15 septembre 2025

Voici venir les rêveurs

d’Imbolo Mbue

*****

978-2266276122


"L'Amérique, ce n'est pas cela du tout. C'est un pays plein de mensonges et de gens qui aiment entendre des mensonges."

Jende Jonga, camerounais, a débarqué en Amérique grâce à un billet d'avion que son cousin déjà sur place lui a payé et à un visa touristique de trois mois. Il a cherché du travail et n'a trouvé de l'embauche que comme chauffeur de taxi officieux. Puis, il a enfin dégotté une bonne place de chauffeur auprès d'un riche banquier de Manhattan et fait venir sa femme et son fils restés au pays. Sa femme faisait des études et avait donc un visa d'étudiante. Parallèlement, Jendé a entamé les démarches pour obtenir l'asile et un titre de séjour permanent aux USA. Jendé est un homme d’une honnêteté radicale, simple mais sympathique. Il se caractérise par ce mélange de sagesse et de naïveté dont font preuve beaucoup d’Africains. Comme lui, son épouse Neni est courageuse et très déterminée. Elle veut absolument mener à bien ses études de pharmacologie. Elle veut absolument vivre en Amérique et s’y faire une place. Un deuxième enfant arrive. Né aux Etats Unis, il sera américain. La vie de la famille est modeste mais l’intégration est en bonne voie… sauf les papiers que Jendé n’arrive pas à avoir.

Dans un second temps, tout bascule.

Imbolo Mbue peint remarquablement bien les situations tant au Cameroun qu’aux USA, tout comme elle peint remarquablement bien les cheminements mentaux des uns et des autres. Elle montre sans juger. Elle ne désigne pas de bons ou de mauvais. Elle montre, avec une étonnante simplicité et un naturel parfait. Chacun a ses raisons d’agir comme il agit, même si le lecteur, quant à lui, a perpétuellement son avis, signe qu’il «marche à fond», s’implique et vit vraiment cette histoire. Jendé et Neni vont-ils pouvoir rester aux States ? Est-ce souhaitable ? Les USA sont-ils un grand état riche ou un colosse cruel aux pieds d’argile ?

Publié en 2016, c'était le premier roman Imbolo Mbue et il a remporté le PEN/Faulkner Award. Elle en a depuis publié un autre: "Puissions-nous vivre longtemps" Si j'en ai l'occasion, je le lirai. Même si Imbolo Mbue a quitté le Cameroun pour faire ses études et vit maintenant à New York, je dirais sans hésiter qu’elle est une auteure africaine et que son œuvre est à mettre au crédit de la production de ce continent.

Un très beau roman.

528p

11 septembre 2025

Journal inquiet d’Istanbul T2

de Ersin Karabulut

*****

  
9782205210996

Quatrième de couverture :

"L'histoire vraie d'un dessinateur de presse et du journal satirique le plus célèbre de son pays, en lutte contre le régime autoritaire turc."

J’avais beaucoup aimé et j’avais été très intéressée par le tome 1 du «Journal inquiet d’Istanbul» de Ersin Karabulut, donc, quand j’ai vu que le tome 2 était sorti et qu’il se trouvait déjà à la bibliothèque, je me suis empressée de l’emprunter. Ensuite, je me suis aperçue que j’avais trop oublié le tome 1 (deux ans, déjà) pour reprendre dans de bonnes conditions, alors vite, retour à la bibli et réemprunt du tome 1 qui par chance, était disponible. Je vous raconte ça pour que vous pensiez à emprunter les deux si vous vous trouvez dans la même situation.

Nous retrouvons donc Ersin Karabulut qui démarre à Istanbul sa carrière de dessinateur politique. Il faut savoir que les fanzines satiriques sont nombreux là-bas et très lus. Ses parents désapprouvent depuis toujours son choix de carrière car ils voient monter l’intégrisme et savent eux, de quoi ces gens sont capables. Mais, depuis qu’il est enfant, rien ne peut faire dévier Ersin de sa trajectoire. Peu à peu sa carrière se développe et il monte même son propre journal avec des amis même si ce n’est pas simple. Parallèlement, celle de Erdogan se développe aussi. Les promesses démocratiques ne lui ont pas coûté cher et ne pèseront pas plus dans l’évolution du pays. Partout, insidieusement, les choses changent. Les barbus se multiplient et jouent tout à l’intimidation, dans le non-dit bien réel et pesant tout de même. La société change en Turquie, même à Istanbul. On voit le pourrissement sournois de la situation malgré les tentatives de résistance de la part la plus évoluée de la société. Les manifestations de plus en plus brutalement réprimées ne pourront rien. 


