Le rocher blanc
d'Anna Hope
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Ce roman est divisé, sans transitions, en récits centrés successivement sur une écrivaine actuelle, un chanteur star en rupture de ban en 1969, une gamine yoème* au cours de sa déportation par les colons en 1907 (pas si vieux!) et un lieutenant de la flotte espagnole en 1775 faisant commerce avec l'Amérique latine. Ces quatre personnages aboutissent au fameux Rocher Blanc au Mexique, dans le delta du Rio Grande de Santiago, lieu de cultes anciens, lieu où serait né le monde, et qui représente différentes choses pour chacun d'eux, du simple repère géographique à l'autel où tous les miracles sont possibles (les plus superstitieux étant paradoxalement les plus modernes en perte de repères). Une fois arrivé là, le lecteur fera avec les mêmes personnages, le chemin chronologique inverse, du 18ème au 21ème siècle. Cette structure raide et sans inspiration donne malheureusement à l'ensemble un aspect scolaire, encore majoré par les remerciements et références de fin d'ouvrage, faisant apparaître un souci frileux de pouvoir être accusée d'"appropriation culturelle", concept dans l'air du temps aux USA qui me fait beaucoup sourciller dans la façon inquisitoriale dont il est manié là-bas. Bref, on est loin des grandes envolées inspirées et libres des créateurs de mondes littéraires, de la force vitale de leur lyrisme et de leur liberté.
L'écrivaine de la première et dernière partie (en espérant que ce ne soit pas l'alter-ego de l'auteure) est une femme en crise, en cours de divorce et mère d'une petite fille qu'elle élève de façon peu convaincante. Elle remarque d'ailleurs elle-même qu'une Sénégalaise très simple qui voyage avec eux accompagnée elle aussi d'une petite fille, est une mère bien plus assurée et efficace. Elles sont dans un bus en route vers le mythique Rocher blanc pour une excursion qui mêle sans oser l'avouer pour certains tourisme et superstition. Ils iraient allumer leur cierge à Lourdes, ce serait ringard; ils vont l'allumer sur la côte mexicaine, ça passe. C'est assez hypocrite et étrange. Le chanteur est camé jusqu'aux yeux en permanence ou alcoolisé, si bien qu'il est difficile d'apprécier son génie, bien qu'il soit peut-être un vrai poète. Mais il est déclinant, en crise, et globalement au bout de son histoire. La petite fille déportée est encore pleine d'espoir quand nous la quitterons, mais nous qui ne sommes plus des enfants sommes pessimistes... Le commerce maritime espagnol est le bras exécutif d'une mise à sac de contrées qui vivaient jusque-là paisiblement. Ces récits qui s’enchaînent en portions trop longues pour que le rythme soit entraînant, sont comme on le voit plutôt consternants et c'est peut-être pour cela que je ne me suis guère attachée à ce roman. N'ayant jamais lu Anna Hope avant, je ne sais pas si cette ambiance lui est habituelle. D'autre part, malgré les états de crise décrits, le récit est toujours assez froid, extérieur, ça manque de tripes. Je n'ai pas été bouleversée, peut-être même pas touchée. C'est fait correctement, mais ce n'est pas inspiré. Ça n'est pas habité.
C'est du moins mon avis.
* "Amérindiens qui étaient, à l’origine, établis dans la vallée du Río Yaqui dans le Nord de l’État mexicain de Sonora et dans le Sud-Ouest de l’Arizona, aux États-Unis." (Wikipédia)