Avant la nuit
de Reinaldo Arenas
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Mémoires d'un oiseau de feu
Cet ouvrage de Reinaldo Arenas est son autobiographie qui remonte à ses tout premiers souvenirs (à 2-3 ans) et le suit jusqu'à son suicide qui met fin en 1990 à sa lutte perdue contre le Sida alors qu'il avait 47 ans. Il n'a pas été écrit mais dicté par l'auteur en fin de vie. Je n'ai aucune intention de vous en faire ici un résumé car je pense que, soit cela vous intéresse et vous préférerez le lire vous-même, soit il vous faut juste un renseignement biographique et vous n'aurez pas besoin de moi pour le trouver. Comme d'habitude, je vais plutôt vous faire part des réflexions qui me sont venues à cette lecture.
Tout d'abord, à peine avais-je lu trois pages, que je savais que ce livre ferai partie de ceux que je garde précieusement et non de ceux que je sème, et la raison en était en tout premier lieu que s'y donnaient à voir une sincérité, une humanité et un appétit de vivre tout à fait admirables. Quand je trouve ces trois qualités, je ne peux que m'incliner. Reinaldo Arenas est un homme bourré de qualités et tout autant de défauts. La mesure et l'objectivité n'en font pas partie. A plusieurs reprises, à la lecture du récit de ces nombreuses années, on pourrait le reprendre sur des inexactitudes, des oublis ou des interprétations, mais c'est un être de feu et de passions et ces êtres-là ne sont jamais des observateurs objectifs ou raisonnables. De toute façon, au fil de ces aventures débridées, on sent bien que le cas échéant, l'auteur n'hésiterait pas longtemps entre une bonne histoire et une histoire scrupuleusement exacte.
A la prise de pouvoir de Castro, Arenas, comme la plupart des Cubains, est heureux et plein d'espoir et dans un premier temps il se trouve bien du changement de régime qui permet à l'enfant pauvre qu'il est de faire des études. Mais dès cette époque cependant, il note que ces "études" comportent une part importante endoctrinement pur et simple. Le régime forme ses futurs missi dominici. Dans les premières années aussi, cette révolution est également une révolution des mœurs et l'avènement d'une totale liberté. R. Arenas, qui s'est découvert homo et nanti d'un énorme appétit sexuel, en profite autant qu'on le peut alors et, parallèlement commence à écrire. Comme il le dit lui-même, pour lui écriture et sexualité vont de pair, quand tout va bien, les deux élans emportent tout et remplissent sa vie. Mais bientôt, le castrisme comme toutes les dictatures entend régenter aussi la vie privée des gens et, se basant sur le schéma familial classique, s'en prend en premier lieu aux homosexuels. C'en est fini de la jouissance sans entraves, l'heure est venue de la dissimulation, du danger, de l'exclusion et de la répression violente. Les écrits d'Arenas ne plaisent pas non plus. Il a obtenu des Prix pour ses deux premiers romans mais n'a pas pu les faire publier à Cuba. Ensuite, les ayant "passés" à l'étranger et étant parvenu à les faire éditer en France, il est considéré comme un ennemi potentiel du régime. Toute perspective de carrière lui est bouchée. Encore une fois: les deux élans vont de pair.
Reinaldo Arenas parle abondamment de ses collègues écrivains cubains (surtout les homosexuels il est vrai, mais ils semblent nombreux). Cela est très instructif pour le lecteur qui s'intéresse à la littérature cubaine. Il cite les noms sans retenue et raconte toutes leurs petites histoires, les magouilles peu glorieuses, leurs actes de bravoure et d'honneur aussi, et les défaites face au pouvoir comme Heberto Padilla qui après un séjour dans les locaux de la Sécurité revient au monde à un poste important avec une autocritique ravageuse et avant la production d'écrits dont selon Arenas il ne peut plus que rougir. Arenas les critique vertement et tout autant, leur pardonne tout car il sait la faiblesse humaine.
"Ce fut le début de la paramétrisation, c'est à dire que tout écrivain, tout artiste, tout dramaturge homosexuel, recevait un télégramme l'informant qu'il ne réunissait pas les paramètres politiques et moraux pour occuper son poste; par conséquent on le privait d'emploi, ou bien on lui en offrait un autre dans un camp de travaux forcés"
Castro a besoin de main d’œuvre agricole. Arenas ira travailler aux champs comme des milliers d'étudiants et d'intellectuels. Il perdra aussi son emploi à la bibliothèque. Il perdra son logement, il finira même en prison, luttant toujours, avec souvent ces poussées irrationnelles qui le caractérisent. Et quand il finira par réussir à quitter l'île, ce sera pour se heurter à une autre puissance, celle de l'argent, qui ne fait pas de cadeaux non plus. Aux Etats-Unis, il conclura:
"La différence entre le système communiste et le système capitaliste? Tous les deux nous donnent des coups de pied au cul, mais dans le système communiste tu dois applaudir, tandis que dans le capitaliste tu peux gueuler; je suis venu ici pour gueuler."
Si la courte vie de Reinaldo Arenas a dû être assez difficile à vivre, elle est par contre passionnante à lire. Il a mené son existence avec beaucoup de courage et d'inconscience, de vigueur et de fragilité, mélange scabreux et tonique d'honneur, de franche rigolade et d'histoires de cul. C'est tellement humain! A lire, vraiment.
PS : Ce récit autobiographique fut porté à l'écran par le cinéaste Julian Schnabel. N'ayant pas vu le film, je ne saurais vous en dire plus.
9782742730964