11 mars 2023

J’ai tué

de Mikhaïl Boulgakov

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Journal d'un médecin de en campagne

D’habitude, je ne suis pas cliente de cette collection qui propose des extraits à mon goût bien trop courts pour être vraiment intéressants. Mais il se trouve que je m’intéresse en ce moment à Mikhaïl Boulagkov et que les nouvelles publiées dans ces folios ne sont pas éditées ailleurs en dehors de l’admirable mais coûteuse Pléïade. Mon porte monnaie n’a fait qu’un tour et a opté pour le folio 2€ et ses trois nouvelles.

La première, "Le brasier du Khan" (1924): met en scène la fin de la Russie blanche en une péripétie hautement symbolique mais pas d’une folle originalité ni, à proprement parler, passionnante.

La seconde, "L’île pourpre"  (1924): Par clin d’œil, Boulgakov donne cette nouvelle pour être de Jules Verne, traduite par lui. Ce pastiche de notre Jules national se manifeste par l’apparition de personnages tels Michel Ardan et autres, caricaturés de façon comique. Ils représentent, n’en doutons pas, les travers de la vieille Europe. Folio nous indique que ce serait également un pastiche des littératures simplistes de propagande des années 1920, mais là, je me rends moins bien compte.

C’est parfois bien drôle :

(Lord Glenarvan)"- … Je n’ai pas besoin de vos stupides conseils.

- Ah? Bon! fit Ardan en fronçant les sourcils. Veuillez me dire, sir, quel jour nous nous battrons au pistolet. Et je vous jure, cher sir, que je vous transperce à vingt pas aussi facilement que si vous étiez la cathédrale Notre-Dame de Paris.

- Je ne vous envierai pas, monsieur, quand vous vous trouverez à vingt pas de moi, répondit le Lord. Le poids de votre corps sera augmenté du poids de la balle que je vous mettrai dans l’œil, celui des deux que vous voudrez, au choix.

Le témoin du lord était Philéas Fogg et Paganel celui d’Ardan. Ardan conserva son poids initial et manqua le lord. Il ne manqua pas un des Nègres tapis derrière un buisson par curiosité."

On sourit souvent, on songe à la ferme des animaux d’Orwell, mais c’est un peu confus tout de même, m’a-t-il semblé.


La troisième, "J’ai tué" (1926): fait partie des écrits inspirés à Boulgakov par ses quelques années comme médecin en zone de combats, elle reprend aussi le récit des exactions des séparatistes ukrainiens, également d’inspiration autobiographique et qu’il développe dans «La garde blanche». C’est un récit violent, que l’on sent lourd de tension pour l’auteur, mais à mon avis pas pleinement réussi du point de vue littéraire. Un peu confus encore une fois, à cause des flashes de souvenirs qui se chevauchent de façon peut-être pas assez maîtrisée et l’émotion (colère) de l’auteur couvre celles des personnages.


En conclusion, ce petit recueil ne m’a pas valu un grand moment de lecture mais qui, à mon sens, est utile à connaître quand l’on s’intéresse à Mikhaïl Boulagkov. On me dit que "Endiablade" (même collection) n’est pas meilleur mais je vais le lire quand même, toujours pour les mêmes raisons. Je vous en parlerai.


9782070403240


05 mars 2023

Le mage du Kremlin

de Giuliano da Empoli

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Giuliano da Empoli a déjà publié plusieurs ouvrages, mais ce sont des essais sociétaux et politiques, "Le mage du Kremlin" est son premier roman et je dirais que cela se sent un peu. J'ai trouvé ce roman peu littéraire et j'ai été stupéfaite de le voir apparaître sur les listes du Goncourt pour finalement remporter le Grand Prix du roman de l'Académie. On sait que ces histoires de prix littéraires ont toujours été fortement mâtinées d'ententes commerciales souterraines, mais je trouve que cela est de moins en moins dissimulé d'année en année... Et il me semble, juste conséquence, que les lecteurs commencent à se détourner. Peu importe, il leur restera toujours la cohorte de ceux qui "achètent pour offrir" et se fichent un peu de la réelle valeur littéraire de l'objet.

N'empêche que j'ai moi aussi emprunté puis lu intégralement ce "Mage du Kremlin" tant le sujet éveillait ma curiosité. Poutine nous titille aux frontières de l'Est, la troisième guerre mondiale viendra-t-elle de là? A-t-elle même déjà commencé? Il est normal de ne pas snober les sources de renseignements qui s'offrent à nous, car Giuliano da Empol, professeur à Sciences Po, homme politique et ex conseiller de M. Renzi, est quelqu'un de fort bien renseigné sur le sujet et l'on se dit qu'il doit être en mesure de nous apprendre bien des choses que nous ignorons. De ce point de vue, on est en partie satisfaits. Ce passage dans l'environnement proche du Tsar, dans un entourage que l'auteur qui est un homme de think tank, connaît fort bien. apprend beaucoup au citoyen lambda. Cependant, dans l'intimité de Poutine, jamais on ne sera vraiment. Quant à savoir ce qu'il pense... mais on approche.

"Il faut que vous compreniez une chose: le tsar ne dit jamais rien de précis, mais ne dit jamais rien par hasard non plus. S'il se donne la peine de faire une suggestion, (...) aussi absurde que cela puisse paraître, l'idée doit être prise au sérieux et mise à exécution."

Bref du point de vue documentaire, le livre peut intéresser, bien que les dates ne soient pas assez souvent rappelées à mon goût. Par contre, du point de vue littéraire et romanesque, il y aurait beaucoup à redire.

