29 juin 2021

 Breakfast of Champions

Kurt Vonnegut

****+

Imbroglio d'auteurs de SF

Un livre avec des dessins. J'adore ! Qui a dit que c'était les seuls à mon niveau ? En tout cas, en l’occurrence, il n'y aurait pas de quoi rougir, car il vaut mieux avoir l'esprit plutôt ouvert et délié pour comprendre le maximum de tout ce qu'il y a dans ce roman foisonnant et aux multiples niveaux. Quant aux dessins, pour en revenir à eux, ils sont de l'auteur lui-même qui aimait bien utiliser ses dons graphiques. 

Tout au long de ce récit, le narrateur tient à expliquer les choses dans le détail même pour ce que tout le monde connaît (comme le principe de l’arme à feu, par exemple) et les dessins y aident. On en vient à imaginer un prof extraterrestre expliquant le monde terrien à de jeunes E.T. Il faudra attendre la fin du roman pour s'assurer qu'il n'en est rien et ne donc, plus bien saisir le sens de cette façon de faire. Du moins, en ce qui me concerne.

Le narrateur est un écrivain de la cinquantaine du nom de Philboyd Studge. Ecrivain médiocre, « Mon ami Knox Burger me disait l'autre jour d'un roman qu'il paraissait aussi indigeste que s'il avait été écrit par Philboyd Studge ». Il a lui même créé l'écrivain médiocre Kilgore Trout, qu'on avait déjà croisé dans « Abattoir 5 » et que l'on retrouvera encore dans « Timequake » et « Galapagos » (mais dans ces trois cas, ce sera Vonnegut qui le créera). Ce personnage est donc quelqu'un d' important dans l’œuvre de Vonnegut. On a beaucoup dit qu'il représentait Theodore Sturgeon* (trout truite, sturgeon esturgeon) mais il serait bien léger de ne pas voir tout ce qu'il y a aussi de Vonnegut en lui.

 Ce Trout est un écrivain de SF qui a beaucoup été publié, mais peu lu. Il réussit ce paradoxe en étant édité par une maison de livres pornographiques qui n'utilisent ses œuvres que pour mettre un peu de texte entre les photos... Trout s'y est résigné mais cet arrangement ne lui vaut qu'un maigre salaire qui lui permet à peine de vivre. Aussi est-il très surpris quand il reçoit une invitation à être le conférencier d'honneur d'une réunion artistique, ayant été présenté comme « le plus grand auteur américain » par le milliardaire local, sponsor de l'évènement, totalement inculte et qui a fait glisser son enthousiasme des photos vers les textes. On appelle cela une sublimation, il me semble.

L'évocation des œuvres de Trout rappelle au lecteur la richesse de l'imagination débridée de l'âge d'or de la SF. C'est à peine exagéré et on se régale. Ce temps-là me manque, les auteurs savaient ce qu'inventer veut dire et ne reculaient devant rien. On rencontre aussi quelques idées que K. Vonnegut a lui-même utilisées dans d'autres romans. Bref, notre Kilgore Trout se rend donc sur place, mais en stop, ses moyens ne lui permettant rien d'autre, et il y va bien décidé, une fois au micro, non pas à caresser l'auditoire dans le sens du poil, mais à leur crier toute la misère dans laquelle les écrivains se débattent. Et a la leur montrer aussi, en se présentant, maigre, crotté (au sens propre d'ailleurs, suite à une pénible péripétie du voyage) et dans une tenue aussi minable que ridicule. Le périple donnera lieu à des rencontres pas banales qui nous seront racontées.

La ville où il se rend est celle de Dwayne Hoover, vendeur de voitures  « fabuleusement rupin » pour sa part. Rupin mais obèse, multidivorcé et surtout, en train de perdre la raison sans que personne ne s'en rende compte. Nous allons le suivre pendant plusieurs jours, connaître qui il rencontre ou côtoie, et constater l’aggravation de son comportement erratique.

Contrairement à ce que dit ma quatrième de couverture (il y a eu plusieurs éditions), la rencontre ne se fait qu'à la fin du livre, mais elle sera explosive.

Le style (celui de Philboyd Studge, donc, réputé ennuyeux) se veut assez objectif, ne répugne pas aux explications détaillées, aux listes et aux caractéristiques techniques (incluant la taille du pénis), et étonne constamment le lecteur. La couleur de peau est toujours annoncée. Peut-on mieux dire que chaque couleur implique une position ? 

Kurt Vonnegut aborde comme toujours les sujets qui lui tiennent à cœur. Ici, la pollution et l'écologie, le racisme, la religion (nous aurons plusieurs mythe originaux de la création), la création littéraire, l'art**. Il expose dans ses romans, et celui-ci particulièrement, une version simplifiée de sa vision du monde. C'est une vision désabusée qu'il présente sans concession mais en choisissant le ton de l'humour, cette « politesse du désespoir ». 

« Il se trouvait sur cette planète abimée tout un lot de « Communistes ». Ceux-ci avaient une théorie selon laquelle tout ce qui pouvait rester de la planète devait être partagé plus ou moins également entre tous ceux qui n'avaient jamais demandé, après tout, à vivre sur une planète perdue. Et, pendant ce temps, les bébés ne cessaient pas d'arriver, vagissant et gigotant, et poussant des cris pour avoir du lait.

En certains endroits, on voyait des gens essayer de manger de la boue ou de sucer des cailloux, tandis qu'à quelques pas des bébés étaient en train de naître.

