19 septembre 2021

 Insomnie 

de Stephen King

***


Ralph, soixante-dix ans, a du mal à vivre seul depuis le décès encore assez récent de son épouse, ils n'avaient pas d'enfants. Il habite à Derry, ville fictive de l'État du Maine que l'on retrouve tout d'abord dans "Ça", puis "Dreamcatcher" et "22/11/63". C'est une ville assez typique des Etats Unis si ce n'est, comme le répète le récit que les choses ont tendance à y dégénérer plus facilement qu'ailleurs. Ralph y a son petit réseau d 'amis et de connaissances. Il est bien intégré socialement. Il est maintenant dans la catégorie des « vieux croulants » qui ont leurs coins où ils se retrouvent pour bavarder, jouer aux échecs etc.

Depuis quelque temps, les nuits de Ralph raccourcissent, d'environ une minute par nuit. Il s'endort sans problème puis se réveille, bien trop tôt, sans plus pouvoir se rendormir. C'est une forme d'insomnie bien courante et qui parlera à la plupart de ses lecteurs. Evidemment, la forme qu'a Ralph est un peu spéciale, en particulier avec cette réduction inexorable qui semble ne pas devoir connaître de limite jusqu'à disparition totale du sommeil... mais qu'en sera-t-il ?

Bien sûr, après ce genre de nuit, ce n'est pas un Ralph très fringant qui hante les rues de Derry dans la journée. Il est épuisé et commence à être sujet à des « faiblesses » et autres troubles de la perception. Parallèlement à ce problème, il découvre avec stupeur que Ed Deepneau, le mari charmant du jeune couple voisin qu'il fréquente amicalement, est en fait un être violent et même détraqué qui maltraite sa femme. Ralph intervient. Parallèlement encore (il y a plusieurs parallèle, c'est autorisé) deux clans s'affrontent à Derry, les ligues du droit à l'avortement et les antis. Les second vont peut-être parvenir à faire fermer le centre médical qui venait en aide aux femmes en difficulté et c'est pourquoi Susan Day, une célébrité féministe nationale va venir donner un meeting à Derry pour soutenir le centre. (Ce qui n'empêchera pas les « gens bien » dont Ralph et par sa voix Stephen King, de considérer qu'elle ne fait que jeter de l'huile sur le feu et ferait mieux de ne pas venir. Bah oui, mais les autres feraient mieux aussi de ne pas attaquer les droits chèrement gagnés, non? Bref, fin de la parenthèse.) La situation est explosive et il y a peu d'espoir que tout se passe sans violence. Mais avec King, bien sûr, on va bien au-delà, surtout que le supranormal fait bientôt son entrée.

Mon avis : Pas un très bon King. Bien sûr il y a le savoir-faire et la technique infaillible du maître et cela empêche le livre d'être mauvais. Mais c'est quand même un thriller mou, qui ne vous filera pas d'insomnie. Je le lisais tranquillement le soir avant d'éteindre. Pour ce qui est des personnages, Ralph est sympathique dans le premier tiers mais vire cucul ensuite quand il n'est plus seul, avec une façon bien ringarde de gérer ses relations. Toutes les explications qui sont données ont beau être longues, elles ne font d'embrumer sans rien éclaircir, le personnage lui-même est obligé de l'avouer, mais quand le lecteur s'est enfilé des pages et des pages d'enfumage, ça ne le console guère. Au bout du compte, on ne peut pas vraiment dire qu'on comprenne grand chose du pourquoi ou du comment. Les scènes d'action ne sont pas hyper poignantes, mais il y a de l'action et tout de même une tension qui nous mène jusqu'au bout.

Conclusion : un roman terminé sans trop de mal mais qui m'a passé pour un bon moment l'envie de relire du Stephen King.


Poche ‏ : ‎ 960 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2253151475
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2253151470



15 septembre 2021

Blacksad - Âme rouge  

Juan Diaz Canales

Dessins : Juanjo Guarnido 

*****


J'ai lu à la suite les quatre volumes qui constituent pour le moment l'intégralité des aventures de Blacksad et c'est ce tome 3 que je préfère. Quand je dis «  à la suite », je veux dire en quatre jours car je suis de ceux qui lisent lentement les bandes dessinées. Je m'arrête sur les dessins, reviens en arrière, examine le graphisme et les astuces techniques autant que le scénario, tout en me laissant emporter par l'intrigue. Si, si, j'y arrive très bien. Il suffit de prendre son temps. Pour chaque BD, compter une bonne heure et laisser passer une journée entre deux. C'est ma posologie.

Le tome 1 était intéressant. Il plaçait l'histoire : Etats-Unis juste après guerre. On y découvrait des personnages assez originaux. Ces humains à têtes animales, c'était quelque chose ! Parfois le visage est très animalier, parfois, surtout pour les personnages féminins, il est au contraire très proche de l'humain. Souvent, tout le reste du corps est strictement humanoïde, mais apparaissent parfois une queue touffue chez le renard, des ergots chez le coq, qui s'imposent et ne sont même pas remarqués. N'allez pas croire que parce qu'ils sont des animaux, ces personnages ont un caractère humoristique ou enfantin. Il n'en est rien. Ils sont strictement traités comme les plus réalistes des personnages de fiction. Il n'y a pas de second degré à ce niveau. Et une de mes surprises a été de remarquer que, loin d'être un matou souple et fin, Blacksad est plutôt du genre armoire à glace (et beau gosse). Il est très sympathique ce Blacksad que nous découvrons : solide, stable, sûr, intelligent.