On voit Ersin Karabulut qui s’exprime dans son journal, de plus en plus obligé de choisir son camp et donc, de plus en plus en danger. Sa vie, comme celle des autres Turcs et particulièrement les intellectuels ou les femmes, est impactée par l’emprise croissante d’Erdogan sur le pays. Les procès sous divers prétextes commencent leur travail de sape...

Ce tome 2 nous montre un pays qui bascule lentement dans le totalitarisme religieux tout en proclamant le contraire. L’auteur m’est très sympathique. C’est un humaniste et un rêveur mais qui va jusqu’à inventer et proposer des solutions (naïves et douces).

Il faut que tout le monde comprennent comment ces choses-là arrivent et se font. Personne n’est à l’abri. Ce sont des albums que j’offrirai. Je me précipiterai sur le tome trois dès qu’il paraîtra, et je souhaite à Karabulut de retomber toujours sur ses pieds, comme les chats qu’il semble aimer.

06 septembre 2025

Jésus-Christ Président

de Luke Rhinehart

****

9782373050653

Jésus discute avec son Père. Il est mécontent. Il en a même carrément assez. Il ne voit pas ce que les humains ne comprennent pas dans son message alors même qu’ils le répètent par cœur, avec plus ou moins d’ajouts regrettables d’ailleurs, depuis plus de 2000 ans. Il est venu sur terre et leur a tout bien expliqué et depuis, il espère et attend que ses préceptes soient appliqués (au moins par les joueurs de son équipe) mais il doit bien constater qu’il n’en est rien et que ça n’en prend même pas le chemin. Aussi demande-t-il à son Père de le laisser faire un deuxième essai. Cette fois, il ne va pas se réincarner (la crucifixion, non merci, déjà donné). Il veut s’emparer de l’âme de l’homme le plus puissant pour le faire agir vraiment selon ses préceptes et sauver le monde. Dieu le prévient tout de suite que ça ne va pas marcher.

« Il ne va rien se passer. Il va se faire flinguer, probablement, comme Martin Luther King. Ou se faire foutre à l’hosto psychiatrique. En quelques mois pas plus, tout sera fini. »

A force d’insister, Jésus obtient tout de même le droit de se lancer dans cette seconde tentative, mais à la loyale. Il n’aura pas droit aux miracles. Et c’est parti !

2006, George Bush junior, réélu Président des USA depuis deux ans, s’occupe dans le bureau ovale. Soudain, il se sent investi et découvre stupéfait que Jésus est vraiment en lui. Il en est très mal à l’aise, même si ce dernier ne fait rien d’autre que d’être là. Sur ce, arrivent Don Rumsfeld, M. Dick Cheney, ses vice-président et secrétaire à la défense, pour une réunion de travail sur la guerre qu’ils mènent en Irak et notre George horrifié s’entend leur annoncer

« Vous allez déclarer un cessez-le-feu immédiat et unilatéral, et annoncer que le gouvernement des Etats Unis a décidé de reconnaître la souveraineté de l’Irak et de ramener toutes ses troupes à la maison. »

Bush ne peut contrôler ni son corps ni ses paroles. Il n’est plus qu’une marionnette dirigée par Jésus et nous allons voir maintenant qui de ce dernier ou de son Père va gagner son pari.

J’ai lu cette politique-fiction parce que 1° je lis tout de Luke Rhinehart 2° j’avais envie de me distraire et ce point de départ me semblait riche en promesses. Moi aussi j’avais bien envie de savoir ce qui se passerait si Jésus Christ disposait des pouvoirs des USA et tentait de mettre réellement en œuvre ses idées dans notre monde moderne. Alors bilan ? Cela a été bien intéressant, et drôle aussi. Car Rhinehart a choisi une voie humoristique et sarcastique. Il met tout à plat et dézingue tout le système américain, tant extérieur -fin de tout combat et retrait-, qu’intérieur.

« Quand Jésus annonça au secrétaire du Commerce et à son chef de cabinet qu'ils devaient commencer à préparer la nationalisation de toutes les entreprises pharmaceutiques, pour que les médicaments puissent être vendus à prix coûtant, George rigola beaucoup en observant leur réaction : comme si le ciel leur était tombé sur la tête.

