25 septembre 2025

Le chien debout 

de Sokal

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9782203335035

Canardo n’a pas eu des débuts faciles. Faut pas croire. Ce « chien debout » est le tome 1 de la longue série des aventures dangereuses de L’inspecteur Canardo. Inspecteur, il ne l’a d’ailleurs été que dans le tome 0, édité chez Pepperland et que je n’ai malheureusement pas encore lu. Dans ce tome 1, Canardo n’est même pas le personnage principal, bien que son intervention ponctuelle soit déterminante.

Le personnage principal, c’est Fernand, ce chien qui marche sur deux pattes et porte un vieux manteau à capuche. Tel que nous le découvrons, Fernand, clochard alcoolique, revient au pays voir s’il n’y retrouverait pas celle dont il est toujours amoureux, la belle Gilberte. Mais les choses vont mal au pays. Le chien du douanier fait sa loi avec sa bande de sous-fifres et prospère, tandis que de nombreux cabots disparaissent. La violence et la crainte règnent pour un danger qu’on n’ose même pas évoquer. Que se passe-t-il ? Fernand, qui ne cherche pourtant rien d’autre que Gilberte, ne va pas tarder à le découvrir.

Faut savoir qu’on évolue dans un monde où on s’entre-tue facilement. D’entrée de jeu, cette série commence avec un Canardo coriace qui se soucie fort peu de la loi, un univers très très noir, un monde féroce, sans illusion et un poil d'ironie douloureuse dans le récit. Tout ce qui nous a fait aimer ce volatile, quoi, et pour cet épisode, un savant fou, des expériences atroces, des junkies, beaucoup de victimes etc. Canardo commençait noir de chez noir. Un poil trop même, mais bon… c’est de la fiction. Les canards ne se promènent pas vraiment armés jusqu’au bec.

22 septembre 2025

LES PAVÉS DE L ÉTÉ

 PALMARÈS 2025

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28 Participants

128 Titres

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Médaille supersonique sidérale météoritique

BELETTE :  29 titres lus !!!



Médaille de diamant

16 Titres lus !INGANNMIC  



Médaille d'or

10 titres lus ! :  JE LIS JE BLOGUE



Médailles d'argent

7 titres lus ! :  MISS SUNALEE, SIBYLLINE



Médailles de bronze

6 Titres lus ! : ENNA , TADLOIDUCINE



Médaille de nougat

5 Titres lus ! : CATH L , KEISHA , MAPERO , SANDRION



Médaille de chocolat

4 Titres lus ! :  SYLIRE



Médailles de caramel

Titres lus ! :   NANOU , PATRICE,



Médailles de meringue

titres lus ! :  ANNE-YES, ATHALIE, CLAUDIALUCIA

DASOLA, SACHA



Médailles de barbe à papa

 1 titre lus ! : ANNE, AIFELLE , AUDREY, BASTIEN

FANJA , LE BOUQUINEUR, MADAME LIT

PASSAGE A L'EST,  VIOLETTE



BRAVO A TOUS !!

Tous les blogueuses et blogueurs cités s'afficheront maintenant dans ma liste de blogs amis =>

que je vais bientôt remettre à jour

A l'année prochaine !

Revenez nombreux

Et comme c’était trop sympa et que

un an, c’est trop long à attendre,

Une surprise, ici même,

à la fin de ce mois.



