23 novembre 2020

 Le nageur dans la mer secrète 

de William Kotzwinkle

*****


A lire absolument

 Bon, moi, c'est ça que j'appelle un «livre pour adultes» 
 
 Un livre exceptionnel, et je pèse mes mots, tout comme est exceptionnel cet écrivain qui vous «pond» E.T, une quarantaine d'autres romans de genres divers mais plutôt proches du polar, ou de la comédie et puis ça, ce nageur dans la mer secrète. Un livre unique. Un livre à vous couper le souffle. 
 
 D'abord, c'est un petit bouquin qui n'a l'air de rien. Pas très épais, pas très tape à l’œil. 
Quand on a compris le sujet, quatrième de couverture aidant, « accouchement dramatique », on se dit « Je ne vais pas lire ça ». Et on le pose. Puis on le reprend, juste pour voir le début. Et on est happé par le ton et le style et la personnalité si proche du narrateur, son extraordinaire honnêteté. La vérité de son récit et on comprend qu'on peut le lire, qu'on n'en sera pas blessé mais enrichi. Et on le lit, et on ne l'oublie jamais. 
 
 On se dit. On sait : «La vie, c'est ça» La vie et la mort. La joie et la peine, profiter et souffrir. Etre un humain. 
 
 Ce sont ces hasards, ces détails, ces chances et ces malchances, ces riens. Pas une fausse note dans les sentiments, pas une hypocrisie, pas une concession qui trahit. Ni grandiloquence, ni haine, ni reproches, ni accusations qui rendent l'autre seul responsable. «La vie, c'est ça.» C'est tout. 
 
 100 pages qui ne vous blesseront pas, qui vous rendront plus humain, un petit livre qu'on n'oublie jamais. 


978-2742737321 

21 novembre 2020

 Miss Islande 

de Audur Ava Olafsdottir

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Le hasard a voulu que je lise à peu de temps d'écart, deux romans ayant beaucoup de points en commun. Il s'agit de celui-ci et de "Souvenirs de l'avenir" de Siri Hustvedt. A partir de là, il est intéressant d'établir les parallèles. C'est un chemin comme un autre pour parler d'un livre.
  
   Les deux romans racontent ce qui est arrivé à une jeune-femme ayant juste passé vingt ans et qui a quitté une famille aimante mais trop rurale pour gagner la grande ville (ici Reykjavík) où elle aurait plus de chances de réaliser son rêve de devenir écrivain. Dans le cas de S. Hustvedt, le récit est autobiographie, dans celui d'Audur Ava Olafsdottir, on peut penser que certaines choses le sont, mais c'est plus nettement un roman. Bien que sur des continents différents, les deux récits sont situés à peu près à la même époque.
  
   Arrivées en ville, les jeunes femmes doivent trouver à se loger et un emploi pour subvenir à leurs besoins, tout en se ménageant le temps nécessaire à l'écriture. Toutes deux se trouvent tout de suite confrontées à un monde d'hommes qui ne voit que leur jeunesse et leur beauté et fait peu de cas de leurs aspirations littéraires, voire intellectuelles. Les hommes vont tout de suite jusqu'au harcèlement voire l'agression frontale. Dans les deux romans, les jeunes femmes ne s'attendaient pas à se heurter à une barrière aussi sournoise et hermétique. Elles luttent et s'acharnent à poursuivre leur rêve quoi qu'il leur en coute jusqu'à la réussite ou l'échec.
  
   Dans "Miss Islande", par l'intermédiaire des deux amis de Hekla (l'héroIne), l'auteur élargit son propos à deux autres problématiques : avec son amiE Isey, elle montre la vie des femmes qui elles ne luttent pas pour sortir de leur condition... et elle est désespérante ; et avec son amI Jon John, elle montre celle des homosexuels, et elle ne l'est pas moins. Dans ce monde très rude qu'est l'Islande du milieu du 20ème siècle, la littérature et particulièrement la poésie, a beau y être tenue en étonnamment haute estime, le machisme exercé sans plus de complexes que de nuances par des hommes ayant eux-mêmes des vies difficiles, fait le malheur de tous.
  
