08 juillet 2025

L’enquête corse Jack Palmer -

René Pétillon

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978-2723469425

(Si vous ne voyez pas bien, cliquez sur l'image)


Il faut avoir en mémoire que cet album a été publié en 2000. Les années 90 qui venaient de s’écouler avaient été marquées par une situation agitée, confuse, mouvementée et même violente en Corse. Les groupes indépendantistes se multiplient, se scindent, s’unissent, se combattent… Des bombes sont posées, des balles tirées… La gendarmerie est débordée. Ça explose un peu partout et on ne sait pas toujours qui a posé la bombe ni même pourquoi, quant à le prouver… autant y renoncer tout de suite car s’il n’y a qu’une seule constante, dans tout cela, c’est que personne n’a rien vu ni rien entendu. Omerta.

C’est dans cette île paradisiaque que débarque notre jack Palmer, chargé par un notaire parisien de retrouver un certain Ange Léoni, adresse inconnue, pour lui remettre une lettre suite à un héritage. Palmer ignore tout de la Corse, mais comme toujours, il est confiant. On lui confie une mission, il la remplit sans chercher plus loin. Il a toujours la même technique d’investigation : il va au cœur des lieux concernés et pose directement la question aux gens qui s’y trouvent.

 Or il se trouve qu’Ange Leoni n’est pas n’importe qui. Pour commencer, il a vraiment disparu et si les gens qui le cherchent sont nombreux, ce n’est pas juste pour lui remettre une lettre. Leoni, qui a transité par un peu tous les groupes clandestins, est à chaque fois reparti avec la caisse et c’est à ce sujet que ces messieurs ont des questions à lui poser. 


Ils ne sont pas peu surpris de voir débarquer l’improbable Jack Palmer qui, isolé qu’il est sur son petit nuage, ne se laisse pas démonter par l’ambiance.

Encore un grand moment de l’investigation policière et de l’enquête socio-politique avec notre détective préféré au mieux de sa forme puisqu’il remporte le Fauve d'or - 2001 à Angoulême avec ce titre. Un film en a été tiré mais je ne l’ai pas vu et ne peux donc pas en parler. (PS : Je n’ai jamais vu un bon film tiré d’une BD, mais je dis ça, je dis rien.)

03 juillet 2025

Le numéro un

de Mikhail Chevelev

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978-2072968600


Comme dans son premier roman "Une suite d’événements", Mikhail Chevelev a choisi ici de nous montrer la Russie post 1991 à l'aide d'un thriller. En fait, l'histoire commence un peu avant, en 1984. C’était le règne des pénuries de denrées et d'argent et des innombrables petites magouilles pour tenter de se procurer quand même ce qui faisait défaut. Tout le monde traficote. Il n'y a pas moyen de s'en sortir autrement, n’empêche que notre personnage principal, Vladimir Lovitch, 25 ans, se fait prendre. S'ensuit un petit passage au commissariat et une malencontreuse rencontre avec le KGB dont il est impossible de savoir ce qu'ils veulent vraiment mais qui le laisse repartir libre sans trop de difficultés, après la simple signature d'un papier affirmant sa bonne volonté pour tout ce qui serait d'informer le KGB de choses suspectes qu'il pourrait découvrir par hasard. Quand vous êtes retenu dans un commissariat et que le KGB vous demande si en cas de découverte suspecte vous seriez du genre à la lui dissimuler ou à la lui signaler, vous n'hésitez pas longtemps sur la réponse à fournir, d'autant qu'on parle dans l’absolu, sans sujet précis de réalisation de cette hypothèse. Et ça ne va d’ailleurs pas plus loin. Vladimir signe ses déclarations et repart libre comme l'air. Il n'y aura pas de poursuites et les années passant, il n'y pensera plus, d'autant que le tournant des années 90 est pris et que la libéralisation et le grand désordre économique s'installent. Vladimir gagne sa vie comme traducteur, mais maigrement et s'il y a enfin des marchandises dans les magasins, elles sont chères et il ne gagne pas assez pour se les fournir. Il est maintenant marié et heureux en ménage, mais fauché.

Un jour, il rencontre Ilya, un de ses anciens copains d'études et découvre que contrairement à lui, ce dernier qui s'est lancé dans les affaires, roule sur l'or. Les affaires, en Russie, ça veut dire mafia qui n'est pas sans lien avec l'ex-KGB... mais il n'y a pas d'autre façon de faire du commerce, et Ilya l'embauche aussitôt avec un très gros salaire et la vie de Vladimir devient soudain parfaite.

