assez expérimentés compte tenu de leur âge. Dans la voiture, Trisha à l'arrière essaie de s'évader par la pensée pendant que Pete et Maman s'affrontent devant. Elle évoque sa passion pour le baseball et spécialement pour un joueur nommé Tom Gordon dont son père a réussi à lui obtenir une casquette autographiée, suprême trésor. Arrivés à destination, ils se garent et se mettent en route à pied. Pete et Maman continuent leur discussion sans fin. 

Démoralisée par la situation, Trisha les laisse s'éloigner un peu pour moins les entendre et tenter d'échapper à l'ambiance exécrable. Elle s'enfonce même un peu dans les bois dépourvus de chemins sans qu'ils lui prêtent la moindre attention et voilà qu'elle réalise qu'elle les a perdus de vue! Mais elle avait vu que le chemin faisait une courbe et en conclut qu'en coupant dans le bois elle ne tardera pas à croiser à nouveau le chemin et peut-être même se trouvera-t-elle face à eux. Elle se lance mais au bout d'un moment, se dit quand même qu'elle marche depuis longtemps et qu'elle aurait déjà dû recroiser le chemin. Elle regarde autour d'elle, se demande si elle ne ferait pas mieux de faire demi-tour. Oui, mais de quel côté? En l'absence de chemin elle ne sait pas plus d'où elle vient qu'où elle doit aller. Trisha doit s'avouer qu'elle est perdue pour de bon...

Les Appalaches c'est grand, c'est sauvage, il y a des ours et allez savoir quoi d'autre, qui y guettent les proies faciles. Trisha n'a que neuf ans et un pique-nique... et une casquette de Tom Gordon. Elle va beaucoup espérer que les adultes s'aperçoivent de son absence, la recherchent et la retrouvent. En attendant, elle marche et finit par trouver un ruisseau. Partant du principe qu'il finit toujours par y avoir des hommes le long des rivières, elle décide de le suivre, d'autant que cela lui évitera de tourner en rond. Un jour passe, puis deux... les secours sont en alerte mais ne la trouvent pas. La nuit, elle se blottit là où elle peut et sombre dans le sommeil. Pas facile, d'autant qu'elle le sent bien, maintenant, quelque chose l'a repérée et la suit de très près.

Stephen King est tellement fort pour nous maintenir sous son emprise! Nous ne quitterons plus Trisha d'un pas jusqu'à la fin. Il nous a accrochés à elle d’une totale empathie. Nous serons même dans son cerveau. Nous saurons comment elle se tient compagnie en se remémorant constamment des expressions des membres de sa famille ou de sa copine délurée.Nous suivrons ses mésaventures, ses choix, judicieux ou non, son affaiblissement jusqu'à un seuil critique. Nous admirerons son incroyable pugnacité, là où même des adultes auraient flanché. Nous verrons comment un compagnon imaginaire, surtout quand c'est un lanceur hors pair des Red Sox, peut aider à surmonter bien des épreuves. Nous serons là quand elle aura perdu presque un tiers de son poids et quand la chose se montrera...


978-2253151364



22 mai 2024

 Le Challenge des Pavés de l'été 2024 débutera en juin.


A partir du 1er juin, vous pourrez ajouter votre nom 

à la liste des participants sur le blog
(première liste par ordre d'arrivée)
J'espère que vous serez nombreux !


 A partir du 21 juin, vous pourrez indiquer vos titres avec le lien

Et voici le logo à mettre en bas de votre chronique,
il n'est pas aussi beau que je l'aurais voulu,

 mais j'ai fait ce que j'ai pu : 


Voulez-vous revoir ce que cela a donné en 2023?

C'est là =>   

19 mai 2024

Cent portes battant aux quatre vents

de Steinunn Sigurdardottir

****+


Titre original : hundrad dyr i golunni  qui se traduit littéralement par "une centaine de portes dans la brise" , comme  me le dit translate.google qui parle islandais mieux que moi et que j'avais consulté parce que je ne suis pas comptable et je trouvais qu'il y avait beaucoup de nombres dans ce titre-là. Je pense que ce titre illustre la totale liberté de la narratrice et la multitude des possibilités qui s'offrent à elle. Totale liberté ne signifie pas forcément que l'on obtient tout ce que l'on veut, et uniquement ce que l'on veut. Nous le verrons.