- Les médicaments servent à sauver des vies, se justifia Jésus. Personne ne devrait en tirer profit, sinon les malades. »

Bush, consterné et opposé au début, se laisse peu à peu séduire par l’entreprise et cesse de lutter (ce qui ne change d’ailleurs rien). Les autres, les membres de son gouvernement et aussi tous les Américains, ignorent absolument la présence de Jésus. Pour eux, il n’y a que le président et sa nouvelle politique. Les réactions sont variées mais généralement violentes. Cependant, le président est le président : on obéit. Il n’y a pas d’alternative, ou alors…

C’était à une époque bénie où on n’imaginait même pas qu’un Trump puisse s’emparer du pouvoir, mais les coulisses de l’impérialisme étaient déjà bien gratinées. On visite un peu tout ça et on va même marcher un peu sur l’eau avec George, en Irak.

Vous venez ?

Jesus Invades George: An Alternative History (2013)

02 septembre 2025

Ce qu'il faut de terre à l'homme

de Léon Tolstoï - Dessins de Martin Veyron

****

9782205072471

Rien de tel que la BD et un bon roman graphique bien fidèle pour faire aimer les classiques et les (parfois arides) auteurs russes à tout le monde ! Martin Veyron l’a prouvé avec cette fidèle adaptation de la nouvelle éponyme de Léon Tolstoï. Cette bande dessinée n’est pas récente mais elle n’en reste pas moins hautement recommandable. Il n’y a pas que les nouveautés dans la vie.

Un pauvre paysan vit une vie très modeste mais néanmoins plutôt heureuse avec femme et enfant en exploitant ses quelques terres, d’autant qu’ainsi que tous les autres villageois, il arrondit ses revenus en volant allègrement sur les terres de la barine. Celle-ci, vieillissante, ne s’en occupe plus guère et c’est son fils qui surveille un peu, mais il ne réside pas sur place. Il finit cependant par s’apercevoir des vols et décide d’installer un régisseur sévère pour y mettre fin. La vie devient plus difficile pour les paysans qui envisagent même une réponse radicale au régisseur. Mais pire encore, la barine vieillissant toujours, décide de vendre pour aller vivre à la ville pour plus de confort, de compagnie et de distractions. Le régisseur se porte immédiatement acquéreur. Ça va être un vrai enfer pour les villageois. Ils décident donc de se réunir pour acheter eux-mêmes les terres de la barine…

De fil en aiguille, notre paysan qui a un beau-frère négociant citadin qui lui conseille d’être plus ambitieux et de tenter de s’agrandir plutôt que de se contenter de ce qu’il a, se lance dans ce qu’on pourrait appeler maintenant une politique expansionniste, bien que sa femme ne semble pas enthousiasmée par ces changements. Nous allons le voir se donner à fond et déployer vraiment un courage et une ardeur au travail illimités pour devenir toujours plus riche.

Rendons hommage à Martin Veyron qui a parfaitement su illustrer ce récit et en a fait un album vraiment captivant. On passe un excellent moment avec ce conte moral dont la conclusion peut convaincre ou non. Pour ma part, je rejoins plutôt l’idée bouddhique selon laquelle l’homme est un arc, trop tendu, il casse, mais pas assez, la flèche tombe à tes pieds… Tashi Delek !


28 août 2025

L'art de perdre

d’Alice Zeniter

*****

978-2290155158

J'aurais dû lire depuis longtemps ce gros roman d’Alice Zeniter, mais je ne me décidais pas. J’avais pourtant beaucoup aimé son «Juste avant l'oubli », mais là, je craignais une énième saga familiale sur fond de "narration du moi" avec interprétations psychologiques, allez savoir pourquoi. Puis, je l'ai trouvé en audiolivre et j'ai voulu tenter le coup en me disant que je n'étais pas obligée d'aller jusqu'au bout si cela ne me m'intéressait pas. Mais jusqu'au bout je suis allée, et ce, sans difficulté. Tout d'abord, parce qu'à mon grand soulagement, je n'ai trouvé aucune trace de nombrilisme dans ce récit. C'est une saga familiale, oui, sur trois générations mais quelles générations! Celles qui ont scellé l'Histoire entre la France et l'Algérie et nous savons où nous en sommes aujourd’hui.

