30 octobre 2023

Jean-Christophe T2 : Le matin 

de Romain Rolland

****+


Nous avions quitté Jean-Christophe à 7 ans, nous le retrouvons à 11 ans. Il gagne un peu d'argent pour la famille en étant second violon. Son talent se confirme et est reconnu. Tout comme sont reconnus sa probité et son mérite. Mais Jean-Christophe est fier et ombrageux et ne permet pas qu'on le prenne en pitié. Il sera bientôt Premier violon. Il donnera également des cours, suivant les pas de son père. Son père qui, justement suit la pente sur laquelle il avait commencé à dégringoler, boit de plus en plus, ruine sa famille, puis, quand il l'aura ruinée, sera lui aussi à la charge de Jean-Christophe et de sa mère, sans rien perdre pour autant de ses exigences.

Le grand-père va bientôt mourir, il était le seul obstacle encore un peu résistant contre les mauvais penchants de Melchior.

On pourrait sous-titrer ce tome "La découverte de l'amitié et de l'amour". Jean-Christophe peu régalé d'affection et de gentillesse, rencontre par hasard un garçon, bien plus aisé que lui, mais seul également, et voilà qu'ils s'attachent éperdument l'un à l'autre, chacun apportant à son compagnon l'écoute et la bienveillance qu'il ne trouve pas ailleurs. Ce n'est pas "parce que c'était toi, parce que c'était moi", on sent que c'est "parce que tu étais là", mais qu'importe. Les cœurs se gonflent de la joie de ce sentiment si neuf et si réjouissant : ils aiment et sont aimés. R. Rolland analyse en détail et avec une parfaite justesse, les développements de cette relation et montre à quel point l'amitié est semblable à l'amour. Elle en partage les symptômes, les élans, les plaisirs et bientôt les affres...

Et les garçons grandissent et les corps s'éveillent et bientôt la pureté se voile... Dans toute cette partie, comme dans la suivante, Romain Rolland brille par sa peinture des sentiments, des élans du cœur, des émois, qu'il peint avec finesse et minutie sans perdre l'émotion. Il peint sans intervenir, se contentant de décrire et laissant le lecteur tirer ses conclusions et mener ses réflexions, du moins, c'est ce que nous voyons. Mais la partie immergée de l'iceberg, c'est qu'il est seul maitre de ce qu'il montre ou non.

Survient alors la découverte de l'amour. Madame von Keirich et sa fille, sensiblement de l'âge de Jean-Christophe, emménagent dans la belle propriété voisine. Elles découvrent un jour le garçon les observant avec curiosité, font connaissance et, parce que Mme von Keirich a entendu parler de sa vie difficile et de ses mérites, elle l'embauche pour donner des cours de musique à sa fille. Mais, elle va plus loin, l'introduit chez elle, l'encourage, le protège, l'éduque même, lui qui n'est qu'un rustre inculte et ne sait se tenir nulle part. Cette rencontre est une grande chance pour Jean-Christophe, mais R. Rolland montre bien ce qu'il y a d'indifférence dans cette bienveillance facile. Mais le garçon est bien sûr, trop jeune pour le comprendre et se croit comme adopté ; à cela ne tardera pas à s'ajouter un flirt imprévu avec Minna, la fille... et tout cela forcément, finira mal sous la plume incisive et si humaine de l'auteur inspiré.

Je pourrais sous-titrer ce tome "L'éducation sentimentale"... et sociale ! Car Jean-Christophe a appris là une rude leçon et il ne l'oubliera pas.

A la fin de ce tome déjà si riche en émotions fortes, Melchior meurt, comme meurent les ivrognes. Sa famille le pleure.


Jean-Christophe :

1 L'Aube

2 Le Matin

3 L'Adolescent

4 La Révolte

5 La Foire sur la place

6 Antoinette

7 Dans la maison

8 Les Amies

9 Le Buisson ardent

10 La Nouvelle Journée

Je poursuis ma "lecture" en audiolivre.


25 octobre 2023

A prendre ou à laisser 

de Lionel Shriver

****


Quatrième de couverture:

« Pendant dix ans, Kay a assisté son père atteint de la maladie d'Alzheimer. À la mort de ce dernier, le soulagement l'emporte sur la tristesse et une question surgit : comment gérer sa propre fin de vie ?

Une discussion avec son mari Cyril, quelques verres de vin et les voici qui en viennent à nouer un pacte. Certes, ils n'ont que cinquante ans, sont en bonne santé et comptent bien profiter encore de leurs proches, mais pas question de faire peser sur ceux-ci et sur la société leur inéluctable déliquescence. C'est décidé, le jour de leurs quatre-vingts ans, Kay et Cyril partiront ensemble.

Le temps passe et voici qu'arrive la date fatidique. »


Ma seconde tentative avec Lionel Shriver, la première ("Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes") m'avait intéressée mais laissée avec beaucoup de réticences. Force est de constater que celle-ci me fait exactement le même effet. Pourtant, cette fois, le sujet (la fin de vie) m'intéressait énormément, alors que les performances sportives d'un corps vieillissant me semblaient d'un intérêt moyen. La fin de vie! Sujet captivant à mes yeux. Alors voyons où les réflexions de L. Schriver l'ont menée.