Brynhildur femme riche et cultivée, bien mariée à un Bardur riche, cultivé, non oppressif et fou amoureux, mère de deux grandes filles qui ont quitté le nid mais sont restée proches de leur mère et attentives. Elle fait un séjour à Paris. Elle a tout, me direz-vous. Pourtant, à l'occasion de recherches chez les antiquaires, elle rencontre un beau vendeur de paravents, lui-même pourvu de toutes les qualités et qui n'attendait qu'elle. Les voilà amants. L’affaire est vite menée, mais sans vulgarité. A ce stade, je me disais qu'on devait être dans une rêverie, un fantasme, mais non, enfin pas plus que tout roman n'est fantasme.

Après cette agréable parenthèse, elle rentre chez elle et les souvenirs de son passé à Paris, alors qu'elle faisait ses études à la Sorbonne remontent, et c'est ainsi que nous découvrons la vraie histoire d'amour de sa vie, celle qui a occupé ses trois dernières années d'études et qui était si totale qu'elle ne s'en est jamais remise. Et nous en apprenons de plus en plus sur Brynhildur pour découvrir au bout de 120 pages que loin, d'être une vision simplifiée des relations humaines, nous avons là une peinture très fine t d'une extrême justesse, qui n'ignore rien de ce qui est derrière les décors.

De la légèreté dans le grave, une fantaisie littéraire et érotique, du subjonctif et de belles phrases autant que le lecteur peut en espérer, de la joie, de la tristesse, de l'ironie et voilà que nous nous souvenons que Steinunn Sigurdardottir n'est pas qu'islandaise, elle est aussi philosophe, psychologue et poétesse et que cela se sent. Joli.


978-2264058270 


14 mai 2024

Le ver à soie 

de Robert Galbraith

(J.K. Rowling)

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Ce roman est le deuxième volume de la série Cormoran Strike, écrite par J.K. Rowling sous le pseudonyme de Robert Galbraith. Cette série comprend actuellement sept titres mais est en extension. L'auteur et les lecteurs ont l'air de bien aimer ce détective. Je vous dirais bien qu'il est atypique mais ce serait quand même drôlement banal puisque chaque nouvel enquêteur apparaissant sur les scènes de crimes littéraires se doit justement d'avoir des particularités originales qui piquent la curiosité du lecteur, accrochent son attention et permettent qu'on se souvienne de lui et qu'on le reconnaisse. Il est également inexact de parler de "ce" détective parce qu'en fait, ils sont deux: Strike et Robin, sa secrétaire. Mais nous en sommes encore au début de la série et Robin Ellacott n'est encore qu'assistante et si la part qu'elle prend aux enquêtes va croissant, son statut de détective n'est pas encore reconnu. 

Donc, notre détective s'appelle Cormoran Strike, il est rappelé plusieurs fois que Cormoran est "le nom d’un géant" qui vivait au temps du roi Arthur, mais je ne connais pas ce géant et pour moi, c'est plutôt un nom d'oiseau, le prestige n'est sans doute pas le même mais, pourquoi pas? Il est aussi rappelé que Strike signifie coup, en particulier le fameux coup gagnant qui dégomme toutes les quilles au bowling, ce qui met dans l'ambiance pour un détective, mais en ce qui me concerne, Strike m'avait fait penser à grève, ce qui, comme l'oiseau était moins parlant. Cormoran est le fils d'une star du rock qui n'a pas voulu le reconnaître et avec laquelle il refuse d'avoir des liens. Vétéran de guerre unijambiste, il passe beaucoup de temps à batailler contre sa jambe artificielle qui le gène, restreint ses déplacements et le fait même souffrir. En dehors de cela, plutôt le modèle classique de détective privé costaud et viril (mais pas macho). Il officie à Londres (et vous fera dans cette aventure bénéficier de son climat hivernal). L'agence de détective est située près de Charing Cross Road. Strike y officie avec un sens commercial défaillant qui lui vaut de constants soucis financiers. Il y est donc secondé par Robin, sa secrétaire qui accepte les conditions de travail et un salaire nettement en dessous de ce qu'elle pourrait obtenir ailleurs parce qu'elle compte recevoir une formation et devenir elle-même détective à part entière. Elle est sur le point de se marier à un beau jeune homme prometteur à qui elle doit d'abord faire accepter le mode de vie un peu particulier qu'elle a choisi. Il n'y a rien entre Cormoran et Robin, mais je vois sur internet que les lecteurs sont à l’affût du moment où l'idylle se nouera entre eux. Cela ajoute au suspens, mais selon moi, elle ne se nouera pas. Faut oublier les stéréotypes avec J.K Rowling, mais j'ai peut-être tort...