Et ainsi de suite.

Le pays de Dwayne Hoover et de Kilgore Trout, où l'on ne manquait encore de rien, était opposé au communisme. On y estimait que les Terriens bien nantis ne devaient pas être contraints de partager avec d'autres, à moins qu'ils n'en aient envie, et la plupart n'en avaient pas la moindre envie.

Ainsi, personne ne les y obligeait.

Tout le monde, apparemment, en Amérique, agrippait tout ce qu'il pouvait et s'y cramponnait. Certains Américains étaient réellement très forts à ce jeu du prends-tout-et-cramponne-toi. Si bien qu'ils se trouvaient fabuleusement rupins. Et d'autres ne parvenaient même pas à mettre la main sur le minimum vital. »

Un roman riche et qui suscite ma sympathie.


* En clin d’œil, Philip José Farmer quant à lui a publié « (Le Privé du cosmos » sous le pseudo de K. Trout

** A noter à ce propos la présence dans ces pages de Rabo Karabekian, le peintre de « Barbe bleue ». C'est un peintre abstrait à succès et il fait dans un bar, face à des gens qui l'accusent d'être un fumiste,  une déclaration de foi sur l'art moderne qui bouleverse le narrateur. 

978-2290006603

26 juin 2021

 L'instant 

de Magda Szabó

*****

Tombé de l'arbre du temps

Lectori salutem

Amis qui aimez les lectures faciles et distrayantes, passez votre chemin, cet instant n’est pas le vôtre. Vous n’y prendriez guère de plaisir. Mais vous les classiques, les hellénistes, les latinistes, les fondus de la mythologie, les amateurs de contes et de mythes fondateurs, entrez! Ce que vous allez lire ici est tout sauf banal, tout sauf médiocre. Magda Szabó a osé  se lancer dans ce grand jeu littéraire : une variation sur l’"Énéide". Comme il y a avait eu une "Enéide" pour nous conter les aventures du grand Enée, elle nous a fait une "Créüside" pour conter celles de Créüse, son épouse d’autant plus oubliée qu’elle périt avec Troie et ne suivit donc pas le Bon Père dans ses aventures palpitantes.

Mais M. Szabó en a décidé autrement. "Et si", se dit celle qui connaît l’Enéide comme sa poche, "Et  si Créüse n’était pas morte? Si elle avait pris la place d’Enée? Et si c’était elle ensuite qui avait vécu toutes ces aventures, rencontré Didon puis atteint le Latium, posant les bases de ce qui allait devenir l’empire romain? Comment tout cela aurait-il pu se passer?" 

C’est ce que l’auteur imagine ici (fort bien) pour nous et nous conte, soutenue par sa parfaite connaissance du sujet et la beauté de son écriture. "L’instant" du titre, c'est celui où Créuse prend la place d'Enée. 

Les écrivains ont leurs lubies. Magda Szabó disait qu’elle avait depuis toujours rêvé de ce livre-là, qu’elle l’avait porté en elle pendant des décennies, qu’elle lui a donné vie avec passion et l’avait vu enfin édité avec un sentiment formidable de plénitude. Et nous lecteurs, nous voilà à demi incrédules, face à une œuvre incroyable, d’aucune époque, ou alors de toutes, qui nous étonne, nous désarçonne, ne ressemble à rien de ce que nous avons déjà lu et qui réussit la gageure de cet invraisemblable pari sans se ridiculiser. Pas banal!

Comme un fruit <i>"tombé de l'arbre du temps"</i> J'adore cette image <i>"je suis à présent  au bout de la branche, je tombe en tournoyant…"</i> C’est de la mort que M. Szabó parle ainsi, et elle en parle encore de façon tout aussi belle quand elle dit ailleurs: <i>"Cela viendra avec le temps, les Parques auront achevé le fil, les ciseaux claqueront quand le moment sera venu, quand l’avenir aura mûri."</i>

Mais si je reprends ici l’expression <i>"tombé de l'arbre du temps"</i> pour m’en faire un titre, c’est en la détournant complètement, en la séparant de la signification que l’auteur lui avait donnée pour m’en tenir à la seule image: La Creüside, récit d’une histoire vieille de plusieurs millénaires, est une œuvre littéraire qui s’est détachée de l’arbre du temps et s’est refusée à ses contingences. Telle un fruit mûri à la perfection, elle en est tombée et s’est offerte à nous, aussi vieille que la civilisation, aussi jeune que ma lecture d’aujourd’hui.

Dans "Le vieux puits", M. Szabó nous raconte comment enfant, elle reprenait ses histoires préférées et les modifiait pour qu’elles soient plus conformes à son goût. Elle nous raconte également comment adolescente, elle s’est passionnée à rejouer des pièces ou romans, interprétant tour à tour divers personnages et là encore modifiant le récit. Ici, à plusieurs reprises, on assiste à des "dialogues" où Créüse-Enée est en fait seule à parler et où l’on devine les réponses de son interlocuteur à ce qu’elle dit, elle, un peu comme lorsqu’on entend quelqu’un téléphoner. M. Szabó, d’âge mûr, réalisant son chef d’œuvre au sens compagnon-artisan du terme, a dû retrouver ses aptitudes, ses goûts et ses passions d’adolescente quand elle a imaginé et rédigé toutes ces scènes. Je la vois en Créüse, jouant toutes ces parties discutant âprement avec ses personnages. Je suis persuadée que c’est ainsi que cela s’est passé. Il y a un grand moment humain quand, vieillissant, nous retrouvons intact ce que nous étions adolescents et que nous pouvons renfourcher notre cheval d’alors et repartir à l’assaut de nos rêves pour nous y livrer avec autant de foi qu’autrefois. C‘est la nique au temps, car rien n’a changé, ou plutôt si, tout, sauf nous.