Trente ans après le pacte, le couple est toujours uni et, même s'ils évitent d'en parler, la décision n'est ni oubliée, ni annulée. Arrive la date fatidique (ce qui à mon avis a pris un peu trop de temps, dans ce roman qui démarre façon diesel) et l'auteure choisit d'imaginer treize suites possibles en y faisant réapparaître quelques points communs pour le fun. Que peut-il se passer après cet anniversaire?

Comme je l'ai dit, j'ai trouvé un peu long le chemin pour y parvenir, mais ce fut pire ensuite puisque L. Shriver commence par les hypothèses les plus évidentes et je m'ennuie un peu. Les pages se tournent lentement... mais dans les dernières hypothèses, après une version réellement cauchemardesque (sans doute pour casser le ronron des histoires sans surprise), ça commence à devenir intéressant et cela le sera de plus en plus jusqu'au final. Et voilà pourquoi après avoir ronchonné pendant une bonne partie de ma lecture et m'être maintes fois arrêtée pour compter les pages, j'ai fini sur une impression positive et l'ensemble m'a amenée à réfléchir sur le problème.

Quand on a cinquante ans et qu'on vient d'assister longuement et en détail à la déchéance complète et trop lente d'un proche, décider qu'à 80 ans, on deviendra trop vieux et qu'il sera temps d’arrêter, semble une évidence. Mais en est-ce une? L'argument vous parait imparable. Mais déjà aujourd'hui, vous ne courrez plus comme quand vous aviez vingt ans. Bientôt, vous ne pourrez plus du tout courir. Mais marcher, oui, et encore assez bien. Est-il temps de se tuer quand on ne court plus ou cela fait-il partie des pertes acceptables? Alors, est-ce quand vous ne marcherez plus que très difficilement, et lentement, voire plus du tout? La valeur d'une vie tient-elle donc à ses jambes? Mais si vous avez encore toute votre tête, que vous trouvez la vie plutôt douce dans votre fauteuil entre une compote et un roman... faudra-t-il y mettre un terme? Il ne faut plus songer aux voyages, vous sortez peu de votre maison où vous vous sentez bien. Est-ce le signe qu'il faut mourir?

 Non, dites-vous, pas tant que j'ai toute ma tête, mais de ce côté-là, n'avez vous pas aussi commencé à perdre? Supportez-vous toujours bien l'agitation, le bruit? A seize ans, vous étiez sûr que c'était la vie. L’esprit aussi vieillit, c'est normal.  Est-ce que vous n'oubliez pas plus facilement les choses récentes que les anciennes? Et si vous oubliez des choses, êtes-vous sûr de savoir parfaitement quand ce ne sera pas simplement de la distraction ou des détails sans importance? Quel est le signe de baisse intellectuelle qui décidera du moment de mourir? Est-ce si évident?

Alors vous répondez: non. Le signe, c'est la douleur. Ne pas vivre ma fin de vie dans la douleur. Certes, mais ne souffrez-vous pas déjà? Rhumatisme, arthrose, digestion, chutes, fractures, petites tumeurs, interventions chirurgicales et leurs convalescences de plus en plus longues? Et puis, ne pas tout récupérer, et décider que ça va quand même... Et c'est vrai que ça va. Il y a encore de bons moments et ça vaut le coup de les vivre. Alors la douleur ne serait pas le critère non plus? Alors quoi? La douleur intolérable? Mais alors là, vous serez à l' hôpital et vous ne maîtriserez plus rien, ne déciderez plus de rien (surtout en France) et vous ne pourrez plus choisir.

Conclusion? me direz-vous? Ma réponse : "C'est pas simple".

Et puis, ne vous tracassez pas trop pour ça. La mort prend beaucoup de gens par surprise. On ne décide pas de tout.

978-2714495846

20 octobre 2023

Perspective (s) 

de Laurent Binet

***+


Je rangerais bien ce roman dans la catégorie « polars historiques ».

Nous sommes dans la Florence de la Renaissance, fin 1556 plus précisément. Le vieux peintre Pontormo vient d’être assassiné à coups de marteau et de burin, alors qu’il travaillait seul, la nuit, à sa fresque de San Lorenzo (Pontormo a bien existé et a bien peint les fresques de San Lorenzo, le reste est du roman). Le vieux peintre atrabilaire divaguait un peu ces derniers temps tant sa fresque et sa santé l’obsédaient et avait réussi à se faire détester de tous grâce à son charmant caractère. Il va être bien difficile de deviner qui a fait le coup et le pauvre Vasari que Cosimo de Médicis, Duc de Florence, a chargé de résoudre l’affaire au plus vite, va avoir du fil à retordre. L’affaire va même sérieusement se compliquer quand l’enquête va faire apparaître (puis voir disparaître) un portrait fort compromettant pour la fille du Duc. Pour le coup, Cosimo ne rigole plus. Il faut retrouver ce tableau. L’assassin aussi, bien sûr, si possible, mais le tableau, c’est indispensable. Il semblerait pourtant que le voleur et l’assassin ne soient pas la même personne.

Nous avons donc ici un Whodunit classique si ce n’est que l’action se passe au cœur du monde des Arts de la Renaissance et que tous les personnages, politiques, hommes de guerre ou artistes, sont connus. Autre particularité, nous suivons l’action par l’intermédiaire des lettres (vous savez, ces ancêtres de emails) que se sont envoyées les protagonistes. La solution est difficile à trouver (mais possible, comme il convient à un bon Whodunit) Pour ma part, je l’avais trouvée au début, mais avais ensuite changé d’avis, ce qui n’était pas malin de ma part.