  J-1

20 septembre 2025


Strange Pictures

de Uketsu

***

978-2021578102

On parle souvent de "casse-tête chinois", mais en fait, je me demande s'ils n'étaient pas plutôt japonais. Bref, la tendance nippone actuelle met sur le devant de la scène un "mystérieux auteur", Uketsu dont l’éditeur nous annonce qu’il « est l'écrivain le plus vendu au Japon, et le leader de la nouvelle vague des auteurs de thrillers et d'horreur. Artiste complet, il écrit, dessine, publie des vidéos d'horreur et de suspense et compose de la musique. On ne connaît pas sa véritable identité, il apparaît toujours vêtu de noir avec un masque blanc. »

Bon. Si vous avez vu plus haut les étoiles que je lui ai attribuées, vous aurez deviné que ce n’est pas avec moi qu’il va beaucoup gonfler ses ventes. Le coup de « l’auteur dont nul ne connaît l’identité » commence tout de même à avoir beaucoup servi et deux minutes de réflexion suffisent à savoir que cela est matériellement impossible. Alors, il faudrait songer à nous l’épargner.

Dans ce roman policier écrit en gros caractères aérés et plein de petits schémas inutiles, nous est narrée une histoire incroyablement tarabiscotée et invraisemblable. Ca démarre très fort avec deux étudiants appartenant au « cercle occulte » de leur université. (Cercle occulte!!!) Bref. L’un a montré à l’autre un blog qu’il a trouvé contenant le bref journal intime d’un certain Ren et des dessins simplistes qui lui semblent étranges. Le blogueur est un homme jeune, très amoureux de sa femme Yuku, dessinatrice, qui va bientôt donner le jour à leur premier bébé. Il publie les dessins qu’elle fait à ce moment-là, ce sont eux les « strange pictures » du titre. Il y en a trois. Tout se passe mal, Yuku meurt en couches et Ren met brutalement fin à son blog. Sauf qu’un mois après, il ajoute un petit post annonçant qu’il a percé le secret des trois dessins et compris le crime. Quel crime ??? Après s‘être beaucoup creusé la cervelle (et le lecteur aussi), les deux étudiants le découvrent eux aussi (mais pas le lecteur). Il faut dire que la façon de découvrir la signification des dessins est tellement abracadabrante qu’à part l’auteur, personne n’aurait pu y arriver. Et ça continue comme ça : complications sans fin, invraisemblances etc.

L’écriture est plate. C’est un euphémisme. Je crois que plus plate, on ne peut pas. L’organisation du récit est pire encore. On part de présupposés qui semblent évidents à tous alors qu’ils sont insensés, comme le fait qu’il soit impossible de dessiner quelque chose que l’on n’a pas sous les yeux, même pour un prof de dessin et même un simple croquis. Ah bon ? Moi, là, tout de suite, je peux vous gribouiller un éléphant et je vous assure que je n’en ai pas en face de moi. De plus, on a un prof d'art et autres dessinateurs qui, même dans les pire situations d’urgence ne peuvent pas gribouiller le moindre dessin sans tracer d’abord un quadrillage ! Les mains dans le dos ! Je rêve.

Et tout est comme ça. Parti comme on était partis, je n’ai pas été étonnée. Finalement, le coupable sera plutôt trouvé par élimination. C’est pratiquement le seul survivant.

En conclusion, il paraît que cet ouvrage atteint des ventes phénoménales. Je n’en reviens pas.

 J-2

15 septembre 2025

Voici venir les rêveurs

d’Imbolo Mbue

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978-2266276122


"L'Amérique, ce n'est pas cela du tout. C'est un pays plein de mensonges et de gens qui aiment entendre des mensonges."

Jende Jonga, camerounais, a débarqué en Amérique grâce à un billet d'avion que son cousin déjà sur place lui a payé et à un visa touristique de trois mois. Il a cherché du travail et n'a trouvé de l'embauche que comme chauffeur de taxi officieux. Puis, il a enfin dégotté une bonne place de chauffeur auprès d'un riche banquier de Manhattan et fait venir sa femme et son fils restés au pays. Sa femme faisait des études et avait donc un visa d'étudiante. Parallèlement, Jendé a entamé les démarches pour obtenir l'asile et un titre de séjour permanent aux USA. Jendé est un homme d’une honnêteté radicale, simple mais sympathique. Il se caractérise par ce mélange de sagesse et de naïveté dont font preuve beaucoup d’Africains. Comme lui, son épouse Neni est courageuse et très déterminée. Elle veut absolument mener à bien ses études de pharmacologie. Elle veut absolument vivre en Amérique et s’y faire une place. Un deuxième enfant arrive. Né aux Etats Unis, il sera américain. La vie de la famille est modeste mais l’intégration est en bonne voie… sauf les papiers que Jendé n’arrive pas à avoir.