Sauf que, comme dit le proverbe, pour dîner avec le diable, il faut une longue cuillère et Vladimir va finir par s'apercevoir que la sienne ne l'est pas assez.

Un thriller intéressant et un terrain et des ressorts nouveaux (pour moi du moins). Ca donne vraiment à la fois une impression de réalisme très banal et de dépassements perpétuels des limites communément admises. En Russie, les choses suivent une loi qui leur est bien particulière. C'est sûr que quand l'état est le gangster numéro un... ça change la donne.

Donc une bonne histoire, un bon décor et de bons personnages. Des revirements surprenants et une parfaite logique interne. Sur la fin, la vraisemblance bat un peu de l'aile, mais retombe finalement plus ou moins sur ses pattes. Par contre je n'ai pas été éblouie par le maîtrise du récit et la construction du roman (on est dans la Blanche de Gallimard, quand même, si ça veut encore dire quelque chose). Le récit non chronologique avec les dates en tête des courts chapitres, ça évite un récit trop linéaire mais on a vite fait de ne pas lire la tête de chapitre et de se perdre un peu. Et puis, quand par exemple l'un des personnages raconte à l'autre des choses que le lecteur sait déjà, ça donne une impression gênante de répétition. Et pour en revenir aux personnages, ils sont parfois étranges. je pense à David qui manifeste si peu d’émotions et qui fait soudain preuve de capacités très surprenantes pour quelqu’un comme lui… ça étonne.

Mais à défaut de monument littéraire, comme thriller ou roman noir, ça va. On accroche et on n'en fait qu'une bouchée (moins de 200 pages).

28 juin 2025

Martin Eden

de Jack London

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978-2070793983

Le roman « Martin Eden » de Jack London, nous raconte l’histoire de ce jeune homme parti du bas de l’échelle sociale, puisqu’il était simple marin dans différents équipages. Fort, habile, grande gueule, charismatique, il est réputé dans son microcosme et c’est par goût de la bagarre, qu’il se trouve un beau soir à sauver la mise d’un jeune bourgeois qui s’était aventuré en des lieux un peu trop rudes pour lui. Pour le remercier, celui-ci l’invite à dîner chez lui (c’est un peu surprenant, mais bon…) et c’est ainsi que Martin découvre un monde dont il ne soupçonnait même pas l’existence et rencontre une jeune fille dont il tombera immédiatement éperdument amoureux : la sœur de celui qu’il a sauvé. Celle-ci n’est pas totalement indifférente à son charme barbare. Inculte, non éduqué et non policé comme il est, il va décider de se former entièrement et de les égaler tous, voire, les surpasser. Il va s’avérer que Martin est d’une intelligence, d’une volonté et d’une capacité de travail nettement au-dessus de la moyenne. Il va reprendre ses études à zéro, les mener au niveau supérieur dans les disciplines humanistes et sentir immédiatement qu’il a l’âme d’un écrivain. La demoiselle quant à elle, ne va jamais envisager de changer quoi que ce soit de son côté mais se met à l’aimer de plus en plus, sans jamais cependant croire en ses talents d’écrivain et en lui demandant jusqu’au bout de trouver un emploi bourgeois tandis que lui, toujours libre dans sa tête ne peut se concevoir domestiqué et découvre plutôt le darwinisme social de Spencer et la politique.

C’était le 10ème roman de Jack London. Il l’a écrit en 1909 alors qu’il avait 33 ans. (Il est mort à 40ans). On ne peut pas dire que ce roman soit autobiographique. Jack London n’est pas Martin Eden. On ne peut pas davantage nier qu’il y ait mis beaucoup de lui-même et qu’il se soit souvent vu sous ses traits. Il lui a attribué, des qualités et des défauts qu’il pensait être les siens, en les exagérant même. Il a par ailleurs nourri tout le roman d’aventures et d’anecdotes glanées directement ou indirectement, au cours de sa propre jeunesses. Eden est un London jeune, épuré.