Vous vous demandez sans doute s’il est possible d’apprécier la "Créüside" si l’on ne connaît pas l’Enéide, eh bien à mon avis le peu qu’il vous reste de vos cours de lycée est nécessaire mais peut suffire et si vraiment il ne vous reste rien, la lecture de la fiche de l’Eneide fera l’affaire. Juste une petit rappel des faits très simplifiés, permet de prendre pied dans la Créuside, ceci dit, plus votre connaissance sera grande, mieux vous pourrez apprécier celle de l’auteur; et dans quelque cas que vous soyez, lisez le prologue avant de vous lancer.

Je mets 5 étoiles non pour le plaisir de la lecture qui est bon mais pas excellent, mais pour l’entreprise littéraire grandiose et folle menée ici à bien. Ces folies-là nous aident à croire en la littérature.

Citation :

"Tu seras roi, un roi n’est jamais seul, la solitude est l’apanage de ceux qui ne font pas partie des élus."

978-2878582901

24 juin 2021

Un homme 

de Philip Roth

****+

Ça m’agace

   Ça m’agace de lire un peu partout des commentaires du type «Le livre à éviter si on n’a pas un moral d’acier», «Un bon livre, mais qui vous donnera un sérieux coup de blues» et toute une série de variations sur ce thème ridicule. 

   On prend des airs libérés et ouverts à tout, on peut parler des camps d’extermination en se mettant dans la peau d’un des bourreaux, on peut raconter ses amours incestueux, les pires crimes ou je ne sais quoi encore on peut parler de TOUT je vous dis, et je trouve cela très bien. Sauf que ce n’est pas vrai. 

   Léo Ferré le chantait déjà il y a plus de 30 ans sur des paroles de son ami Jean-Roger Caussimon : 

   “Ne chantez pas la Mort, c'est un sujet morbide 

   Le mot seul jette un froid, aussitôt qu'il est dit 

   Les gens du show-business vous prédiront le bide 

   C'est un sujet tabou... Pour poète maudit” 

       Mais Léo la chantait quand même, sa chanson, et Roth a quand même écrit sur ce sujet, ce qui nous a permis de vérifier que sous des dehors clinquants, vulgaires, pornographiques, sadiques et en tous points scandaleux, la liberté, la maturité en fait, de penser n’avait pas progressé d’un pas. 

       Bref, ça m’énerve, parlons d’autre chose et pour commencer de ce roman pour lequel je suis là aujourd’hui. 

       Et pour être honnête, reconnaissons qu’il est des visions par lesquelles parler de la mort n’est pas si mal accueilli par les lecteurs, c’est lorsque l’on parle de la mort de quelqu’un d’autre, même si c’est quelqu’un de très proche. On parle du deuil et le lecteur s’identifie au survivant, il surmonte sa peine, il continue à vivre, il est vivant! Le principal est sauvegardé. 

       Mais le personnage principal de Philip Roth, ce «il» qui n’a pas de nom, ne survit pas. Il meurt bel et bien et je ne déflore rien en disant cela, puisque c’est même par son enterrement que commence le livre. 

       Le titre original du roman est «Everyman», c’est assez dire qui est ce «il». Ainsi lorsque je lis qu’ici, P. Roth a écrit un roman presque autobiographique et a donné vie à un personnage qui lui est beaucoup plus proche que d’habitude, je pense pour ma part que oui… et non. 

    Non, dans la mesure où le lien entre Roth et son personnage principal est tout aussi fort dans la plupart de ses romans et oui en ce fait que c’est bien son histoire qu’il raconte… ainsi que celle de son lecteur d’ailleurs. Everyman. Quand dans un roman vous voyez un personnage faire certaines choses, vous pouvez avoir fait les mêmes ou non. Quand dans un roman vous voyez un personnage vieillir et mourir eh bien oui, c’est ce que vous faites vous aussi. C’est exactement l’auteur ! C’est également exactement vous. Ce «il» raconte ce qui nous arrive ou va nous arriver de façon tout à fait inévitable. Il est temps de se faire à cette idée. 

    « Mon dieu, se disait-il, cet homme que j’ai pu être ! Cette vie qui m’entourait ! Cette force qui était la mienne ! Pas question d’aliénation, à l’époque. Jadis, j’ai été un être humain dans sa plénitude. » 

   On vieillit, on vieillira plus encore, notre corps nous trahira et nous en aurons honte. Nous serons faibles et désarmés, mais nous serons toujours nous, sous cette coquille abîmée. Nous souffrirons peut-être et nous lutterons de notre mieux, tentant de nous protéger. 

    « La vieillesse est une bataille, tu verras, il faut lutter sur tous les fronts. C’est une bataille sans trêve, et tu te bats alors même que tu n’en as plus la force, que tu es bien trop faible pour livrer les combats d’hier. » et plus loin : « Ce n’est pas une bataille, la vieillesse, c’est un massacre. » 

   Oui, mais c’est comme ça. On ne peut l’éviter. Il faut accepter les choses comme elles sont et, sans illusion ni vaines lamentations, faire de son mieux avec, ce que fait le narrateur de ce roman. Et puis il y a aussi, ces moments de bilan, on regarde sa vie, ce qu’on a fait, ou raté, «il» se félicite ou bien regrette, mais surtout «il» comprend qu’il n’y peut rien changer. Alors bien sûr, «il», c’est Roth. Et puis ce sera nous aussi. 