Ce roman plaira aux amateurs de romans historiques mais en ce qui me concerne, je l’ai beaucoup moins aimé que « La septième fonction du langage » et « Civilization », les deux autres romans de cet auteur que j’ai déjà lus. Je l’ai trouvé moins original et intéressant. La septième fonction était très amusant, Civilization très original, ce n’est pas le cas de celui-ci. Voilà ma petite réserve dans le flot des louanges qui accompagnent ce roman sur le net.


Jelisjeblogue l'a aimé davantage, mais pas Luocine.


978-2246829355

15 octobre 2023

End zone  

de Don DeLillo

****


"End zone" est le second roman de l’écrivain américain Don DeLillo. Il est paru en 1972 aux USA,  mais il n'a été publié en France qu'en 2023. A mon sens, cet énorme retard à la traduction est dû au roman lui-même qui, encore plus inclassable que ce que l'auteur fait habituellement, est aussi bien qualifié de livre génial* que de début sans intérêt**. Une autre raison majeure tenant sans doute au fait que cela ne parle que de football américain auquel les Français ne comprennent généralement rien, moi la première... ajoutez-y pour ma part un désintérêt total.

Et pourtant, j'ai bien aimé ce livre.

Le roman est une narration faite  par Gary Harkness, un jeune joueur de talent très prometteur, recruté par une équipe de football américain. Il  est en formation, découvre ses congénères, et son temps se partage entre entraînements et cours, ainsi que quelques sorties et flirts.  Il en fait le récit. "Simplicité, répétition, solitude, austérité, discipline et encore discipline. Il y avait des profits à en tirer, des choses qui pouvaient me servir à me fortifier; le petit moine fanatique qui s'accrochait à mon foie allait s'épanouir avec ces éléments d'ascétisme."

Le roman se divise en trois parties. Dans la première, nous rencontrons les personnages, les camarades, les entraîneurs, la petite amie... Gary se révèle être un garçon intelligent, un peu introverti, qui pratique la méditation,  mais se faisant facilement des camarades. Il semble aimer la violence physique, aussi bien la pratiquer qu'y être confronté (ce qui est une vraie qualité dans sa partie). En tout cas, il ne la craint absolument pas. Mentalement, il est assez incontrôlable, ou au moins, imprévisible. Il m'a parfois fait penser à  Holden Caulfield. Il s'observe beaucoup, ainsi que les autres. Il estime par exemple que les positions d’une personne dans une pièce en disent long sur son état d'esprit. Il essaie de s'adapter à la complexité du monde. "L'écoulement indifférent du temps et de toute chose m'inspirait de l'affection pour l'univers." Il réfléchit beaucoup à une éventuelle guerre mondiale, une sorte de fin du monde simplifiée. Il est comme fasciné par l'holocauste. "La culpabilité exerçait un attrait considérable sur moi."

Il y a des moments drôles, les membres de l'équipe peuvent se mettre à jouer comme des enfants.  il aime bien donner brièvement des informations fausses à ses camarades pour les faire réagir. Gary apprend un mot nouveau par jour et, DeLillo m'en offrant l'occasion, j'en ai appris quelques uns aussi : callisthénie, autosome, oxycéphale etc.

La seconde partie du roman est strictement le récit d'un match (donc, du chinois pour moi) mais étonnamment, j'ai absolument tout lu -et ce n'est pas court- Là, c'est la magie de l'écriture de Don DeLillo, qui fait qu'on lit tout le détail d'actions de jeu qu'on ne comprend pas vraiment, sans même être tentée de sauter des lignes. Ne me demandez pas pourquoi. En tout cas, pour moi, c'est comme ça que ça s'est passé.

La  troisième partie est la suite de la vie que Gary mène là-bas, mais qui commence à montrer des côtés plus erratiques qui auront finalement raison de lui puisqu'après être sorti dans la neige sans vêtement chaud et même y avoir disputé une partie avec des amis, le livre s'achève abruptement, laissant tout en plan :"Une forte fièvre brûla un petit sillon droit dans mon cerveau. A la fin on dut me conduire à l'infirmerie sur une civière et me nourrir au moyen de tuyaux en plastique."

C'est un livre complexe et difficile mais qui m'a saisie dès les premières phrases et que je n'aurais absolument pas pu quitter avant la fin. Un roman étrange sur un sujet qui m'ennuie, mais que j'ai aimé. Il y a de la magie là-dedans. Je ne vais pas pouvoir vous en dire plus.


* Le New York Times a déclaré que End Zone a confirmé DeLillo comme l'un des meilleurs jeunes écrivains de son temps 

** Le Harvard Crimson a estimé que « même une bonne satire isolée ne peut pas tenir » ensemble un roman décevant et qui tourne court.

9782330177423

10 octobre 2023

 Animal du cœur

de Herta Müller

*****


Dire l'oppression

Ce roman magnifique est fortement autobiographique. On y retrouve ce que Herta Müller s’acharne à peindre : le totalitarisme et ses effets sur la population.