J’ai longtemps repoussé la lecture de ce pavé. Je dois reconnaître que j’avais peur de m’ennuyer au moins un peu. Je craignais qu’il ait vieilli, que les passages un peu longs soient nombreux. J’ai eu la surprise de ne pas en trouver un seul ! Ce roman n’a pas pris une ride. On suit avec intérêt la croissance et les mutations de l’aventurier des mers écrivain. On y découvre une peinture sociale variée et très réaliste et juste. Il est rare que les vrais pauvres aient la parole. Surtout à cette époque. London la leur donne. Il peint leur condition et leurs façons de vivre, et pas un mot ne sonne faux. Il peint aussi la bourgeoise et grande bourgeoisie, de façon moins intime, certes, mais avec une objectivité clairvoyante qui marque ; et il se dépeint lui, qui ne fait bientôt plus partie du premier monde et ne sera jamais vraiment du second...

Quant à l’interprétation du roman, je me suis aperçue qu’elle pouvait beaucoup varier selon les lecteurs. Certains y voient surtout une histoire d’amour, d’autres une histoire politique et sociale, d’autre encore l’aventure personnelle d’un individu hors normes. Selon leur vision, ils expliqueront différemment la fin et le moment où il s’est perdu. Pour ma part, je considère que c’est lorsqu’il a arrêté d’écrire. Il n’aurait jamais dû. Et je n’en dis pas plus pour ne rien déflorer et laisser tout le plaisir à ceux que j’aurais convaincus de lire ce roman, ce que je ne saurais trop vous conseiller si ce n’est pas encore fait.

592 pages




24 juin 2025

Puzzle

de Franck Thilliez et MIG

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9782359105407

J’ai emprunté ce roman graphique à la bibliothèque parce que je n’ai jamais lu de roman de Franck Thilliez et que cette forme BD me permettait de le faire sans devoir lire 400 ou 500 pages de texte car je craignais que cela ne m’interesse pas beaucoup. Il s’est avéré que j’avais raison, je n’ai pas du tout été convaincue par ce scenario indigent. Pour résumer : le héros, un homme jeune, a été quitté par sa petite amie, mais ils participaient ensemble à un jeu de chasse au trésor en ligne et c’est en tant que partenaire qu’elle le recontacte car elle a trouvé un nouvel indice qui leur permet de progresser vers le faramineux butin de 300 000€.

Bon, alors, ce n’est pas compliqué. Vous voulez faire une histoire horrifique, vous vous demandez quels sont les décor effrayants où vous pourriez la situer pour mettre le lecteur en condition et vous vous répondez : cimetières, prison, hôpitaux borderline, salles chirurgicales ou de torture, asile psychiatriques avec enfermement, lobotomie forcée etc. Ah oui ! Très bon, ça ! On y va.



Le jeu conduit donc nos deux héros dans un ancien asile psychiatrique de sinistre réputation, maintenant abandonné. La sinistre réputation tient au fait que dans le passé, de nombreuses lobotomies et autres chirurgies sur des patient pas forcément consentants, y ont été pratiquées. Il est maintenant désert, ce qui ne le rend pas plus accueillant, d’autant que "pour ne pas être dérangé", des chiens féroces sont lâchés dans le parc qui l’entoure. Les derniers finalistes se retrouvent là pour la fin du jeu et l’attribution du trésor tant convoité. Dès l’arrivée, un message les avertit que rien ne sera réel à partir de cet instant car le jeu a commencé. Un message, car ils ne rencontreront jamais personne d’autre que les autres participants. Ils ne verront pas le/la/les (?) Maître du jeu. Ils trouvent bientôt un second message qui lui, dit que l’un d’entre eux va être tué. Est-ce un avertissement à prendre au sérieux ou cela fait-il partie du jeu ? Faut-il chercher à s’enfuir ou à découvrir les indices qui mèneront au trésor ? Etc.

Rien de bien nouveau, vous le voyez et rien d’original. On va enchaîner les clichés, la salle d’opération à l’abandon mais qui a l’air de servir quand même, la morgue déserte avec des corps présents ou pas… des cellules fermées, l’obscurité totale après une certaine heure, le doute entretenu en permanence et à bon compte sur la réalité ou la fiction d’un jeu de rôle (malgré quelques cadavres…) Une ou deux scènes un peu osées, mais si convenues… ! Et vous aurez même votre cimetière abandonné !


(pour info, il n’y a pas la moindre touche d’orange dans tout l’album à part un peu de rouge sur la couverture)

Donc, je le disais, on n’est jamais vraiment surpris. "Horreur" à bon marché et c'est parti pour une succession de clichés. Pour conclure, la clé de l’énigme est à la hauteur de ce qui a précédé.

Le travail du dessinateur en noir, bleu, blanc, est très professionnel et colle bien au texte. Rien à redire de ce côté. Rien de particulièrement inspiré ou artistique non plus, mais bon, il remplit le contrat.