Dans un second temps, tout bascule.

Imbolo Mbue peint remarquablement bien les situations tant au Cameroun qu’aux USA, tout comme elle peint remarquablement bien les cheminements mentaux des uns et des autres. Elle montre sans juger. Elle ne désigne pas de bons ou de mauvais. Elle montre, avec une étonnante simplicité et un naturel parfait. Chacun a ses raisons d’agir comme il agit, même si le lecteur, quant à lui, a perpétuellement son avis, signe qu’il «marche à fond», s’implique et vit vraiment cette histoire. Jendé et Neni vont-ils pouvoir rester aux States ? Est-ce souhaitable ? Les USA sont-ils un grand état riche ou un colosse cruel aux pieds d’argile ?

Publié en 2016, c'était le premier roman Imbolo Mbue et il a remporté le PEN/Faulkner Award. Elle en a depuis publié un autre: "Puissions-nous vivre longtemps" Si j'en ai l'occasion, je le lirai. Même si Imbolo Mbue a quitté le Cameroun pour faire ses études et vit maintenant à New York, je dirais sans hésiter qu’elle est une auteure africaine et que son œuvre est à mettre au crédit de la production de ce continent.

Un très beau roman.

528p

11 septembre 2025

Journal inquiet d’Istanbul T2

de Ersin Karabulut

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9782205210996

Quatrième de couverture :

"L'histoire vraie d'un dessinateur de presse et du journal satirique le plus célèbre de son pays, en lutte contre le régime autoritaire turc."

J’avais beaucoup aimé et j’avais été très intéressée par le tome 1 du «Journal inquiet d’Istanbul» de Ersin Karabulut, donc, quand j’ai vu que le tome 2 était sorti et qu’il se trouvait déjà à la bibliothèque, je me suis empressée de l’emprunter. Ensuite, je me suis aperçue que j’avais trop oublié le tome 1 (deux ans, déjà) pour reprendre dans de bonnes conditions, alors vite, retour à la bibli et réemprunt du tome 1 qui par chance, était disponible. Je vous raconte ça pour que vous pensiez à emprunter les deux si vous vous trouvez dans la même situation.

Nous retrouvons donc Ersin Karabulut qui démarre à Istanbul sa carrière de dessinateur politique. Il faut savoir que les fanzines satiriques sont nombreux là-bas et très lus. Ses parents désapprouvent depuis toujours son choix de carrière car ils voient monter l’intégrisme et savent eux, de quoi ces gens sont capables. Mais, depuis qu’il est enfant, rien ne peut faire dévier Ersin de sa trajectoire. Peu à peu sa carrière se développe et il monte même son propre journal avec des amis même si ce n’est pas simple. Parallèlement, celle de Erdogan se développe aussi. Les promesses démocratiques ne lui ont pas coûté cher et ne pèseront pas plus dans l’évolution du pays. Partout, insidieusement, les choses changent. Les barbus se multiplient et jouent tout à l’intimidation, dans le non-dit bien réel et pesant tout de même. La société change en Turquie, même à Istanbul. On voit le pourrissement sournois de la situation malgré les tentatives de résistance de la part la plus évoluée de la société. Les manifestations de plus en plus brutalement réprimées ne pourront rien. 


On voit Ersin Karabulut qui s’exprime dans son journal, de plus en plus obligé de choisir son camp et donc, de plus en plus en danger. Sa vie, comme celle des autres Turcs et particulièrement les intellectuels ou les femmes, est impactée par l’emprise croissante d’Erdogan sur le pays. Les procès sous divers prétextes commencent leur travail de sape...