Le tome deux est meilleur que le premier au niveau du scénario. L'histoire est plus intéressante et vraiment le gigantesque talent du dessinateur se confirme (et se confirmera encore et toujours au cours des volumes suivants). Il est pour beaucoup dans l’intérêt de cette série. Ceci dit sans dénigrer le scénariste qui, dès ce n°2 plus original que le premier manifeste de belles qualités.

Mais au niveau du scénario, le meilleur, c'est ce tome 3 : « Âme rouge », car il sait présenter des personnages à la psychologie vraiment fine, il sait tourner le dos à tout manichéisme et nous montrer ce qu'il y a d'autre que gentil/méchant, crime/vengeance. Ce n'est déjà pas toujours le cas dans les romans alors dans les BD... c'est exceptionnel. Je vous laisse admirer. Les personnages secondaires sont remarquables en tous points ! 

Et puis, pour la première fois,  Blacksad tombe amoureux ! Une belle histoire...

Donc : A l'aurore du maccarthysme, dans une société où se côtoient artistes, savants et hommes politiques, les relents de la guerre en Europe ne sont pas encore complètement dissipés et la guerre froide bat son plein. Blacksad est garde du corps d'un millionnaire débonnaire, et ami d'un savant nobélisable...

A noter que les quatre histoires des aventures de Blacksad sont totalement indépendantes et peuvent être lues dans n'importe quel ordre (sauf par moi qui suis maniaque et qui ne conçois la lecture d'une série que dans l'ordre et de façon suivie, mais vous n'avez peut-être pas mes défauts).

Au fait, je vous ai dit pour les dessins ? Ils sont FANTASTIQUES !

978-2205055641 

12 septembre 2021

 No smoking 

de Will Self

***+


«Ça laisse perplexe, commenta Tom négligemment»*

Je n'aurais pas mieux dit.

Un bien étrange roman que celui-ci! Une histoire étrange et confuse, se déroulant en un lieu étrange et confus avec des personnages eux-mêmes etr… oui.

Tout d’abord, on ne sait pas où cela se passe pour la bonne raison que le lieu est imaginaire. Et là, cela commence très fort parce qu’après avoir terminé le roman en imaginant très bien cet endroit quelque part en Afrique Equatoriale, j’ai lu une interview de l’auteur qui m’apprend que lui, il le voit un peu comme l’Australie… Bon. Donc, c’est n’importe où-nulle part et il y fait très chaud. Les indigènes vont en divers costumes, de celui d’Adam aux grandes toges noires et les ex-coloniaux (les "Anglos") portent de seyants costumes à manches et jambes courtes qui ne craignent pas à l’occasion d’être bleu clair, comme celui du personnage principal: notre Tom. (! j’espère que vous avez une lecture "visuelle", vous profiterez mieux)

"Sur l’avocat, les fines rayures avaient un effet magistral: de brillantes manchettes blanches étaient rabattues sur les manches courtes de la veste et attachées par des boutons ovales en or. Ses hautes chaussettes étaient retenues par des jarretières à glands dorés, et une courte robe plissée, décorée de rubans violet et rose, tombait de ses larges épaules. Une antique perruque de crin était perchée sur sa coiffure afro –sans rien ôter à la dignité de son allure." (122) et à ce moment-là, l’on n’a pourtant pas franchement envie de rire…

Tom est un touriste moyen, nanti, qu’on imagine trop gras, grognon, avec femme et enfants dont un garçon adopté, sinon débile, du moins un peu "différent". Il n’est pas particulièrement sympathique, sans être antipathique non plus et, qu’il se laisse faire ou se défende, tout au long de l’histoire il me semble que le lecteur s’en tiendra à cette empathie moyenne. 

Un beau soir de ses vacances, sur son balcon, notre Tom qui en a assez d’être brimé par les multiples interdictions de fumer qui torturent sans cesse son addiction, décide que cette cigarette qu’il fume sera la dernière et qu’il va ce soir même, jeter son dernier mégot. Ce qu’il fait… et ce dernier mégot tombant sur la tête d’un voisin lui-même à son balcon, va déclencher pour lui une horrible suite de catastrophes puisque le voisin, fort âgé ne va pas tarder à se retrouver hospitalisé dans le pire des états. Et nous allons voir tout au long de ce livre comment cette décision de cesser de fumer et  le jet de cet ultime mégot vont transformer la vie de Tom en enfer.

Sauf que si vous y réfléchissez, vous admettrez que le point de départ est dans le jet du mégot et que ce jet aurait tout à fait pu être le même pour une simple énième cigarette appelée à être suivie de nombreuses autres… Eh oui.

Et ce n’est pas plus mal de s’apercevoir tout de suite de ce caprice, car ce sera l’une des constantes de cette histoire étrange et confuse (voir plus haut). On accorde énormément d’importance à des choses qui, au détour d’une ligne, peuvent ne plus en avoir aucune (pour rester dans le domaine de la tabagie, le droit ou l’interdiction de fumer par exemple). Toute cette partie de la vie de Tom, à partir du moment où son jet de mégot va dégénérer en inculpation pour tentative de meurtre va se dérouler comme une sorte d’énorme jeu de piste ou jeu de rôle aux règles non seulement très complexes mais encore inconnues. Il les découvrira (partiellement) au fur et à mesure, les comprendra s’il peut, mais n’y sera pas moins strictement soumis... jusqu’à leur terme.

