Les aventures d'un sous-locataire
Iouri Bouïda
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Dans ce récit truculent, Stalen Igrouïev, alter ego de l'auteur, nous raconte comment il est arrivé à Moscou en 1991 (lors de la tentative de putsch) pour devenir écrivain. Il n'avait rien, sauf une lettre de recommandation que son grand-père lui avait faite pour une certaine Phryné, joyeuse soixantenaire et femme envoûtante, avec laquelle tout va se révéler possible. Ce fut chez elle qu'il logea.
Peut-on donc dire qu'il était son sous-locataire? Pas même car il ne payait pas de loyer. D'ailleurs, si Stalen se revendique sous-locataire, ce n'est pas d'un appartement qu'il s'agit, même si ce concept de logements partagé évoque bien des choses dans les esprits des Moscovites. D'ailleurs maintenant, Stalen est propriétaire de son logement, signe qu'il n'a pas si mal réussi mais, nous le verrons, ce fut une longue route pleine de ronces et d'épines autant que de coups de chance, souvent portés par des femmes pour cet homme qui se décrit comme laid. Néanmoins, sous-locataire, Stalen revendique l’être, et il y tient, le dit et le répète.
"Je suis un sous-locataire, dans la vie comme dans la littérature." 11
"Propriétaire depuis longtemps, je reste néanmoins sous-locataire dans l'âme, craignant à tout moment d'être flanqué à la porte. Cela dit, il y a des gens qui sont effrayés par moins que ça."26
"D'après toi, l'originalité de Dostoïevski tient, semble-t-il, au fait qu'il se sent locataire d'une maison en feu et na pas de temps à perdre à des bêtises - il peut tout juste accomplir l'indispensable, crier l'essentiel.
L'originalité de l'homme russe, qui vit depuis mille ans dans une maison en flammes, ne tient-elle pas à cela?" 364
Mais voilà, Stalen est jeune, il débarque à Moscou, ville de tous les possibles, du moins l'espère-t-il. Il ne songe qu'à écrire, si ce n'est pour un livre, au moins dans les journaux, et à laisser ses sens s'épanouir, "Je ne savais pas comment gérer ma libido écervelée et sa puissance effrénée." 130 et les aventures, de grands chemins mais aussi littéraires ou sexuelles, vont se multiplier et se succéder sans repos jusqu'à ce que notre héros esquinté, ayant atteint la maturité, lève un peu le pied et se mette à rédiger ce récit de sa vie, qu'il destine à Lou, une femme qui a joué un rôle important bien que bref, à ses débuts. "Son vœu d'en savoir plus sur moi avait coïncidé avec mon désir de lui raconter mon enfance, ma jeunesse (...) j'avais compris que non seulement je devais, mais je pouvais le faire." 145
Et vous aussi, cela vous intéressera. Laissez-vous tenter par ce récit de la vie Moscovite de ces cinquante dernières années. Découvrez les aventures de cet homme qui pense qu'un écrivain, doit être une "personne qui soit prête ou capable de réfléchir à la vie de l'esprit, à "l'idée russe" et à l'avenir de la Russie, de discuter de dieu, du diable et de la prédestination de l'homme, de rêver à l'amour et à la liberté..." 117
J'avoue que je sais que ma méconnaissance de l'histoire moderne de la Russie m'a fait rater bien des références, mais pas au point de rendre le livre incompréhensible et il est indéniable que d'un point de vue littéraire, c'est un grand livre. Vraiment.
La traduction en français par Véronique Patte a remporté une Mention spéciale du Prix Russophonie 2021, mais cela ne m'empêche pas de me demander s'il n'y a pas eu confusion entre scnickers et sneakers...
Citations :
"Le tirage de notre journal était modeste, mais il jouissait d'une grande popularité parmi les intellectuels moscovites. Nous publiions des libéraux et des conservateurs, des partisans de Gaïdar et Babourine, des rouges et des blancs, des centristes et des anarchistes, des orthodoxes, des catholiques, des musulmans et des adeptes de la fraternité blanche. (...) Beaucoup écrivaient que la Russie pourrait devenir un endroit agréable à vivre à condition qu'elle se transforme en un petit pays, protestant, sans alphabet cyrillique et sans Russes." 370/371
"La politique, Stalen Stanislavovitch , dit Toporov en écrasant soigneusement son mégot dans le cendrier, de manière hallucinante ne correspond pas à ce qu'en pensent ou à l'idée que s'en font tous ces penseurs, parce qu'elle est la pratique incarnée, rien de plus. C'est en cela que réside son privilège, et sa tragédie... et les hommes politiques ont depuis longtemps cessé d'être des médecins pour se transformer en pharmaciens..." 289
978-2072880162