Ce tome 2 nous montre un pays qui bascule lentement dans le totalitarisme religieux tout en proclamant le contraire. L’auteur m’est très sympathique. C’est un humaniste et un rêveur mais qui va jusqu’à inventer et proposer des solutions (naïves et douces).

Il faut que tout le monde comprenne comment ces choses-là arrivent et se font. Personne n’est à l’abri. Ce sont des albums que j’offrirai. Je me précipiterai sur le tome trois dès qu’il paraîtra, et je souhaite à Karabulut de retomber toujours sur ses pieds, comme les chats qu’il semble aimer.

06 septembre 2025

Jésus-Christ Président

de Luke Rhinehart

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9782373050653

Jésus discute avec son Père. Il est mécontent. Il en a même carrément assez. Il ne voit pas ce que les humains ne comprennent pas dans son message alors même qu’ils le répètent par cœur, avec plus ou moins d’ajouts regrettables d’ailleurs, depuis plus de 2000 ans. Il est venu sur terre et leur a tout bien expliqué et depuis, il espère et attend que ses préceptes soient appliqués (au moins par les joueurs de son équipe) mais il doit bien constater qu’il n’en est rien et que ça n’en prend même pas le chemin. Aussi demande-t-il à son Père de le laisser faire un deuxième essai. Cette fois, il ne va pas se réincarner (la crucifixion, non merci, déjà donné). Il veut s’emparer de l’âme de l’homme le plus puissant pour le faire agir vraiment selon ses préceptes et sauver le monde. Dieu le prévient tout de suite que ça ne va pas marcher.

« Il ne va rien se passer. Il va se faire flinguer, probablement, comme Martin Luther King. Ou se faire foutre à l’hosto psychiatrique. En quelques mois pas plus, tout sera fini. »

A force d’insister, Jésus obtient tout de même le droit de se lancer dans cette seconde tentative, mais à la loyale. Il n’aura pas droit aux miracles. Et c’est parti !

2006, George Bush junior, réélu Président des USA depuis deux ans, s’occupe dans le bureau ovale. Soudain, il se sent investi et découvre stupéfait que Jésus est vraiment en lui. Il en est très mal à l’aise, même si ce dernier ne fait rien d’autre que d’être là. Sur ce, arrivent Don Rumsfeld, M. Dick Cheney, ses vice-président et secrétaire à la défense, pour une réunion de travail sur la guerre qu’ils mènent en Irak et notre George horrifié s’entend leur annoncer

« Vous allez déclarer un cessez-le-feu immédiat et unilatéral, et annoncer que le gouvernement des Etats Unis a décidé de reconnaître la souveraineté de l’Irak et de ramener toutes ses troupes à la maison. »

Bush ne peut contrôler ni son corps ni ses paroles. Il n’est plus qu’une marionnette dirigée par Jésus et nous allons voir maintenant qui de ce dernier ou de son Père va gagner son pari.

J’ai lu cette politique-fiction parce que 1° je lis tout de Luke Rhinehart 2° j’avais envie de me distraire et ce point de départ me semblait riche en promesses. Moi aussi j’avais bien envie de savoir ce qui se passerait si Jésus Christ disposait des pouvoirs des USA et tentait de mettre réellement en œuvre ses idées dans notre monde moderne. Alors bilan ? Cela a été bien intéressant, et drôle aussi. Car Rhinehart a choisi une voie humoristique et sarcastique. Il met tout à plat et dézingue tout le système américain, tant extérieur -fin de tout combat et retrait-, qu’intérieur.

« Quand Jésus annonça au secrétaire du Commerce et à son chef de cabinet qu'ils devaient commencer à préparer la nationalisation de toutes les entreprises pharmaceutiques, pour que les médicaments puissent être vendus à prix coûtant, George rigola beaucoup en observant leur réaction : comme si le ciel leur était tombé sur la tête.