20 juin 2025

Nous sommes le 21 juin, 😀

                Le Challenge des Pavés de l'été commence 💖

                            et se terminera le 22 septembre 2025

Si vous ne vous êtes pas encore inscrit, ce n'est pas grave, cela se fera automatiquement quand vous mettrez votre premier pavé.

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  PAGE RECAPITULATIVE PAVES DE L'ETE 2025

Actuellement :

16  participants 

pour  60 titres

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Comment ça va se passer?

Je vais relever ici les liens que vous aurez mis en commentaire et qui sont conformes aux règles du challenge.(Clic ici)



Les participants seront classés par ordre alphabétique jusqu' au 22 septembre. Le 23, il y aura aussi un récapitulatif selon les scores avec DISTRIBUTION DE MEDAILLES ! 👍👏

Les livres de plus de 700 pages pourront aussi participer aux Epais de l'été


Amusez-vous bien !  😄😁

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ANNE-YES

1- "Pétrole !" d'Upton Sinclair


BELETTE2911 

1- "La Maison des Soleils" d' Alastair Reynolds

2- "La Confrérie du sang -T2"  de John Gwynne

3- "Le Seigneur des Anneaux – 03" de J. R. R. Tolkien

4 - "The Empyrean - 02 - Iron Flame" de Rebecca Yarros

5 - "Le Livre qui refusait de brûler -T 01" de Mark Lawrence

6 - "Toutes les nuances de la nuit" de Chris Whitaker

7 - "La dissonance" de Shaun Hamill

8 - "Plus noir que noir" de Stephen King

9 - "La Confrérie du sang - T3 " de John Gwynne

10 - "Nevernight - T2" de Jay Kristoff

11 - "Servir froid" de Joe Abercrombie

12 - "Les ombres de Willowthorne" d'Estelle Faye ‭

13 - "La conspiration de l'ombre" de Steve Berry

14 - "Des Horizons rouge sang - T2" de Scott Lynch

15 - "Royaume en péril" de Thomas D Lee

16 - "L’année du lion" de Deon Meyer

17 - "Mage de Bataille T1" de Peter A. Flannery 


DASOLA

1 - "Toutes les nuances de la nuit" de Chris Whitaker


INGANNMIC

1- "L’art de perdre" d'Alice Zeniter

2- "Ovni 78"  de Wu Ming

3 - "Le blues des phalènes" de Valentine Imhof

4 - "La plus secrète mémoire des hommes" de Mohamed Mbougar Sarr

5 - "L’île des âmes" de Piergiorgio Pulixi

6 -  "Qui se souviendra de Phily-Jo" de Marcus Malte

7 - "Solénoïde" de Mircea Cărtărescu

8 - "Stöld" d'Ann-Helén Laestadius

9 - "Apeirogon" de Colum McCann



JE LIS JE BLOGUE

1 - "Le Chœur des femmes" de Martin Winckler

2 - "Amitié éternelle" de Nele Neuhaus

3 - "Les trois mousquetaires" d'Alexandre Dumas

4 - "Les enfants de la terre, T1 à 3" de Jean M. Auel

5 - "L'Ile mystérieuse" de Jules Verne

6 - "Les Piliers de la terre" de Ken Follett

7 - "La pierre et le sabre" d' Eiji Yoshikawa

8 -  "La parfaite lumière" d' Eiji Yoshikawa


KATHEL 

1 - "Sarek" de Ulf Kvensler

2 - "L’épicerie du Paradis sur Terre" de James McBride


KEISHA

 1 -  "87e district" T4 de Ed McBain


MAPERO

 1 -  "Tupinilândia" de Samir Machado de Machado

2 -  "François Mitterrand, le dernier empereur" de Pascal Blanchard et Nicolas Bance

