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20 avril 2021

 Notre île sombre 

ou

Le rat blanc 

de Christopher Priest 

****+

Titre original : Fugue for a darkening island

 Paru en 1972 et traduit d'abord en français sous le titre Le rat blanc, le roman a été salué au départ comme particulièrement antiraciste puis, au 21ème siècle, comme raciste. Il me semble que cette dernière accusation tienne pour beaucoup au fait que le mot « nègre » y était couramment employé, mais c'est oublier qu'à l'époque il était couramment employé partout et n'avait pas de connotation spécialement raciste, du moins le "negro" anglais. Par exemple, on parlait sans problème d'"Art nègre". Aujourd'hui le mot est tabou. Compte tenu de ce malentendu, Priest a révisé son roman avant sa dernière réédition et la version française que je viens de lire n'avait rien de raciste. Je pense que ce genre de discussion n'a pas lieu d'être. Il y avait bien les britanniques d'un côté et les envahisseurs africains de l'autre, mais on comprend bien que le problème, c'est l'invasion, pas la couleur de leur peau. Ils auraient été vikings, cela aurait été pareil. On comprend bien aussi le bien fondé des motivations des deux camps. D'ailleurs au départ, le héros fait partie des Britanniques qui voudraient accueillir les immigrés mais la situation est telle qu’ils n'en sont bientôt plus là. Voilà l'histoire :

 Les pays riches ayant sur-exploité les richesses naturelles de l'Afrique au-delà de toute mesure sans s'y investir du tout et en laissant les pires situations sociales, spoliations, guerres, massacres etc. s'y développer aussi bien que la destruction de la nature, les incendies, désertification etc. tant que cela ne gênait pas trop leurs affaires, le continent est devenu totalement non viable au sens strict du terme et les survivants réfugiés n'ont d'autre choix que de s'emparer de n'importe quel navire et de tenter de gagner d'autres parties du monde. Le phénomène est mondial. Ils débarquent n'importe où et en particulier chez les anciens colonisateurs dont ils parlent la langue. C. Priest, d'une façon assez typiquement british ne considère que la Grande Bretagne, négligeant les autres pays traversés avant d'arriver chez eux. Pas de vision mondiale, ni même européenne. Mais bon... Au prix de milliers (ou bien plus) de morts, des réfugiés parviennent à atteindre Londres dans des paquebots pleins, des cales aux ponts, de milliers de personnes dont beaucoup n'ont pas survécu au voyage. Pour les autres, à peine touché terre, ils s'enfuient en tous sens et se répandent dans la ville. Ces débarquements sauvages se poursuivant constamment (les Africains n'ont pas d'autre choix) les «envahisseurs» sont bientôt assez nombreux pour se regrouper et s'organiser d'autant que les businessmen qui ont réduit leur monde en cendres sont tout prêts à leur vendre toutes les armes qu'ils veulent. Les affaires sont les affaires. Nous suivons le personnage principal qui en quelques mois va basculer d'une vie bourgeoise et moralement médiocre de professeur peu inspiré, avec épouse, fille, maîtresses etc. à une existence de desperado dépourvue de tout et prêt à tout. Le roman vous raconte comment.

Le début m'a fait penser à «La guerre des mondes», de H.G. Wells, quand les deux héros se rendent sur les lieux où les deux vaisseaux (maritime et spatial) ont touché terre et observent l'arrivée des intrus. Il y a vraiment un parallèle entre ces deux scènes. Ici, le héros n'a rien de particulièrement sympathique. C'est plutôt un «homme moyen», le sujet c'est plutôt la situation et la façon dont elle survient et se développe. Comme souvent en science fiction, l'auteur a voulu explorer un danger en le poussant à son extrême. C. Priest dit qu'il a voulu faire un roman-catastrophe moderne et il y a parfaitement réussi puisque cette fiction de 1972 a l'air d'avoir été écrite hier. Par contre, peut-être parce qu'il a également des ambitions littéraires, la structure choisie (récit éclaté dans le temps en passages brefs, sans avertissement) rend la compréhension un peu difficile au début. C'est néanmoins passionnant.

Moralité, veillons bien à ce que l'Afrique (ou toute autre partie du monde) soit un continent où il fait bon vivre car, "Il apparut bientôt qu'on ne pouvait échapper nulle part à la chute de l'Afrique."

978-2070469031