Mike
d'Emmanuel Guibert
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Emmanuel Guibert est un dessinateur de bandes dessinées (Le photographe, La guerre d'Alan) mais il n'y a pas un seul dessin dans cet ouvrage. Rien que des mots. Mais quels mots ! Ce n'est pas un roman non plus, c'est un récit, le récit d'une mort annoncée. L'auteur y raconte son accompagnement de la fin de vie de son ami Mike, dessinateur et architecte. J'avais cueilli ce livre sur la table de présentation de la bibliothèque parce que je m'intéresse au dessin. En fait, il allait aussi me parler de bien d'autres choses, de la fin de vie et de la mort en particulier, qui m'intéressent tout autant. Il est assez peu question de dessin pendant le premier tiers, puis bien davantage ensuite. Je me suis vraiment trouvée en résonance avec ce livre, si bien que je l'ai déjà offert et que je vais me le racheter pour le conserver étant donné qu'il va bien falloir que je restitue cet exemplaire-là à la bibliothèque. Je vous dis cela tout de suite pour situer mon niveau d'attachement à cet ouvrage.
Emmanuel Guibert avait déjà raconté la vie d'un de ses amis dans "La guerre d'Alan", mais c'était une bande dessinée. Ici, deux dessinateurs parlent sans dessin. Mike qui vit à Mineapolis et qui meurt d'un cancer du foie a manifesté le désir de revoir son ami Emmanuel. Ensemble, ils ont déjà beaucoup et longuement parlé dessin, mais ils n'ont encore jamais dessiné ensemble et Mike, bien que très affaibli, voudrait le faire avant de mourir. Emmanuel nous racontera cette ultime réunion.
Ce qui m'a frappée, c'est la parfaite justesse de tout ce qui est dit et de ce qui est pensé. Beaucoup de ses réflexions ont fait écho à des choses que je m'étais déjà dites. Mieux encore, d'autres m'ont amenée un peu plus loin. Le texte est très beau aussi et on a sans cesse envie d'en copier des extraits...
"Les gens bien parlent bien. Et plus ils sont au pied du mur, mieux ils parlent."
Le livre lui-même en est l'illustration.
"C'est toujours bon de faire attention à ses mots. Pas pour maîtriser sa parole, pour se maîtriser soi. Parler comme il faut, c'est réguler son souffle, sa voix, son vocabulaire, ses mains, les traits de son visage. Ça fait du bien à celui qui parle et c'est la condition suspensive pour faire du bien à celui qui écoute."
Comme je le disais, la première partie parle surtout d’amitié, de relations humaines, de famille aussi, d'amour, de transmission des savoirs, de vie, de mort et de fin de vie, et c'est passionnant car les commentaires qui sont faits sont tous intelligents, voire profonds. Cela parle de compassion aussi, d'accompagnement, du cadeau de la compagnie, de la parole, de l'attention et du temps offert.
De façon éclairante puisqu'on est par le fait, de plus en plus près de la mort de Mike, le dernier tiers parle beaucoup de dessin et d'architecture, de techniques et de savoirs. Le dessin qui est leur vie et qui les a rassemblés, les accompagne et les soutient jusqu'au bout. Il est leur vie.
C'est un de ces livres dont on a envie de presque tout recopier. Je suis parvenue à me retenir, mais voici tout de même... :
"Tôt ou tard, si je ne meurs pas brutalement, je serai face à quelqu'un que j'aime et qui continuera la route qui, devant moi, s'arrête. Si je ne suis pas gaga, je me dirai : ses affaires sont en ordre, il est en train de gagner sa pitance avec son travail, d'élever sa fille, de prévoir tel ou tel voyage qu'il fera dans quelques mois... tant mieux. Et j'y trouverai une dernière occasion de me réjouir."
"Le savoir qui se transmet du vivant de quelqu'un est très peu de choses en regard du savoir qui se perd à sa disparition."
"Moins il y a de savoir-faire, moins il y a de savoir-vivre."
Et le mot de la fin :
"Je ne dessine pas pour obtenir des dessins, la preuve : je ne les regarde plus quand je les ai finis. Je dessine pour vivre le moment où je dessine. Je dessine pour être présent à moi-même, aux autres et à l'entour."
Vous l'aurez compris : indispensable.
9782072830525