Et c’est pourquoi l’on ne peut pas faire le parallèle avec un livre comme par exemple "Le procès" de Kafka, parce qu’alors que là la tension venait de l’absurde des règlements appliqués dans une stricte logique bureaucratique, ici les règlements sont remplacés par des coutumes et superstitions tribales subjectives et magiques dont l’origine et la justification remontent peut-être à la nuit des temps. Et quand je dis peut-être…  

Pour revenir à mon appréciation elle-même, W. Self m’a bien baladée. Pendant le premier tiers du livre, l’estimation de ma satisfaction tournait autour des 2 étoiles. Le personnage est moyen et je n’arrivais pas à me passionner vraiment pour ce qui allait lui arriver ou non. Et puis, l’auteur met en place tout un monde bizarroïde et cela fait une grosse installation. Pas passionnante.

Pour le deuxième tiers, mon estimation a bondi aux 4 étoiles quand j’ai bien vu justement l’ampleur et l’originalité de l’univers qu’il avait réussi à créer. J’ai admiré les multiples trouvailles, jusqu’aux inventions de vocabulaire (ainsi savoir que l’on peut se trouver en état de "non-survie" peut inquiéter, non?) On s’y croit vraiment mais où? C’est de la folie ce monde!

Le dernier tiers, je l’ai dévoré tant je voulais arriver au terme de cette aventure incroyable… et là, si je ne peux pas dire que le lecteur est trompé car il découvre alors des clés vraiment énormes et imprévues, je dois quand même avouer que je suis restée… perplexe. Vous savez du genre qui tourne plusieurs fois la dernière page pour être sûr qu’il n’y a vraiment pas encore quelques lignes derrière. J’ai honte de l’avouer, mais je n’ai pas bien compris la fin. Ce n’est pas que je n’aie pas bien compris les explications, ça, ça allait. Ce que je n’ai pas saisi dans tous ses détails, c’est ce qui s’est passé exactement, à la fin et, avouons-le, c’est un peu embêtant.

J’ai relu les dernières pages sans noter d’amélioration de mon état et voilà pourquoi nous sommes redescendus à 3 étoiles et demi, ce qui nous fait quand même un 7 sur 10. C’est bien, non? Surtout que chacun sait que je note sec.


* Les félicitations spéciales du jury au traducteur qui nous a remplacé un titre original de deux mots d’anglais (the butt, eh oui) par un titre français… de deux mots d’anglais (c’est sûrement de l’humour de la même origine)

978-2757820186 

09 septembre 2021

 Heurs & malheurs du sous-majordome Minor  

de Patrick deWitt

*****


J'avais lu il y a quelque temps « French exit » de Patrick deWitt, qui avait retenu mon attention, mais sans déclencher mon enthousiasme. Suffisamment retenu mon attention tout de même pour que j'achète ce second roman dont le titre sibyllin et la quatrième de couverture m'avaient mise en appétit. Et cette fois, bingo ! Je suis conquise, et pleinement.

Il s'agit d'une sorte de conte pour adultes et il appartient donc au lecteur d'accepter de jouer le jeu et de se laisser emporter par l'histoire comme le font les enfants, sans souci de vraisemblance ou d’interprétation. L'interprétation se fera toute seule, de toute façon. Comme les enfants, il découvrira alors des choses et des idées qui elles, sont au cœur même de la réalité et échappent souvent aux plumes des narrateurs plus raisonnables. Et aussi, il découvrira des aventures extrêmement étranges, poétiques, drôles, effrayantes ou lugubres, en un mot passionnantes, qui l'embarqueront loin du train-train quotidien.

J'ai adoré cette liberté imaginative et Patrick deWitt dont je ne vais pas tarder à lire un autre titre, rejoint le club de mes auteurs bien-aimés. A tester absolument si vous aimez cette liberté de récit.

« Ils l'examinèrent, mais en songeant à leur propre vie, non à la sienne. »

Faites-en de même avec Lucien Minor, dit Lucy, dont le nom seul prête déjà à réfléchir, avant le moindre début d'aventure.


Quatrième de couverture :

« Mal-aimé, méprisé, mais bien décidé à forcer son destin, le jeune et délicat Lucien Minor, dit Lucy, quitte sans regret sa bourgade natale pour aller prendre l'improbable poste de sous-majordome au château von Aux, lugubre forteresse sise au coeur d'un massif alpin. Avec pour tout bagage son costume râpé et une pipe nouvellement acquise dont il ne sait se servir sans provoquer l'hilarité générale, le voilà qui fait son entrée au château sous la houlette de l'énigmatique M. Olderglough.

Très peu sollicité, Lucy a tout le loisir de découvrir que ces lieux inquiétants, en apparence inhabités, recèlent les plus noirs secrets, et de faire la connaissance d'une population locale haute en couleur : voleurs invétérés, fous à lier, aristocrates dépravés, mais surtout Klara, dont il tombe éperdument amoureux, se plaçant ainsi en périlleuse concurrence avec le bel Adolphus.

Commence alors un conte grinçant dont les protagonistes incarnent une étrange humanité toute pétrie de mensonges, de désirs malins et d'une perversité parfois érotique qui sidèrent Lucy quand il n'en est pas lui-même l'agent. Après le succès des Frères Sisters, le talentueux Patrick deWitt nous offre une comédie de mœurs des plus noires, une aventure électrisante entre dérision, fantaisie et cruauté. »

 

 Extrait:

« Je n'ai aucune estime pour quelqu'un si pressé de donner sa vie pour une idée », répliqua Mémel, et il cracha par terre pour affirmer son indignation. Lucy, pour qui la guerre demeurait un mystère, déclara : « Oui, et de quelle idée s'agit-il au fait ?

