Le
Voyage d'Hanumân
de
Andreï Ivanov
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C'est l’histoire de deux types qui débarquent au Danemark et
découvrent l'Occident à la fin des années 90. L'un, Hanumân, est
originaire d'Inde, l'autre, Johan, le narrateur, d'Estonie. Ils sont
amis, ils sont en situation irrégulière et n’ayant nulle part où
aller, ils se retrouvent dans un camp de la croix rouge. Ce n’est
n'est pas un camp fermé. Ils peuvent en sortir comme ils veulent
d’autant que, même là, ils sont clandestinement. Ils peuvent
aller où ils veulent et revenir, et c'est ce qu'ils font. Mais tant
qu'ils ne sont pas contrôlés du moins. C’est pourquoi leurs
expéditions sur les routes sont des parties de cache-cache. La peur
de la police qui les reconduira à la frontière est leur principal
moteur. Même au camp ils sont en situation irrégulière, car ceux
qui y séjournent sont censés attendre que leur demande d’asile
soit examinée, eux ont déjà été refusés plusieurs fois et n’ont
même plus le droit de se trouver là. Partageant discrètement la
chambre d’un camarade dans le baraquement, ils dorment la fenêtre
ouverte hiver comme été, prêts à foncer dans les champs voisins
s’il y avait un contrôle nocturne.
Ils
sont jeunes, et quoique de nationalité différente, ils ont tous
deux reçu une éducation d’inspiration soviétique. Ils ne savent
rien du monde occidental en dehors des aides et subsides qu’ils
peuvent en espérer. Ivanov ne brosse pas d’eux un portrait
flatteur. Il les montre prêts à tout, profiteurs, immoraux,
aisément agressifs, consommateurs d’alcool et de drogues,
potentiellement dangereux, potentiellement utilisables aussi par la
société si elle se décide à leur trouver une place, tout va se
jouer là. Pour l'instant, ils sont venus pour prendre, pas pour
donner. mais ça peut changer. Hanumân avait des attentes. Il se
rêvait dans l’île de Lolland qu’il imagine comme un paradis sur
terre. Il s’imagine ayant fait fortune grâce à une de ses idées
originales. « Son rêve était le suivant : que ceux
qui lui crachaient dessus en face ou dans son dos, voient un jour le
monde s’illuminer tout entier de son sourire radieux, placardé
dans tous les autobus, les tramways, les gratte-ciel, adressé à
tous depuis tous les écrans : « Hello, c’est moi,
Hanumâncho ! » Mais il n’arrivait pas à trouver quoi
que ce soit, dans ce nid de vi^ère, qui puisse le rapprocher de la
réalisation de ce reve. » (...) « il glissait sur
le monde pratiquement sans laisser de trace, car il n’arrivait pas
à avoir prise sur une vie qui se dérobait, échappait à ses mains
comme une soie incroyablement fine. Cela le mettait au désespoir, il
souffrait et détestait encore plus le monde entier. »
Plus
encore que du Danemark et de Lolland, il rêve des USA. Johan, le
narrateur estonien qui se fait passer pour russe, n'a aucune attente
précise si ce n'est de ne surtout jamais retourner à l'Est et de ne
jamais être identifié. Personne ne sait son vrai nom. Il se cache
si soigneusement qu’on peut même se demander s'il n'est pas un
droit commun recherché pour un crime. Il s’est lié avec Hanumân
d’une sorte d’amitié rude qui durera ce qu’elle durera et,
n’ayant aucune préférence de destination, il le laisse décider
de leurs déplacements.
Johan,
qui raconte leurs pérégrinations, montre le décor sordide et leur
entourage misérable et aussi impitoyable. Andreï Ivanov qui a
séjourné dans les camps de réfugiés, a fait une moisson
méticuleuse de ce qu’il y a vu et vécu et c’est ce fonds qu’il
utilise dans son roman. On est loin d’une vision détachée et
angélique des choses. Il y a des histoires atroces, et pas de
« gentil » (même lui). On est en plein dans la misère
matérielle et mentale la plus cruelle. Comment survivre quand on n’a
ni connaissances (même pas celle de la langue), ni relations, ni
droits, ni un seul sou de revenu. Tous deux connaissent des crises de
dépression profonde et même des attaques de paranoïa, mais en même
temps, il y a des éclairs d’un humour amer, mais drôle quand
même : « Chaque fois que du Directoire arrivaient des
papiers importants destinés au Chinois, Népalino
l’accompagnait au bureau du camp. Là, buvant d’un air important
le café que lui apportait le staff, placé tout à coup au centre,
devenu pour quelques dizaines de minutes qu’elqu’un
d’indispensable, Népalino lisait les documents rédigés en danois
et, avec sur le visage une gravité sans pareille, il les expliquait
au Chinois. Et même si personne ne pouvait savoir si Népalino avait
du chinois une connaissance bonne ou mauvaise, tout le monde savait
parfaitement qu’il ne connaissait pas un mot de danois. »
Le
récit n’est pas toujours chronologique, comme ils passent leur
temps à tenter d’atteindre des contrées plus propices et à
revenir au camp par nécessité pour recommencer à nouveau plus
tard, le récit prend le même chemin d’éternel recommencement où
les choses se répètent sans progresser. C’est ce qu’Andreï
Ivanov appelle son écriture mimetique. Elle reflète avec une belle
maîtrise, l’ambiance de ce qui est raconté.
Dans
une interview, l’auteur explique qu’il s’agit d’une trilogie
et que cette trilogie est composée d’un roman picaresque, d’un
roman d'apprentissage et d’une confession. «Le Voyage d'Hanumân»
est donc le roman picaresque. Il faut reconnaître qu’il coche bien
toutes les cases et c’est dans cette esprit qu’il faut le lire.
Hanumân est le personnage picaresque par excellence. Mais quelle
trilogie? Nous n'avons que le voyage d'Hanumân. J’ai eu beau
chercher, je n’ai pas trouvé que d’autres romans aient été
édités, ni en français, ni en anglais. Quel dommage !
Les
Editions du Tripode, qui ont édité ce tome en 2016 n’ont jamais
publié la suite et semblent même l’avoir oublié au point de ne
plus savoir eux-mêmes ce qu’elles ont édité, cf leur propre page
où ils le présentent comme un roman graphique !!! 8 ans, ce
n’est pas si long quand même pour oublier un de leurs bons
écrivains.
J’aurais tant voulu lire la suite! Le style est magnifique,
Ivanov est un auteur d’une qualité littéraire incontestable. Dans
une interview, il n'hésite pas à se prévaloir de Joyce, Céline,
Miller, Nabokov... et il a raison. De plus, il parle sur les immigrés
illégaux dont il a fait partie, un discours cru, vrai, et dénué de
tout angélisme comme de tout reproche. Cela n’a peut-être pas
plu… Encore un grand écrivain que nous ne lirons pas. Alors, que
s’est-il passé ?
978-2370550996