D'abord, surtout dans la première moitié, le lecteur s'ennuie un peu. Ce qui est un comble sur un sujet aussi brûlant. Lecteur de bonne volonté pourtant, qui accepte de ne pas s'interroger sur la vraisemblance de voir un idéologue de l'ombre comme Vadim Baranov se précipiter pour raconter sa vie professionnelle, familiale et amoureuse, dans le détail à un homme qui ne lui est rien et qui ne lui a même rien demandé. Mais lecteur qui trouve quand même que les pages ne tournent pas vite... Ca s'améliore dans la seconde moitié et plus encore à la fin, mais je sais pour l'avoir lu sur les blogs littéraires que trop de lecteurs ne vont pas jusque là. C'est dommage, avec un sujet et un contexte pareil! C'est le mariage contre nature de l'essai et du roman que je tiens pour responsable.

Quoi qu'il en soit, c'est tout de même intéressant. Ce Vadim Baranov "arriviste paresseux", "sceptique et indifférent", a tout vu et a participé à bien des choses. Il est très habile et peu scrupuleux, comme il se doit en politique. Il manipule les uns et les autres, flattant, promettant et mentant avec un cynisme éhonté.

"J'ai pu constater à plusieurs reprises que les rebelles les plus féroces sont parmi les sujets les plus sensibles à la pompe du pouvoir. Et plus ils grognent quand ils sont devant la porte, plus ils glapissent de joie une fois passé le seuil." (je me demande si c'est vrai...)

Ce roman a été écrit avant le début de la guerre de Poutine en Ukraine, mais on voit à quel point le conflit couvait depuis longtemps et devenait de plus en plus menaçant...


Extraits :

"L'intelligence ne protège de rien, même pas de la stupidité."


"Parti du théâtre, j'étais passé à la mise en scène de la réalité. On ne pouvait pas dire que je m'en sois mal tiré. A présent, on me demandait de projeter sur la scène la réalité que j'avais contribué à construire. Seulement cette fois, il ne s'agissait plus d'un petit théâtre d'avant-garde mais d'une immense arène, pour un public qui comprenait la planète entière."


"Il est normal que les plus entreprenants parmi les jeunes aient envie de faire des choses, qu'ils soient à la recherche d'une cause. Et d'un ennemi. ce que nous devons faire, c'est leur donner cette cause et cet ennemi avant qu'ils ne les choisissent eux-mêmes."


"Les Russes aiment à se faire guider par des hommes implacables"


"Tout le monde doit voir que la révolution orange a précipité l'Ukraine dans le chaos. Quand on commet l'erreur de se confier aux Occidentaux, cela finit ainsi: ceux-ci te laissent tomber à la première difficulté et tu restes tout seul face à un pays en ruines."


Mais parfois, le mage (et Poutine) ne sont pas infaillibles

"Le Tsar ne pouvait pas, bien sûr, envoyer des troupes régulières envahir un pays souverain" (l'Ukraine) .


9782072958168





27 février 2023

La fourmi assassine

de Patrice Pluyette

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Présentation de l'éditeur :

"Odile Chassevent vient de disparaître. Son compagnon Francis Lecamier ferait un bon coupable mais c'est oublier un peu vite Legousse, éleveur de porcs sans activité qui vit avec sa vieille mère dans une ferme isolée.

Lorsque l'inspecteur Rivière débarque, les indices font défaut. Des premiers aveux obtenus conduisent à une fausse piste : le mystère reste entier. Une hypothèse pourrait bien le résoudre, ce n'est pourtant qu'une hypothèse."


Court roman (140 pages en gros caractères bien aérés), Le Clézio, empruntant à l'anglais, appelle cela « novella » et en met deux pour faire un livre et de fait, il m'a semblé qu'on était plutôt là dans une nouvelle que dans un roman. Tant par la forme, je viens de l'évoquer, et s'y' ajoute un style vif et rapide, que par le fond, un récit concentré sur un seul sujet et qui court vers une chute à surprise... Bref, une grosse nouvelle.

Pas mauvaise d'ailleurs, bien écrite, bien menée. Le lecteur s'y laisse prendre et emporter, mais aussi avec ce sentiment de superficialité qui caractérise le genre : on n'approfondit pas dans la nouvelle. Le sujet, sans être d'une originalité décoiffante n'en est pourtant pas trop rebattu et le suspens (whodunit) tient jusqu'au bout : Odile Chassevent, jeune femme, vient de disparaître que lui est-il arrivé ? Malheur ou pas ? Et si malheur, qui a fait le coup ? Il y a enquête, des suspects, un enquêteur original, des pistes etc. Tout cela, très correctement agencé.

Par contre, pour ce qui est de la persistance de l'empreinte que ce livre laissera dans votre mémoire, si c'est comme pour moi, j'ai le grand regret de devoir vous dire que l'érosion est déjà très nette au bout d'une semaine.

Bref, un bon moment de lecture récréative, bien fait, mais ne pas demander plus. Des personnages haut en couleur, quelques morts accidentelles ou presque, un ton léger, une réflexion du même gabarit et basta, emballez, c'est pesé. Mais pourquoi pas. J'aime.

978-2021081015





25 février 2023

Docteur Fischer de Genève

de Graham Greene

***+

Le Dr Fischer, fort riche, vit comme un roi à Genève. Il a sa cour. Il n’aime personne, même pas sa fille. On peut même dire qu’il méprise tout le monde. Il dit que la cupidité des gens est telle que l’on trouve toujours un prix pour lequel ils feront n’importe quoi. Que sa fille, Anna-Luise, échappe justement à ce schéma ne l’amène pas à revoir sa théorie, il se contente de l’ignorer. Ce qui lui évite la contradiction. (Procédé commode que je recommande à chacun en cas de besoin, c’est tellement mieux que d’être contrarié.)

