30 août 2024

Les 39 Marches

de John Buchan

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Ce qu'il faut savoir, c'est que ce roman est paru en 1915. Il ne faudra donc pas s'étonner de toute la charge rétro qu'il véhicule et encore, John Buchan était-il un diplomate, il a donc appris à parler sans heurter personne, aussi ses réflexions ne sont-elles jamais outrancières. Le colonialisme occupe tout l'arrière plan, mais pas le devant de la vitrine. Il a par ailleurs bel et bien fréquenté le monde des espions de son époque, qui n'avait sans doute pas grand chose à voir avec celui d'aujourd'hui. John Buchan est même devenu un personnage de tout premier plan puisqu'il fut gouverneur général du Canada, ce qui n’est pas rien. Mais c'est l'auteur de romans d'espionnage qui nous intéresse aujourd’hui. Son héros Richard Hannay, de retour d'Afrique du Sud et de la guerre des Boers, sera finalement le personnage principal de six romans et personnage secondaire d'un septième. "Les 39 marches" est le premier et le plus connu, d'autant qu' Alfred Hitchcock en a fait un film à succès.

Ici, Richard Hannay commence par s'ennuyer beaucoup dans cette vieille Angleterre, et songe sérieusement à repartir vers des pays plus excitants lorsqu'une énigme mortelle vient le chercher à domicile en la personne d'un voisin qui lui raconte une invraisemblable histoire d'espionnage et d'Angleterre en danger que son rapide et brutal assassinat va rendre plus crédible.

Hannay n'est pas homme à rester simple spectateur d'une affaire pareille, d'autant qu'il a réussi à trouver ce que les assassins étaient venus chercher mais qui leur a échappé... un carnet noir aussi plein d'indices et de révélations qu'indéchiffrable! C'en est trop! notre héros passe à l'attaque ET à la défense du pays.

S'en suit une longue course-poursuite dans les beaux paysages d’Écosse (patrie de Buchan comme de son héros), chaque étape correspondant à la fois à un chapitre et à une attaque déjouée par le vaillant Hannay.

Ça se laisse lire, mais je n'en ferais pas mon livre de chevet. C'est à la fois aventureux et d'une grande naïveté. Le niveau 0,5 de la psychologie de personnages. Sans doute dans un souci de réalisme, Buchan insiste bien à nous expliquer comment faire pour se mettre vraiment dans la peau du personnage pour qui on entend se faire passer. Petite leçon d'espionnage à l'ancienne, comme si on risquait d'en avoir l'usage. En même temps, quand on n’est que quatre ou cinq sur des kilomètres de lande sauvage… mais si, ça marche quand même.

Il faut savoir aussi que c'est un monde absolument sans femmes. Elles n'existent pas, n'ont aucun rôle. On en aperçoit parfois une à l'arrière plan, dans un emploi totalement subalterne, généralement pour donner à manger.

J'ai noté aussi plusieurs remarques très francophiles, étonnantes chez un britannique mais rappelons nous que John Buchan a fait sa carrière diplomatique au Canada, c'est plein de Français, ce pays-là.

Les 39 marches est diffusé gratuitement sur les liseuses mais il y a eu plusieurs version papier (dont une dont l’illustration donnait la solution, faut le faire !) et si vous vous sentez l'envie d’enchaîner plusieurs aventures de Richard Hannay, les éditions Omnibus les avaient réunies en un volume. On trouve encore facilement versions single ou compilations chez les soldeurs.


Citation: 

" C'était, je crois, l'homme le plus brave du monde, car il tremblait toujours de peur, et cependant, il ne reculait devant rien."



Série Richard Hannay

The Thirty-Nine Steps (1915) Les 39 Marches

Greenmantle (1916) Le Prophète au manteau vert ou Le Manteau vert

Mr Standfast (1919) La Troisième Aventure de Monsieur Constance

The Three Hostages (1924) Les Trois Otages

The Courts of the Morning (1929) Le Camp du matin (apparition)

The Island of Sheep (1936), L'Île aux moutons

Sick Heart River (1941), aussi titré Mountain Meadow aux États-Unis.



9782277300960

26 août 2024

L'origine des larmes

de Jean-Paul Dubois

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Quel roman! Un gros coup de cœur pour moi, je vais tenter de vous dire pourquoi.

Paul passe devant le juge. Il a tiré deux balles de revolver dans le crâne du cadavre de son père qu'il venait de faire rapatrier de Montréal à Toulouse où il habite. Thomas Lanski était certes déjà mort, mais c'est interdit quand même et c’est pourquoi Paul est dans ce tribunal. Regrette-t-il son geste? Oui et non. Non, car il n'a pas de remords, oui parce que ne s'en étant pas trouvé soulagé, il commence à penser que cela ne valait pas tous ces embêtements qui lui arrivent maintenant. En tête des embêtements, une obligation de soins psychiatriques à raison d'une séance mensuelle pendant un an. Et c'est ainsi qu'entre en scène Frédéric Guzman psychiatre, assez représentatif de la profession me semble-t-il bien que je n'aie pas encore eu l'occasion d'en fréquenter personnellement. Mais comment vivre en notre 21ème siècle sans en avoir jamais vus et écoutés sur nos ondes et écrans?