Le récit nous est fait par Naïma, personnage le plus proche de l’auteure et commence avec le grand-père de la narratrice. Naïma, Française, bien intégrée et travaillant dans une galerie d’art, est gênée par le non-dit familial concernant leurs liens avec l’Algérie et comme son physique lui vaut d’être constamment ramenée à cette question, du moins le pense-t-elle, elle s’interroge de plus en plus sur ce passé dont ses parents et grands-parents n’aiment pas parler. Concernant le grand-père, je dirais que c’est plutôt parce qu’il a le sentiment de ne pas avoir maîtrisé quoi que ce soit, ni même compris et même le sentiment qu’il n’a pas été récompensé de ses choix. Lui, bien établi, ancien combattant pour la France, amoureux de l’ordre et croyant en la toute puissance de l’armée, a choisi la France contre les rebelles en la victoire desquels il ne croyait pas.

"C'est ça, une guerre d'indépendance. Pour répondre à la violence d'une poignée de combattants de la liberté qui se sont généralement formés eux-mêmes dans une cave, une grotte, ou un bout de foret, une armée de métier étincelante de canons en tous genres s'en va écraser des civils qui partaient en promenade."

Ce faisant, il a tout perdu, sa maison, ses terres, sa place de notable pour ne sauver que sa vie, et de justesse. Combien de milliers de Harkis sont restés sur le quai quand le dernier bateau est parti emportant une foule qui avait même dû renoncer à ses bagages. Arrivé en France, « sa Patrie », qui avait déjà bien du mal à intégrer ses Pieds Noirs, il s’est retrouvé dans des camps de rétention. Alors non, il ne sait plus trop comment tout ça s’est passé.

Son fils, grandira dans ces camps puis dans une cité de l’Orne, apprendra l’humilité, pour ne pas dire l’humiliation

"Pourquoi est-ce que tu t'humilies? La politesse se rend, l'amitié se partage. On ne fait pas des sourires et des courbettes à ceux qui ne nous disent même pas bonjour."

il aura des métiers humbles et difficiles, mal payés affrontera le racisme et fera tout pour s’intégrer. Il ne sera bien sûr jamais désireux de se souvenir ni de transmettre les coutumes du pays qu’il a quitté si jeune, dont il ne lui reste que peu de choses et où il sait qu’il ne remettra jamais les pieds. Tout son être est tourné vers la France et l’intégration, même s’il ne progresse pas vite. Il sait maintenant qu’on ne se vante pas d’être harki, mais il sait aussi qu’en face, les purs de la rebellions ont été eux aussi bien vite éliminés par les postulants dictateurs. Il préfère dire qu’il a tout oublié, et c’est de plus en plus vrai.

Mais avec le début des attentats à Paris, le regard des autres renvoient Naïma à la question de son identité. Elle est française, c’est sûr, mais est-elle aussi algérienne ? A-t-elle envie ou non, d’aller voir la terre de ses ancêtres ? Elle n’en est pas sûre mais une obligation professionnelle l’y envoie et elle en profitera pour retourner jusqu’à la maison familiale, voir ce qui reste de ce passé occulté. Et en fait, c’est autre chose qu’elle va découvrir.

Dès son premier pas sur ce sol, elle va être confrontée à ce qu’implique là-bas, sa condition de femme. Elle, femme libre, se heurte aux dictacts sexistes du lieu. Elle s’y plie de son mieux, ne fume pas dans la rue, ne porte pas de short, se couvre la tête, marche tête baissée… comme on fait quand on est en visite et qu’on veut être polie. Mais accepter ça comme mode de vie ? Accepter définitivement que n’importe quel gugusse puisse l’agresser dans la rue parce que sa tenue ne lui plaît pas ? Sûrement pas. L’évidence s’impose d’emblée. Elle ne veut pas de cette vie-là. Sa grand-mère n’avait jamais été consultée sur les choix de son grand-père, même si toute sa vie en avait été totalement bouleversée et la famille dispersée. Sa mère coincée entre fascination pour la modernité française et nostalgie du pays perdu n’avait jamais suffisamment quitté l’appartement et la cité pour parler convenablement le français et se faire une vie française. Naïma, elle, a fait des études, a organisé sa vie professionnelle et sentimentale. Gère son indépendance, sa vie privée et sa liberté. Elle ne va pas y renoncer. Au contraire, la quête identitaire qu’elle vient de mener lui a permis de mettre les choses au clair pour poursuivre son chemin avec plus de sûreté.

Pour porter cette histoire importante, il faut enfin parler de l’écriture d’Alice Zeniter, qui est belle, fluide et maîtrisée. La structure en trois parties est simple mais colle parfaitement au propos, et sur le plan historique, on apprend ou révise comment tout cela s’est passé. C’est important et intéressant aussi, parce que loin d’être une histoire personnelle, c’est celle de trois générations de familles qui sont maintenant françaises pour la plupart.