La narratrice termine ses études dans un pensionnat. Une de ses camarades de dortoir se suicide, agissant ainsi en mauvaise citoyenne et tous les élèves et professeurs doivent participer à une cérémonie grotesque et odieuse où la lâcheté de la suicidée est fustigée. Aucun ne se permet de s’y refuser. C’est ainsi que le totalitarisme détruit les gens par le remords et la honte de leurs lâchetés, pas forcément les pires, qu’ils trainent ensuite. C’est ainsi qu’ayant obtenu d’eux ces premiers renoncements il les met en position d’en faire d’autres, plus significatifs. De plus, ici, il démontre que nulle amitié ne lui résiste.

A la suite de ce drame, la narratrice commence à fréquenter trois jeunes gens qui étaient des amis de la morte. Ils tentent de préserver une forme de résistance à l’oppression et se donnent beaucoup de mal, (cachette, dissimulation, code secret etc.) pour très peu de choses réalisées. Tout acte de rébellion est si difficile qu’un simple geste discrètement symbolique demande courage et prise de risque considérable. Ce qui frappe, c’est la non-violence des amis qui, quoi qu’ils subissent n’envisagent aucune action violente ou agressive, ils rêvent juste de parvenir à exprimer quelques bribes… on reste au niveau du samizdat le plus simple.

Immédiatement repérés, ils subissent la surveillance et les brimades permanentes de la police secrète si proche et familière qu'ils n’arrivent même plus à croire qu’elle ne sait pas tout d’avance. Mais ils tentent tout de même de résister, sourdement, faisant de leur vie un enfer d’angoisse. Tout de suite, il n’y a plus d’amis en dehors d’eux quatre, la pression est si forte qu’ils savent que chacun est prêt à les trahir à tout moment.

Le but finit donc par être de parvenir à émigrer en Allemagne, ce qui n’est théoriquement pas interdit mais réclame d’abord qu’ils renoncent à leur patrie, à leurs proches, ensuite qu’ils obtiennent les autorisations d’une bureaucratie incompréhensible alors que dans le même temps, les gardes-frontière s’amusent beaucoup à abattre tous ceux qui, rendus fous par les tracasseries, tentent de passer la frontière clandestinement.

Et même en Allemagne, même pour ceux qui y parviennent avec autorisation, la police roumaine en civil les suit et continue à exercer sur eux son oppression. C’est intolérable.

En même temps qu’elle nous raconte cela, elle se remémore ses souvenirs d’enfance (où elle est «l’enfant») et nous montre l’élan vital qu’elle portait alors, ses espoirs et sa liberté ; et elle nous montre aussi sa famille, un peuple roumain sous la férule, qui quitte peu à peu les campagnes et qui survit… à quel prix?! Transmettant sa soumission à ses enfants. L’animal du titre, c’est le cœur qui bat dans les poitrines, comme une petite bête chaude qui s’agite et pulse, pleine de vie, puissante et fragile aussi. Que l’on garde, écoute et protège en son sein : le trésor de la vie.

On retrouve la superbe écriture de Herta Müller dont la prose est un langage poétique. On retrouve l’étau de la dictature. Personne ne sait comme elle dire l'oppression. Mais si vous voulez tenir votre rôle de lecteur, il vous faut accepter de vous livrer totalement à sa plume, recevoir. Lire, tout, sans discuter, vous laisser emporter. Vous en reviendrez changé car vous y serez allé, vous aurez réellement éprouvé l’étouffement du totalitarisme. Une expérience poignante.

"La chanson finie, elle croit que l’enfant dort à poings fermés. Elle dit : repose-bien l’animal de ton cœur, tu as tellement joué aujourd’hui."


Jelisjeblogue l'a lu aussi


PRIX NOBEL DE LITTERATURE

9782070129706



05 octobre 2023

Une terrible délicatesse 

de Jo Browning Wroe

*****

L'histoire commence le jour où, au terme de brillantes études, William Lavery 19 ans, reçoit son diplôme et s’apprête à prendre la succession de l’entreprise familiale de pompes funèbres. Aussi étrange que cela puisse paraître à tout un chacun, ce métier le passionne. Il y trouve, le calme, la profondeur et la réflexion qui sont de toute façon dans sa nature. Il s'y sent utile et ultra compétent. Il a par ailleurs durant ses études rencontré la femme qui semble bien être l'amour de sa vie et qui, à ses côtés en cette soirée, va se fiancer avec lui. Autre point important, William a une voix remarquable et a également rejoint une chorale prestigieuse et y a reçu un enseignement de haut niveau. Cependant, au moment de ce bal de fin d'année, on sait qu'il a mis un terme à toutes ses activités de chant qui lui étaient si chères. On ne sait pas encore pourquoi.

Au cours de ce bal, une terrible nouvelle est diffusée:  un énorme glissement de terrain a emporté la cité minière d'Aberfan et en particulier son école, ses habitants, ses enfants... C'est la consternation. Et l'urgence aussi. On a besoin d'aide pour s'occuper des corps et William fait immédiatement partie des rares volontaires compétents. Il se lance à leur secours mais il n'a que dix-neuf ans et ne mesure pas d'emblée les répercussions que cela aura sur toute sa vie. En fait, ces dizaines de petits cadavres écrasés, le déchirement pathétique des familles, les cris des parents auront raison de lui.

"Aberfan lui a arraché ses entrailles, l'a broyé et l'a expédié dans une dimension insondable."