Ce psychiatre va obliger Paul à se raconter sur son enfance avec ce père tant haï. Nous découvrons alors que c'est surtout une enfance sans mère, celle-ci étant morte lors de l'accouchement qui vit également le décès du frère jumeau que Paul aurait dû avoir. A la suite de cette naissance calamiteuse (mais pas par chagrin), le père a effacé toute trace des deux morts au point que Paul n'a jamais trouvé une seule photo de sa mère et ignore même où elle a été enterrée et où était sa famille.

Guzman exige sa livre de chair à chaque séance en choisissant lui-même les sujets. Les points sensibles, évidemment. Paul, qui par nature n'est guère porté aux épanchements et que ces séances font énormément souffrir, se demande s'il ne ferait pas mieux d'accepter la prison ferme plutôt que la "thérapie". Mais il est difficile de choisir l'enfermement, le bruit et la promiscuité quand on est un introverti hyper-solitaire, chef d'entreprise et libre de tous ses choix.

Les séances mensuelles avec le docteur Guzman se poursuivent donc, toujours plus invasives et déstabilisantes, détruisant le fragile équilibre, anormal certes, mais équilibre tout de même sur lequel reposait la vie de Paul. Le psychiatre, persuadé de son bon droit et même de son savoir-faire, poursuit son œuvre sans jamais se remettre en question. Et l'histoire se déroule.

Dans ce roman, une légère uchronie nous a portés en 2031. La dégradation du climat nous vaut une pluie permanente, illimitée. Le développement des IA aurait par ailleurs pu apporter une aide précieuse à Paul qui l'avait d'ailleurs trouvée tout seul, mais le psychiatre n'a que mépris pour ce substitut et n'en tient pas compte… Il pleut toujours. Ces larmes du ciel sont le décor de cette histoire dont le noyau est la mort, celle de la mère à sa naissance, celle du père qui l’a amené là, celle pour laquelle l’entreprise dont il a vécu fabrique des housses mortuaires

Au fil des séances, nous saurons tout de l’enfance de Paul traumatique au-delà de ce que l'on aurait pu imaginer et nous découvrirons en fait plusieurs origines des larmes. Nous le verrons lutter contre la sape que causent les séances («ce protocole introspectif et intrusif»), tenter de compenser la destruction de ses structures de sécurité, au profit de plus saines selon le docteur qui a clairement sous-estimé la fragilité de l'édifice et ne se doute de rien, au profit d'un trou béant que nul amour de chien ou amitié d’IA ne viendront colmater, selon ce que voit le lecteur...

« Il n’y a rien à retirer de tout ça. Que de la peine. »

Une histoire triste donc, mais on aime les histoires tristes également, non ? quand elles sont aussi belles, aussi bien racontées et nous disent des choses sur le monde et son fonctionnement.


PS : Lecture interrompue par plusieurs consultations de Google pour des mots inconnus (« trognies » ?) ou des personnages. J’adore ça.



978-2823620795

22 août 2024


Retour à Reims

de Didier Eribon

****+


Quatrième de couverture :

"Après la mort de son père, Didier Eribon retourne à Reims, sa ville natale, et retrouve son milieu d'origine, avec lequel il avait plus ou moins rompu trente ans auparavant. Il décide alors de se plonger dans son passé et de retracer l'histoire de sa famille. Évoquant le monde ouvrier de son enfance, restituant son ascension sociale, il mêle à chaque étape de ce récit intime et bouleversant les éléments d'une réflexion sur les classes, le système scolaire, la fabrication des identités, la sexualité, la politique, le vote, la démocratie...Réinscrivant ainsi les trajectoires individuelles dans les déterminismes collectifs, Didier Eribon s'interroge sur la multiplicité des formes de la domination et donc de la résistance. Un grand livre de sociologie et de théorie critique."

Je souligne ces derniers mots pour ceux qui sont plutôt à la recherche d’anecdotes.

Dans cet ouvrage, Didier Eribon se choisit lui-même comme objet d'étude en tant qu'élément social car il est parfaitement conscient qu’ "En réalité, je croyais choisir et j'étais choisi ou plutôt capté par ce qui m'attendait"

En revenant sur ses souvenirs d'enfance, il explique en quoi, homosexuel issu d'un milieu ouvrier homophobe, il a dû pour devenir le professeur d’université qu''il est maintenant, lutter contre tous (famille, milieu social, système scolaire (eh oui), système social dans son ensemble) pour faire des études, mais également pour accéder à une vie sexuelle qui lui convienne. Les deux éléments étant pourtant officiellement un droit indiscutable de chacun en France, il nous montre comment il est en réalité très difficile de les obtenir; et quand il dit "très difficile", il faut comprendre "presque impossible". Et pire même, que si par extraordinaire on parvient à obtenir les diplômes convoités, rien n'est fait pour autant car "un tel diplôme ne revêt pas la même valeur et n'offre pas les mêmes possibilités selon le capital social dont on dispose et selon le volume d'information nécessaire aux stratégies de reconversion du titre en débouché professionnel. dans ces situations, l'aide de la famille, les relations, les réseaux de connaissances etc., tout concourt à donner au diplôme sa véritable valeur sur le marché du travail." Comment se peut-il qu'il en soit ainsi alors que tout le discours officiel et conscient clame le contraire? C'est ce qu'il étudie et met en lumière.