       C’est un sujet qui nous concerne tous, la vieillesse. Et découvrir la surprise incrédule que ce personnage éprouve à se voir devenir cet être diminué et fragile, c’est nous préparer à la nôtre que nous connaîtrons aussi. 

       Et c’est très intéressant de voir comment les autres vivent ça, ce qu’ils en pensent vraiment, découvrir leurs expériences particulières, les comparer aux nôtres. La mort est humainement un sujet passionnant. Je ne dis pas qu’il faut y penser tout le temps, au contraire, il est bon de ne pas y penser trop souvent, mais il faut être en mesure d’y penser parfois et de se sentir, sur ce sujet-là aussi, en cohérence avec soi-même. 

       Et non, ce roman ne m’a pas ruiné le moral. Il m’a beaucoup intéressée. Il ne m’a fait aucun mal, je savais déjà que je mourrai un jour et si je ne l'avais pas su, il était grand temps que je l'apprenne. 

       PS: A été élu meilleur roman étranger 2007 par le magazine Lire. 


978-2070359936

22 juin 2021

 

A quand les bonnes nouvelles ?

de Kate Atkinson

****


Quatrième de couverture :

« Dans un coin paisible de la campagne du Devon, une petite fille de six ans, Joanna Mason, est le témoin d’un crime épouvantable. Trente ans plus tard, l’homme qui a été condamné pour ce crime sort de prison. A Edimbourg, Reggie, qui a seize ans et qui est bien plus futée que les gamines de son âge, travaille comme nounou chez un médecin, le docteur Hunter. Mais quand celle-ci disparaît, Reggie est la seule personne qui semble s’en apercevoir. En ville, l’inspecteur en chef Louise Monroe est aussi à la recherche d’une personne disparue, David Needler, sans se rendre compte qu’un de ses vieux amis – Jakson Brodie – se précipite vers elle. »

Troisième aventure de notre détective préféré, Jakson Brodie, ce volume nous le montrera marié et même mort (brièvement, ouf!) mais globalement égal à lui-même. Mais le personnage principal sera peut-être tout de même plutôt la jeune Reggie, ou même le docteur Hunter, sans parler de l’inspectrice en chef Louise Monroe. Cette abondance de personnages marquants contribue à la fois à la richesse du roman, et à sa complexité qui, pour le coup, m'a semblée un peu exagérée. Il est parfois un peu difficile de s'y retrouver parmi tous ces personnages dont on peut avoir oublié les noms et qu'on peut en conséquence, avoir un du mal à remettre en scène et le fait que deux affaires du même acabit soient mêlées n'a rien arrangé. En tout cas, c'est un problème que j'ai parfois eu. Soit dû à une trop grande complication, soit à l'insuffisance de mon attention. Le thème central ici est la violence masculine destructrice tournée contre les femmes et les enfants.

En tout cas, les aficionados retrouveront tout ce qui particularise les romans policiers de Kate Atkinson et apprécieront cette nouvelle aventure pleine de femmes résistantes et courageuses et de quelques hommes qui relèvent le niveau de leur genre, sans parler de l'inégalable Jackson.

978-2253126546

20 juin 2021

La mort d'Ivan Ilitch 

de Léon Tolstoï

*****

Fascinant

« La mort d'Ivan Ilitch » est un livre qui m'a littéralement fascinée. On y dit l'histoire d'un homme, le récit de ce que fut sa vie, jusqu'à ce point qui nous attend tous : la mort. Ce qui est fascinant dans ce roman, c'est qu'au moment où Ilitch, réalise que c'est vraiment de sa mort qu'il s'agit, qu'il y est arrivé, nous pouvons parfaitement saisir ce qu'il éprouve; et nous-mêmes, nous parvenons à entrapercevoir notre propre fin.

La violence de cette découverte pour tout homme, est annoncée dès le début du livre lors de la visite qu'un ami fait à la nouvelle veuve. Comme on lui raconte la dure agonie d'Yvan, un moment, il réalise qu'il serait possible que cela lui arrive aussi. Et bien vite, il chasse cette pensée car il ne pourrait la supporter. Nous en sommes tous là, pauvres humains. A ne pouvoir regarder notre mort en face. Ilitch était ainsi également et en cela, il est notre frère.

Si Tolstoï, sur ses vieux jours est devenu d'une religiosité assez fanatique, par contre, il n'est guère question ici de religion. C'est à la rencontre, d'abord incrédule, puis épouvantée, de l'homme et de sa mort que nous assistons. C'est une rencontre matérielle et qui n'a rien d'abstrait. On n'y parle pas de monde meilleur, ni même d'une autre vie, mais bien de celle-ci, qui s'échappe.

On peut, dans ce récit, être plus sensible au récit de la vie conventionnelle d'Ilitch; moi, ce que j'ai retenu de cet ouvrage, c'est le récit de sa mort, de sa découverte horrifiée de sa propre fin et là, il n'y a plus de convention qui tienne. La vie d'Ivan Ilitch, n'est pas notre vie, mais sa mort, c'est la nôtre, c'est celle de chaque humain. C'est l'humanité qui s'y retrouve.