608p


24 août 2025

Le sourire de Rose

de Sacha Goerg

****

978-2203088030


Enfin une BD claire, j'ai apprécié. Dessin nerveux et expressif qui ne boude pas ses couleurs. Belle aquarelle. Sacha Goerg a sa patte, on reconnaît ses dessins dès qu'on les voit. Des dessins incisifs, une mise en scène très vivante. Donc, de ce côté-là, aucun problème. C'est avec l'histoire que j'ai eu du mal.

Non, on n'a pas raison de voler quelque chose à quelqu'un juste parce qu'on en a envie et que ce quelqu'un est antipathique. Si on l'a fait dans un moment d'égarement, il faut le rendre, pas acharner au point qu'il finisse par y avoir mort d'homme. Ça dégénère vraiment ! Évidemment, l'antipathique victime du vol a tort de passer lui aussi aux grands moyens, mais cela n'efface pas votre responsabilité initiale. Ça en valait vraiment la peine ? Ce type n’aurait jamais dû mourir.

Et, deuxième point, non, on ne peut pas laisser des heures un jeune enfant seul dans une maison, même si on a "absolument besoin de partir". Pensez-vous qu'il n'arrive rien aux enfants quand les adultes qui en sont responsables ont "absolument besoin de partir"? Non. La vie, ce n'est pas comme ça. Faut grandir un peu.

Donc, pas pu m'attacher beaucoup à la "charmante" Rose, héroïne irresponsable de cette aventure et pas emballée en conséquence par la happy end, puisque j'avais passé tout l'album à vivement conseiller au héros de laisser tomber vite fait. Quand la première chose que fait quelqu'un que tu viens de rencontrer, c'est de te voler, à toi aussi ce que tu as de plus précieux. Arrête tout de suite! C'est pourtant simple comme règle, sinon ensuite viennent mensonges, autres vols et bien pire encore. Bref, plein d'aventures mais au point de vue de la gestion de sa vie sentimentales, Desmond n'est vraiment pas bon.

Bref, pas aimé cette histoire. Je sais qu’il ne faut pas tout prendre trop au sérieux, mais il ne faut pas que tout soit inacceptable non plus. Mais en tout cas, comme vous le voyez, j'ai marché à fond et j’ai pris fait et cause, signe qu'elle était bien menée et, je le répète, beaucoup apprécié les aquarelles et le graphisme.

19 août 2025

Conque

de Perrine Tripier

*****



978-2073056894


Je le fais rarement, mais cette fois, je vais vous fournir la quatrième de couverture, on gagnera du temps :

« Quelque part dans un pays battu par le vent du large, Martabée, historienne de renom, est mandatée par l’Empereur sur un chantier archéologique qui vient de mettre au jour les vestiges des Morgondes, guerriers-marins millénaires, dont seuls les bardes avaient gardé la trace. Martabée est chargée de les étudier afin de redorer le roman national.

Pour entremêler sa gloire à celle du pays, Martabée excave des héros et des mythes, avec émerveillement.

Mais quelque chose murmure sous le sable froid. Un appel sourd, dissonant, qu’elle devra choisir de suivre ou d’ignorer.

Lorsque la lucidité prendra le pas sur l’ivresse et sur la vanité, qui choisira de voir, et qui s’aveuglera encore ?

Fable politique et poétique, ce deuxième roman de Perrine Tripier allie le mystère à la contemplation.

Dans cette Conque s’enroulent des énigmes, portées par un souffle épique. »

Roman extrêmement ambitieux, fin et cérébral, qui n’a peut-être pas trouvé son public. « Conque » est une réflexion sur ce qu’est l’Histoire, sur le besoin que les sociétés ont d’avoir une Histoire et des historiens et sur les liens de ces derniers avec le pouvoir. Tout le monde connaît le lieu commun qui consiste à rappeler que l’histoire est toujours le récit du vainqueur, mais cela ne considère que les relations entre deux nations, deux sociétés différentes. Qu’en est-il à l’intérieur d’une même société ? Comme les individus, les sociétés ont besoin d’un récit qui les structure et les justifie. Ce récit leur est fourni au départ par leur environnement et leur histoire, puis ils le corrigent, l’organisent et l’améliorent dans le but de se renforcer. C’est de cela que Perrine Tripier a voulu parler, et c’était très ambitieux.