Il ne considère pas ses souvenirs comme des anecdotes personnelles, bien qu'ils le soient aussi, mais comme des indices amenant à découvrir et mettre en lumière des mécanismes sociétaux. Et leur puissance ! C'est en cela que son livre n'est pas un énième épanchement sur le thème "ma vie est si intéressante, écoutez tous!" mais un vrai moment d'étude et d'amélioration de notre compréhension de notre vécu. Je dis "notre" parce qu'il est évident que la société est une et que nous y vivons tous et que ce qui s'y passe ne touche pas seulement certains de ses éléments et pas d'autres. C'est un tout et ce que nous observons avec ce livre ne concerne évidemment pas que les enfants issus de milieux pauvres ou les homosexuels. Il est important pour chacun d'avoir une vue claire de ce qui est autour de lui et de ce qui s'y passe. Didier Eribon développera d'ailleurs ses thèses dans un ouvrage suivant: "La société comme verdict" .

Quant à ce retour à Reims, comme c'est facile à deviner pour peu qu'on y songe un moment, il fut difficile à écrire. Didier Eribon l'avait entamé peu après la mort de son père mais "abandonné quelques semaines plus tard tant il m'avait paru impossible de poursuivre ce travail" . Un peu de temps ayant passé et fait son œuvre, il s'est un jour senti prêt à le reprendre. Non seulement prêt mais cela était devenu une nécessité. Il avait pris un recul suffisant. "Je savais qu'un tel projet _ écrire sur le retour _ ne peut se mener à bien qu'à travers la médiation, je devrais dire le filtre des références culturelles: littéraires, théoriques, politiques."

A lire.

Wodka l'a lu

9782081396005



18 août 2024

Un Océan d'amour 

de Wilfrid Lupano (scenario)

Grégory Panaccione (Dessins)

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Je ne peux résister à l'envie de vous montrer ci-dessus la magnifique quatrième de couverture pleinement représentative de l'humour iconoclaste de nos auteurs de ce tout aussi magnifique roman graphique dont vous avez sûrement déjà entendu parler: "Un océan d'amour" .


C'est l'histoire d'un petit marin breton et de sa bigoudène d'épouse.

Le petit marin à grosses lunettes est patron pêcheur, c'est à dire qu'il possède un petit bateau de pêche et emploie un matelot avec lequel il part chaque jour jeter ses filets au large, mais depuis un moment déjà, la pêche est maigre...

 Comme il passe la journée en mer, la Bigoudène lui prépare un repas à emporter qui inclut toujours une boite des excellentes sardines à l'huile justement nommées "Délicieuses". (Problème: le marin ne les aime pas et balance chaque jour la boite dans la cale de son bateau.) Le soir, son épouse vient attendre sur le port le retour du marin.

Un beau jour, le petit bateau est carrément pris dans les filets d'un navire usine qui ne s'en aperçoit même pas et l'emmène vers d'autres cieux. Finalement, ils parviennent à mettre le canot de sauvetage à l'eau et le matelot part, mais pas le petit Capitaine qui refuse d'abandonner son navire. Le matelot parvient à regagner le port où la Bigoudène se désole et explique ce qui s'est passé. La Bretonne têtue comme le sont les Bretons met alors tout en œuvre pour retrouver sa moitié. La voie officielle d'abord qui permet de retrouver le navire usine qui se dirige vers Macao, mais le petit bateau s'est décroché.. L’épouse éplorée se tourne alors vers les voies plus aléatoires comme la medium qui carbure au chouchen et lit dans les crêpes, ou les dévotions à la vierge. Les deux dernières lui indiquant plutôt Cuba comme but de ses recherches. Qu'à cela ne tienne, la Bigoudène casse sa tirelire et se paie une traversée vers Cuba (c'est long mais elle a trop peur de l'avion). Elle ira chercher son marin!

Et les voilà partis tous les deux par des voies et dans des directions différentes.

En suivant le petit Capitaine, qui sera sauvé de la famine par son stock de boîtes de sardines, nous découvrirons d'abord l'appauvrissement drastique des zones de pêche traditionnelle puis les différentes nuisances marines dont le gigantisme rend l’impact colossal et l'espoir de pouvoir lutter contre eux faible. Il rencontrera la pêche-usine, le porte containers qui dégaze sans vergogne en pleine mer et les océans de plastiques. Il sauvera un goéland (pollué lui aussi) et ils deviendront amis. Son chemin croisera celui de douaniers tropicaux pas trop scrupuleux et de pirates qui le sont encore moins. La Bigoudène de son côté fera découvrir la dentelle au crochet à la jet set du paquebot ainsi que les crêpes et la gavotte. Elle sera même amenée à rencontrer Castro!


225 pages d'un roman graphique sans un seul mot (quelle économie de frais de traduction!) et qui dit pourtant tout ce qu’il y a à dire. Le dessin est hyper expressif et emporte l'adhésion. 

Un message écologique et humain qu’on tarde trop à entendre et qui parlera à tous les âges. Une totale réussite que cette jolie histoire désespérée mais qui croit encore à l'amour. Alors un seul conseil : Allez vous régaler !


Je lis je blogue l'a lu aussi.