Bref, dans cette aventure (qui se lit sans problème indépendamment de la précédente), nous allons farfouiller un peu dans le monde grouillant de l'édition, le panier de crabes des jalousies de l'édition-business, les retours d’ascenseur et les retours de bâton. Faisant encore une fois fi des impératifs pécuniaires, Cormoran a choisi d’enquêter pour une femme sans le sou, mère de plus d'une jeune femme handicapée mentale, qui vient lui demander de retrouver son mari qui a disparu plus qu'il ne le fait habituellement. Son mari est un écrivain et le détective découvre bien vite qu’il vient de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière littéraire en tentant de faire publier son dernier roman : "Bombyx mori", un brûlot à clé qui est une énorme divulgation de tous les vices cachés réels ou supposés des vedettes de ce microcosme. Il ne tarde d'ailleurs pas non plus à retrouver ledit écrivain, mais mort, et de façon bien gore. S'ensuit une enquête pas mal captivante dans cet univers. La police de son côté, ne cherche guère, persuadée que la veuve, qui hérite, et contre qui les charges s'accumulent, a tout manigancé. Le détective lui, croit à son innocence, mais par pure intuition. Le lecteur... hésite, se pourrait-il que Galbraith nous balade au point de lancer son détective sur la mauvaise voie? Vous le saurez si vous lisez cet ouvrage. Pour ma part, j'aime découvrir le coupable avant la fin des whodunit, mais j'en ai été pour mes frais. Mon suspect principal était innocent. Pfff… En conclusion, je lirai volontiers d’autres aventures de notre duo de détectives mais ce sont des romans épais. Il faudra donc que j’aie le temps.


Au passage, ceux qui racontent partout que J.K. Rowling est transphobe en seront pour leurs frais.


Série Les Enquêtes de Cormoran Strike

 L'Appel du Coucou ( The Cuckoo's Calling, 2013)

 Le Ver à soie (The Silkworm, 2014)

 La Carrière du mal (Career of Evil, 2015)

 Blanc mortel (Lethal White, 2018)

 Sang trouble (Troubled Blood, 2020)

 Sang d'encre (The Ink Black Heart, 2022)

 Pas encore traduit : The Running Grave, 2023

 

978-2253164074



09 mai 2024

Queer theory, une histoire graphique

de Meg-John Barker et Jules Scheele

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Alors je le dis tout de suite, comme ça ce sera fait et on n'y reviendra plus: Je déteste la couverture que je trouve racoleuse et sans rapport avec le contenu. Mauvais choix de dessin à mon avis. La couverture originale est bien meilleure. C'est dit. Tournons-la vite.

"Queer: est-ce une identité de genre? une orientation sexuelle? un mouvement politique? une théorie académique?" 

J'ai vu passer cet ouvrage sur internet, je ne me souviens plus où et si la blogueuse se reconnaît, qu'elle me fasse signe, ça me ferait plaisir d'échanger nos liens. J'ai vu que c'était un document-graphique, je m'étais dit: "ça doit être plus simple et moins ennuyeux qu'un ouvrage classique", et comme je n'arrivais pas à savoir clairement ce que "queer" signifiait et que je n’arrêtais pas de rencontrer ce mot, j'ai pensé qu'il serait sans doute judicieux de me documenter un peu. Moins ennuyeux, sûrement, ça l'a été et tant mieux parce que je n'aurais pas lu tout cela en texte rédigé. Plus simple, non. Car il s'avère que la "théorie queer" est beaucoup de choses, mais en tout cas, pas simple.