Sa fille donc, est tombée amoureuse d’un homme bien plus âgé qu’elle, manchot et pauvre (tout pour plaire) : Alfred Jones, qui vit de traductions et est le narrateur. Pour l’épouser et vivre avec lui, elle a quitté l’opulente demeure paternelle nantie juste d’une petite valise et sans même lui faire ses adieux. Le Dr Fischer a affecté de ne même pas s’être aperçu de son absence. Jones, ignorant tout du bonhomme estime qu’il faut néanmoins lui faire savoir qu’il a épousé sa fille et se rend chez lui pour le lui annoncer. Snobé par le majordome, il repartira cependant avec une invitation pour une des fameuses soirées du Dr Fischer sur lesquelles courent les plus honteuses rumeurs. C’est à ces occasions en effet que le magnat teste ses conceptions de l’ignominie humaine (sans envisager que ses expérimentations puissent en être une forme). Durant les dîners du Dr Fischer, les rares invités, tous riches eux-mêmes, mais moins que le Docteur, subissent d’horribles humiliations mais, s’ils font bonne figure jusqu’à la fin de la soirée, ils reçoivent un cadeau toujours somptueux.

G. Greene répète plusieurs fois que ces gens sont riches et que ce qui est prouvé est que la cupidité de l’homme déjà riche est sans limite. J’ai eu l’impression qu’il soulignait ce trait pour qu’on ne lui reproche pas de railler des gens qui auraient un besoin tout à fait justifié de gagner les cadeaux promis. Facile de se moquer de l’envie des pauvres quand on ne manque de rien. Mais je me trompe peut-être, il est aussi possible qu’il ait voulu examiner la cupidité détachée de tout besoin rationnel d’où : la cupidité des riches. L’accent mis sur l’opposition riches-pauvres en matière de cupidité m’a tout de même fait tiquer car elle s’exprime ainsi:

"Tous mes amis sont riches, et il n’y a pas plus cupide que les riches. La seule fierté des riches vient de ce qu’ils possèdent. C’est uniquement avec les pauvres qu’il faut faire attention."

Si ce n’est pas de la démagogie, là… Vilain riche jamais gavé et gentil pauvre honnête et fier. Hum, hum… il y aurait à discuter. Je crains que le monde ne soit un poil plus complexe.

Pour ma part, j’ai trouvé que ce distinguo était artificiel et détruisait une partie du raisonnement. On étudie la cupidité et non ses causes. Le rappel omniprésent de type « ils sont prêts à tout pour gagner leur cadeau alors qu’ils n’en ont même pas besoin » affaiblit plutôt la démonstration -car qu’est-ce que le besoin en cette matière?-, d’autant qu’il n’aboutit jamais à la question suivante qui aurait dû être « Mais alors, pourquoi le font-ils ? ». La seule question envisagée est « jusqu’où iront-ils ? » et, la réponse est, on le verra comme on s’en doutait : très loin. Trop loin pour certains. Mais ce n’est pas très intéressant, ça. Les pantins cupides ne nous montrent pas leur profondeur, leur possible ambivalence, et se limitent à leurs actes. Oui, mais et alors ? quelle leçon en tirons-nous ? Ni réponse, ni piste de réponse.

De son côté, Anna-Luise n’a pas d’états d’âme, Jones sera testé. Fischer est un monstre de la plus belle eau sans plus de complexité que cela. Tout finit mal bien sûr et j’ai été intéressée mais frustrée et contrariée… Le genre de bouquin qu’on referme avec un claquement de langue réprobateur, d’autant qu’il a été publié en 1980, époque où ce genre de récit un peu existentialiste était déjà dépassé et remplacé par plus complexe. Plus ambivalent.

9782221130476


23 février 2023

Sur les chemins noirs

de Sylvain Tesson

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Est-il besoin de rappeler les faits? Sylvain Tesson étant tombé d'un toit, a cassé en lui un certain nombre de choses auxquelles il n'avait pas été suffisamment conscient de tenir autant. Ayant failli ne plus jamais marcher, il décide au contraire de marcher beaucoup et par des chemins que seules les cartes IGN les plus précises indiquent. L'idée lui en était venue alors qu'il était encore hospitalisé : "Un des lointains premiers ministres de la Vè République (Jean-Marc Ayrault - période Anatole-France) avait commandé en son temps un rapport sur l'aménagement des campagnes françaises. Le texte avait été publié sous le mandat d'un autre ministre (Manuel Valls - période Offenbach) et sous le titre "Hyper-ruralité". Une batterie d'experts, c'est à dire de spécialistes de l'invérifiable, y jugeait qu'une trentaine de départements français appartenait à "l'hyper-ruralité". pour eux, la ruralité n'était pas une grâce mais une malédiction: le rapport déplorait l'arriération de ces territoires qui échappaient au numérique, qui n'étaient pas assez desservis par le réseau routier, pas assez urbanisés, ou qui se trouvaient privés de grands commerces et d'accès aux administrations. Ce que nous autres, pauvres cloches romantiques, tenions pour une clé du paradis sur terre - l'ensauvagement, la préservation, l'isolement - était considéré dans ces pages comme des catégories du sous-développement. (...) Le texte était illustré de cartes. Les départements hyper-ruraux (...) occupaient une large zone noire. (...) A l’hôpital, rivé au banc de peine, contemplant ces cartes, il m'avait été facile d'imaginer l'itinéraire."