978-2756062105

  

14 août 2024

Le bonheur en Allemagne

de Michel Tournier

***+


Fils de germanistes germanophiles, petit-fils de germanistes germanophiles et germaniste germanophile lui-même, Michel Tournier n'est pas vraiment né à la bonne époque puisqu’il a surtout connu les guerres franco-allemandes, destructrices, meurtrières et même massacrantes, ce qui n'est pas le meilleur moment pour les échanges culturels. Néanmoins, c'est à l'université de Tübingen qu'il a suivi ses cours de philosophie, juste après guerre, dans une Allemagne qui tente de se relever des ruines auxquelles l'a réduite le nazisme. Il ne parviendra pourtant jamais à être reçu à l’agrégation, ce qui l’amené à se détourner de la philosophie… pour la littérature. (c’était notre séquence « naissance d’un écrivain »)

"« J'ai découvert la philosophie à seize ans, et j'ai abandonné toute ambition littéraire pour m'y consacrer. Mais à vingt-cinq ans, j'ai renoncé à la carrière universitaire, car, au lieu d'être reçu dans les premiers à l'agrégation de philosophie, comme j'y comptais bien, j'ai été rejeté dans les derniers !», avoua-t-il avec humour.

Publié en 2004, cet ouvrage de moins de 100 pages en caractères plutôt gros comprend six textes. On devine qu'ils sont courts. Ont-ils été rédigés pour l'occasion ou extraits de carnets plus anciens, j’opterais pour la seconde hypothèse, mais sans le savoir vraiment. Ils s'agit d'extraits autobiographiques qui prennent leur intérêt de la grande connaissance et de la relation spéciale que l'auteur avait avec l'Allemagne.

Le premier texte présente son enfance puis sa jeunesse en lien avec l'Allemagne. Ses souvenirs sont intéressants par les nombreux renseignements qu'ils véhiculent. On le voit également s'attribuer un goût pour les femmes athlétiques et énoncer quelques contre-vérités sur les jeunes athlètes de l'Est.

Le deuxième texte est une intéressante page d'Histoire, celle de Bismarck et des relations entre nos deux pays au long de ce détonnant vingtième siècle.

Le troisième texte évoque la Suisse qu'il aime également, sa position politique et les séjours qu'il y a faits.

Le quatrième texte raconte ses relations très amicales avec François Mitterrand et les visites que celui-ci lui rendait à domicile. Il évoque ce que le Président pensait de la RDA.

Le cinquième texte raconte le discours qu'il a fait à Weimar pour le 240ème anniversaire de Goethe.

Le sixième texte évoque l'histoire de la Prusse qui arrive à ses 246 ans d'existence et nous offre cette déclaration qui à elle seule justifierait la lecture de l'ouvrage:

"Car dans un véritable socialisme, le travail n'est pas une marchandise _ comme le veut Marx sous l'influence du mercantilisme anglais _ mais un devoir moral. La place assignée à chacun dans le corps social répond à une vocation assumée librement et de façon désintéressée. Le seul socialiste digne de ce nom serait l'Allemand Auguste Bebel (1840-1913), parce qu'il concevait la communauté des travailleurs comme un tout organique, où les femmes libérées des sujétions sexuelles, joueraient un rôle éminent."


Un petit ouvrage intéressant pour ceux qui s'intéressent à l'Allemagne ou à Michel Tournier et que vous ne mettrez pas trop longtemps à lire. Néanmoins, je dois dire que je demeure perturbée et rebutée par ce que l'on sait maintenant des pulsions de celui qui "s'avançait masqué" et que j'ai beau tenter d'en faire abstraction, je n'y parviens pas. Je regrette.


‎ 978-207030799

10 août 2024

Montée aux Enfers 

de Percival Everett

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Nous suivons Ogden Walker, bon fils d'une adorable vieille maman, shérif adjoint noir d'une petite ville du Nouveau Mexique en train d'essayer de démêler une succession de meurtres inexplicables dans cette bourgade où ce genre de chose n'arrive généralement pas. Comme dit le shérif, "J'ai pris ce boulot parce qu'il ne se passe jamais rien ici."

Nous démarrons avec la visite qu'Ogden rend à une vieille dame qui a tiré à travers la porte sur "quelqu'un" qu'elle a entendu dans sa véranda, mais qu'elle n'a pas vu. Il n'y a pas de victime et peut-être a-t-elle vraiment eu une visite nocturne indésirée, mais peut-être aussi perd-elle la boule et se met-elle à tirer à tort et à travers... Dubitatif, Ogden préfère lui retirer son arme mais, l'ayant par ailleurs trouvée trop nerveuse et comme inquiète, il préfère rester dans le coin et, après avoir interrogé les voisins, surveille la maison depuis sa voiture. Au bout d'un moment, il y retourne, mais personne ne lui répond et pour cause, quand il finira par rentrer, ce sera pour découvrir Mme Bickers étranglée. Lui, de sa voiture, n'a vu aucun suspect!

Mais ce meurtre étonnant sera suivi d'assez nombreux autres, sans liens apparents entre eux et tout aussi incompréhensibles. Ogden enquête sur le terrain, avec le shérif qui reste plutôt dans le bureau. En dehors d'eux deux, les représentants de la loi sont Warren et Felton, le premier sur le terrain, souvent avec Ogden et le second à l'accueil. Et tout ce petit monde ne va pas chômer! Ils enquêtent dans tous les sens, de façon plutôt efficace mais sans résultat probants. A un moment (quatre morts dans une camionnette quand même!), le FBI viendra se mêler de l'affaire et suspectera même Ogden!

Un auteur que je ne connaissais pas et qui m'a été conseillé par "Je lis je blogue" et dont je lirai d'autres titres parce que c'est très bien fait. Très bon polar, vif et intelligent et dont la fin ne vous décevra pas. Je n'ai commencé à comprendre que vraiment dans les dernières pages. Pourtant, j'avais noté assez tôt une petite incohérence (eh oui, je prends des notes, même pour les polars) mais, ne réussissant pas à lui donner sens, je m'en étais détournée. C’est très bien écrit, pas de baisse de rythme et l'auteur nous mène exactement de là où il veut à là où il veut, par le chemin qu'il veut. Chapeau !