- Les médicaments servent à sauver des vies, se justifia Jésus. Personne ne devrait en tirer profit, sinon les malades. »

Bush, consterné et opposé au début, se laisse peu à peu séduire par l’entreprise et cesse de lutter (ce qui ne change d’ailleurs rien). Les autres, les membres de son gouvernement et aussi tous les Américains, ignorent absolument la présence de Jésus. Pour eux, il n’y a que le président et sa nouvelle politique. Les réactions sont variées mais généralement violentes. Cependant, le président est le président : on obéit. Il n’y a pas d’alternative, ou alors…

C’était à une époque bénie où on n’imaginait même pas qu’un Trump puisse s’emparer du pouvoir, mais les coulisses de l’impérialisme étaient déjà bien gratinées. On visite un peu tout ça et on va même marcher un peu sur l’eau avec George, en Irak.

Vous venez ?

Jesus Invades George: An Alternative History (2013)

02 septembre 2025

Ce qu'il faut de terre à l'homme

de Léon Tolstoï - Dessins de Martin Veyron

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9782205072471

Rien de tel que la BD et un bon roman graphique bien fidèle pour faire aimer les classiques et les (parfois arides) auteurs russes à tout le monde ! Martin Veyron l’a prouvé avec cette fidèle adaptation de la nouvelle éponyme de Léon Tolstoï. Cette bande dessinée n’est pas récente mais elle n’en reste pas moins hautement recommandable. Il n’y a pas que les nouveautés dans la vie.

Un pauvre paysan vit une vie très modeste mais néanmoins plutôt heureuse avec femme et enfant en exploitant ses quelques terres, d’autant qu’ainsi que tous les autres villageois, il arrondit ses revenus en volant allègrement sur les terres de la barine. Celle-ci, vieillissante, ne s’en occupe plus guère et c’est son fils qui surveille un peu, mais il ne réside pas sur place. Il finit cependant par s’apercevoir des vols et décide d’installer un régisseur sévère pour y mettre fin. La vie devient plus difficile pour les paysans qui envisagent même une réponse radicale au régisseur. Mais pire encore, la barine vieillissant toujours, décide de vendre pour aller vivre à la ville pour plus de confort, de compagnie et de distractions. Le régisseur se porte immédiatement acquéreur. Ça va être un vrai enfer pour les villageois. Ils décident donc de se réunir pour acheter eux-mêmes les terres de la barine…

De fil en aiguille, notre paysan qui a un beau-frère négociant citadin qui lui conseille d’être plus ambitieux et de tenter de s’agrandir plutôt que de se contenter de ce qu’il a, se lance dans ce qu’on pourrait appeler maintenant une politique expansionniste, bien que sa femme ne semble pas enthousiasmée par ces changements. Nous allons le voir se donner à fond et déployer vraiment un courage et une ardeur au travail illimités pour devenir toujours plus riche.

Rendons hommage à Martin Veyron qui a parfaitement su illustrer ce récit et en a fait un album vraiment captivant. On passe un excellent moment avec ce conte moral dont la conclusion peut convaincre ou non. Pour ma part, je rejoins plutôt l’idée bouddhique selon laquelle l’homme est un arc, trop tendu, il casse, mais pas assez, la flèche tombe à tes pieds… Tashi Delek !


28 août 2025

L'art de perdre

d’Alice Zeniter

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978-2290155158

J'aurais dû lire depuis longtemps ce gros roman d’Alice Zeniter, mais je ne me décidais pas. J’avais pourtant beaucoup aimé son «Juste avant l'oubli », mais là, je craignais une énième saga familiale sur fond de "narration du moi" avec interprétations psychologiques, allez savoir pourquoi. Puis, je l'ai trouvé en audiolivre et j'ai voulu tenter le coup en me disant que je n'étais pas obligée d'aller jusqu'au bout si cela ne me m'intéressait pas. Mais jusqu'au bout je suis allée, et ce, sans difficulté. Tout d'abord, parce qu'à mon grand soulagement, je n'ai trouvé aucune trace de nombrilisme dans ce récit. C'est une saga familiale, oui, sur trois générations mais quelles générations! Celles qui ont scellé l'Histoire entre la France et l'Algérie et nous savons où nous en sommes aujourd’hui.