Pour simplifier et ne garder que ce qui servait vraiment son sujet, elle a épuré. Elle a sorti son récit du temps et de la géographie. On ne sait pas où cela se passe. En fait on comprend vite que c’est dans un lieu imaginaire et dans un temps imaginaire aussi, qui mêle l’image primaire d’un empereur tout puissant qui trône torse nu sous des fourrures, et celle moderne des armes à feu, des journalistes, des musées etc. Cette nation s’est construite sur le glorieux passé d’ancêtres appelés Morgondes, braves, beaux et brillants qui ont investi le pays et bâti leur monde. Malheureusement, de ces ancêtres, il ne reste que des contes et légendes. Aucune vraie trace historique. Pour une raison qu’on ignore, il y a eu une coupure et le monde actuel n’a plus de ses fondateurs que ces chansons et ces contes. Jusqu’à ce qu’on découvre enfin ce site archéologique inviolé. Martabée, femme solitaire et historienne reconnue, est chargée de diriger les fouilles et bénéficie de tout le soutien de l’empereur. Dès le départ, elle sent bien que ce soutien luxueux est aussi une main-mise sur les travaux mais elle ne peut l’éviter et puis, c’est toujours comme ça et ce n’est pas si grave. Mais que se passerait-il si on découvrait quelque chose qui jetterait à bas la légende des glorieux ancêtres ? Quelles seraient les conséquences ? L’empereur mécontent, certes, mais peut-être pas seulement. Toute la nation actuelle n’en serait-elle pas bouleversée, menacée même ? Et dans ce cas, quelle serait la réaction du peuple ? Du pouvoir ? Allons plus loin, quelle devrait-être selon vous la réaction du pouvoir ? Et des historiens ? Si découvrir le passé peut détruire le présent, que doivent-ils faire ? Et à propos, quel était leur rôle depuis la création de leur science ?

C’est à tout cela que Perrine Tripier vous fera réfléchir. Quand je vous disais que c’était ambitieux. Tout le monde ne suivra pas. Pourtant, les romans qui vont là où on n’est pas encore allé mille fois sont les seuls qui vaillent la peine d’être écrits.

14 août 2025

 Holly

de Stephen King

****

‎ 978-2226481474

Ce n'est pas parce qu'on est vieux, perclus de rhumatisme et gâteux, qu'on n'est pas dangereux. L'histoire qui va suivre va nous le prouver amplement.

Quoi de plus banal que ce nom : Harris et que ces deux retraités de l’enseignement? Quelque peu décatis, chacun à sa manière mais très attachés l'un à l'autre, indifférents par contre au reste de l'humanité et même impitoyables avec tous ceux qui les dérangent. Ils sont grognons, fermés, autoritaires, monomaniaques ... et fragiles. Pourtant ce sont eux les assassins et ils ont déjà un beau tableau de chasse, rien que des jeunes et des sportifs. Nous le savons dès le début de l'histoire. Il nous restera à découvrir comment, pourquoi, comment cela a commencé et comment tout cela va évoluer et finir...

Dans le camp adverse: Holly Gibney jeune femme, assez maniaque elle aussi, mais sur d'autres thèmes. Elle est détective privée et elle est déjà apparue dans cinq romans de Stephen King, La trilogie Bill Hodges (" Mr. Mercedes ", " Carnets Noirs " et " Fin de ronde ") ainsi que " L’outsider " et " Si ça saigne " , mais moi, n'ayant lu aucun de ces livres, je ne la connaissais absolument pas et je l'ai découverte ici où elle est le personnage principal. Je peux témoigner que le roman est parfaitement compréhensible même si on ne la connaît pas, mais je conseillerais tout de même de lire au moins la trilogie avant si on peut. Je pense que c'est mieux, car les évocations d'évènements anciens sont nombreux dans celui-ci et les connaître doit aider pour l'ambiance, même si ce n'est pas indispensable.

Et pour tout arranger, cela se passe pendant le Covid et la première présidence Trump. L'Amérique se partage en deux camps, ceux qui craignent le Covid, évitent les contacts, portent des masques et utilisent les gels désinfectants et ceux qui à l'image de leur président, se moquent d'eux, soutiennent que c'est juste un gros rhume et ne prennent aucune précaution particulière. Les Harris en font partie tandis qu'Holly appartient catégoriquement au premier groupe. Quand le livre commence, Holly vient de perdre sa mère qui ne croyait pas au covid et vient pourtant d'en mourir. Les deux femmes ne s'entendaient pas. Ce qu'Holly découvrira à la lecture du testament confirmera que ce n'était pas sans raison. Juste après l'enterrement en vidéo-conférence par crainte de la contagion, Holly se voit confier une enquête. Une mère éplorée, l’embauche pour rechercher sa fille qui a mystérieusement disparu, car la police croit à un départ volontaire alors qu’elle-même est persuadée du contraire.