978-2330030667

06 août 2024

Le Cimetière des Livres oubliés 

T1 - L'Ombre du vent

de Carlos Ruiz Zafón

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Le premier volume de la série «Le Cimetière des Livres oubliés» de C. Ruiz Zafón est paru en France en 2004 et c''est à ce moment-là que je l'ai lu, comme beaucoup d'entre vous, et cela ne nous rajeunit pas. L'eau a coulé sous les ponts depuis et je l'avais en très grande partie oublié tout en en ayant gardé un souvenir assez enchanté. Il y avait eu un effet de surprise. On ne s'attendait pas au plaisir d'un tel roman. Il y avait de la littérature, de l'amour des livres, de l'amour tout court, du suspens, du danger, de l'aventure, du mystère (énormément), de la culture (ou du moins son impression)... c’était absolument captivant. Je l'avais vraiment beaucoup aimé. J'étais assez tentée de retourner voir ce que j'en penserai plus de vingt ans après et c'est ce que j'ai fait, aidée des audiolivres gratuits de ma médiathèque et des longues heures de route que je fais en été.

« L'Ombre du vent», ce premier tome nous fait découvrir les personnages centraux (et vous le verrez, centraux chronologiquement aussi, mais je vais trop vite, nous en parlerons dans les tomes suivants si je poursuis mon écoute). Nous faisons la connaissance du très jeune et attachant Daniel Sempere dont le père est libraire, spécialiste des livres rares. Nous sommes à Barcelone et la cruelle guerre civile s'est achevée il y a peu. Le roman commence quand Daniel est amené par son père en un lieu étrange et secret nommé " Cimetière des Livres oublié". C'est qu'il a atteint l'âge où il doit pénétrer dans cette gigantesque bibliothèque et choisir (ou être choisi par) un livre oublié de tous et qu'il devra protéger, consacrant sa vie à ce qu'il ne disparaisse pas totalement. Il choisit "L'Ombre du Vent" de Julián Carax. Il en entame la lecture sitôt rentré chez lui et est tellement séduit qu'il le dévore d'un coup. Il a tellement aimé sa lecture qu'il ne pense ensuite qu'à en savoir plus sur cet auteur et à lire tout ce qu'il a écrit d'autre, et c'est là que les mystères commencent puisqu'il s'avère que non seulement Carax et son œuvre ont disparu de la surface du globe, mais encore, qu’un mystérieux ennemi ne songe lui aussi qu'à trouver toute trace de l'écrivain et de ses livres, mais lui, pour en effacer toute trace! Qui agit ainsi? Et pourquoi? Qui est Carax? Que s'est-il passé dans ces pas si lointaines années de guerre civile?

Alors bilan ? Je suis un peu moins enthousiaste qu’il y a 20 ans (ce que c’est que de vieillir!) mais j’ai tout de même passé un très bon moment dans ce cimetière des livres oubliés et je ne vais pas bouder mon plaisir. J’ai déjà pris le tome 2 « Le Jeu de l'ange » dont je vous parlerai dès que je l’aurai écouté. Les pavés de l’été c’est aussi l’occasion de ces gros romans-plaisir et pas prise de tête (même si j’aime bien aussi les prises de tête).


 Le Cimetière des Livres oubliés :

1 - L'Ombre du vent

2 - Le Jeu de l'ange

3 - Le prisonnier du ciel

4 - Le Labyrinthe des esprits

978-2330135614


02 août 2024

 Au loin 

de Hernan Diaz

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Le "loin" du titre, c'est l'horizon reculant sans cesse aux confins des plaines et des déserts qui vont être l’environnement de notre héros pendant pratiquement toute sa vie. Au loin, c'est aussi New York que Hakan cherche à atteindre quand il se met en route. Quand sommes-nous? Ce n'est pas précisé, sans doute milieu du 19ème siècle, d'après le contexte. Où sommes-nous? En Suède d'abord, où la famille de Hakan mène une vie de misère, que dis-je, de famine, isolés dans leur pauvre ferme et surexploités par leur propriétaire. Un beau jour, le père parvient à payer une traversée vers l'Amérique pour les deux fils qui lui restent. Ce ne sont encore que des enfants (quel âge? On ne sait pas) mais c'est leur seule chance de survie, alors, ils iront, et seuls car le pécule ne permet que deux passages. Hélas, dans la cohue du départ, les deux enfants sont séparés et, Hakan se trompe de bateau. Au terme d'une longue traversée, c'est en Californie qu'il débarquera, et non à New York. Erreur non négligeable, mais il n’était de toute façon pas plus attendu en un lieu qu’en l’autre. Quant à Linus, l’aîné, peut-être est-il monté dans le bon bateau... La traversée a duré plusieurs mois, Hakan est devenu un adolescent, grand et beau. Il est à San Francisco, seul et sans le sou et entreprend de gagner New York à pied car il n'a aucune notion des distances. D'aucune distance d'ailleurs. A un moment, ayant marché très longtemps et se retrouvant dans le même paysage, il se demandera s'il n'a pas fait le tour du monde et ne se retrouverait pas à son pont de départ. C'est dire. Il est totalement inculte et son éducation très parcellaire se fera seulement au gré de ses rencontres. Mais de ce coté d'ailleurs, il n'est pas trop à plaindre. Du moins dans un premier temps. Ensuite, des rencontres, il n’en fera plus du tout. Et le voilà parti.