Il réalise tout de suite que sa vie ne pourra pas reprendre son cours là où elle était. 

"Combien il a peur qu'une partie de lui-même demeure enterrée avec ces enfants, et que la dévastation du village se soit propagée jusqu'à lui." 

En fait, il lui semble maintenant totalement impossible, après ce qu'il vient de vivre et de voir, d'avoir lui même des enfants et, avant même de rentrer, il téléphone à sa fiancée pour annuler leur mariage.

Ensuite, le reste du roman se passe entre moments de sa vie avant et après Aberfan et le lecteur comprend de mieux en mieux qui est William , ce qu'il a vécu, ce dont il est capable ou non, et ce qu'il est devenu et deviendra.


C'est un roman magnifique. Un vrai grand livre que je conseille à tous. Rédigé en une langue au-dessus de tout reproche et belle, qui prend le lecteur au cœur et lui livre des expériences de vie telles qu'il aura l'impression de les avoir vécues lui-même. Il traite aussi bien de questions qui semblent secondaires ou anecdotiques que du cœur de toute vie humaine: la vie-la mort, sans jamais rien esquiver, surtout sans jamais laisser la moindre place aux clichés et au convenu. Seuls les sentiments, les gestes vrais sont montrés, et cela nous permet de nous y reconnaître vraiment. Ainsi, à un moment de sa vie, il passe son temps libre à visiter la Tate Britain, il tente de s'en expliquer "Je ne connais pas grand chose à l'art, mais quand je viens là, je me sens mieux, plus grand à l'intérieur"; et la fan de musées que je suis sent qu'on a parlé pour elle.

Mais néanmoins, le prometteur William est détruit. Peut-il encore écouter son ami:

"Et il est certain que le but de notre présence sur terre est bien de vivre! Si chanter te ramène à la vie, si cela réchauffe ton cœur et fait pulser ton sang... (...) tu ne crois pas que c'est un devoir pour toi de chanter, nom d'un chien? Comme si ta vie en dépendait?"


PS : Ce grand livre est maintenant en format poche.

978-2266332637

30 septembre 2023

Les autres ne sont pas des gens comme nous

de J.M. Erre

***

Un livre pour se détendre, un livre pour rire, un livre pour s'amuser. Et pourtant, on partait de loin puisque Julie la narratrice est une jeune femme tétraplégique de naissance. "Je suis prisonnière d'une carcasse inerte, avec le regard torve, la bouche ouverte et la bave abondante comme équipements de série. (...) Je suis clouée à vie à un fauteuil high-tech connecté à un ordinateur que je suis capable de manier grâce à l'unique morceau de ce corps inutile que je parviens à bouger: mon majeur de la main droite, dressé en permanence vers le ciel comme pour lui adresser un message (mais lequel, mystère)." Là, vous vous dites, "Attention à ne pas trop charger non plus", "Peut-on rire de tout?" et toute cette sorte de choses... Voilà que notre narratrice handicapée a décidé de devenir écrivaine. Elle va créer un personnage de femme valide, appelée Mado et lui faire mener une vie normale, elle veut dire, valide, qu'elle fera vivre dans sa petite ville. On ne quitte pourtant pas l'humour noir, parce que Julie a surtout décidé de faire rire pour ne plus avoir a subir les regards navrés qu'on lui lance sans arrêt. Elle fera rire dans ses écrits et dans la vie, le tout dans le plus parfait mauvais goût. On est plus près de l'humour noir et de la blague de carabin que des nonsense et understatement de l'humour anglais. Donc, il faut savoir à quoi s'attendre et si on peut apprécier ou non.

Si vous n'avez pas refermé le livre, notre Julie nous dresse donc une galerie de portraits de personnages rencontrés dans sa ville, et sans trop se soucier de vraisemblance, nous conte quelques anecdotes à leur sujet. Les lecteurs qui ont lu les précédents romans de J.M. Erre, s'apercevront que plusieurs références y sont faites quand ce n'est pas leur héros lui-même que l'on retrouve. Ainsi le premier rencontré, Félix Z, avait-il animé "Série Z". Ces brefs récits sont hantés par l'apparition répétée en arrière plan d'un certain Michel H. "dépressif intégriste", mais que vient-il faire dans cette galère ? Nous le saurons bientôt.

Voilà, je ne vais pas crier au génie et ce n'est pas du tout mon roman préféré chez J.M. Erre, mais si l'outrance ne vous effraie pas et qu'une envie de rire sainement de tout vous vient, c'est une lecture qui peut s'envisager, d'autant que nous n'avons pas tant que ça d'auteurs comiques, surtout si on exclut ceux qui ne savent amuser qu'en agressant autrui (système qui me déplaît fortement).

A vous de voir.