-  Tout est là, répondit Mémel (...) »


978-2330075958

06 septembre 2021

Homer & Langley

de E.L. Doctorow

****+

Le siècle défile

New-York. Les frères Collyer occupent une belle demeure sur la Cinquième avenue. L’aîné, Langley, est revenu de guerre (14-18) gazé et encore plus "original" qu’il l’avait toujours été. Le plus jeune, Homer, est devenu aveugle à vingt ans et s’en remet à son frère pour la plupart des choses. Les deux frères s’entendent bien. On sent entre eux une réelle affection, même si elle n’est pas très expressive. C’est Homer qui nous raconte leur histoire. Il utilise une machine à écrire braille que son frère lui a rapportée. Il lui en a même rapporté trois ou quatre d’ailleurs, car Langley est comme ça, il rapporte à la maison des choses dont ils pourraient avoir besoin. Et il en rapporte toujours plusieurs exemplaires (parce que si c’est utile, ce serait bête d’en manquer parce que celui que l’on a s’est cassé). Il faut donc qu’il y en ait plusieurs et que ce soit à l’intérieur, même si c’est une voiture (et à un moment, ça le sera). 

Langley sort, Homer, de moins en moins. Les objets que Langley rapporte témoignent de l’évolution technique (la révolution technique même) que connaît l’Amérique de ces années-là. Ainsi accumulera-t-il par exemple gramophone, tourne-disques, chaînes… Tout l’intéresse, il démonte (est nettement moins habile pour remonter), puis oublie dans un coin. Ses collections s’entassent, jamais rangées, jamais jetées. De même, leurs rares contacts avec le monde extérieur, sous forme de gens reçus chez eux, permettent de faire défiler des gouvernantes, des gangsters de la prohibition, des Japonais après Pearl Harbor, des hippies etc. Le siècle défile.

L’autre grand projet de Langley est une entreprise aussi pharaonique qu’existentielle : C’est parti de la Théorie du Remplacement qu’il avait formulée tout jeune :"Tout, dans la vie, a son remplacement. Nous venons en remplacement de nos parents exactement comme eux étaient venus en remplacement de la génération précédente." Extrapolant, il étend ce raisonnement aux évènements : "Il avait désormais développé une sorte d’idée métaphysique de la répétition ou récurrence des événements de la vie, où les mêmes choses se reproduisent éternellement." Et c’est ainsi que naquit le Grand Projet du "Journal unique pour tous les temps". 

"L’entreprise de Langley consistait à compter et à classer les informations par catégories (…)Ainsi qu’il le disait, il finirait –il ne disait pas quand- par disposer de données statistiques en nombre suffisant " La statistique des fréquences de répétition lui permettrait de savoir quand tel évènement aurait lieu et lui permettrait donc de publier ainsi "L’éternel journal toujours à jour" et de le mettre à la disposition de ses concitoyens pour une somme modique. Langley va consacrer sa vie, plusieurs heures par jour, à ce travail fou. Pour ce faire, il achète tous les jours tous les journaux, qui s’empilent ensuite dans la maison, envahissant toutes les pièces, formant piles montant jusqu'au plafond, des allées, puis un labyrinthe de plus en plus étroit où ils peuvent encore se déplacer. On ne sait pas si l’idée principale née dans cet esprit brisé par la guerre est de faire la preuve de la répétition inéluctable des choses et donc de l’innocence de l’homme qui ne peut aller contre, ou de tenter de saisir grâce au classement et à des formules schématisées, la réalité confuse d’un monde sur lequel il n’a pas prise et qui le blesse.

Témoin, Homer raconte et les peint sans illusion : Langley "avec ses poumons brûlés et sa quasi-démence (…) avait à sa charge un frère de plus en plus impotent."

 Les deux frères, fin d’une grande lignée, sont riches et cet argent leur permet d’aller jusqu’au bout de leur folie. Mais leur refus d’intégration les mènera à refuser de payer l’eau, l’électricité, les factures en tout genre, en conséquence de quoi il subiront les coupures et coercitions habituelles et se couperont totalement d’un monde dans lequel ils étaient pourtant arrivés avec une cuiller d’argent dans la bouche et où leur richesse les protège encore un peu. 

Mais pas de tout. On sait que l'histoire finira mal.

Pour ce roman, E. L. Doctorow s’est librement inspiré de la vie de deux frères ayant réellement défrayé la chronique new-yorkaise. On sent dans son travail la main de l’historien américain qui a réussi la gageure de faire représenter par ces deux exclus volontaires, le monde même auquel ils ont tourné le dos et son évolution dont ils se sont retirés.

9782330005757


01 septembre 2021

Betty  

de Tiffany McDaniel

****+

Je n'ai eu aucun mal à accrocher à ce livre qu'on m'avait chaudement conseillé (alors que, c'est bien connu, les conseils trop enthousiastes ont souvent un effet rebond désastreux). J'ai été happée par l'histoire bien découpée, un événement à chaque chapitre, cet événement étant généralement un coup dur mais le chapitre ne se terminant pas sans que le problème ne soit sinon réglé, au moins intégré et géré. J'ai aimé à ce propos que les obstacles, même les plus violents, soient combattus par la douceur et la poésie. C'est un aspect fascinant de la philosophie du père. J'ai donc suivi avec intérêt la "Petite Indienne" qui est notre narratrice depuis sa plus jeune enfance, jusqu'à son envol quelques 700 pages plus tard.