Cet extrait aura l'avantage de présenter la genèse de l'aventure et, pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, le style d'écriture de l'auteur. Le style est important. On va au train de marcheur, c'est lent, joliment dit, les considérations diverses sur le monde tel qu'il va s'invitent volontiers, les citations et doctes références abondent. Si vous n'aimez pas, passez tout de suite votre chemin (c'est le cas de le dire). Moi, j'aime bien, de temps en temps. Et j'ai donc suivi notre valeureux marcheur. Je marchais à son pas, lisant une étape ou deux chaque jour, pas plus, ce qui renforçait l'illusion de cheminer avec lui et je dois dire que je n'ai jamais rechigné à reprendre les godillots, ce qui est signe d'intérêt, mais pas davantage à me déchausser, ce qui n'est pas signe de passion.

Mais moi,  je suis hyper pragmatique, et au fond, ce qui m'a manqué, c'est la vraisemblance. Quand on relève de multiples fractures et qu'on entreprend une marche de plusieurs centaines de kilomètres au sortir de rééducation, je ne peux pas croire que les détails techniques soient secondaires. Dormir à la belle étoile, c'est bien. Oui, mais couché sur quoi? Parce que sur un simple tapis de sol c'est ne pas être sûr de pouvoir se relever le lendemain, et sur une couche plus confortable, c'est avoir à régler le problème des charges à porter. Idem pour le ravitaillement sur plusieurs jours, se régaler des mûres des ronciers, c'est joli à raconter, mais ça ne tient guère au corps, pique-niquer, c'est mieux, mais nous ramène au problème du transport. L’intendance est le nerf de la guerre. Bien sûr que Tesson a souffert et qu'il a parfois dû lui être bien difficile de se déplier au matin; bien sûr qu'il  a eu tous ces problèmes, et bien sûr qu'il les a réglés d'une façon ou d'une autre, mais en ne les évoquant même pas, il nous maintient à distance et à mon sens, limite notre empathie, c'est la faiblesse de cet ouvrage. Il nous offre les paysages et la belle histoire courageuse qu'on pouvait espérer, mais ça manque de tripes. Il fait des phrases, se cache derrière, et ne se laisse ni approcher, ni voir. On n'a droit qu'à son personnage.

Mais c'était un beau voyage.

978-2072823428

21 février 2023

Supermarché 

de José Falero

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Titre original : os supridores (les fournisseurs)

Nous sommes à Porto Alegre (Brésil). Pedro et Marquès qui vivent dans des favelas sordides, travaillent au supermarché. Ils passent leurs journées en allers-retours des réserves aux rayons qu'ils doivent maintenir fournis. Travail fatigant et peu rémunérateur qui leur fournit tout juste de quoi continuer à vivre dans la favela et venir travailler. Pedro passe ses pénibles trajets de transports en commun à lire des brochures communistes et socialistes qui le confortent dans le sentiment qu'il a que ce monde n'est pas très juste. Il a entrepris en conséquence de se servir dans le supermarché, et comme il n'est pas très facile de sortir discrètement de la marchandise, il commence par s'y nourrir sans vergogne tout en initiant Marquès à ses convictions socialistes. Il est cependant clair que ce n'est pas ainsi qu'il améliorera significativement son existence et c'est toujours la même misère pour eux et leurs familles. Et puis un jour, lui vient une idée qu'il estime géniale: Dans les favelas, les dealers font la loi, sans cesse en état de guerre. Des fortunes et des vies se font et se détruisent en permanence dans une violence omniprésente. Pedro est trop intelligent pour s'engager dans ce jeu-là. Il sait que si les gains sont aussi énormes que la misère créée, la suprématie n'est jamais sereine et jamais définitive. Par contre, il remarque que les trafiquants ne vendent plus que des drogues dures bien plus rentables et que personne ne s'intéresse plus au trafic de l'herbe, au point qu'il est devenu difficile d'en trouver alors qu'il y aurait toujours une clientèle. Il calcule que même en gagnant peu sur chaque vente, il pourrait se faire un bon revenu en vendant beaucoup et sans être menacé par la police ou les dealers qui tous considéreraient son petit commerce comme négligeable. Il n'a pas trop de mal à convaincre Marquès qui ne voit pas du tout comment il va nourrir l'enfant que sa femme attend, et les voilà lancés dans les affaires. Comment tout cela va-t-il se passer ?

"Supermarché" est un premier roman bourré de défauts et de charme et d'originalité. C'est un roman écrit par quelqu’un qui, habitant dans les favelas et ayant quitté l'école à quatorze ans (même s'il a repris des études vingt ans plus tard), ne sait pas comment on écrit des romans et a tout inventé par lui-même. Ca se sent, ça se voit à tout bout de champ. Il nous inflige de longues considérations politiques mais comme le ferait un ami convaincu qui discuterait avec nous. Pas comme un donneur de leçons. Il nous communique tous les détails des calculs de rentabilité de son petit commerce au real près, et on voit qu'il a vraiment calculé les coûts et bénéfices comme s'il envisageait vraiment de réaliser ces ventes. Les personnages sont exotiques mais réalistes, débrouillards et attachants, pragmatiques et idéalistes. Tout sonne vrai, même le plus bizarre. Quand ils démarrent, ils ne peuvent même pas appeler leur fournisseur parce qu'aucun des deux n'a plus de crédit sur son portable. Ca a vraiment été un plaisir de passer ces 300 pages avec eux et de les accompagner dans cette tentative audacieuse de se sortir de la misère noire où le destin les a enfoncés dès leur naissance.

