La peur des bêtes
d' Enrique Serna
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Nous avons ici un roman policier dans lequel Enrique Serna a voulu épingler la totale corruption de la police et du système judiciaire ainsi que du monde littéraire mexicain. Il a par ailleurs tenu à le faire sur un mode humoristique, voire comique, volontiers gras, qui nous vaut de nombreuses scènes franchement débridées, quantité de gueules de bois, sang, vomissures, bouges, caniveaux et morts violentes et stupides. Je vous présente l'affaire:
Evaristo Reyes se considère lui-même comme un futur écrivain et actuel journaliste enquêtant pour constituer un dossier à charge contre les abus de la police corrompue, mais cela, il ne l'est que dans sa tête. Objectivement, il est flic à la police judiciaire mexicaine et directement sous les ordres du très dangereux Commissaire Maytorena, pilier central de la dite corruption. S'il a pour l'instant réussi à ne pas avoir directement de sang sur les mains, il n'en a pas moins couvert bon nombre des exactions de son patron sans faire avancer d'un poil sa prétendue enquête. Lui-même, s'enfonçant chaque jour d'avantage dans les compromissions, commence à soupçonner que ce n'est plus que le paravent factice d'un pourri comme les autres qui profite des crimes. De plus, Maytorena lui fait peur (à juste titre), il n'est pas prêt d’oser lui jouer un sale tour. Ce qui va faire bouger les choses, c'est qu'Evaristo, soupçonné d'un crime que le Commissaire ne peut couvrir, va devoir l'affronter pour tenter de sauver sa peau et tenter de trouver le vrai coupable. Il s'y prend plutôt maladroitement, dans un état de lucidité amoindrie par la panique, l'alcoolémie et un rut quasi permanents. Le crime dont il est accusé est celui de Roberto Lima, écrivain revendicatif, ce qui l'amènera a reprendre son costume de journaliste et à s'enfoncer bien plus avant qu'il n'était jamais allé dans le microcosme littéraire qu'il découvrira presque aussi pourri et dangereux que celui du commissariat et qui lui fera perdre ses dernières illusions.
Pour tout dire, je n'ai pas été emballée par ce polar. J'y ai souvent trouvé le temps long... Dénoncer la torture et les assassinats policiers sur un mode humoristique, est un pari difficile, qui ne fonctionne pas trop bien avec moi semble-t-il.
Notre Evaristo mène l'enquête n'importe comment et sa progression doit peu à sa capacité de déduction. Il est plutôt comme une boule de flipper rebondissant d'un choc à l'autre. L’intérêt revient dans les vingt dernières pages avec, pour ma part, la petite satisfaction vaniteuse d'avoir trouvé depuis longtemps qui avait fait le coup. Et l'écriture est belle malgré le choix d'un lyrisme échevelé qui flirte parfois avec le ridicule.
C'est macho, c'est sexiste et homophobe. Comme ça, la messe est dite, amateurs de politiquement correct, reposez ce livre !
Il paraît que les collègues écrivains de Serna ont peu apprécié sa peinture du monde littéraire, on comprend bien pourquoi. C'est un vrai massacre. On a évidemment les mêmes choses en France et partout, mais d'une façon plus discrète et plus policée. Il n'est néanmoins pas mauvais de ne pas l'oublier.
"Il fut particulièrement intéressé par Les illusions perdues de Balzac, où il trouva des points communs avec son roman. Le personnage principal, le jeune poète Lucien de Rubempré, partait à Paris avec l'illusion de faire une carrière littéraire sans trahir ses idéaux, mais en se mêlant au petit monde littéraire de l'époque, un tas de fumier où aucun critique ne disait ce qu'il pensait et où des magouilles mafieuses décidaient du succès ou de l'échec d'un livre, il finissait par devenir un pharisien, vendant sa dignité aux clans d'écrivaillons qui détenaient le pouvoir littéraire."
9782752901958