Normalement, Holly a un coéquipier plus expérimenté et musclé mais il est cloué au lit par une "sorte de grippe" qui pourrait être le Covid ou pas, mais qui en tout cas va bel et bien finir par l’envoyer à l’hôpital. Bref, cette enquête que Holly accepte sans enthousiasme mais avec un intérêt croissant au fil des découvertes, se fera sans lui.

C'est un gros bouquin, mais c'est complètement addictif. C'est très violent, King n'est pas du genre "arsenic et vieille dentelles", on le sait. Violent donc, cruel, implacable et si on se doute bien que l’héroïne va remporter la partie, on va découvrir au prix de quels efforts et de quels sacrifices car ces vieux débris sont quand même terriblement coriaces et vindicatifs. S. King sait faire. Ses méchants sont rarement des adversaires faciles. Et pourtant, dans toute cette boucherie, le Maître a tenu à introduire plus qu'une touche de littérature et de poésie, vous verrez par vous mêmes.


528p

10 août 2025

1984

Roman graphique

de George Orwell (Auteur), Fido Nesti (Illustrations)

*****


9782246825760


« atmosphère envoûtante et le dessin aux teintes fantastiques de l’illustrateur brésilien Fido Nesti »  nous annonce l’éditeur qui n’hésite pas à ajouter « Il s'agit d’un des événements éditoriaux les plus importants de l’année à travers le monde. » On est modeste ou on ne l’est pas, mais ça a failli me faire passer à coté de cet album.

Je lis « 1984 » depuis mon adolescence, autant dire que ça date un peu. J’ai dû le lire intégralement trois ou quatre fois et y repenser des millions de fois. A chaque fois que je le lis, j’admire à nouveau la clairvoyance d’Orwell. Il avait déjà tout vu. On s’aperçoit aujourd’hui que notre monde a légèrement dévié de la trajectoire qu’il prédisait, ayant jugé plus facile et efficace de réduire les gens au confort du cocooning qu’à la misère maximale. Mais le résultat est le même et surtout, les moyens d’y arriver et de s’y maintenir. Bref, j’ai eu envie de relire encore une fois ce chef d’œuvre, et en même temps, de voir comment un dessinateur avait pu se tirer de cette gageure.

Au début, j’ai eu de mal à accepter le dessin. Les teintes de rouge et grisaille brune, sont tristes mais correspondent au récit. Par contre, je trouve que c’est souvent beaucoup trop sombre, au point d’être parfois peu lisible. C’est un défaut que je constate de plus en plus souvent. Je sais que ma vue baisse, mais je crois aussi que le dessin numérique a facilement ce défaut.


Le deuxième défaut constaté, c’est qu’à chaque fois que du texte anglais se trouvait dans le dessin, il n’avait pas été traduit, et cela concernait parfois des choses importantes qu’il fallait que le lecteur saisisse.


Et puis, voilà, rassurez-vous, mes reproches s’arrêtent là car, une fois le livre terminé, je me suis aperçue que je m’étais habituée au graphisme et aux couleurs qui ne me séduisaient guère au départ et que j’admettais qu’ils avaient complètement fait le job. C’était quand même un sacré défi que de se lancer dans cette retranscription graphique du roman d’Orwell. Il fallait oser et ne pas se ridiculiser totalement dans l’aventure. Je dois reconnaître que Fido Nesti a parfaitement réussi. Il a reproduit fidèlement la progression et la thèse de l’œuvre. Il n’a pas simplifié. Il a marqué toutes les étapes, et les points de l’analyse orwellienne. Il a rapporté ses arguments et démonstrations sans les appauvrir, et ça, dans une BD, ce n’était pas facile. Donc, bravo à lui aussi.

Et surtout, n’oubliez pas :

«Depuis le début du XXème siècle, l’égalité était techniquement possible. Avec le développement de la production, s’il était encore nécessaire d’employer les hommes à des tâches différenciées, il ne l’était plus de les faire vivre à des niveaux sociaux ou économiques distincts. »

Et pourtant...