9782283036532

26 septembre 2023

Mon maître et mon vainqueur

de François-Henri Désérable

***


Le sémillant narrateur se retrouve dans le bureau d'un juge d'instruction qui, contrairement à ce qu'on nous dit partout sur les juges d'instruction, n'est ni pressé ni débordé par des dizaines de dossiers en retard, bien au contraire, il est tout disposé à passer la journée à bavarder de choses et d'autres entre gens de bonne compagnie. Ainsi, il a fait venir le narrateur en tant que témoin dans une affaire criminelle, mais ne rechigne pas à laisser la conversation virer au bavardage littéraire avec de nombreuses références et anecdotes sur Voltaire, Verlaine et Rimbaud (caution culturelle certes, comme le titre l’annonce, mais ne jamais prendre des écrivains peu connus) et même, une leçon (niveau 5ème ou 6ème selon mes très anciens souvenirs de collégienne) sur le comptage des syllabes en versification. Vous vous direz, le juge va le recadrer vite fait, mais non, pas du tout, ils passent tous deux un agréable moment à compter les pieds. Et nous aussi malgré notre étonnement de voir un juge découvrir ce genre de choses comme une nouveauté (faut pas un diplôme, pour être juge?)... Et puis tout cela ne fait guère avancer notre affaire que l'on devine grave et dont nous ne saurons le fin mot qu'à la dernière page. Moi, dans le bureau du juge à l'énorme disponibilité, j'assiste à ces bavardages élégants et cultivés (mais pas ardus) et je m'ennuie vaguement...

L'histoire, vous la connaissez, enfin, je veux dire, oui, forcément, c'est la même que toujours: deux hommes sont amoureux de la même femme qui ne choisit pas et un quatrième larron (ami de tout le monde dans cette histoire) tient la chandelle d'une main et la plume de l'autre pour nous raconter tout ça. On est entre gens cultivés et éduqués du moins, dans un premier temps. Après, les testostérones s’emballent et le vernis craque un peu.

Je me suis amusée au début avec ces embrouilles rocambolesques à la BnF, jusqu'à ce qu'une coïncidence amène au même moment dans la vraie vie, le directeur du British Museum à démissionner en raison de la disparition d'une quantité invraisemblable d’œuvres placées sous sa responsabilité. Du coup, en lisant cela, je me sentais volée, ça ne me faisait plus rire. Comme plaisanterie, ça allait, comme réalité, beaucoup moins. Pour ce qui est du roman, ça se lit bien, facilement et sans déplaisir malgré une écriture un peu relâchée (voir par exemple le post scriptum) On se demande un peu où on va, vers le drame ou vers la farce? 

Je constate en fin de compte que je suis peu sensible au charme fantaisiste de F.H Désérable. Il existe certes, je ne le nie pas mais cela reste superficiel et conventionnel. Il y a une sorte de suspens parce qu'il a bien fallu que quelque chose les amène devant ce juge, mais on sait en même temps qu'on ne sera pas grandement surpris. Bref, une lecture légère et sans conséquence ni enjeu. On lit ou on passe, comme on veut.


PS: Emploi au moins deux fois de l'expression à mon avis fautive de "substitué par": exemple page 174 "J'ai substitué le marque-place avec le nom de Margaux par celui de sa voisine"

978-2073003164


Violette l'a lu aussi 




23 septembre 2023

L'été est fini et avec lui notre Challenge des Pavés de l’Été.



35  s'étaient inscrits et  29 ont réellement participé. Ce qui a donné 108 livres - pavés, soit un joli petit bout de voie romaine un peu post-datée. J'ai pris beaucoup de plaisir à paver la route de cette année avec vous et, si vous le voulez bien et si les petits cochons ne m'ont pas mangée avant comme on disait autrefois😛, je compte bien m'y remettre l'été prochain.

Il y a cependant une question que je voulais vous poser: Qui serait POUR ou CONTRE une baisse de la limite minimum à 500 pages au lieu de 550??

Ce sondage d'opinion clôturera notre saison . Je vous écoute


PALMARÈS


Médailles de diamant

MARA, BELETTE et INGANNMIC en tête avec respectivement  17,15 et 11 titres!!!

Suivies de

Médailles d'or

 5 titres :  SANDRION , MISS SUNALEE, DASOLA, KATHEL


Médailles d'argent

4 titres : LAGEEKOSOPHE, ATHALIE, ENNA


Médailles de bronze

3 Titres : VIOLETTE, DOUDOUMATOU, SIBYLLINE, MAPERO, TADLOIDUCINE, AGNÈS


Médaille de chocolat

2 titres : KEISHA, SACHA, NATHALIE,


Médailles de caramel

 1 titre : ALYS, AIFELLE, VERO BARDOT, CHATPERLIPOPETTE,  ANNE7500, TABULA RASA, NATHALIE, J'ADOORE LIRE, GAETANE, MAGGIE, JULIA DOCFOX


Un gros bravo à tous et toutes et merci pour votre participation.

Le challenge de l'été 2024 regroupera donc des pavés de 500 pages et pluuuuuus. 🙂



20 septembre 2023

Peste & Choléra 

de Patrick Deville

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Poursuivant ce qu'il nomme ses "romans sans fiction" (notion hélas, juste un peu au-delà de ce que je peux comprendre) Patrick Deville nous narre ici la vie extraordinaire d'Alexandre Yersin, grand voyageur, explorateur mais surtout découvreur du bacille de la peste (Yersinia pestis) et à qui l'on doit la préparation du premier sérum anti-pesteux, ainsi que l'étude de la toxine diphtérique. Il a fait partie de "La bande à Pasteur" dont il fut disciple. C'est pour l'auteur l'occasion de nous faire découvrir la vie aventureuse et passionnante de cet homme ainsi que tout un pan de l'histoire de l'Europe et même au-delà puisque Yersin a passé sa vie à voyager, principalement en Asie, en gros de la fin de la Commune aux années 1950.