PS : Quant au "rein flottant", si quelqu'un sait ce que c'est et si même cela existe vraiment qu'il soit assez aimable pour me l'expliquer. (Ah oui, les relations patient-médecin aussi valent la description.)

978-2070394333

16 juin 2021

 L'homme est un dieu en ruine 

de Kate Atkinson

***


Le hasard a voulu que je lise ce roman très peu de temps après avoir lu « La séparation » de Christopher Priest et quelle n'a pas été ma surprise de constater plus que des ressemblances ! Le moins qu'on puisse dire c'est que « La séparation » (2003) et « L'homme est un dieu en ruine » (2014) ont des airs de famille, allant jusqu'à des scènes (par exemple la façon dont se constituent les équipages des bombardiers) et des relations de personnages (par exemple flirt avec l'amie de sa sœur pendant la guerre) semblables. Désireuse apparemment de remercier les auteurs sur les travaux desquels elle a appuyé son roman, K. Atkinson le fait suivre d'une liste de « sources » assez conséquente, mais C. Priest n'y apparaît pas.


Ce roman compose un diptyque avec « Une vie après l'autre » qui tournait autour d'Ursula Todd, sœur de Teddy que nous suivons ici, mais les deux sont tout à fait distincts et peuvent se lire tout à fait indépendamment l'un de l'autre. Nous suivons ici la longue vie de Teddy depuis son enfance jusqu'à son décès, rencontrant en chemin et sans ordre chronologique, les personnes dont ils sera proche, ses frère et sœur, sa femme et ses sœurs, sa fille, ses petits enfants etc. 

Une part importante du roman le suit alors qu'il était pilote de bombardier pendant la seconde guerre mondiale et qu'il aurait dû selon toute probabilité ne pas survivre à cet épisode.


 Comme d'habitude, le talent de l'auteur tient à son habileté à saisir les personnages et leur psychologie. Pas beaucoup de jugements mais beaucoup de choses très justes montrées. Il y a aussi le thème des relations familiales et de leur haut pouvoir de destruction ou de réparation, ainsi que le thème plus large de la guerre, de la nécessité tactique de l'abus de la force (écraser impitoyablement l'ennemi pour ne pas lui permettre d'en faire de même de vous) et de la culpabilité qui plus tard, ronge les survivants... Tout est bien mené mais ce n'est pas une lecture simple. Si vous avez aimé « Une vie après l'autre », vous aimerez celui-ci, mais il faut savoir qu'on n'est pas dans la même veine que les romans policiers ou amusants de l'auteur.

9782253071334 

13 juin 2021


Le mendiant 

de Naguib Mahfouz 

****+

Démon de midi et dépression

 Omar al-Hamzâwi, 45 ans, avocat à succès qui rêvait d’être poète, est atteint par la dépression. C’est une petite phrase anodine qui va déclencher l’avalanche. De ces choses que l’on dit sans y penser vraiment, au Caire comme ici, et qui ont la profondeur philosophique (ni plus, ni moins) de nos «On est bien peu de choses…» 

  Peu à peu, tout perd sens pour lui, famille, travail, position sociale et même amitié. Il reste l’amour. Il s’y jette donc avec l’ardeur du désespoir, piétinant à l’occasion son couple, l’amour tendre et dévoué de sa femme, de ses filles, mais «Je ne peux pas faire autrement.» En clair, la peur de la mort le talonne et il cherche à tout prix comment la museler. 

 «Peut-être qu’une lumière jaillira dans ta poitrine à la manière de l’aube qui point pour déloger la peur du néant!» 

 Et le retour d’un ami d’enfance, je ne vous dis pas dans quelles circonstances, le confronte sans grand effet positif à celui qu’il fut à 20 ans. Le soutien compréhensif d’un autre ami de toujours ne saura l’aider. 

  Les choses évolueront ainsi pendant de longs mois, nous faisant vivre les essais qu’il tente pour retrouver un sens à sa vie. Vous savez, ce genre de questions que l’on ne se pose que lorsque l’on n’a plus la réponse. 

  Je soupçonne que ce roman nous offre une fenêtre sur les préoccupations de son auteur à une certaine période de sa vie, (mais qui ne traverse pas ce genre de crise ?) et qu’il s’est aventuré à poursuivre ici les raisonnements et les évènements jusqu’à leur possible conclusion, se donnant à vivre, par procuration, ce qu’il n’a pas vécu lui-même, nous offrant cette même expérience. 

  C’est à ce titre un roman d’une grande qualité puisqu’il nous offre une fenêtre sur un problème humain que beaucoup rencontrent, et, utilisant ses personnages et, les faisant évoluer dans cette situation, il nous révèle diverses possibilités, risques… Il améliore ainsi notre expérience de la vie, notre connaissance de l’humain. Ce qui est la gloire de l’œuvre littéraire. 

  Pour l’écriture, j’ai été étonnée de voir dans une même page, parfois dans un même paragraphe, les "je" ou "tu" ou "il" représenter la même personne (Omar en l’occurrence). Mais, le premier moment de surprise passé, je n’ai pas été dérangée par ce procédé qui n’a gêné ni ma lecture ni ma compréhension. Par contre, j’ai eu, jusqu’à la fin, davantage de difficultés avec les dialogues, pourtant courts, dans lesquels il m’est très souvent arrivé de ne plus savoir qui parlait et de ne plus parvenir à identifier les positions des interlocuteurs. Je ne sais pas à quoi cela est dû. 