Ce sera un difficile périple. Des huit enfants du couple parental, bien peu survivront. Presque chacun était doué d'un talent artistique, combien l'exerceront ? Je vous laisse le découvrir. J'avais sans arrêt en tête ces photos des petits blancs miséreux à la Faulkner, sillonnant le pays à la recherche d'une embauche, d'une pitance, les enfants tristes accrochés à des femmes exsangues... et ici c'est pire, car si la mère est blanche, le père est indien et le racisme s'exerce sans fausse pudeur.

Etant la plus foncée de la fratrie, notre narratrice sera celle qui pâtira le plus de ce racisme, pourtant, plus encore que le racisme, ce que ce roman dénonce, c'est l'oppression des femmes. C'est vraiment un roman féministe, même si l'un des personnages principaux (et le plus sympathique pour moi) est un homme. Mais c'est un Indien, rejeton d'une culture matriarcale, et cela change tout chez un homme. Son âme habite tout le livre, avec sa vision animiste, toujours si positive malgré tout ce qu'il a vécu, sa bienveillance sans limite et son amour total de sa famille.

"Ta maman m'a trouvé. J'étais perdu mais elle m'a quand même trouvé. Je n'avais ni but ni nom avant ta maman. Quand j'étais enfant, les gens m'appelaient Tomahawk Tom ou Tepee Jack ou Pow-wow Paul, toutes sortes de noms, sauf le mien. Personne ne m'avait même jamais demandé comment je m'appelais, avant ta maman. Non seulement elle me l'a demandé, mais elle a même ajouté un «monsieur», à la fin. «Quel est votre nom, monsieur ?» On ne m'avait jamais dit «monsieur» avant cela."

Un roman très beau, très poétique, passionnant, allant d'une scène poignante à une autre, cette peinture de vies très difficiles ne laissant jamais l’intérêt retomber et parvenant à surprendre son lecteur jusqu'au bout. Cependant, pour ce faire, il aura fallu à Tiffany McDaniel être un peu trop systématique à mon goût. (un art distinct par enfant, l’éventail complet des crimes racistes et sexistes... ) On flirte un peu avec les limites de la vraisemblance, on frôle peut-être la caricature, mais moyennant quoi l'auteure n'occulte rien des réalités qu'elle voulait montrer et je pense que c'était le principal pour elle. Et puis il faut ce qu'il faut pour faire enfin comprendre les choses aux gens qui se demandent encore si les femmes n'exagèrent pas un peu... Au final, un beau bouquin quand même et captivant de bout en bout, ce qui ne gâte rien. Je conseille vivement malgré ce petit défaut..

Alors maintenant, imaginons : vous êtes dans la librairie ou une bibliothèque et vous vous demandez si vous allez ou non prendre ce livre. Alors, vous allez page 380 et vous commencez en bas, « Un jour, ... » jusqu'à fin 382 et vous saurez si vous allez aimer ce livre ou non. A vous de jouer.


Extraits :

« Papa dit qu'il n'y a rien de tel qu'un vieux chien pour attendrir un cœur dur comme la pierre. C'est pour ça qu'ils ont tant de valeur. »

 

« Pendant l'absence de Maman, Fraya a abandonné le lycée. Papa a été tellement déçu qu'il a peint en noir la dernière marche du porche devant la maison.

- Parce qu'une marche vient de mourir, a-t-il dit à Fraya.

- Les marches ne meurent pas, Papa.

- Elle est morte, Fraya, parce que tu n'as pas franchi cette dernière marche qui te menait vers une vie meilleure. »

 

« Donnez à mon père un couteau et un morceau de bois et il vous le transforme en quelque chose de beau. »

9782351782453

  • Éditeur ‏ : ‎ GALLMEISTER (20 août 2020)
  • Broché ‏ : ‎ 720 pages
  • ISBN-10 ‏ : ‎ 2351782453
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2351782453



29 août 2021

 Les Aventures de Tom Sawyer  

de Mark Twain

****


C'est avec les  Aventures de Tom Sawyer (1876) que Mark Twain, déjà journaliste, chroniqueur etc. a connu son premier vrai succès littéraire. Présenté aujourd'hui comme un roman pour enfants et édité dans leurs collections, il s'agissait plutôt d'un roman humoristique mettant en scène un galopin sans méchanceté mais paresseux et indocile, uniquement préoccupé de céder à toutes les idées saugrenues qui lui passaient par la tête. Cette disposition d'esprit lui vaudra quelques aventures et mésaventures dont le lecteur se réjouira jusqu'à ce que ses pas viennent à croiser ceux de vrais voyous et même assassins, et le jeu va alors prendre un tour plus inquiétant.

Je n'ai pas "lu" ce livre, mais je l'ai écouté avec plaisir. Je l'avais déjà lu étant jeune mais je ne crois pas que je l'aurais relu sur papier. Alors je me suis contentée de me le laisser raconter. Je ne perds jamais une occasion de recommander le site Litterature audio.com dont le lien est donné ici à droite. Combien de centaines de kilomètres en voiture, combien d'heures de jardinage, de ménage ou autre, ont filé sans peine grâce aux récits qu'il glissait dans mes oreilles. Pour ne rien dire  des grooos classiques un peu indigestes dont j'ai ainsi bénéficié sans peine.

Encore tous mes remerciements à tous les bénévoles qui font fonctionner ce site merveilleux qui est, rappelons-le, entièrement gratuit et même dénué de publicités. Le rêve ! Et une belle action de leur part. Utilisez-le et faites-le connaître vous aussi!