La vie de Yersin a été passionnante et sa biographie l'est naturellement tout autant. Il est à Berlin avec Koch, à Paris avec Pasteur, Céline, Calmette Doumer et tant d'autres devenus également célèbres dans leurs branches. C'était un monde sans femmes. Yersin lui-même était misogyne (rumeurs de pédophilie, mais Delville n'en parle pas). C'était la belle époque où !'on pouvait priver les filles d'études, les cantonner et encourager dès leur plus jeune âge à la superficialité, la joliesse, les niaiseries, la dépendance en tout, où dans chaque champ du savoir, tout un aréopage de messieurs en poste était prêt à appuyer sur la moindre tête féminine qui dépassait un peu; ensuite, on les traitait de guenons parce qu'elles gloussaient en bandes sans jamais rien dire de profond (comme c'est étonnant!). Yersin n'était pas grand dans tous les domaines et son esprit pas toujours en avance sur son temps, mais il le fut dans plusieurs et c'est déjà bien intéressant à suivre qu'il combatte les maladies fléaux de l'humanité ou qu'il se lance dans l'élevage ou l'agriculture, qu'il invente l’ancêtre du coca-cola ou qu'il crée un énorme phalanstère.

Ce qui fait l’intérêt de ce livre, c'est la vie aventureuse du personnage principal et la peinture d'une époque où l'on croyait au progrès et à une science 100% bienfaisante, même si déjà la physique nous menait à la guerre nucléaire et si la "nature humaine" faisait des millions de morts. Patrick Deville semble tout savoir de cette époque et a ainsi écrit plusieurs ouvrages dont les personnages sont ceux que l'on retrouve dans nos livres d'histoire, de science et de littérature. A lire donc pour améliorer sa culture générale, ce qui ne fait jamais de mal.


Mapero l'a lu aussi 

978-2757883174


15 septembre 2023

Les guerres précieuses

de Perrine Tripier

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LECTURE COMMUNE

Etonnant premier roman, tant par la maîtrise de l'écriture que par la finesse psychologique et l'originalité de l'histoire. Perrine Tripier débarque sur les rayons des librairies et déjà, j'ai lu son premier roman (bouche à oreille entre blogs de lectrices/teurs) et je me promets de ne pas rater le suivant.


Isadora Aberfletch est une vieille femme qui finit sa vie dans une maison de retraite. "Vieillir, n'est-ce pas troquer son être vivant pour un être préparé à mourir?" Elle a dû finalement abandonner la maison quelle chérissait tant, faute de n'avoir pu y être saisie par la mort. Alors, dans sa chambre silencieuse, Isadora se souvient et raconte. "J'agite des pantins dont les souvenirs s'effacent." Entre l'infinie disponibilité d'une enfance comblée, ouverte à tous les possibles "On formait un tout avec le monde, le moi était une maison vide ouverte aux quatre vents, traversée de grands aplats de soleil."

et cette chambre paisible qui appelle la fin, qu'y a-t-il eu?

Bilan d'une vie atypique, totalement libre et choisie? Ou au contraire totalement contrainte et conditionnée?

Le tout, porté par une écriture magnifique: "Je rouvre l'album, et le premier souffle qui s'en dégage est un soupir du temps, une bouffée d'odeurs ternies qui me replonge chez moi, subrepticement, pendant une fraction de seconde avant qu'elle ne se dissipe. Et je tourne les pages, et il me semble voir nos doigts fébriles se poser sur les photos."

Elle a été une petite fille heureuse jouissant d'une enfance gaie et libre au milieu d’une fratrie et dans une famille elle aussi gaie, libre et chaleureuse. La maman, artiste peintre, le père plus réservé, le grand frère protecteur, la grande sœur belle et coquette, la petite sœur, feu follet adorée de tous. Presque des archétypes, mais c’est comme ça qu’elle les voyait. Chacun avait un rôle, une place, harmonieux, équilibrés. Tous, et aux vacances, oncles, tantes et cousins aussi, abrités dans la grande Maison familiale et son beau parc. Maison, avec une majuscule, car pour Isadora qui raconte, elle est vraiment un personnage à part entière, plus, même peut-être, car elle est capable de les contenir tous, de les protéger, de leur assurer un environnement agréable. Isadora adore la Maison, la confondant avec son enfance dont elle fut le décor. Il y a des enfances si malheureuses qu'elles ne permettent pas de grandir ensuite et d'autres, trop heureuses au contraire, qui ont le même effet. Isadora a été si heureuse dans son cocon familial que non seulement, elle n'envisagera jamais de le quitter, mais encore, fera de ce maintien le but de sa vie. Isadora est belle et intelligente, la famille a du bien, les autres enfants ne tardent pas à quitter le nid et à elle aussi, un prétendant fort épris et plaisant, proposera le mariage, mais il faudrait quitter la maison et partir vivre ailleurs... Isadora le peut-elle?

"J'ai assez aimé la Maison pour ne rien souhaiter d'autre, dans toute mon existence, que d'y demeurer, blottie au creux des choses familières, me laissant patiner par le temps exactement comme la rampe de l'escalier en colimaçon."

Et plus loin,

"C'était mon combat, décidé à l'enfance, quand je lisais sur le rebord de la fenêtre, c'était ma gloire secrète, mon royaume à défendre."