J'ai lu ce livre d'un bout à l'autre sans en omettre une ligne ou un dessin, c'est dire qu'il m'a intéressée, mais je dois dire que j'ai failli le refermer et le rendre à la bibli dès la première page, en me disant que j'allais plutôt essayer de trouver l'ouvrage de quelqu'un qui veut bien expliquer et essayer de définir.

Mais j'ai surmonté ce mouvement de mauvaise humeur et me suis lancée dans ma lecture, et j'ai bien fait, parce qu'arrivée à la fin, si je relis cette première page, elle ne m'étonne plus et ne me dérange plus non plus, et à la question de départ, je répondrais: "Tout cela". Ne jamais oublier que le mantra de base de la théorie Queer, c'est "Non binaire". Donc, il faut arrêter de diviser les choses en deux camps, ce qu'elles sont et ce qu'elles ne sont pas. Quel que soit l'objet de la réflexion, il faut élargir sa conception à toutes les nuances que l'on peut trouver dans l'éventail. Il ne faut pas obligatoirement qu'une porte soit ouverte ou fermée, elle peut être ouverte à n'importe lequel des 180°, elle peut être juste poussée, enclenchée, fermée à clef, munie de différents degrés de verrouillages, et ces situations ne sont pas identiques.

Pour lire cet ouvrage, j'ai dû abandonner très vite mon mode de lecture habituel de gauche à droite, de haut en bas. Chaque page comprend un ou plusieurs dessins entourés de textes et de bulles. Je me suis mise à attaquer la page par le dessin central puis à élargir par les phylactères et les cartouches d'abord, pour finir par lire le texte supplémentaire s'il y en avait un, ce qui était le plus souvent le cas. Cette tactique m'a donné toute satisfaction. C'est une lecture qui de toute façon sera assez longue car il y a 175 pages et beaucoup d’idées et de notion nouvelles pour moi et, il faut bien le dire, qui donnent énormément à réfléchir.

J'ai ainsi pu découvrir que c'est au 19ème siècle que la sexualité a cessé d’être quelque chose que l'on fait pour devenir quelque chose que l'on est, eh bien, dans la théorie Queer, elle est toujours faire, pas être.

Et encore :

"Personne n'aurait à faire son coming out si l'hétérosexualité n'était pas la norme". On ferait mieux de s'interroger sur l'ordre social et le pouvoir qui s'appuie sur l'hétérosexualité et, pour tout dire en a besoin, et la présente donc comme une "évidence naturelle" sans toutefois interroger plus avant ce fait. Le monde qui s'organiserait autour d'une conception non binaire ne pourrait pas être le même.


Poursuivant sa conception non binaire et mouvante, la théorie Queer s'est de façon inattendue, heurtée au féminisme (comment être féministe si les notions d'homme et de femme sont contestées) et de même aux trans-genres. Mais de ce "heurt" non binaire naît forcément une vision enrichie et non sclérosée des choses...

Alors, simple? A partir du moment où vous vous référez aux pensées de Michel Foucault, Derrida, Lacan, G. Rubin, J. Butler, et que vous en faites la base de vos réflexions, votre théorie ou votre livre, ne peut pas être simple, ni facile . Il va falloir faire un effort, mais ce n'est pas un gros mot.


"Il faut toujours se demander ce qui est fermé et ce qui est ouvert par un discours donné" (Foucault)

Bref, je ne peux pas évoquer tous les points soulevés car ils sont nombreux. Vraiment, vous devriez aller muscler vos petites cellules grises là-dessus. Le sujet est riche et captivant. Cet ouvrage est une bonne façon d'ouvrir beaucoup de nouvelles portes…

Vous serez convaincu ou pas, mais c’est très intéressant en tout cas.

Et souvenez-vous : "Queer = faire, pas être"

9782348078453



07 mai 2024

 Je voulais vous conseiller ce podcast de cette ancienne émission Master Class de France Culture qui est une interview absolument passionnante de Paul Auster. Ça dure presque une heure, alors organisez vous en conséquence 😉 Moi je l'ai écoutée en faisant les vitres . Je dis ça, je dis rien...