978-2012202344

26 août 2021

 L'homme-dé  

de Georges Cockcroft alias Luke Rhinehart

****


  « L'homme-dé » est un roman écrit en 1971 par l'écrivain américain Georges Cockcroft. Pour des raisons commerciales, son éditeur et lui-même ont choisi de donner à l'auteur le nom du personnage principal comme pseudonyme et de présenter le récit comme « semi-autobiographique », ce qu'il n'était guère mais qui a beaucoup augmenté son impact sur l'esprit de ses lecteurs, surtout dans les années 70, grandes chercheuses de modes de vie alternatifs.

 Donc, Luke Rhinehart, psychiatre bien installé bien que peu convaincu par son métier (Georges Cockcroft quant à lui était professeur d'anglais), s'ennuie dans sa vie familiale et professionnelle trop confortable. Il sent qu'il perd son appétit de vivre. Faute de préférence, pour pimenter sa vie et aussi pour se donner un prétexte pour céder à ses pulsions, il décide un jour de tirer aux dés ce qu'il va faire. Cantonnés au début à des choix secondaires, ces choix de hasard vont se systématiser et englober bientôt également les décisions les plus importantes. Cette expérimentation ludique prenant de l'ampleur, Rhinehart devient bientôt un personnage ingérable et totalement imprévisible, y compris pour lui-même. Il fait également des émules et les dés deviennent un choix de vie malgré les dangers qu'il représentent pour la personne et/ou son entourage.

 Comme on le voit, l'idée en soi est très originale et a beaucoup séduit à l'époque. Elle était vraiment dans l'air du temps et poussait certains raisonnements audacieux à leurs limites en en montrant une sorte d'expérimentation virtuelle. Cela n'est plus aussi fascinant aujourd'hui. De même l'époque de la révolution sexuelle, nous vaut de très, très, trop, nombreuses scènes de sexe qui ne sont plus transgressives pour le lecteur actuel qui se lasse bientôt de les suivre en détail (du moins, c'est l'effet que cela m'a fait), mais c'était l'époque où Portnoy avait son complexe...

Mon bilan personnel est que j'ai lu les pages de ce roman parfois avec intérêt mais sans jamais me passionner vraiment, contrairement à ce à quoi je m'attendais. Il m'a semblé que le récit, malgré toutes les possibilités ouvertes en permanence, manquait un peu de nerf. Et vers la fin, j'avais carrément hâte que cela se termine. Attention ! Ce n'est pas un mauvais livre et je lui mets 4 étoiles. Il y a beaucoup d'idées originales et intéressantes. C'est un coup de la malédiction habituelle des « livres-cultes ». Il faut les considérer dans leur contexte.


Extrait:

"Comme tout Américain digne de ce nom, j'ai une envie irrépressible de tuer. Pendant presque toute ma vie adulte, j'ai trimballé avec moi, comme une sorte de ballon de baudruche instantanément gonflable, une agressivité sans objet, un registre imaginaire de meurtres, de guerres, de pestes, auquel je faisais référence quand la vie devenait difficile (...)"


Éditeur ‏ : ‎ HarperCollins Publishers Ltd; 50th Anniversary edition (1 novembre 1999)
Broché ‏ : ‎ 560 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 0006513905







23 août 2021

Le club des incorrigibles optimistes  

de Jean-Michel Guenassia

*****

Prix Goncourt des lycéens 2009

Le titre est plus gai que l'histoire

Quatrième de couverture

"Michel Marini avait douze ans en 1959, à l'époque du rock'n'roll et de la guerre d'Algérie. Il était photographe amateur, lecteur compulsif et joueur de baby-foot au Balto de Denfert-Rochereau. Dans l'arrière-salle du bistrot, il a rencontré Igor, Léonid, Sacha, Imré et les autres, qui avaient traversé le Rideau de Fer pour sauver leur peau, abandonnant leurs amours, leur famille, trahissant leurs idéaux et tout ce qu'ils étaient. Ils s'étaient retrouvés à Paris dans ce club d'échecs d'arrière-salle que fréquentaient aussi Kessel et Sartre. Et ils étaient liés par un terrible secret que Michel finirait par découvrir. Cette rencontre bouleversa définitivement la vie du jeune garçon. Parce qu'ils étaient tous d'incorrigibles optimistes. Il manifeste un naturel épatant pour développer une dispute à table, nous faire partager les discussions entre un Russe communiste et un Hongrois antistalinien."

La première réflexion, une fois tournée la dernière page, est que j'ai vraiment passé d'excellentes heures avec ce roman dont les plus de 700 pages ne m'ont jamais paru trop longues. C'est que l'imagination de J-M Guenassia est suffisamment vigoureuse pour les approvisionner toutes de peintures, d'aventures, de réflexions et de découvertes les plus diverses. A travers le récit de toutes ces vies peu paisibles et pleines de drames et de passions, ainsi que de la sienne propre, le jeune héros nous fait découvrir toute l'histoire du 20ème siècle de cette Mitteleuropa qui y fut si agitée. C'est d'une part le monde des Français de métropole et celle des Pieds-Noirs qu'il nous montre, du côté de sa famille. Et du côté du café de lycéens qu'il fréquente (ça se faisait alors, cela ne se fait plus je crois) le monde des émigrés russes (les blancs, les rouges), tchèques, polonais, roumains, hongrois... j'en oublie peut-être, exilés plus ou moins volontaires, pauvres, nostalgiques, et tous jouent aux échecs (ce qui est communément considéré comme un signe d'intelligence). 