Je conseille donc vivement cette lecture malgré (ou peut-être à cause) des faiblesses et défauts du roman car tout cela sonne tellement vrai et c'est un optimisme ou plutôt une vigueur tellement vivifiante dans toute cette boue. C'est plein de vie, de drames et d'humour. Le style est inimitable, très oral, plein de grossièretés certes mais vous en avez souvent lu, des scènes de fusillade écrites comme celle-ci ? : "Comprenant enfin d'où venait l'attaque, les six hommes encore debout, déjà tous l'arme au poing, ripostèrent sans hésiter: ils tirèrent d'innombrables balles dans cette direction. Et comme ils possédaient des armes de types et de calibres variés, la salve produisit des détonations de toutes sortes: certaines bruyantes, d'autres sourdes, certaines sèches, d'autres prolongées, certaines se répétant à une vitesse stupéfiante, tandis que d'autres se répétaient à intervalles plus longs. Mais ni Marquès ni Alemaon ne furent touchés, car, dès le début de la riposte, ils retournèrent s'accroupir derrière la voiture."

C'est d'une fraîcheur d'écriture qui fait du bien et j'ai déjà hâte de lire le prochain roman de José Falero. Espérons qu'il n'aura pas perdu son naturel!


9791022612166

Mois latino

19 février 2023

Le pouvoir des fleurs

J M Laclavetine

***+


J.M Laclavetine sait nous trousser de ces aventures étonnantes et pleines de rebondissements qui ne reculent pas devant les excès romanesques. En voici une qui nous fera voyager, de Cuba au Quartier Latin.

Nous sommes tout d’abord à Paris en Mai 1968. Dans un squat communautaire s’épanouissent quatre amis de 18-20 ans tous épris de Lola, 10 ans de plus qu’eux, fille de bourgeois, ce qu’ils ignorent d’ailleurs. Ce qu’ils vont apprendre tout de suite par contre, c’est qu’elle est enceinte et, comme l’époque invente ses nouvelles formes d’amour, ils décideront d’être les pères, conjointement si l’on peut dire. Hélas, le bébé est kidnappé à la naissance et le reste du livre nous mènera sur 20 ans à travers les diverses tentatives pour le récupérer. Car Lola l’ignore encore, mais elle a un ennemi… et il est féroce et acharné.

Ce qui fait le charme de ce roman un brin déjanté, ce sont d’abord les personnages: Les quatre pères qui ont chacun une vraie originalité, un monde à eux et une réelle épaisseur psychologique, ce qui les rend tous intéressants. La personnalité de la mère et du reste de son entourage n’est pas faible non plus, comme on aura bien l’occasion de le constater. Tous les personnages sont hauts en couleurs, chacun va de toutes ses forces dans sa propre direction ce qui permet de belles rencontres comme de jolis carambolages. Et, l’époque y étant favorable, nul ne manque d’imagination ni d’esprit d’invention. Nous en verrons les fruits. Le crayon de Laclavetine est toujours là pour tracer en trois pages ou en trois lignes, le portrait d’un personnage que l’on imaginera immédiatement avec précision.

La vedette suivante est l’époque qui, de 1968 à 1988 a connu une vingtaine d’années où tout était possible ou semblait l'être. L’auteur, qui sait de quoi il parle, nous en transmet l’ambiance et l’humeur avec art, on s’y voit et on surfe sur cette vingtaine tonique (surtout au début). Le récit est assaisonné de slogans ou de phrases-clés de chansons que les contemporains reconnaissent au passage avec plaisir (il en est une de Ferré que l’auteur semble apprécier particulièrement puisqu’il la cite dans plusieurs romans). Les soixante-huitards échevelés, 20 ans après, se sont trouvé une place, quelle qu’elle soit. Nos héros comme les autres.

Le dernier atout, évidemment, c’est le style de J.M Laclavetine qui sait tout raconter avec aisance, élégance et humour. Ainsi, sous sa plume, voici à quoi ressemble un chantage:

"Ce sera pour moi l’occasion de vous restituer certains documents qui m’encombrent. Des photographies par exemple, que j’ai prises machinalement alors que vous étiez en train de négocier des doses de produits illicites avec un pourvoyeur bien connu sur la place."

Un message de ce genre ne rend-il pas le premier contact moins rugueux? Après, pour la suite, faut voir bien sûr, il n’y a pas que des non-violents dans cette histoire.

J’aurais tendance à classer ce roman dans la catégorie "polars" Ce n’en est pas vraiment un mais il y a enlèvement, recherches, diverses escroqueries, des morts violentes, des fusillades, alors on dira polar et un bon en plus.


9782070428267

15 février 2023


L’œil le plus bleu

de Toni Morrison

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Titre original : The Bluest Eye 

Ecrit alors qu'elle avait 39 ans, ce fut le premier roman édité de Toni Morrison. C'était en 1970. L’œuvre n'est pas encore parfaite mais l'auteur est déjà un grand écrivain, cela se voit tout de suite.

Quartier noir, deux petites filles, deux sœurs : Frieda et Claudia, neuf et onze ans. C'est Claudia qui raconte, la plus jeune mais pas la moins dégourdie. Elles ont des parents sévères, parce que la vie n'est pas facile pour eux, mais pas plus sévères que les autres parents, moins que certains même. La lectrice que je suis n'a pas pu s’empêcher de penser plusieurs fois à Delphine et Marinette*, à des milliers de kilomètres de là, et sans les animaux qui parlent...