Et nous voilà partis avec lui. Comme nous le savons, nous, le voyage sera long. Et voilà notre jeune Suédois qui se transforme peu à peu en un vrai géant, une force de la nature. Une fois atteint sa taille adulte, il ne peut aller nulle part sans qu'on se retourne sur lui avec surprise, admiration, ou crainte... Cette particularité anatomique va faire son malheur. Alors qu'il chemine dans le désert avec une caravane de colons rencontrés depuis peu, voilà qu'une péripétie dramatique (je ne vous dis pas laquelle) fait basculer sa vie du mauvais côté. Après cela, considéré par tous comme un monstre et facilement reconnaissable à sa morphologie, il lui faudra absolument éviter les contacts humains et contourner toutes les villes. Sa progression vers un New-York de plus en plus mythique et un Linus qu'il croit de moins en moins revoir un jour, ne sera plus qu'une longue traversée du désert, au sens propre comme au figuré.

Une belle histoire, originale et poignante qui nous parle d'une Amérique en formation sans nous en cacher les larges parts d'ombre. Hakan et tous ceux qui l'entourent sont des immigrants qui ont quitté une Europe où ils ne parvenaient pas à se faire une place pour cette Amérique toute neuve, son or, ses terres à prendre, son "rêve américain", dont ils ne mettent pas longtemps à percevoir les mirages et où tout est beaucoup plus difficile qu'ils n'avaient prévu, eux qui sont pourtant déjà habitués à des vies difficiles. A ce régime-là, les règles de la morale s’érodent rapidement et le courage ne suffit pas toujours. Le lecteur, quant à lui, révise fortement à la hausse l'idée qu'il se faisait du taux de mortalité dans ces vagues de population européenne débarquées de l'autre coté de l'Atlantique.

On pense forcément aux Frères Sister ou à Faillir être flingué, mais le ton ici m'a paru plus sérieux. la partie où Hakan qui ne peut se montrer, erre indéfiniment dans le désert est un peu longue. Pour lui sans doute, mais pour le lecteur aussi car il ne se passe pas grand chose si ce n'est le récit justement de cette errance.

 ‎ 978-2264074393

29 juillet 2024

Michelle Annabella Katz, Premiers combats

Agence 13

de Serge Brussolo

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Préquel de la série d'aventures policières de Serge Brussolo intitulée "Agence 13", ce titre, qui correspond à 30-40 pages, n'a pas été publié sur papier. On ne peut le trouver qu'en version numérique, mais en contrepartie, il est gratuit. Cela peut-être une bonne façon de découvrir celle qui va devenir le personnage récurrent des aventures de l'Agence 13 et de savoir tout de suite si ce qui va lui arriver vous intéresse ou non.

En lui même, ce récit saura vous happer et ne vous laissera pas souffler. Il est cependant assez bizarrement et abruptement scindé en deux : l'enfance (atypique, vous le verrez), puis les débuts assez chaotiques dans la vie adulte.

Littérairement plutôt minimaliste, ce n'est pas un grand moment de la littérature d'aventures, mais j'en conseillerais tout de même la lecture pour mieux comprendre le personnage de Micky lors des aventures qui suivront. Pour ma part, j'ai lu certains des épisodes de L'agence 13 sans connaître ce préquel et cela ne m'a pas empêchée de les apprécier, mais maintenant, je pense que je les aurais mieux compris si je l'avais connu.

Voici le personnage :

NOM : Katz

PRÉNOM : Michelle Annabella dite Mickie

NATIONALITÉ : franco-américaine

PARENTS : père américain guide de haute montagne et terroriste en fuite, mère française artiste déjantée

FORMATION : diplômée des Arts-Déco à Paris

PROFESSION : décoratrice d'intérieur au sein de l'Agence 13, en charge de l'embellissement des anciennes scènes de crime afin de faire oublier à d'éventuels acheteurs ou locataires les événements atroces qui s'y sont déroulés.

SIGNE PARTICULIER : experte en self-défense et en techniques de survie en milieu hostile


Le série Agence 13 comprend 4 livres en version papier chez Fleuve Noir puis H&O pour le dernier. Les voici dans l'ordre mais ils peuvent parfaitement se lire comme on les trouve, tout à fait indépendamment les uns des autres:

Dortoir interdit

Ceux d'en bas

Le Chat aux yeux jaunes

Le Jardin des guerriers

et une aventure en E édition : Le Manoir de l'écureuil (en 2 parties)


A vous de jouer, si le préquel vous met en appétit.


25 juillet 2024

Le train zéro 

de Iouri Bouïda 

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 "Le train zéro", titre original "Don Domino" (surnom du personnage principal), a été nommé au Prix Booker russe. Il était le premier roman édité de Iouri Bouïda qui avait alors quarante ans. Il est paru en 1994. L'URSS s'était écroulée en 1991.

C'est un roman court (120 pages en français) mais qui paradoxalement ne se lit pas très vite. Il est dense et puissant, non qu'il soit lourd, au contraire. Une page en entraîne une autre et le lecteur suit sans peine le récit qu'on déroule devant lui. Mais ce n'est pas un chemin commode. Par certains cotés, on n'est pas loin de la forme théâtrale. Il se prêtait particulièrement bien à une transposition sur scène, ce qui a été fait, d'ailleurs.