3 - "Fragments d’un tout. Œuvres choisies"  de Ludmila Oulitskaïa


MISS SUNALEE

1 - "A Global History of Architecture" de  Francis D.K. Ching 

2 - "L’île des âmes" de Piergiorgio Pulixi

3 - "The Alienation Effect" d' Owen Hatherley

4 - "La lumière vacillante" de Nino Haratischwili

5 - "The History of the Disc Jockey" de Bill Brewster & Frank Broughton

6 - "Ovni 78" de Wu Ming


NANOU

1 - " D'or et d'argent" de Kathleen Winsor


PASSAGE A L'EST

1 - "Ion" de Liviu Rebreanu


SACHA

1 - "Le patriarche" de Witi Ihimaera

2 - "La fabrique des salauds" de Chris Kraus


SANDRION

1 - "L'appel du coucou" de Robert Galbraith


SIBYLLINE

1- "Martin Eden" de Jack London

2 - "Sarek" de Ulf Kvensler

3 - "Les fantômes de l'hôtel Jérôme" de John Irving 

4 - "Le Magicien" de Colm Tóibín


SYLIRE

1 - "Tata" de Valérie Perrin


TADLOIDUCINE

1- "Romans préhistoriques" de J.-H. Rosny aîné 

2 - "Les piliers de la terre" de Ken Follet



19 juin 2025

L'intranquille monsieur Pessoa

de Nicolas Barral

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978-2205206142


De Fernando Pessoa, je savais peu de choses : qu’il était portugais, que c’était un poète et un romancier. C’est léger. Aussi, quand j’ai vu cette biographie sous forme de roman graphique, je l’ai prise sans trop hésiter. Une bonne façon de combler mes lacunes. Je ne connaissais pas du tout l’auteur : Nicolas Barral, qui a tout fait ici, texte et dessins et ce, me semble-t-il pour la première fois. Si je ne me trompe pas, dans ses parutions précédentes, il n’était qu’illustrateur. Il a travaillé très sérieusement, comme l’atteste la bibliographie conséquente fournie en fin d’ouvrage, mais arrivé là, vous n’aurez de toute façon aucun doute à ce sujet. Les cinq étoiles que je lui colle aujourd’hui, attestent d’une biographie dessinée particulièrement fine, intelligente et réussie.

Nous commençons avec le personnage de Simão Cerdeira, jeune journaliste lisboète débutant en plaçant des piges dans différents journaux. Il rêve bien sûr de littérature, mais déjà, il doit assurer sa subsistance et un emploi de journaliste le comblerait. Parallèlement, Fernando Pessoa, pas si vieux mais rongé par son alcoolisme, va mal. Très. La rumeur se répand dans les milieux littéraires qu’il ne survivra plus longtemps avec son foie détruit par la cirrhose. Homme étrange et solitaire, aux positions politiques parfois douteuses, Pessoa est néanmoins un homme de lettres dont le talent est unanimement reconnu, aussi, dans les rédactions, commence-t-on à préparer des nécrologies à la hauteur du personnage. C’est la tâche qui est confiée à Cerdeira. Conscient que son avenir se joue là-dessus, et par ailleurs, réellement admiratif du talent de Pessoa, le jeune journaliste va mener une enquête très complète, lire ses œuvres, rencontrer le plus possible de personnes l’ayant connu de près aux différents moments de sa vie. 



C’est tout ce travail d’enquête que nous allons suivre. Parallèlement, nous allons suivre le Poète lui-même, depuis le dernier avertissement de son médecin jusqu’à son dernier souffle, et découvrir un homme qui a choisi de vivre seul, dans son monde intérieur. Contentant à bon compte son peu de besoin de compagnie par son passage quotidien chez son barbier voisin et sans doute quelques cafés pour les bavardages… C’est que Pessoa, on ne sera pas surpris de l’apprendre, a une vie intérieure très intense, et même, pourrait-on dire, très peuplée. Depuis toujours, il écrit sous plusieurs pseudonymes, refusant farouchement d’admettre que ces alias n’existent pas, il affirme toujours qu’il les connaît, les fréquente et n’est que leur porte parole. Ils lui ont remis leurs notes ou leurs manuscrits, il en a une malle pleine, à charge pour lui de les mettre en forme et les diffuser. Il ne variera jamais de cette version si bien qu’il est difficile de savoir exactement quelle conscience il avait lui-même de la chose. On pense à Antoine Volodine, et à ses multiples alias, la confusion des identités en moins. C’est ça être un poète et pas seulement un romancier.

Donc, richement documenté, présenté de façon extrêmement vivante, finement vu et intelligemment montré, j’ai adoré cette biographie qui montre tout, ne juge rien, et accompagne le poète de façon si humaine. Le dessin quant à lui, m’a enchantée. Quel talent ! Quelle union heureuse des couleurs (collaboration de Marie Barral), des angles de vue, des éclairages ! Cette BD est une totale réussite. Bravo.