04 mai 2024

À pied d’œuvre 

de Franck Courtès

***+


Quatrième de couverture:

""Entre mon métier d'écrivain et celui de manœuvre, je ne suis socialement plus rien de précis. Je suis à la misère ce que cinq heures du soir en hiver sont à l'obscurité : il fait noir mais ce n'est pas encore la nuit." Voici l'histoire vraie d'un photographe à succès qui abandonne tout pour se consacrer à l'écriture, et découvre la pauvreté. Récit radical où se mêlent lucidité et autodérision, À pied d'œuvre est le livre d'un homme prêt à payer sa liberté au prix fort."

Petit livre sympathique, ni un roman, ni un essai, ni un reportage, un de ces ouvrages où l'auteur se raconte, comme il s'en fait tellement en France en ce moment. "Parlez-moi de moi, y a que ça qui m'intéresse" comme disait Guy Béart. Les choses n'ont pas changé et je sais qu'il est inutile de lui en parler, cela a déjà été fait, mais cela glisse sur le plumage du bel oiseau sans qu'il y prête la moindre attention:

"- Tu n'as qu'à inventer des personnages. Tu n'as pas d'imagination? Qu'est-ce que vous aimez parler de vous, vous autres, les Français...

- On raconte des choses sur l'humain en général, à travers son propre...

- Vous racontez votre nombril, point!"

Donc, dans ces limites-là, et comme ce n'est pas très long, ce n'est pas désagréable à lire. Franck Courtes a été photographe à succès, photographe des stars pendant vingt ans, il ne va pas se priver de le rappeler, et puis d'un coup, s'est dégoûté de la photo, n'a plus eu envie et bientôt même plus voulu en faire, alors qu'il était dans le même temps de plus en plus habité par un puissant besoin d'écrire. Ses ouvrages ne sont pas trop mal reçus par les maisons d'édition où l'on pense bien que sa précédente carrière lui a créé quelques contacts, mais de là à en vivre, il y a un monde. Franck se met donc à écrire à temps plein et dans la satisfaction. Le voilà maintenant divorcé et séparé de ses enfants partis avec leur mère aux USA, il se sent libre de mener la vie qu'il désire. Toutes ses économies finissent par disparaître et le voilà réduit aux préoccupations les plus élémentaires de la survie : alimentation, logement, habillement, chauffage. Après quelques essais divers, il se spécialise dans les petits boulots de bricolage en passant par une de ces plateformes de travail au noir qui ont dynamité le droit du travail... et c'est sur ces multiples micro-chantiers qu'il nous entraîne à sa suite.

 Donc, c'est vivant et facile à lire, plein d'anecdotes qui se renouvellent constamment, on saute d'un "chantier" à l'autre. On croise les "collègues" , les "employeurs". C'est un monde qu'on connaît tous au moins un peu. On le voit autour de nous. Il accroche une tringle à rideaux chez les vieux d'à côté, change un robinet chez le voisin, ou même chez nous... On rentre chez les gens sur ses talons, et ça,  ça intéresse toujours, n'est-ce pas ? Toutes ces rencontres, ces portraits exprès, ces situations... C'est vivant, ça se lit très bien. Il commence par éprouver une satisfaction liée à la réussite dans ces tâches simples "L'homme à tout faire que je suis devenu jouit d'un sentiment d'utilité que je n'ai jamais éprouvé dans ma carrière de photographe", mais doit aussi affronter les blessures et l'usure dues à un dépassement trop fréquent de ses capacités physiques. Au delà de son exploitation par ses employeurs, il aurait été intéressant de voir quelle est exactement la part de surpression qu'il se mettait lui-même.

Faut pas croire, c'est un travail de stratégie, l’employeur (qu'il soit aisé ou pas du tout) essaie de payer le moins cher possible, c'est la règle du jeu. L'employé, essaie de gagner le plus possible. Il jouera sur le besoin plus ou moins pressant que l’employeur a de son intervention, mais il devra se méfier de la concurrence! Ce sont des enchères au plus bas prix. Demander trop, c'est être éliminé de fait. Il y a un enjeu, un gain, une concurrence, des adversaires, une tactique à élaborer.