Vœu bien compréhensible ou névrose? Enfance idyllique ou souvenirs biaisés? La lectrice surprise découvre, observe, et tente d’estimer. Il FAUT partir! lâcher la branche, prendre son vol, découvrir des mondes qu'on ne soupçonne pas et tracer son propre chemin. Certes. Mais je me souviens aussi d'un manoir à mes yeux idyllique, proche de chez mes grands-parents où j'ai toujours pensé que rien ne pouvait être mieux que d'y vivre. Et si cela avait été ? Et si j'avais grandi dans ce manoir idéal, aurais-je accepté de le quitter un jour, ou serais-je devenue une Isadora? Ce roman entre dans votre tête, dans vos souvenirs des lieux où vous avez vécu, où vous auriez pu vivre, et sa totale justesse de récit vous permet de vous sentir au cœur de sa problématique. Vous vous identifiez. Dans la famille Aberfletch, qui êtes-vous?

978-2072961076


Elise lit et partage  et Véro_Bardot l'ont lu aussi 

10 septembre 2023

Blanc

de Sylvain Tesson

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Après le noir, vient le blanc. Les chemins noirs cèdent la place sous mes yeux aux chemins blancs et j'ai suivi Sylvain Tesson dans ce second périple, mais je pense qu'il n'y aura pas de troisième lecture pour moi car je me suis plutôt ennuyée. "Les chemins noirs", 176 pages, "Blanc" , 240. Que j'ai regretté ces soixante pages de rabiot! C'est long, la marche dans la neige, et pas mal répétitif, mais qu'allais-je faire en ces pa(ra)ges, moi qui ne skie pas, n'escalade pas et n'aime même pas la neige? J'ai eu ici l'occasion de me le demander, croyez-moi, mais vous me connaissez, quand je suis partie, c'est parti, j'ai tendance à m'accrocher et à aller au bout, un de mes rares points communs avec l'auteur.

Donc, tout d'abord, j'ai trouvé le récit bien répétitif et monotone. Faut dire, la neige, quand tu as dit que c'est blanc, très blanc, blanc partout... et froid, très froid, tu as un peu fait le tour de la question. Je parle pour moi, bien sûr, Sylvain Tesson lui, trouve motif à descriptions, jolies phrases, évocations et digressions Le matin, départ à l'aube dans des températures polaires, on s'arrache au refuge rustique mais dont on ne va pas tarder à regretter le confort sommaire. Marche, ski, prise de risques inutiles et arrivée soulagée au refuge suivant, chaque jour se déroule ainsi. Je peux comprendre le désir de se mettre à l'épreuve, de chercher ses limites, de les visiter et de se surpasser, j'ai déjà plus de mal à admettre de parier sa vie pour rien, mais bon, si c'est son truc, je m'incline mais j'aurais par contre aimé être éblouie par ce qu'il en tire. Je crois que j'attendais des pensées plus profondes sur la neige, le risque, l'hibernation, la vie, la mort, le blanc... Bref, Michel Pastoureau aurait sans doute mieux comblé mes attentes. Là, j'aurais lu autre chose que des banalités.

On crapahute donc. Les étapes sont l'occasion de lectures. Un ouvrage historique emporté permet à l'auteur de développer son admiration pour la Maison de Habsbourg ou de Hohenzollern, le Saint Empire romain germanique et l'ordre teuton (c'est propre). Chacun ses goûts, je respecte. Moi, je songe aux portraits de Charles Quint (être Habsbourg a un prix) et modère mon admiration.

 Les lectures sont l'occasion de citations, nombreuses*. Stendhal est largement mis à contribution, avec Rimbaud, et quelques autres. Tesson ne peut pas s’arrêter dans une zone déserte sans y rencontrer un lettré avec lequel échanger des vers et des citations. Quand je pense que je n'arrête pas de discuter avec des tas de gens et qu'ils peinent à citer deux vers de La Fontaine... je me demande comment il fait. La soirée est aussi l'occasion de réviser ses subjonctifs, présent comme imparfait, merci, ça ne me gène pas, au contraire, j'aime bien.

Il m'a semblé enfin, que dans cet ouvrage, les pensées de l'auteur se dévoilaient plus réactionnaires que je ne l'avais vu dans les Chemins noirs, ou alors, je n'avais pas été attentive? C'est assez triste. Je ne parlerai pas de l’absurde et grotesque micro-nouvelle qu'il nous balance vers la fin d'ouvrage faute d'avoir même compris s'il avait voulu faire de l'humour. Mais j'en suis gênée pour lui. Je ne parlerai pas de sa critique de la gestion de la pandémie sur le thème classique de tous-des-moutons en se gardant bien de dire comment il pense que cela aurait dû être géré (parce que tout de même, tout le monde ne peut pas aller se réfugier au sommet d'une montagne). Je ne parlerai pas non plus de sa critique de l'individualisme (des trottinettes!) alors que lui même ne fait jamais rien d'autre que de l'individualisme. Bref non, je souhaite à Sylvain Tesson de belles randonnées et la meilleure santé possible mais je doute de retourner un jour entre ses pages.

Bye


* Hélas pas toutes exactes, voir la critique d'Arnaud Viviant dans Le masque et la Plume.

978-2072960635