14 juin 2025

 Le Barman du Ritz

de Philippe Collin

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978-2226479938

Roman historique dont on parle beaucoup en ce moment, ce «Barman du Ritz» va nous placer supposément dans l’esprit du célèbre barman et dans les coulisses de l’établissement iconique du luxe et de l’esprit parisien. Le récit commence avec l’arrivée des Allemands au bar et se termine avec celle des Américains. Quatre ans se sont écoulés, quatre ans durant lesquels il a bien fallu… s’adapter. La France envahie honteusement s’était repliée sous la ligne de démarcation, Pétain entouré de sa clique qui n’allait faire que croître et donner de plus en plus de gages aux nazis sans trop se faire prier. Mais le Ritz est à Paris, je ne vous l’apprendrai pas et lui, avait bel et bien les nazis à sa table et à son zinc. Il fallait faire bonne figure, et sans avoir l’air de se forcer. Et, comme tous les comportementalistes vous le diront, à force de mimer un sentiment, on l’éprouve. Telle était la France occupée. Une partie de la population essayant de vivre avec le minimum de changements et qui dirait à la Libération ne jamais avoir collaboré ; et une autre partie qui elle, de par sa profession, était bien obligée de cohabiter de manière rapprochée et donc de se soumettre davantage.

« Au fond, le pays ne demandait que ça : la paix et basta cosi. »

Et puis les lois antisémites, qui se mettent en place et là encore, deux clans chez les Français, ceux qui approuvent et ceux qui choisissent le déni. Souvenez-vous de vos arrières-grands-parents vous racontant qu’ils ne savaient pas.

Les années passaient, chacun avait une famille à nourrir, des proches à protéger, un commerce, une carrière à mener… il fallait bien faire avec. Il ne faut jamais oublier que la grosse différence entre eux et nous, c’est nous savons que cela a duré quatre ans. Eux l’ignoraient. Tel que c’était parti, les Allemands pouvaient très bien être là pour toujours. Ça change la façon d’estimer les choses et de choisir un comportement. Les irréductibles ont organisé la résistance, mais on n’en parle pas dans ce roman. Les autres se sont adaptés.

« Quant à tous les autres, guidés par l’opportunisme et surtout par la peur de perdre leurs privilèges, ils se sont adaptés aux exigences des temps nouveaux. »

Le Ritz au premier rang, c’est le moins qu’on puisse dire, mais Guitry, Arletty, Chanel, Cocteau, Mistinguett aussi, fidèles clients de l’établissement. Bref, de l’adaptation à la collaboration il n’y a qu’un pas sur une surface bien glissante… Si bien qu’à la fin,

« Au fond, personne n’aura envie de savoir ce qui s’est passé dans ce bar pendant quatre ans. Telle est la vocation d’un palace : un palais de contes de fées où le rêve ne doit jamais s’interrompre. »

Mais je le rassure, il y a bien d’autres endroits où on n’a pas eu envie de savoir, globalement, tous ceux où les personnages concernés étaient nécessaires à la poursuite des activités et au retour à la normale. On s’en est tenu aux cas les plus criants. Le pragmatisme gagne toujours.

Voilà ce que nous raconte ce roman historique : quatre années d’occupation nazie dans le Tout Paris. Il mêle une majorité de personnages réels et de faits historiques à quelques personnages fictifs apportant une touche émotionnelle. La focalisation sur le barman permet une vision toute personnelle et même une histoire d’amour. Il y a un peu de suspens, une résistance, plutôt suggérée que vraiment prouvée, il faut bien le dire. Du trafic de faux papiers qui sauve quelques Juifs, mais si bien rémunéré qu’on se demande si on est dans la résistance ou dans le business. Le barman sauve un jeune juif, mais celui-là, c’est un personnage fictif. Hemingway s’en va, Hemingway revient, et l’histoire est finie. Je n’ai pas spécialement aimé notre héros, j’ai méprisé (même si elle a pris cher) sa Blanche bien aimée qui confond addiction incontrôlée et résistance. J’ai compati pour certains mais globalement, ils sont tellement tous dans la normalité moyenne qu’on ne s’attache pas vraiment et j’ai trouvé que le récit manquait un peu de rythme et de punch au moins dans sa première moitié. Cependant, je l’ai lu avec intérêt et sans avoir à me forcer.

La maison d’édition, qui a du savoir-faire, a publié en même temps « L’Art du cocktail: Par le barman légendaire du Ritz » de Frank Meier, que les amateurs d’alcools forts et/ou d’Histoire et/ou les alcooliques mondains s’empresseront d’acquérir, mais moi j’en suis restée au pianocktail de Vian.