La désintégration moderne du travail de l'employé de base est décrite, mais pas vraiment sérieusement étudiée. C'est sa figure actuelle, mais elle a toujours existé (il me semble que ce n'est pas dit). Quant à  "raconter des choses sur l'humain en général", c'est vrai, mais ça ne dépasse pas le stade d'un petit reportage. Il y a des remarques qui sont justes mais l'auteur en tire parfois des conclusions non étayées et qui m'ont semblé incertaines. Par exemple, il remarque que l'on n’utilise que les prénoms (à mon avis, par souci d’anonymat car on flirte tout de même en permanence avec l'illégalité), mais lui en conclut immédiatement mais avec conviction que c'est pour déshumaniser l'employé. "L'emploi exclusif des prénoms pousse à l'indifférence, à l'exclusion du facteur humain, alors qu'il suggère le contraire". Ah bon? Je ne pense pas que l'emploi du patronyme aurait rendu le contact plus humain. Autrefois au contraire, on appelait les gens par leur nom seul pour bien les tenir à l’écart. Donc, il ne me semble pas que cette remarque soit fondée. Il aurait été intéressant (mais plus rébarbatif) d'explorer cette frontière avec la légalité. Pourquoi l'état laisse-t-il faire? Parce qu'il n'y a pas possibilité de structure légale qui se chargerait de ce travail à un prix abordable ? Le modèle légal imposé ne serait donc pas adapté à la réalité du  terrain ? Admettre cela, c'est mettre le doigt dans un engrenage qui pourrait déstabiliser beaucoup de choses.

Il déclare également comme une évidence: "Les aliments les moins transformés, les plus goûteux, les plus sains, mes préférés, sont les plus chers. Ceux destinés aux pauvres sont enrichi d’additifs chimiques, de sucre, de sel, d'arômes, de colorants, d'une ribambelle de cochonneries"

mais c'est faux. Là encore, il y a une réflexion à avoir et un choix judicieux à faire. 

Il ne faut pas tenir des choses pour évidentes sans les avoir examinées de près. Nul n'est à l'abri d'une idée fausse. On nous bourre tellement le crâne...

On a quand même au final l'impression qu'il aurait pu trouver des moyens moins pénibles de s'assurer un revenu minimum et de préserver sa liberté. Là encore, peut-être pas assez réfléchi. Il a peut-être endommagé sérieusement son capital santé, pas sûre que ça ait été un choix très judicieux...  Les grands mots sur la liberté, c'est beau, mais face à une incapacité définitive ou à une arthrose chronique, bof, bof...

Et au final dans tout ça, on parle drôlement peu de littérature et/ou de création littéraire. Etrange quand on pense qu'il a tout sacrifié pour ça: la  Littérature. Okay, elle est où? Il dit qu'il écrit tous les matins et en tire toujours autant de plaisir. Point. On ne saura rien de plus. Aucune réflexion sur la création littéraire, ses problèmes, ses victoires, on ne saura pas même ce qu'il écrit. Etait-ce l'ouvrage que bous sommes en train de lire? Dans ce cas, n'est-ce pas une sorte de serpent qui se mord la queue?...

978-2073024916

01 mai 2024

 C'est avec beaucoup de tristesse

 que nous apprenons ce matin 

le décès de l'immense écrivain américain Paul Auster

survenue le 30 avril 2024



29 avril 2024

Baumgartner

de Paul Auster

*****

C'était une Lecture Commune, Je lis, je blogue a participé 

J'aurais bien aimé rédiger ce billet sans employer l'expression "roman crépusculaire" car je pense qu'on va la retrouver dans beaucoup de recensions, mais c'est impossible car vraiment, ce livre ne parle que de cela: le crépuscule de vies, celle du personnage principal Seymour Baumgartner et celle de son auteur. Comment un homme et un écrivain comme Paul Auster aborde-t-il cette période délicate? Comment nous, lecteurs, l'abordons-nous?

Mais Auster n'est pas de ces auteurs qui, faisant l'économie d'une histoire, nous livrent directement leur vécu et leurs états d'âmes (et je le remercie pour cela) et nous voilà partis sur l'épaule de Sy, professeur de philosophie à la retraite, ne s’étant jamais remis de la perte de son épouse et unique amour, dix ans plus tôt.