Wikipédia : Najib Mahfouz (arabe : نجيب محفوظ, Naǧīb Maḥfūẓ), né le 11 décembre 1911 au Caire et mort le 30 août 2006 dans la même ville, est un écrivain égyptien contemporain de langue arabe et un intellectuel réputé d’Égypte, ayant reçu le prix Nobel de littérature en 1988. 

978-2742735426 

10 juin 2021

 Le der des ders 

de Didier Daeninckx 

****


Détective privé en 1920

   1919, ancien soldat, rentré du front il y a peu, physiquement indemne, René Griffon s'est fait détective privé. Son fond de commerce : reconnaître les Gueules Cassées que leurs familles réclament, même lorsque cela n'est qu'à fin de divorce, car il est très long d'attendre que le «Disparu» soit homologué «Décédé», ce qui permet «à la vie de continuer». L'action est placée. On est dans le cynisme et l'amertume de l'après-guerre presque aussi désenchantée chez les vainqueurs que chez les vaincus.

     Mais pas de soldat inconnu cette fois, l'enquête est un peu différente. Un colonel fait appel à ses services pour réduire à l'impuissance un maître chanteur, et cela sera pour notre héros l'occasion de découvrir encore quelques données qui ne contribueront pas à lui faire retrouver meilleure opinion du monde, de la société, de l'Etat.

     Didier Daenincks nous livre là un bon polar, bien écrit et à l'intrigue bien menée, qui capte notre intérêt d'un bout à l'autre. Comme à son habitude, l’œuvre est toute entière portée par la «conscience de classe» de son auteur et son juste désir de pourfendre les injustices sociales. «Ce secteur truffé d'usines métallurgiques, d'ateliers de laminage? En le traversant il n'était pas rare de se prendre des bouffées d'acide en plein nez quand un ouvrier, à demi asphyxié par une trop longue pause au-dessus des bacs d'électrolyse, venait reprendre souffle sur le trottoir. On en rencontrait des dizaines comme ça, entre 15 et 40 ans maxi?» Ce militantisme, cependant, ne nuit en rien au récit.

     Mais, à mon avis, la grande réussite de cet ouvrage, c'est d'avoir si bien su faire revivre la France de 1919-1920. Tout est parfait jusque dans les plus petits détails. Je me suis plusieurs fois demandé en le lisant, comment il avait pu mener un tel travail de documentation et savoir tout ce qu'il sait sur ce monde si proche et si lointain. Il n'est pas assez vieux pour l'avoir vécu lui-même. Ces poilus et leurs familles n'étaient même pas ses parents, mais ses grands-parents. Je ne connais pas moi-même aussi bien le monde dans lequel mes grands-parents ont vécu. C'était l'époque des "Fortifs", Levallois était encore à la campagne et tous les foyers n'avaient pas l'électricité. C'était l'époque où il y avait encore si peu de voitures dans les rues qu'il suffisait, même à Paris, de savoir la marque et la couleur du véhicule que l'on recherchait pour le retrouver rapidement. N'imaginez pas, cependant, un épisode de «La brigade du Tigre». L'action et les mentalités sont assez modernes pour que l'on ne retrouve pas du tout le côté désuet de ce feuilleton.

     Pour couronner le tout, la fin est tout à fait inattendue.

     A lire.

    

   PS: Tardi en a fait une belle bande dessinée.

978-2070408061 

04 juin 2021

  Écoutez nos défaites 

de Laurent Gaudé

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On apprend de tout, si on est capable d'apprendre

   Mariam, archéologue irakienne atteinte d'un cancer incurable alors que son monde s'effondre détruit par les fanatiques religieux, et Assem, agent des services secrets français qui commence à douter du bien fondé de ses actions ("Avons nous jamais gagné ?") se rencontrent un soir dans un hôtel international. Ils sont tous deux habitués aux "brèves rencontres" qui leur conviennent mieux, à ce moment de leur vie, que les liaisons plus durables, ils se quitteront donc le lendemain après un dernier regard. Pourtant, cette fois, l'un comme l'autre sent bien qu'il aurait pu y avoir un vrai lien, d'ailleurs Mariam a glissé un cadeau dans la valise d'Assem...

     Nous allons tout au long du livre de Laurent Gaudé, suivre alternativement ces deux personnages à un moment déterminant de leur existence : ils sont seuls, libres, ont atteint l'âge des bilans et il n'est que temps d'en tirer les conclusions et, éventuellement, de corriger le tir. Autour d'eux, le monde en furie. Ceux qui ont la puissance et la richesse semblent douter de ce qui les a portés jusque là, tandis qu'autour, les forces les plus primaires mettent à profit leurs hésitations pour donner libre cours à leurs appétits de destruction.

     Mais de tout temps, le monde a été guerre, fureur, destruction, et souvent, victoire du plus sauvage. C'est ce qu'expérimente Grant : pour gagner, il a dû perdre, perdre une partie de son humanité, faire des choses qu'il n'aurait pas dû faire... et aller au-delà. Seul des trois exemples historiques (on trouve avec lui, Hannibal et le Négus Hailé Sélassié) qui nous sont donnés, à avoir gagné, il a cependant perdu dans la guerre toutes ses illusions et même sa foi en sa propre clémence, en sa loyauté et sa justice. La victoire qu'il a apportée à son camp, est une défaite. Il y a perdu son humanité, et avec lui, beaucoup de ses hommes.