Leur famille vient de recueillir pour le moment une petite voisine à peine leur aînée : Pecola dont la famille part à la dérive, et à travers les histoires de Claudia, c'est en fait la jeune vie de Pecola que nous découvrons. Une vie gâchée d'avance, parce que celles de sa mère et de son père -qui nous seront présentées depuis leur plus jeune age- avaient été gâchées auparavant. Ce sont des naufrages individuels, mais ce sont tout autant des asservissements collectifs dus au racisme qui ne leur laisse pas leur chance. C'est pourquoi les trois petites admirent, envient et haïssent simultanément les petites blondes aux yeux bleus à qui tout est offert d'office et toujours, alors qu'elles n'ont rien. Pecola en particulier, est persuadée que si elle avait seulement les yeux bleus, son existence serait tout autre et qu'elle connaîtrait enfin des conditions de vie positives. Elle rêve d'yeux bleus, puis quand le pire se confirme, qu'elle touche le fond, finit par penser qu'ils vont devenir bleus... les plus bleus, et qu'enfin, elle aura droit au bonheur.

Le récit s’étend sur quatre saisons autour de ces fillettes, adjoignant plusieurs portraits saisissants de personnages annexes qui constituent un monde extrêmement bien rendu -en quoi je vous disais que T. Morrison était déjà alors un grand écrivain. Par-delà ses personnages, elle donne à voir une société, et par-delà les cas particuliers, des catégories humaines, des mouvements sociaux.

C'est un roman assez court. Un très bon roman, et qui mérite d'être lu. Les débuts de celle qui allait devenir Nobel de Littérature.


* « Les contes du chat perché » Marcel Aymé

978-2264047991 



11 février 2023

Pollution 

de Tom Connan

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Quatrième de couverture :

"David, jeune diplômé au chômage partiel, décide de quitter un Paris sous covid, pour faire une expérience de woofing dans le Cotentin. Sur place l'attendent Alex, le fils du fermier et Iris, une autre woofeuse, addict des réseaux sociaux. Tous les trois ont pour mission de s'occuper de la ferme jusqu'au retour des parents d'Alex. Alors qu'en quittant son studio parisien, David pensait fuir la pollution et l'épidémie, son séjour bucolique vire au drame, après la mort suspecte de plusieurs vaches..."

Ce roman porte hyper bien son titre parce que la pollution, on va la rencontrer, sans arrêt, et sous diverses formes. Comme si elle était la marque de notre époque, et peut-être l'est-elle, et comme si elle arrivait au stade où elle prenait le dessus sur nous, favorisée par le déni de tous.

Première fois que je lis Tom Connan, et pas la dernière, soyez-en sûrs. J'ai pris ce roman à la bibliothèque parce que je connais bien la région dont il est question et que j'avais envie de voir ce qu'il en disait. Je n'attendais pas grand chose et je n'étais même pas très sûre de mon choix, mais j'avais à peine fini de le lire que je l'ai acheté pour en garder un exemplaire dans ma bibliothèque. C'est dire s'il m'a convaincue. J'ai particulièrement aimé ce que j'aime également chez Virginie Despentes, à savoir une excellente saisie du monde actuel et de son fonctionnement réel. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui connaissent et savent parler du monde de l'hyper connexion, même si nous le vivons tous à un degré plus ou moins fort. Peu d'écrivains l'évoquent et ce n'est peut-être pas plus mal, on lirait sans doute sous leurs plumes une peinture complètement à côté de la plaque. Ici, tout au contraire, on est pile dedans. "On vivait dans un monde bizarre où des boîtes privées, dont les finalités purement commerciales ne faisaient aucun mystère, en savaient plus sur l'humanité que la totalité des états réunis. Les gouvernements n'arrivaient même pas à anticiper les lits nécessaires pour pouvoir absorber l'épidémie en cours, en revanche, les GAFA connaissaient mes goûts politiques, mes affinités sexuelles, mes peurs, mes désirs professionnels et, bien sûr, toutes mes allées et venues. Mais cet invraisemblable transfert de pouvoir ne choquait pas grand monde à la surface de la terre."

C'est presque un polar, un thriller du moins, passionnant de bout en bout et le lecteur se demande constamment comment tout cela va tourner. L'écriture est vive, nette et efficace mais surtout, les personnages, jamais caricaturés mais dont au contraire les beautés, failles et contradictions sont révélées ont tous une réelle profondeur humaine. Aucun manichéisme (ce que je craignais un peu) dans ce récit, mais au contraire une vraie empathie pour les gens. Beaucoup de choses bien vues. On est juste après les premiers confinements. L'étau s'est un peu desserré, laissant apparaître des gens encore traumatisés et incrédules (et à ce propos. T. Connan en a très bien observé les manifestations) : "Depuis le Covid, on était facilement dégoûté du corps des autres et on ressentait tout contact physique non sollicité comme une véritable agression."

C'est presque de la SF et de l'uchronie car l'histoire commence après le premier confinement (c'est vrai qu'on avait l'impression d'être dans un film de SF) et va jusqu'en mars 2024. Le livre quant à lui, est paru en décembre 2021.

Le narrateur est bien monsieur tout le monde (jeune) Il tente de mener sa barque au mieux. Il a des scrupules mais écoute surtout son intérêt, comme la plupart des gens, quoi. "Je n'étais pas très à l'aise avec l'idée de gagner ma vie de cette façon, mais le contexte..." Mais on le voit exercer plusieurs métiers tout au long du roman et cette concession-là, il la fait à chaque fois. Ils ont d'ailleurs tous des métiers plus ou moins bien payés selon les moments, sans stabilité et surtout, qui ne produisent pas du réel. Ils sont "dans l'évènementiel", conseiller, influenceuse, coach, etc. Ils vendent de l'influence ou des objets inutiles et de faible qualité à des gens qui n'en ont aucun besoin... Notre narrateur est plutôt sympathique et crédible, mais pas admirable. Un homme jeune qui se cherche "J'essayais toujours de voir la réalité qui se cachait derrière les phénomènes matériels, comme pour en retirer le voile trompeur. Il n'y avait souvent rien à découvrir, mais c'était bien plus plaisant de voir le monde à travers des représentations qu'en accès direct." dans une époque très difficile.

