Le Royaume désuni
de Jonathan Coe
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Une bonne grosse saga familiale comme les lecteurs aiment, qui s'appuie sur presque un siècle d'Histoire, comme ils apprécient plus encore. Ça nous fait réviser notre passé. Nous étions là, (peut-être pas tout à fait depuis le début, 1945, mais quand même). Nous étions de l'autre côté de la Manche, c'est notre passé à nous aussi ou du moins, nous l'avons suivi des yeux en tant que proches voisins. Nous avons entendu parler de tout ça, nous avons vu des photos, des films, des "Actualités" puis des "Infos", des News. Au fond, Jonathan Coe ne va rien nous apprendre, nous savons déjà tout ça même si nous l’avons un peu oublié, mais il va nous le montrer avec des yeux britanniques. Nous n'avons pas exactement les mêmes souvenirs, nous ne nous souvenons pas exactement des mêmes choses et, évidemment, pas de la même manière. Il va aussi éveiller en nous la nostalgie des temps anciens où nous étions, plus jeunes, plus optimistes, plus gais qui sait ? Il va nous ramener pour un moment cet ancien «Nous» qu’on aimait bien.
L'ouvrage commence par un arbre généalogique bien fourni qui m'a fait d’abord une impression plutôt désagréable. J'ai craint qu'il ne signifie que j'allais me perdre dans les personnages. Cela n'a pas trop été le cas et quand il est arrivé que je ne me souvienne plus qui était ce personnage disparu des radars depuis des décennies, c'est vrai que ce bel arbre m'a été utile.
La structure est toujours la même (on pourrait le lui reprocher) : un évènement historique qui réunit et impressionne la famille, permet de voir chacun à ce stade de sa vie et dans ses relations avec les autres. Les enfants grandissent, les adultes vieillissent, la vie suit son cours. On commence en fêtant la fin de la seconde guerre mondiale, on sacre une reine, on poursuit, on affronte la pandémie, on supporte Thatcher, Boris et le Brexit. Comble de la coïncidence qui fait tilt, j'ai lu le couronnement d'Elisabeth au moment même où radios et télés nous livraient celui de Charles III !
Une surprise au passage : je m’imaginais qu’applaudir les infirmières le soir sur son balcon (messe vaudou), était une invention franco-française et je m’étais déjà interrogée sur le premier quidam, le premier immeuble, le premier quartier qui avait fait ça… et je vois mon J. Coe se poser exactement la même question sur un quidam anglais !
"Peu importe d'où sortait cette idée (au bout de quelques semaines, nul ne s'en souvenait), et peu importe à quel point elle fleurait bon la symbolique vide de sens, tout le monde trouvait que ça créait aussi un esprit de communauté, en offrant à chacun un aperçu rare mais salutaire de ses voisins. A tout le moins, cela ajoutait une ponctuation hebdomadaire aux journées par ailleurs identiques qui se succédaient en un défilé amorphe, sans rien de marquant."
Alors la cynique jamais très loin en moi se dit qu’une épidémie et un confinement de toute une population se gèrent avec un think tank, que celui-ci comprend évidemment des spécialistes de la psychologie et manipulation de masses et qu’il a dû y avoir un jour là-dedans un petit malin qui a inventé une « communion sociale » sans contact, rassurante, réconfortante même, et sans danger qu’il soit microbien ou contestataire. Compte tenu du succès, il a dû avoir une prime.
Un roman qui n’ébranle pas les temples de la Littérature, mais quand même agréable à lire et pas stupide. C’est souvent comme ça avec Jonathan Coe.
9782072990878