La journée commençant mal, Sy se blesse deux fois dès le matin. La seconde blessure, (chute dans l'escalier) est assez sérieuse pour le clouer sur le divan, mais aussi pour faire connaissance et même nouer quelques liens avec le releveur de compteur, homme jeune, gentil et maladroit. Sans être excessivement socialement dépendant, Sy a quand même besoin d'un peu de contacts humains, et ils ne sont pas si fréquents pour lui qui vit seul et passe ses journées à terminer son essai "Mystères de la roue" porteur d'une nouvelle vision philosophique du monde (identification homme-voiture en multipliant les parallèles). "Baumgartner parvenant par quelque tour de passe-passe à réunir la lutte pour devenir une personne moralement saine et l'effort fourni pour devenir un bon conducteur. "Panne à Motor city" traite du corps humain dans divers états de crise (maladies, fractures, épidémies) ainsi que des difficultés mécaniques que rencontre toute voiture à un moment ou un autre" .

Le lecteur pourra garder dans un coin de sa mémoire cet ouvrage, sérieux? il y a consacré tous ces derniers mois; pas sérieux? il le présente à son éditeur comme "un florilège de foutaises".

Mais surtout, le vieux philosophe, part de plus en plus longuement dans son passé, se remémorant son amour-passion de toujours pour Anna, repensant à sa vie avec elle, puis sans. Nous entrons ainsi dans son esprit et pouvons suivre les pensées d'un intellectuel de son âge, et cela m'a énormément intéressée.

On a reproché à Auster d'avoir recyclé dans ce roman un article qu'il avait publié dans Libération au sujet de son voyage sur les traces de sa famille maternelle en Ukraine, mais je ne vois pas pourquoi il n'aurait pas pu le faire. Ce n'est pas comme s'il plagiait quelqu'un d'autre, c'est son œuvre, il l'utilise comme il veut. De plus, sachant les difficultés graves qu'il traverse actuellement, il s'est peut-être trouvé dans l'impossibilité de refaire ce récit et qu'est-ce que cela aurait apporté de plus?

Finalement cependant, de la nouveauté entre dans sa vie (je ne veux pas préciser davantage) et il semble possible que l’existence recommence à l’intéresser. A-t-il tort d’espérer ?

Alors, en conclusion, Sy Baumgartner est-il Paul Auster? Oui, bien sûr, et non, c'est évident.

Mais vous, lecteurs, souvenez-vous quand vous lisez : "une personne peut être transformée par les évènements imaginaires narrés dans une œuvre de fiction"


PS : Ecouté la chronique (assez moyenne) du Masque et la Plume où seul Arnaud Viviant semblait avoir compris le livre, sans parler de XXX qui critique vertement un roman qu'elle n'a visiblement lu qu'en diagonale, ignorant pourquoi Baumgartner recherche tout à coup sa famille de patronyme Auster (alors que c'est expliqué), et mettant toute l'histoire de deuil en doute parce qu’il mène ou essaie de mener d'autres romances depuis. alors que cela aussi est évoqué… Pfff...


978-2330188757

24 avril 2024

Rwama, Mon enfance en Algérie (1975-1992)

de Salim Zerrouki

***+


Après Riad Sattouf et son enfance au Moyen-Orient lu il y a peu, me voici avec Salim Zerrouki et son enfance en Afrique du Nord, et plus précisément car lui ne se déplacera pas, en Algérie. Mais j'avais tort de comparer les deux albums car ils n'ont en fait pas grand chose en commun (à part que je les ai lus l’un après l’autre). Salim Zeerouki s’est davantage orienté vers le contexte historique et a choisi de faire de l'immeuble dans lequel il a passé son enfance le personnage principal de l'album plutôt que du petit garçon qu’il a été. Rwama, c’est le nom de ce beau bâtiment. Boumédiène avait fait construire une Cité pour les Jeux méditerranéens qui se sont déroulés à Alger en 1975. Dans cette cité-vitrine, on avait mis le summum du confort moderne algérien de l'époque, l'immeuble baptisé Rwama accueillait les familles du personnel de l'Institut National du Sport. C'est là que débarqua Selim âgé de 6 mois.