05 août 2025

Le Magicien

de Colm Tóibín

*****


978-2246828259

Bien que romancée, ce qui permet d'assister à des scènes, de lire des dialogues et d'avoir entre les mains un récit extrêmement vivant et captivant, c'est bien une biographie que nous avons là, et une excellente. Elle retrace en détail et avec beaucoup de finesse psychologique, la vie du Prix Nobel de littérature que fut Thomas Mann. Elle est reconnue pour être exacte à part peut-être quelques erreurs de date (j’en ai relevé une) mais ne tirant pas à conséquence. C’est en tout cas une excellente façon de faire connaissance avec ce maître de la littérature allemande. Pour tout vous dire, une fois ce livre lu, je me suis enfin décidée à lire « La montagne magique » sur laquelle je lorgnais depuis des années sans me décider. Et j’ai eu raison car maintenant, le retrouver tous les jours est un vrai plaisir et non pas la lecture difficile que je craignais. Bref, aujourd’hui, je parle du Magicien. D’abord, pour information, pas seulement inspiré par le titre de son chef-d'œuvre, le titre vient du surnom attribué à Thomas Mann car, non content d’être un magicien des mots et des phrases, c’était aussi un père de famille qui aimait amuser ses enfants de ses tours de prestidigitation. Ils furent les premiers à l’appeler ainsi.

Nous allons donc suivre Thomas Mann de son enfance privilégiée de fils de notable (père sénateur) à sa mort, riche mais expatrié en Suisse, après une vie bien remplie qui connut deux guerres mondiales auxquelles ils fut même mêlé. Le T. Mann qui démarra la guerre de 14, non enrôlé mais acquis aux idées de son empereur, était bien différent de celui qui mourut à 80 ans, en 1955 en refusant de retourner vivre dans une Allemagne où il ne voyait plus que des complices d’un crime contre l’humanité.

Il obtint le Prix Nobel de littérature en 1929 ; il avait alors 54 ans et il ne bouda pas son plaisir, jouissant pleinement de son succès et de sa richesse. On doit avouer qu’il était plutôt snob et n’avait aucune pensée pour les démunis. Il ne voyait ni la misère autour de lui, ni les mouvements de contestation qui s’amplifiaient. Fin explorateur de l’individu, les faits de société lui échappaient eux, totalement. Cela lui sera reproché. Mais à cette époque, il donnait de nombreuses conférences partout, qui plaisaient beaucoup et il était enchanté de la vie qu’il menait. C’était une période durant laquelle il ne vit même pas monter le nazisme, lui dont l’épouse était d’origine juive. Mais quand il le vit enfin, il opta immédiatement pour un refus complet. Position dont il ne varia jamais et qui entraînera sa fuite en Suisse puis aux USA avec sa famille. A ce moment-là, les États Unis n’avaient pas encore déclaré la guerre à l’Allemagne et il était même loin d’être sûr qu’ils le feraient. L’opinion publique y était plutôt hostile, ainsi qu’à l’accueil des réfugiés. C’est dire. Mais finalement, cela se fit et Thomas Mann (envisagé par les Américains comme pouvant devenir numéro 1 après l’écrasement du nazisme) pensait que « L’Allemagne devait impérativement être vaincue et forcée à reconnaître ses crimes. Ceux qui avaient occupé le moindre poste de responsabilité allaient devoir etre jugés. Le pays lui-même était déjà en ruine »

A ce moment-là T. Mann ne s’y sentait plus chez lui. Il ne voulut jamais s’y réinstaller. Il ne pouvait oublier que tous ceux qu’il y voyait avaient bon gré, mal gré participé à tout cela et il ne pouvait plus s’y sentir à l’aise. Les USA le fatiguaient aussi, le vent ayant tourné avec la mort de Roosevelt, et c’est en Suisse que le Magicien a finalement choisi de finir ses jours avec ce qui restait de sa famille.

Je m’aperçois avec surprise que j’ai résumé sa vie à très grand traits sans évoquer du tout son homosexualité refoulée. Pourtant, impossible de comprendre son œuvre sans avoir cela à l’esprit. Toibin en parle très bien.

Conclusion : La courte biographie que je viens de vous tracer ne vous dispense pas de lire « Le Magicien » de Colm Tóibín car ce n’en est que le large canevas vidé de sa chair. Ce livre vous offre bien plus, une ambiance, des scènes, des dialogues qui vous permettent de vivre une période hautement historique en compagnie de tous ces personnages pendant les quelques jours que durera votre lecture, et d’en garder un souvenir satisfait. 600 pages qui se lisent avec facilité et sans ennui. Une totale réussite selon moi.


   
608p