Présentation de l'éditeur: "Une gare perdue au fin fond de la Russie, dans la boue, le froid, les relents de chou et de vodka. Et toutes les nuits, un train qui passe... Nul ne sait d'où il vient, où il va, ni ce qu'il transporte. Dans ce no man's land isolé du reste du monde vivent des gens qui aiment, espèrent, tuent et meurent, empoisonnés par l'attente d'une réponse qui ne vient jamais, par un mystère qu'il leur est interdit de chercher à connaître sous peine de mort."

Un jour, Ivan, Groussia, Vassia, Fira, Micha et d'autres ont été débarqués là, à la Station Neuf, avec un rôle précis: entretenir la voie qui comprend un pont, afin qu'un train, le Train zéro, long convoi de wagons de marchandises ("Deux locomotives à l'avant, cent wagons et deux locomotives à l'arrière") passe chaque jour sans anicroche. 

"Ça doit toujours être comme ça! S'il le faut, mourez, étripez-vous, tuez _ mais ce train doit passer sans prendre une seconde de retard et sans la moindre anicroche."

Le train ne fait que passer, il ne s'arrête pas. La Station Neuf n'est pas une gare. et d'ailleurs, que transporte-t-il, ce train qui grâce à eux, passe tous les jours depuis des années? Nul ne le sait, même le colonel, responsable de la Station, l'ignore. Il dit, "des marchandises", d'autres songent aussi secrètement, peut-être des opposants, vivants ou morts?... des Juifs? ... Les familles mêmes de certains qui sont ici? Est-ce possible? Certains ont essayé de s'accrocher aux wagons et d'aller avec lui voir ce qu'il y avait au bout de la ligne, mais ils sont peu nombreux. L'un est mort, l'autre est revenu fou et incapable de raconter quoi que ce soit. En attendant, la vie impose ses lois à la Station Neuf comme ailleurs: naissances, vieillissement, amour, maladies, blessures, vies misérables et ternes, décès... Mais l'amour, quand même.

Et au fil des décennies, tout ça qui vieillit mal mais qui tient quand même, jusqu'à ce qu'un beau jour, sans qu'on sache trop pourquoi, ce soit fini. Que des trains, de voyageurs cette fois, rares, mais existants, se mettent à passer et à emmener où ils veulent (mais où?) ceux qui décident de partir. C’est à dire tous, sauf Don Domino.

Beaucoup  y ont vu la critique du régime soviétique qui venait de s'effondrer, et ils avaient raison, mais cela ne peut-il pas aussi s'élargir au passage de l'homme sur terre dans une existence sur le sens de laquelle il ne peut avoir aucune certitude, même pas la certitude qu'elle en ait un.


978-2070136797



21 juillet 2024

La vraie Vie 

d’Adeline Dieudonné

*****

Première remarque: ce roman vaut bien mieux que sa couverture en Livre de poche ne le laisse supposer. Ils lui ont fait une couverture genre "chick lit", je ne sais pas pourquoi, mais ce que je sais, c'est que si on me l’avait proposé dans cette version, je ne l'aurais pas pris, et j’aurais raté quelque chose. Heureusement, la couverture de la version brochée (ci-dessous) est bien meilleure. De toute façon, pour moi, ça a été la version audio, et on est dans le thriller ou roman noir, pas dans la chick lit. 

Pour l'histoire, la narratrice est une petite fille qui a 10 ans au début de l’histoire, 15 à la fin. Elle vit avec ses parents et son petit frère qui a 4 ans de moins qu'elle, dans une cité pavillonnaire (moche, mais comme elle s’en aperçoit déjà, cela dépend beaucoup de ce que chaque famille met dans son foyer) . Elle l'adore Son frère et passe son temps avec lui. Le père, un maniaque de la chasse, est toxique et fait régner dans la maison une tension de violence sous-jacente permanente qui devient de moins en moins sous-jacente et de moins en moins maîtrisée. La mère est dépassée. Elle s'occupe peu de ses enfants qui le lui rendent et ne s'intéresse qu'à ses animaux domestiques pour compenser. Elle est en train d’évoluer peu à peu de femme soumise à punching ball.

Quand les enfants avaient 6 et 10 ans, il est arrivé un accident épouvantable qui les a irrémédiablement traumatisés, et ce d'autant plus qu’aucune aide psychologique ne leur a été apportée, ni même aucun réconfort de leurs parents qui ont minimisé la chose à l’extrême. Cependant, ils ne s'en sont jamais remis. A partir de ce moment-là, Gilles a été détruit et la narratrice a décidé que ce qu'elle vivait ne pouvait pas être la" vraie" vie, que ce n'était bien sûr qu'un brouillon qu'elle allait s'empresser de jeter et de remplacer par une seconde chance. Elle se tourne d'abord vers la magie (c'est une enfant) puis, lourdement désillusionnée, vers la science. Elle inventera la machine à remonter le temps et ramènera Gilles et elle-même au moment qui a précédé le drame, pour tout recommencer. Cette décision lui fera se lancer à corps perdu dans les études scientifiques et, sans arrêt aiguillonnée par le désastre sans cesse croissant qu'est la vie de Gilles depuis, elle pulvérisera tous les niveaux d’étude qu'on lui présentera. Parallèlement, à la maison, tout va de mal en pis : la violence malade de son père, l'état psychologique de son frère, le danger qui menace en permanence sa mère et bientôt elle aussi. Par ailleurs, elle passe d'un corps de 10 ans à un corps de 15, aussi gourmand de vie que de connaissances scientifiques.