(pour lire les phylactères, cliquer sur l'image)


Il y a grandi dans un confort très enviable mais au bout de quelques années, le pouvoir algérien étant en déliquescence, l'entretien de l’immeuble se réduisit jusqu'à disparaître tandis que s'implantait tout près une cité d'appartements pour familles plus que nombreuses et nécessiteuses qui envièrent tout de suite le luxe (relatif) qui s'étalait sous leurs yeux. De l'envie à la haine, de la haine à l'attaque, les choses vont vite...

S. Zerrouki a également choisi d'axer principalement son récit sur l'aspect historique. Ce qu'il nous raconte ici, c'est surtout l'Histoire de l'Algérie depuis le début des années 70 jusqu’à la fin du 20ème siècle. Il apparaît rapidement que c'est un portrait à charge. Il montre comment la dictature a entraîné la corruption puis, un peu plus tard, la montée des Islamistes intégristes du FIS. Il parle de la ruine, de la perte progressive, d'abord des biens matériels avec les pénuries de plus en plus graves, de la sécurité avec les émeutes puis de la liberté individuelle avec la montée de l'intégrisme qui imprègne de plus en plus profondément la population.


Ce tome 1 s'achève quand Selim va entrer au lycée. Il a grandi en nourrissant un sentiment d'injustice de plus en plus puissant, au sein d'une famille qui est progressivement devenue intégriste... L'adulte qu'il est devenu raconte en soulignant gâchis et absurdités, et porte un regard sévère (et peut-être justifié) sur son pays, l'Algérie. Un album à conseiller à ceux qui s'intéressent à l'Histoire moderne de ce pays et à son évolution.

Il y aura une suite.


978-2205204551 

19 avril 2024

Midnight Examiner

de William Kotzwinkle

****+


C'est pour rire !

Ne prenez surtout rien au sérieux dans ce polar surréaliste mettant aux prises la bande de journalistes déjantés d'un groupe de tabloïds sans vergogne et la pègre locale. Non pour des questions de morale, de justice ou de vérité, qu'allez-vous imaginer là ! Mais disons, suite à un conflit d’intérêt qui pouvait d'ailleurs être réglé à l'amiable.

Nous suivons le sympathique mais peu brillant rédacteur en chef du groupe qui édite des revues sur les thèmes les plus divers : sexe, mode, armes à feu, religion, paranormal et tout autre sujet aussi prometteur... en des articles tous plus improbables les uns que les autres, ne se souciant ni de vraisemblance ni de déontologie, le but étant surtout de véhiculer des publicités qui ne font pas que frôler l’escroquerie. Nous verrons d'ailleurs que même quand la réalité pourrait dépasser la fiction, ils la méprisent pour lui préférer une version correspondant à leur créneau éditorial. Par exemple:

« Deux clochards firent leur apparition dans le parc. Ils se battaient à coup de fourchette, comme des escrimeurs, avec feintes et moulinets. L'un d'eux finit par s'écrouler sur la gazon et l'autre reprit son chemin en trottinant, brandissant sa fourchette en signe de victoire, les dents pointées vers le ciel, les pointes étincelantes. Hip sortit son calepin : "Il Descend De Son Ovni Et Blesse Un Passant Avec Une Épée De Lumière". Il prit note, referma soigneusement son calepin et le rempocha. "On rentre?" »

Vous vous doutez bien que les gens susceptibles de travailler là-dedans (en évitant au mieux les fléchettes que le propriétaire, fan inconditionnel de la sarbacane, tire à longueur de journée sur tout ce qui passe à sa portée) ne peuvent qu'être un peu hors normes, ce livre vous le confirmera. 

La narration ira parfois si loin dans l'approximation et la prise de risque que le seul recours de l'auteur sera de faire appel à la magie noire pour tirer ses personnages de la situation inextricable où il les aura mis. Mais ça tombe bien, ils ont aussi cela en réserve dans leurs publications.

On s'amuse bien en lisant ce titre d'un William Kotzwinkle toujours aussi habile, efficace, et atteignant une sorte de perfection dans ce qu'il produit que cela soit sérieux ou comique. Amateurs de plaisanterie, dénichez-vous vite ce titre !

978-2869304963