     Ces combats, dont le roman est entièrement fait, se répondent en écho, ceux de Mariam et d'Assem rejoignent ceux des grandes pages de l'histoire, et également ceux des vies des lecteurs, car tous, à des degrés divers, nous combattons, nous remportons des victoires ou subissons des défaites et tous ceux qui réfléchissent un peu savent la part d'ombre qu'il y a dans toute victoire, l'enrichissement qu'il y a dans toute défaite.

     Un très excellent roman qui aurait dû avoir un prix à sa sortie à l'automne 2016, si tout cela avait un sens.

978-2330066499

02 juin 2021

 Meurtre chez tante Léonie 

d'Estelle Montbrun

****+


Ah, Marcel !..

   Pour ce qui est du style, il est au-dessus de tout reproche. Il faut dire que ce roman fut rédigé par une authentique littéraire. Estelle Montbrun (nom de plume) est même allée jusqu'à me faire redécouvrir deux ou trois mots que je ne connaissais pas ou que j'avais oubliés, comme « onomastique »* (non, ce n'est pas pour faire tenir les vitres).

  A noter qu'Estelle Montbrun a écrit ainsi une jolie petite série de polars littéraires, "Meurtre chez Colette", "Meurtre à Petite-Plaisance" (Yourcenar), "Meurtre à Montaigne", "Meurtre a isla negra" (Neruda) que je conseille vivement aux amateurs.

  Pour ce qui est du plaisir culturel, n'étant pas spécialiste de Proust, j'ai appris certaines choses et qui plus est, je l'ai fait avec plaisir.

     Pour ce qui est du roman lui-même, mon goût allant aux romans policiers «classiques»: énigme à découvrir, fil conducteur, indices, études du milieu et de caractères etc. j'ai été comblée.

   Je me suis régalée avec ce polar auquel je mets sans hésiter 5 étoiles dans son genre.

     L'énigme est intéressante, les personnages bien croqués et la découverte des dessous plein de mesquineries et d'âpreté du monde universitaire comme de celui de l'édition m'a enchantée. Ce monde où l'on fréquente «quelques personnes choisies en fonction de leur degré d'utilité pour aider à grimper l'échelle sociale»...

     Le commissaire Foucheroux (celui qui «ressemble à Al Gore») est assez sympathique, tout comme son adjointe. C'est avec intérêt qu'on les voit progresser sur la piste de l'assassin. Les faux indices se mêlent aux révélations tronquées, lors de l'enquête et des interrogatoires. On se délecte. On devine juste un peu avant le détective, exactement comme il se doit. On se trouve très intelligent et c'est parfait.

  

   PS : onomastique= qui a rapport aux noms propres.

978-2878582284 

31 mai 2021

L'affaire Jane Eyre
de Jasper Fforde
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Quand les littéraires s’amusent…

Présentation de l'éditeur:

"Dans un monde où la littérature fait office de religion, la brigade des LittéraTec élucide plagiats, vols de manuscrits et controverses shakespeariennes. L'agent Thursday Next rêve, elle, d'enquêtes explosives, quand le cruel Achéron Hadès kidnappe Jane Eyre. Dans une folle course-poursuite spatio-temporelle, la jeune détective tentera l'impossible pour sauver l'héroïne de son roman fétiche."

Je me suis enfin décidée à entamer cette série si prometteuse dont tout le monde me disait tant de bien. Il faut dire que je venais de lire cinq gros Günter Grass et mon cerveau en surchauffe demandait une récréation. Magnanime, je la lui accordai. Voici le bilan:

   Thursday notre héroïne,est décidée et dégourdie et il ne faut pas oublier que son caractère a été endurci par sa participation à la massacrante guerre de Crimée. Je n’ai pas eu trop de mal à m’intéresser à son sort et, sans qu’elle soit le héros avec laquelle je peux entrer en communion, je ne l’ai néanmoins pas trop rejetée.
  
   Mais la merveille, c’est le monde que Fforde nous offre ici!! Une inspiration tout à fait remarquable a saisi notre auteur pour ce coup-là ! J’admire. (Un exemple entre mille, l’extraordinaire représentation théâtrale de Richard III ). Et puis, les déchirures de l’espace-temps ont toujours donné lieu à un maximum de paradoxes insolubles (n’y réfléchissez pas un soir de migraine) et j’en ai toujours été très très friande, alors lorsqu’on on y ajoute une porte sur les mondes littéraires imaginaires, cela prend tout de suite une dimension ! …
  
   Pourtant, je me dis que l’auteur a dû se donner tellement à la création de cet univers si nouveau et si riche qu’il a un peu oublié de travailler à fond ses caractères; et peut-être est-ce une lacune qu’il aura à cœur de combler lors des épisodes suivants… dans ce cas, je monterai volontiers jusqu’à 4 étoiles ½ . Irai-je jusqu’à 5??
  
   Pour ma part, le n° 2 est déjà acheté et il attend dans ma PAL que mon cerveau ait à nouveau besoin d’une petite récré, ce qui, je le sens, ne devrait pas trop tarder.
  
   Et puis, autre chose, les couvertures en édition de poche! Je les adore, elles sont fabuleuses, leur illustrateur a eu une idée de génie et je n’achèterais pour rien au monde une autre édition que 10/18.
  
   PS : Quant à savoir qui a vraiment écrit les pièces de Shakespeare… eh bien, même cela, vous l’apprendrez.