"On avait tué Dieu au XIXème, puis l'amour au XXème, le XXIème siècle était en train d'abolir le travail, avec d'ailleurs un certain succès, car bientôt les softwares les plus divers seraient en mesure de satisfaire l'ensemble de nos besoins. Mais qu'allions nous faire, nous, les humains, pendant que la galaxie Amazon et l'armée Apple viendrait tout nous offrir sur un plateau en échange de quelques abonnements à 9,99€ par mois? Une fois la série livrée, le cours en ligne distribué, le grille-pain réceptionné et la housse de couette déposée sur le paillasson, de quoi seraient composées nos modestes journées? D'autant qu'avec le revenu universel, le complexe technico-social voulait vraiment s'occuper de tout. Qu'étions-nous en train de fabriquer à l'échelle planétaire, sinon une grande nurserie, au passage réservée à la crème de la crème des pays occidentaux ou a minima occidentalisés? "

A lire.

9782226464835


07 février 2023

Le Balato 

de Djamel Cherigui

*****


Deuxième roman de ce jeune auteur, ce Balato me laisse avec l'envie d'aller vite voir le premier qui m'avait échappé. Ce Balato me fait penser à ces romans d'il y a une cinquantaine d'années, qui nous montraient des malfrats parisiens à la petite semaine, dans leurs vie quotidienne. On retrouve ici le même humour, la même gouaille et le même monde, si ce n'est qu'ils s'appellent Abdel ou Yassine au lieu de Marcel ou René. Mais le monde est le même, la faconde, les problèmes, les mêmes et la débrouille, toujours là. Rien de changé sous le soleil.

"A force d'évoquer les tropiques, on a eu terriblement soif. Les histoires de contrées exotiques, c'est comme les angines, ça finit inexorablement par vous assécher la gorge."

Nous sommes à Roubaix et le récit est fait par Bonbonne, ainsi nommé, comme on l'aura deviné, pour des raisons de silhouette, et écrit Bombonne pendant tout le livre (!*). Bonbonne est le neveu de Mirouche, le patron de Saturne, bistrot d'habitués, "pas des voyous non, plus, pas des vrais truands, juste des magouilleurs, des pieds nickelés." Sa mère est morte et son père est en prison pour longtemps. Tonton l'a recueilli et le traite comme son fils. Bonbonne a cessé sa formation professionnelle pour se faire embaucher comme second dans le bistrot. Il en est l'héritier annoncé, mais se sent-il bien décidé à passer toutes ses journées cloué derrière le bar? En attendant, il observe la clientèle de demi-sels et raconte, car il s'en passe des choses, au Saturne où chacun est désigné par un surnom.

L'histoire commence par une scène épique parce que l'un des habitués débarque un jour habillé trop élégamment, cela se poursuit en tripot et cambriolages, le rire est franc ou jaune selon les moments, et cela se termine... Oh, je vous laisse voir. Vous passerez un excellent moment qui passera trop vite et ne serez pas déçu de votre virée en compagnie de Bonbonne.

Je conseille très vivement. C'est drôle, mais pas que. Parfois, ça pique un peu.


"En somme, fallait apprendre à se résigner, voilà tout. C'était, comme on dit, le mektoub. Et il arrangeait pas mal de choses, le mektoub, c'était comme un grand tapis sous lequel on planquait tout ce qu'on n'avait pas envie de voir. On se traînait d'un bout à l'autre de la vie avec la poisse accrochée en bandoulière, on croulait sous le poids d’infâmes désillusions, on menait des existences encore plus dégueulasses que celles de nos pauvres parents on valdinguait d'un patron à l'autre avec pour seule consolation un minuscule salaire qui permettait à peine de boucler les fins de mois... mais tout ça n'était pas grave. Devenir toxico, alcoolique, prendre vingt ans de placard, finir amputé des deux jambes ou aveugle à cause du diabète , pas grave non plus? Fallait surtout pas s'en faire, fallait juste accepter et dire merci... Merci la vie, merci mektoub.


* Mais Larousse dit maintenant qu'on peut, exceptionnellement, mettre m. Allons bon!

978-2709667456

03 février 2023

Pays sans chapeau

 de Dany Laferrière

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"Une mangue tombe. J’écris: mangue. Les enfants jouent au ballon dans la rue parmi les voitures. J’écris: enfants, ballon, voitures. On dirait un peintre primitif. Voilà, c’est ça, j’ai trouvé. Je suis un écrivain primitif."

Le pays sans chapeau, devinez lequel c’est. Pour ma part je n’aurais pas trouvé, eh bien le "pays sans chapeau, c’est ainsi qu’on appelle l’au-delà en Haïti parce que personne n’a jamais été enterré avec son chapeau." Que répondre à cela?

Dans ce roman, écrit en 1997, Dany Laferrière nous raconte déjà un retour au pays après un exil au Canada .-ce qui est également le sujet de "L’énigme du retour". D’ailleurs les deux romans racontent un peu la même histoire sauf que dans celui-ci, l’écrivain, retrouve sa mère et la terre de ses ancêtres à un moment bien étrange où beaucoup pensent voir dans les rues et les campagnes des armées de zombies… C’est donc sur ce phénomène que l’auteur va mener une enquête. Dans sa quête de vérité il rencontrera des personnalités éminentes du monde des sciences de son île et chacun lui confirmera plus ou moins l’information: les cimetières sont vides, les morts se promènent dans les rues

Le récit de cette enquête se fera à travers une infinité de petites scènes exposées par l’auteur, nous montrant comme autant de photos de sa moitié d’île. C’est une cascade de flashes qui parviennent bien à faire passer les images, les couleurs et même les bruits et la chaleur.