Le récit nous est fait par Naïma, personnage le plus proche de l’auteure et commence avec le grand-père de la narratrice. Naïma, Française, bien intégrée et travaillant dans une galerie d’art, est gênée par le non-dit familial concernant leurs liens avec l’Algérie et comme son physique lui vaut d’être constamment ramenée à cette question, du moins le pense-t-elle, elle s’interroge de plus en plus sur ce passé dont ses parents et grands-parents n’aiment pas parler. Concernant le grand-père, je dirais que c’est plutôt parce qu’il a le sentiment de ne pas avoir maîtrisé quoi que ce soit, ni même compris et même le sentiment qu’il n’a pas été récompensé de ses choix. Lui, bien établi, ancien combattant pour la France, amoureux de l’ordre et croyant en la toute puissance de l’armée, a choisi la France contre les rebelles en la victoire desquels il ne croyait pas.

"C'est ça, une guerre d'indépendance. Pour répondre à la violence d'une poignée de combattants de la liberté qui se sont généralement formés eux-mêmes dans une cave, une grotte, ou un bout de foret, une armée de métier étincelante de canons en tous genres s'en va écraser des civils qui partaient en promenade."

Ce faisant, il a tout perdu, sa maison, ses terres, sa place de notable pour ne sauver que sa vie, et de justesse. Combien de milliers de Harkis sont restés sur le quai quand le dernier bateau est parti emportant une foule qui avait même dû renoncer à ses bagages. Arrivé en France, « sa Patrie », qui avait déjà bien du mal à intégrer ses Pieds Noirs, il s’est retrouvé dans des camps de rétention. Alors non, il ne sait plus trop comment tout ça s’est passé.

Son fils, grandira dans ces camps puis dans une cité de l’Orne, apprendra l’humilité, pour ne pas dire l’humiliation

"Pourquoi est-ce que tu t'humilies? La politesse se rend, l'amitié se partage. On ne fait pas des sourires et des courbettes à ceux qui ne nous disent même pas bonjour."

il aura des métiers humbles et difficiles, mal payés affrontera le racisme et fera tout pour s’intégrer. Il ne sera bien sûr jamais désireux de se souvenir ni de transmettre les coutumes du pays qu’il a quitté si jeune, dont il ne lui reste que peu de choses et où il sait qu’il ne remettra jamais les pieds. Tout son être est tourné vers la France et l’intégration, même s’il ne progresse pas vite. Il sait maintenant qu’on ne se vante pas d’être harki, mais il sait aussi qu’en face, les purs de la rebellions ont été eux aussi bien vite éliminés par les postulants dictateurs. Il préfère dire qu’il a tout oublié, et c’est de plus en plus vrai.

Mais avec le début des attentats à Paris, le regard des autres renvoient Naïma à la question de son identité. Elle est française, c’est sûr, mais est-elle aussi algérienne ? A-t-elle envie ou non, d’aller voir la terre de ses ancêtres ? Elle n’en est pas sûre mais une obligation professionnelle l’y envoie et elle en profitera pour retourner jusqu’à la maison familiale, voir ce qui reste de ce passé occulté. Et en fait, c’est autre chose qu’elle va découvrir.