Série Thursday Next

L'Affaire Jane Eyre,  The Eyre Affair, 2001
Délivrez-moi !, Lost in a Good Book, 2002
Le Puits des histoires perdues, The Well of Lost Plots, 2003
Sauvez Hamlet !, Something Rotten, 2004
Le Début de la fin, First Among Sequels, 2007
Le Mystère du hareng saur, One of Our Thursdays Is Missing, 2011
Petit enfer dans la bibliothèque, The Woman Who Died a Lot, 2012


978-2264042071


29 mai 2021

Inspecteur Canardo 

de  Benoît Sokal

 L'Amerzone - Un misérable petit tas de secrets - 

Le Buveur en col blanc - La Fille qui rêvait d'horizon

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   Après le si attachant Jack Palmer, je poursuis ma docte étude approfondie des détectives improbables en bande dessinée et me voici aujourd’hui avec l’Inspecteur Canardo le bien et mal nommé.

   Bien parce qu’effectivement c’est un canard, avec un bec, pattes palmées et tout; et mal parce qu’il ne semble pas être inspecteur de quelque police que ce soit (mais peut-être l’était-il dans les premiers albums, que je n’ai pas lus). Il est détective privé. Il a l’uniforme et il achète clairement son imper mastic chez le même fournisseur que J. Palmer et Columbo. Le sien est un modèle spécial avec bouteille d’alcool vissée à la poche droite (dans la gauche, c’est son flingue. Savoir si Canardo est droitier ou gaucher…). Autre chose qui est vissée: son mégot, à ses l… euh, son bec. Canardo est buveur, fumeur mais par contre totalement insensible au charme féminin; masculin aussi d’ailleurs. Ni amour, ni amitié, Canardo est un grand pessimiste misanthrope revenu de tout, assez dépressif mais, bien soutenu par l’ustensile de la poche droite, il n’éprouve pas le besoin de geindre sur la vie et son sort. Ce qui nous soulage d’autant.

     Il connaît des aventures, parfois petites et proches, parfois grandes, parfois sans envergure (histoire d’héritage égaré), parfois exotiques ou mythiques (quête d’oiseaux légendaires au fin fond de l’Amazonie), parfois pleines d’action (avec crapauds pseudo hells angels et coups de feux dans tous les sens), parfois sans le moindre coup de feu, parfois avec un suspens poignant, parfois sans… C’est dire qu’il n’y a pas de stéréotype dans ces albums. A chaque lecteur d’avoir des préférences en ce domaine. Chaque aventure est totalement indépendante des autres, on peut les lire comme on les trouve.

     Pour cette fois, j’ai basé ma docte étude sur quatre titres que je vous livre dans l’ordre où je les ai lus.

     J’ai commencé avec "L'Amerzone" particulièrement cynique qui a fixé mon attention sur cet incroyable canard capable de colères existentielles et, bien que tout à l’inverse de sa grande sortie philosophique, je sois sans doute davantage à la recherche de pureté et de sagesse que de nature humaine par la vinasse, j’ai apprécié. Un très bon album exotique, philosophique et avec de l’action.

     J’ai ensuite lu "Un misérable petit tas de secrets", tout à l’opposé puisqu'au fond des secrets de famille de la majorité silencieuse, mais que j’ai tout autant aimé. J’ai adoré l’astuce sans vergogne du voyage dans le temps et les considérations, pour le coup, sur les humaines faiblesses.

     Tout cela pour passer au "Le Buveur en col blanc", une surprise puisque je l’ai trouvé totalement sans intérêt. Je me demande encore pourquoi Sokal a fait cela… Passons donc.

     Heureusement, j’ai alors découvert "La Fille qui rêvait d'horizon", mon préféré peut-être de ces quatre-là. Un truc aussi amoral que le reste (Canardo a compris depuis longtemps que la vie n’est pas morale) et un peu grandiose avec de grands horizons et un Canardo pour le coup très déprimé… j’adore. Mais je pense qu’il m’a manqué d’avoir lu auparavant un autre album dont l’histoire est évoquée (mais pas le titre). Je pense que ce doit être «La marque de Raspoutine».

     Je n’ai pas dit ? Ah oui, le dessin est excellent; des humains à visage animal très très réussis vraiment, des décors précis et justes mais sales. Il y a beaucoup de poussière, de toiles d’araignées et de salissures apparemment liquides et inidentifiables (tant mieux)... Je me suis plusieurs fois arrêtée pour scruter les détails de ces scènes. Décor particulièrement glauque dans «Le buveur».

     Monsieur Canardo, vous aurez le droit de rester dans ma bibliothèque déjà surchargée pourtant.

    

   0. Premières enquêtes (1979)

   1. Le Chien debout (1981)

   2. La Marque de Raspoutine (1982)

   3. La Mort douce (1983)

   4. Noces de brume (1985)

   5. L'Amerzone (1986)

   6. La Cadillac blanche (1990)

   7. L'Île noyée (1992) .

   8. Le Canal de l'angoisse (1994)

   9. Le Caniveau sans lune (1995)

   10. La Fille qui rêvait d'horizon (1999)

   11. Un misérable petit tas de secrets (2001)

   12. La Nurse aux mains sanglantes (2002)

   13. Le Buveur en col blanc (2003)

   14. Marée noire (2004)

   15. L'Affaire belge (2005)

   16. L'Ombre de la bête (2006)

   17. Une Bourgeoise fatale (2008)

   18. La fille sans visage (2009)

   19. Le voyage des cendres (2010)

   20. Une bavure bien baveuse (2011)

   21. Piège de miel (2012)

   22. Le vieux canard et la mer (2013)