"J’écris à ciel ouvert au milieu des arbres, des gens, des cris, des pleurs. Au cœur de cette énergie caribéenne." L’auteur se montrera plusieurs fois dehors, avec sa machine à écrire posée sur une petite table sous un manguier dont les fruits mûrs le bombardent parfois. Ces images peuvent occuper quelques pages mais souvent aussi quelques lignes suffisent: un titre en gras (par exemple "La nouvelle maison", "Le café" ou "La robe grise") et en une demi page, un peu plus, un peu moins, l’image est dans notre œil à nous aussi. Cette fois Laferrière n’a pas recours aux formes poétiques qu’il utilisera quelque dix ans plus tard pour confectionner son Médicis, mais l’idée est la même. Il fait également précéder chaque chapitre d’un proverbe créole chargé de nous communiquer la façon de voir de ce pays.

En même temps que ses proches restés au pays il retrouve donc les superstitions de cette terre à savoir le richissime vaudou (je parle de richesse de l’imaginaire) en sa marque fondamentale: les morts-vivants. (Il paraît même qu’il y a tout un village dont les habitants n’ont besoin de manger qu’une fois tous les trois mois…) et donc, à la demande de sa mère, il va se lancer dans l’enquête: y a-t-il vraiment invasion discrète de zombies? Ici, la frontière entre les vivants et les morts est très fine.

Ce voyage au pays des mangues et des grenades est enchanteur pour le lecteur, c’est tout un monde qui nous est parfaitement étranger, aussi bien à la ville qu’à la campagne:

"Philippe conduit la puissante jeep comme si la rue était vide. Les gens circulent au milieu de la chaussée comme si la voiture n’avait pas encore été inventée. Il y a un problème là.

- T’as pas peur de frapper quelqu’un en conduisant comme ça ?

- Ce n’est que comme ça qu’il est possible de conduire vieux.

- Qu’est-ce que tu racontes là ?

- C’est chronométré à la seconde. Les gens savent exactement à quelle vitesse vous venez, si vous ralentissez. C’est à ce moment que ça peut créer de la confusion.

- Je trouve que tu te justifies curieusement

- La preuve, c’est qu’il y a très peu d’accidents. Les rares accidents sont causés par des gens comme toi…

- Comme quoi ?

- Des gens qui reviennent de l’étranger. Ils ont perdu le rythme. C’est comme une danse, tu sais. Le moindre faux pas est mortel. Trop vite, c’est pas bon. Trop lentement, c’est pas bon non plus."


Bilan: j’ai bien aimé le lire. Une vision du monde vive et émouvante. Et puis il y a des lignes vraiment belles, comme

"Il savait des choses très délicates, des choses qu’on ne peut percevoir qu’en plissant les yeux…"


Autre chose, il ne semble absolument pas se rendre compte qu’il tombe sous le charme de toutes les jeunes femmes qu’il rencontre. C’est assez amusant à observer.


9782842612696

Mois Latino


30 janvier 2023

L'homme peuplé 

de Franck Bouysse 

*** +


Quatrième de couverture:

"Harry, romancier à la recherche d'un nouveau souffle, achète sur un coup de tête une ferme a l'écart d'un village perdu. C'est l'hiver. La neige et le silence recouvrent tout. Les conditions semblent idéales pour se remettre au travail. Mais Harry se sent vite épié, en proie à un malaise grandissant devant les événements étranges qui se produisent.

Serait-ce lie a son énigmatique voisin, Caleb, guérisseur et sourcier ? Quel secret cachent les habitants du village ? Quelle blessure porte la discrète Sofia qui tient l'épicerie ? Quel terrible poids fait peser la mère de Caleb sur son fils ? Entre sourcier et sorcier, il n'y a qu'une infime différence."


Sans compter le fait que je m'interroge un peu sur les probabilités qu'un écrivain français s'appelle Harry, mon avis concernant ce roman est mitigé. Je n'ai pas dû me forcer pour aller jusqu'au bout, il a donc su m'intéresser, mais je suis cependant restée sur un sentiment de légère frustration.

Normalement, un bon roman policier, c'est une intrigue bien ficelée, tellement tordue que le lecteur ne voit pas avant les dernières pages où on veut l'amener. Autour, il y a le décor. Ici, c'est le contraire, tout est dans l'emballage -le décor, l'ambiance- si vous le retirez, il vous reste une intrigue vraiment simple, banale même, et seuls une construction que le lecteur ne peut deviner et un mensonge de l'auteur* nous empêchent de vraiment tout savoir bien avant l'heure. Cependant, reconnaissons que la fin expliquera bien tout ce que nous avons vu avant, sans rien oublier. Qualité non négligeable.

Il y a les personnages, fortement caractérisés, habités... mais ils le sont peut-être trop, par moments l’excès simplifie trop les choses. En fait on a presque des archétypes (carrément, même pour les méchants). C'est le décor aussi, bien planté, crédible avec son climat, sa saison... mais simplifié également. A peine deux maisons, une place de village et une terrasse de boutique, le tout sous la neige et planté hors du monde.

La qualité de ce roman, c'est l'écriture, de jolies scènes, bien peintes et pleines de vie rurale vraie, des lieux réalistes. F. Bouysse est à l'aise avec cela. C'est sa force. 

Bref, à mon avis, une lecture ni désagréable ni indispensable à moins d'être un inconditionnel de cet auteur. Mais ce n'est que mon avis.

978-2226465733