Un thriller où la tension monte lentement mais inexorablement, ne vous laissant pas une minute de répit jusqu'au final sur lequel je ne vous donnerai aucun indice. Je vous conseille d'ailleurs de ne lire aucun autre billet sur ce livre avant de l'avoir vous-même dévoré car je vois trop bien comment un mot malheureux pourrait vous gâcher la moitié du plaisir.

"La vraie vie" est le premier roman d'Adeline Dieudonné et, d'après la critique, son meilleur, mais en ce qui me concerne, je ne puis me prononcer car c'est le seul que j'aie lu d'elle. 

Pour info:   Grand Prix des Lectrices Elle, "La vraie vie" remporte aussi le Prix Première Plume 2018, le prix du roman Fnac 2018, le prix Renaudot des lycéens 2018, le prix Filigranes, le prix Goncourt choix de la Belgique, le prix Goncourt choix de l'Italie, le prix du Premier Roman de Chambéry et le prix Victor Rossel 2018. En 2020, dans la quarantième édition de son guide annuel du thriller influent, le magazine néerlandais Vrij Nederland proclame la traduction néerlandaise de "La Vraie Vie" (Het echte leven) « Thriller de l'année ». (Wikipedia)

A vous de jouer!

Inganmic l'a lu aussi.

‎‎ 978-2378800239



17 juillet 2024

Le Couteau 

Réflexions suite à une tentative d'assassinat

de Salman Rushdie 

*****


Il y a presque 40 ans, des illuminés à la recherche de boucs émissaires et ayant mal lu un roman, ont décidé de condamner un écrivain à mort. On est restés sans voix. Ça avait l'air d'une histoire de fou, ou d'une blague. Mais ce n'en était pas une et ces gens qui croient qu'ils peuvent massacrer tous ceux qui disent un mot qui leur déplaît avaient bel et bien l'intention de passer à l'action. La vie de l'écrivain en a été changée, mais notre vie à nous tous, également. On était passés dans une ère où l'obscurantisme le plus opaque et le plus criminel pouvait sévir jusque dans les pays occidentaux. Et tout ce que certains (même des écrivains, Rushdie nous rappelle leurs noms) ont trouvé à dire, c'est que l'on n'aurait pas dû les contrarier! et qu'il fallait respecter leur sensibilité (!). Apparemment plus que la vie des athées. Heureusement, d'autres ont tenté de rappeler que nous étions au 21ème siècle, et leurs noms sont aussi cités*. J'ai décidé de lire et commenter ici un des romans de chacun d’eux, même si j'ai en même temps constaté que c'étaient des gens que j'avais déjà lus et aimés, et plus aucun livre de ceux du premier groupe.

Je rappelle cela pour le contexte historique car le 12 août 2022, un fanatique est finalement parvenu à poignarder Salman Rushdie, 75 ans, qui a frôlé la mort et qui après des mois de soins, gardera des séquelles de la lâche agression. Je considère que ce livre fait partie des soins. Pour dépasser ce traumatisme, il a fallu à l'écrivain, le déposer en ces pages et c'est ce qu'il a fait. Et fort bien fait.

« Je compris qu’il fallait que j’écrive ce livre que vous etes en train de lire avant de pouvoir passer à autre chose. Ecrire serait pour moi une façon de m’approprier cette histoire, de la prendre en charge, de la faire mienne, refusant d’être une simple victime. J’allais répondre à la violence par l’art. »

Nous n'avons donc pas là un roman, ni même une des ces horribles "autofiction", mais bel et bien un témoignage et un bilan de ce qui s'est passé. Cela prend 268 pages, c'est précis, humain, émouvant et intelligent. C'est profond et juste, comme l'est Rushdie, pour ce qui est de la réflexion et de l'analyse. C'est détaillé pour ce qui est des évènement et des soins.

C'est également, et de façon inattendue, une très belle histoire d'amour. Car Salman a sur le tard enfin rencontré la femme de sa vie! et cette terrible épreuve a projeté leur relation à un autre niveau, lui faisant atteindre ce qui normalement met des années, voire des décennies, à se construire. Ces écrivains, tout de même, semblent tous finir par trouver leur alter-ego!

De toute façon, que vous le lisiez ou non, il faut acheter ce livre et l’avoir dans votre bibliothèque, pour montrer qu’on ne se laissera pas museler. Et rappelons-le :

« Selon moi, la croyance privée de quelqu’un ne regarde personne d’autre que l’individu concerné. Je n’ai aucun problème avec la religion dès lors qu’elle occupe la sphère privée et ne cherche pas à imposer ses valeurs aux autres. Mais lorsque la religion devient politique, quand elle devient une arme, c’est l’affaire de tous en raison de son pouvoir de nuisance. (…) Quand les croyants estiment que leurs croyances doivent être imposées à ceux qui ne les partagent pas, ou quand ils pensent qu’il faut empêcher les non-croyants d’exprimer avec vigueur ou avec humour leur incroyance, il y a un problème. (…) Dans la vie privée, croyez ce que vous voulez. Mais dans le monde tumultueux de la politique et de la vie publique, aucune idée ne saurait être protégée et soustraite à la critique. »


* Paul Auster, Colum Mccann, Hanif Kureichi, Martin AmisOrhan Pamuk, Ian McEwan et j’en oublie peut-être. Dites-le moi.

978-2073033987