Michel pourtant, lui, joue aussi -et mieux- au baby-foot, c'est qu'il va nous présenter de son côté cette génération qui connaîtra tant de bouleversements sociétaux et arrivera bientôt à 1968... Ah ! On revoit le vieux Teppaz, les jukebox, les pions (espèce disparue il me semble et on se demande pourquoi il y a du chahut dans les collèges...) 

Ce roman étonne par la richesses et le nombre des univers mis en place. Il comble le lecteur le plus gourmand.

On aurait pu envisager que J-M Guenassia, pour son second roman, reprenne le personnage de Michel en le faisant vieillir un peu pour nous le présenter justement en 1968, mais cela aurait été très casse-gueule car il aurait dû le situer parmi les clivages politiques de l'époque et s'enliser dans ces sectarismes exacerbés qui n'ont plus de sens aujourd'hui tout en gardant leur pouvoir toxique. Le lecteur de notre 21ème siècle n'aurait pu l'y suivre de bon cœur. Heureusement, le second roman est tout autre, mais on y retrouve notre Europe de l'Est dont l'auteur semble tout connaître .

Citation : Famille

« On ne raconte pas aux enfants ce qui s'est passé avant eux. D'abord ils sont trop petits pour comprendre, ensuite ils sont trop grands pour écouter, puis ils n'ont plus le temps, après c'est trop tard. »

978-2253159643

20 août 2021

 

Le voyage de l’éléphant 

 de José Saramago

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Bavard et plaisant

Roman historique

Comme l’auteur l’explique lui-même en épilogue, sa rencontre avec une lectrice de portugais à l’université de Salzbourg a donné naissance à ce livre. Elle lui raconta l’aventure historique de cet éléphant qui fit "à patte", au XVIème siècle, le voyage de Lisbonne à Vienne et il se sentit inspiré par ce récit. Il la chargea de la documentation et se lança dans l’écriture de ce qui allait devenir "Le voyage de l’éléphant".

Salomon est un éléphant d’Asie qui réside à Lisbonne au moment où nous faisons sa connaissance car il est la propriété de roi du Portugal Dom João III. Devant un cadeau à Maximilien d’Autriche et désirant que celui-ci soit marquant, Dom João décide de lui offrir son éléphant, animal si rare en ces contrées que nombreux seront, en cours de route, ceux qui ne soupçonnaient même pas qu’une telle bête pût exister. (C’était ça ou une custode et apparemment le critère d’encombrement n’a pas joué). Maximilien accepte le cadeau et Salomon quittera donc Lisbonne pour rejoindre d’abord l’archiduc à Valladolid, puis Vienne en sa compagnie. Il sera accompagné de son cornac -qui sera le personnage que nous suivrons plus particulièrement tout au long de ce périple- et aura ainsi l’occasion de vivre quelques aventures et de rencontrer plusieurs formes de vies humaines et modes de pensée que nous observerons avec lui.

Nous retrouvons ici l’écriture de José Saramago, sa ponctuation particulière et l’absence des majuscules aux noms propres, sans que cela pose de réel problème de lecture, même au début. L’auteur a choisi de nous conter cette histoire sur le mode du bavardage prolixe. Le ton est léger, facile, il accroche bien son lecteur-auditeur (car on a plutôt l’impression d’écouter quelqu’un nous raconter une histoire) et surtout, tout le récit baigne dans un humour bon enfant tout à fait plaisant.

C’est pourquoi j’ai lu ce roman historique –car je le rappelle toute la documentation est réelle et l’auteur ne s’est pas permis de fioritures- avec facilité et sans bouder la tâche. Cependant, je dois dire, arrivée au terme de cette lecture, que l’histoire n’est pas vraiment passionnante. La fidélité à la vérité historique nous a privés sans aucun doute de mille aventures plus palpitantes. C’est bien, agréable à lire, intelligent et intéressant, mais je n’irai pas jusqu’à "passionnant".

C’est à vous de voir si vous vous sentez tentés.


Extraits pour vous donner un avant-goût de cet humour qui fonctionne par le regard que cela implique, posé sur les choses:

"La saleté qui l’avait recouvert auparavant et qui empêchait presque de voir sa peau avait disparu sous l’assaut conjugué de l’eau et du balai, et salomon s’exhibait maintenant aux regards dans toute sa splendeur. Assez relative, tout bien considéré. La peau de l’éléphant asiatique, et celui-ci en était un, est grossière, moitié grise moitié couleur café, parsemée de mouchetures et de poils, une déception permanent pour lui-même, malgré les conseils de résignation sempiternellement répétés selon lesquels il devait se contenter de ce qu’il avait et en rendre grâce à vishnou. Il s’était laissé laver comme s’il attendait un miracle, une sorte de baptême, et le résultat était là, mouchetures et poils." (p. 19-20)


" … encore qu’il fut plus qu’évident que la panse de la statue ne serait pas assez spacieuse pour contenir fût-ce une escadre d’infants, sauf s’ils étaient lilliputiens, chose impossible puisque ce mot n’existait pas encore. " (p.172)


"Il est difficile de comprendre que dans une région aussi accidentée, où abondent de vertigineuses chaînes de montagnes se chevauchant les unes les autres, il ait encore été nécessaire de découper les cicatrices profondes le l’isarco et du brenner* au lieu d’aller les placer dans d’autres endroits de la planète, moins richement pourvus en biens de la nature, où le caractère de ce stupéfiant phénomène géologique serait susceptible, grâce à l’industrie du tourisme, d’améliorer matériellement la vie modeste et résignée des habitants." (p.201)


* cols des Alpes


 978-2757819562

17 août 2021

Lulu femme nue 

 Second livre

d' Etienne Davodeau

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Bande dessinée

Diptyque 

Le ver est toujours dans le fruit

D'abord, un coup de chapeau au dessin, toujours excellent, aquarelles en complémentaires ocre et bleu, traits de plume fins et précis.