Dès son premier pas sur ce sol, elle va être confrontée à ce qu’implique là-bas, sa condition de femme. Elle, femme libre, se heurte aux dictacts sexistes du lieu. Elle s’y plie de son mieux, ne fume pas dans la rue, ne porte pas de short, se couvre la tête, marche tête baissée… comme on fait quand on est en visite et qu’on veut être polie. Mais accepter ça comme mode de vie ? Accepter définitivement que n’importe quel gugusse puisse l’agresser dans la rue parce que sa tenue ne lui plaît pas ? Sûrement pas. L’évidence s’impose d’emblée. Elle ne veut pas de cette vie-là. Sa grand-mère n’avait jamais été consultée sur les choix de son grand-père, même si toute sa vie en avait été totalement bouleversée et la famille dispersée. Sa mère coincée entre fascination pour la modernité française et nostalgie du pays perdu n’avait jamais suffisamment quitté l’appartement et la cité pour parler convenablement le français et se faire une vie française. Naïma, elle, a fait des études, a organisé sa vie professionnelle et sentimentale. Gère son indépendance, sa vie privée et sa liberté. Elle ne va pas y renoncer. Au contraire, la quête identitaire qu’elle vient de mener lui a permis de mettre les choses au clair pour poursuivre son chemin avec plus de sûreté.

Pour porter cette histoire importante, il faut enfin parler de l’écriture d’Alice Zeniter, qui est belle, fluide et maîtrisée. La structure en trois parties est simple mais colle parfaitement au propos, et sur le plan historique, on apprend ou révise comment tout cela s’est passé. C’est important et intéressant aussi, parce que loin d’être une histoire personnelle, c’est celle de trois générations de familles qui sont maintenant françaises pour la plupart.

608p


24 août 2025

Le sourire de Rose

de Sacha Goerg

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978-2203088030


Enfin une BD claire, j'ai apprécié. Dessin nerveux et expressif qui ne boude pas ses couleurs. Belle aquarelle. Sacha Goerg a sa patte, on reconnaît ses dessins dès qu'on les voit. Des dessins incisifs, une mise en scène très vivante. Donc, de ce côté-là, aucun problème. C'est avec l'histoire que j'ai eu du mal.

Non, on n'a pas raison de voler quelque chose à quelqu'un juste parce qu'on en a envie et que ce quelqu'un est antipathique. Si on l'a fait dans un moment d'égarement, il faut le rendre, pas acharner au point qu'il finisse par y avoir mort d'homme. Ça dégénère vraiment ! Évidemment, l'antipathique victime du vol a tort de passer lui aussi aux grands moyens, mais cela n'efface pas votre responsabilité initiale. Ça en valait vraiment la peine ? Ce type n’aurait jamais dû mourir.

Et, deuxième point, non, on ne peut pas laisser des heures un jeune enfant seul dans une maison, même si on a "absolument besoin de partir". Pensez-vous qu'il n'arrive rien aux enfants quand les adultes qui en sont responsables ont "absolument besoin de partir"? Non. La vie, ce n'est pas comme ça. Faut grandir un peu.

Donc, pas pu m'attacher beaucoup à la "charmante" Rose, héroïne irresponsable de cette aventure et pas emballée en conséquence par la happy end, puisque j'avais passé tout l'album à vivement conseiller au héros de laisser tomber vite fait. Quand la première chose que fait quelqu'un que tu viens de rencontrer, c'est de te voler, à toi aussi ce que tu as de plus précieux. Arrête tout de suite! C'est pourtant simple comme règle, sinon ensuite viennent mensonges, autres vols et bien pire encore. Bref, plein d'aventures mais au point de vue de la gestion de sa vie sentimentales, Desmond n'est vraiment pas bon.

Bref, pas aimé cette histoire. Je sais qu’il ne faut pas tout prendre trop au sérieux, mais il ne faut pas que tout soit inacceptable non plus. Mais en tout cas, comme vous le voyez, j'ai marché à fond et j’ai pris fait et cause, signe qu'elle était bien menée et, je le répète, beaucoup apprécié les aquarelles et le graphisme.