Ce sont les amis et la fille de Lulu qui, depuis le début, racontent son histoire et c'est par leur yeux et leurs témoignages que nous la découvrons. Ils nous l'ont racontée. Ce second livre (à ne pas lire si vous ne connaissez pas encore le premier) suit Lulu qui, ne s'étant pas encore sentie capable de rentrer, a décidé de prolonger un peu son escapade. Car c'est bien d'une escapade qu'il s'agit. Elle sait -et dit- depuis le début, qu'elle va revenir, mais elle a besoin de souffler avant. Mourant de faim, Lulu fait le pire choix possible et attaque une vieille dame à un guichet de banque automatique ! Bien sûr, elle ne peut mener à terme cet acte insensé mais elle entame ainsi la deuxième escale de son périple.  

Lulu va faire de nouvelles rencontres et, bien consciente du fait qu'elle ne peut laisser indéfiniment ses enfants à eux mêmes, tente de se préparer au retour. Son mari qui ne dessoûle pas a néanmoins trouvé sa trace dans son escale du premier livre mais n’en a guère tiré de bénéfice. Il n'envisage pas une minute de se débrouiller (même temporairement) sans elle, non parce qu'il l'aime, mais parce qu'il en est matériellement incapable.

Je n'ai pas aimé la fin qu'Etienne Davodeau donne à cette histoire et j'en ai été déçue. Je vais m'en expliquer dans les lignes suivantes, mais comme il me faut pour cela dévoiler la chute, je prie ceux qui ne veulent pas la connaître avant de la lire eux-mêmes, de ne pas me lire plus avant.

Voilà, attention spoiler :

Après cette seconde étape, Lulu rentre chez elle et retrouve son épave égocentrique et alcoolisée de mari et, aidée de ses amis, parvient à se convaincre que maintenant, elle peut reprendre cette vie avec lui et qu'il fera (peut-être) un effort tandis qu'elle (soulagée par cette évasion) pourra s'en accommoder. C'est comme si après avoir tout bien nettoyé autour de la tumeur mais sans l'enlever, votre chirurgien vous racontait que maintenant vous allez très bien pouvoir vivre avec elle. Le lecteur -la lectrice en tout cas- n'y croit pas une minute et se demande bien ce qu'on est en train de lui annoncer-là ! Il est clair au contraire qu'un des deux devait être sacrifié et ce sera Lulu. Comme d'hab'.

PS : On a tiré un film de cette BD... Je n'ai encore jamais vu de film réussi tiré d'une BD mais cela n’empêche pas d'espérer, n'est-ce pas ?

9782754801034


16 août 2021

 Lulu femme nue 

Premier livre

d' Etienne Davodeau

*****

Bande dessinée

Diptyque 

Histoire en deux volumes, cette « Lulu femme nue » est la présentation par un homme (Davodeau) d'une problématique féminine. Son empathie va loin au demeurant et est très honnête et bien réussie, sauf pour la fin, mais nous y reviendrons.

Lulu commence à vieillir et n'a jamais été belle. Elle a élevé trois enfants dont l’aînée a quinze ans et voudrait bien retrouver le monde du travail. Seulement, des mères de trois enfants qui n'ont jamais vraiment travaillé et en tout cas plus depuis quinze ans, le marché de l'emploi n'en manque pas et c'est bien dommage parce que justement, il n'en veut pas. Aussi l'entretien d'embauche qui ouvre le premier album se termine-t-il sans illusions. Mais, démoralisée, à la sortie, Lulu décide de ne pas prendre tout de suite le train du retour mais plutôt de s'accorder un peu de vacances. Elle n'a pas envie, immédiatement après cette porte fermée à son nez, de replonger dans sa vaisselle, son ménage et un époux tyran domestique, buveur, exigeant et peu aimant. Elle a besoin de souffler. Alors, sans plus de projets, elle prend une chambre d’hôtel, minable, car chez Davodeau, les personnages sont bel et bien aux prises avec les soucis matériels et ici, tout du long de l'histoire, Lulu n'aura pas un sou et les gens qu'elle rencontrera, guère plus. C'est une des grosses qualités de ces histoires.

Donc, Lulu part. Elle va voir la mer, dort sur des bancs, a froid, puis rencontre un homme avec lequel elle s'autorise une jolie « brève rencontre ». De son côté, son mari, bien évidemment incapable de faire face à quoi que ce soit, s'empresse de se laisser sombrer sans s'occuper de ses enfants, histoire de bien prouver à quel point elle est méchante de l'avoir abandonné (mais sans oublier toutefois de bloquer la carte bancaire qu'elle détient, histoire qu'elle ne risque pas d'avoir un sou).

A la fin de ce premier livre, Lulu, que la réalité a un peu rattrapée, quitte son amour éphémère mais, ne se sentant pas encore prête à rentrer au bercail, repart un peu plus loin.

Les dessins, l'histoire, les personnages, tout est beau et sonne vrai. Pas de romantisme échevelé, pas de grands sentiments, un réalisme scrupuleux qui soutient une vraie sincérité dont le graphisme se fait l'écho.

J'ai tout aimé ici.

(La suite demain)


978-2754801027