   Rien n'étant possible en Islande, Hekla et Jon John parviendront à partir à l'étranger et leur très belle amitié les aidera à affronter tous les combats, mais pas forcément à les gagner. Comme nous voyons tout ce que fait Hekla, mais jamais ce qu'elle pense, elle nous étonne parfois et la fin vous surprendra.
  
   Pour reprendre ma comparaison entre les deux livres, les deux premiers romans de deux écrivaines, connaitront le même destin, que je ne peux révéler sur ce site qui ne divulgue pas les chutes... A la différence de "Souvenirs de l'avenir", et faute d'indication précise de l'auteur, on peut l’interpréter ici de différentes façons. Je ne cacherai pas que mon interprétation personnelle est la plus pessimiste.
  
   J'ai adoré ce roman.

978-2843048692 

20 novembre 2020


Souvenirs de l'avenir 

de Siri Hustvedt

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Un livre un peu difficile que le dernier roman de Siri Hustvedt, ce qui explique sans doute qu'on n'en parle pas tant que cela sur les blogs littéraires. Un roman qui va demander à ses lecteurs un effort intellectuel et donc perdre assez vite ceux qui ne cherchaient qu'une bonne histoire à lire.
  
   Déjà, sous ses airs de récit autobiographique, nous avons bien un roman, mais si proche cependant de la Siri Hustvedt de cette année-là, l'année 78-79, à New York- que le lecteur est sans arrêt sur le fil entre réalité et fiction. Cette instabilité était peut-être bien justement la meilleure façon de lui faire éprouver l'une des thèses de l'auteur, à savoir que le souvenir n'est pas la vision d'un moment inaltérable de notre passé, mais une vue toujours changée depuis notre présent. Nous avons changé, l'époque a changé, ainsi que le contexte tant personnel que social, notre expérience et nos connaissances ; l'oubli a fait son œuvre aussi, ainsi que les déformations de la mémoire. Le passé que l'on a si souvent dit non-modifiable est au contraire une chose toujours au moins partiellement différente...
  
    Ce que la narratrice constate en retrouvant son journal intime d'alors. Elle avait vingt trois ans, alors qu'elle en a maintenant plus de soixante, ce sont deux femmes différentes et elle sait exactement ce que sont devenus tous ses espoirs, projets et craintes. Et je ne parle là que d'une même personne. Quand vous comparez les souvenirs de plusieurs personnes (comme S. Hustvedt le fait avec son amie de toujours, Whitney, et d'autres), vous multipliez les variations par dix ou cent...
   "Dans la mémoire, il n'y a pas vraiment d'avant ni d'après, n'est ce pas? La mémoire surgit dans le maintenant, dans un temps vertical. Et le temps remémoré, comme tu le sais, est teinté par l'imagination."
  
   Je pense que l'on peut considérer cette réflexion sur le passé, le temps et le souvenir comme l'axe majeur du roman. C'est d'ailleurs à ce point que se réfère le titre. Mais d'autres réflexions sont conduites parallèlement. D'abord, l'écriture. La narratrice (S. H.) s'est accordé une pause d'un an dans ses études pour tenter d'écrire son premier roman. Elle en a déjà les personnages et un vague projet en tête, ce sera une enquête policière à la Sherlock Holmes, menée par deux détectives adolescents... Le projet ne progressera pas selon son souhait malgré ses efforts, mais elle se trouvera rédiger en tant que nègre un roman ne la concernant en rien, si bien qu'ainsi, elle se trouvera avoir écrit son premier roman, publié et pas trop mal reçu par la critique, mais qui ne lui est rien...
  
   Et puis bien sûr, la défense féministe. Les temps ont changé. L'époque et la place de la femme ont changé, mais la narratrice a évolué plus encore. La jeune fille vulnérable et inconsciemment soumise à des critères machistes est devenue une femme méfiante et éclairée, qui constate sans même plus pouvoir les comprendre vraiment, ses soumissions imperceptibles (ou non) d'alors... Nous en sommes toutes là, nous les anciennes, ou du moins, je vous le souhaite. Il y a du règlement de compte là-dedans, au moins avec elle-même.
  
   A cela se mêle un peu de drame et de sorcellerie (eh oui), au moins une mort suspecte (le thème du détective réapparaît)... et pourtant, si je devais conseiller Siri Hustvedt à quelqu'un (ce qui m'arrive souvent) ce ne serait pas avec ce roman-là. Il y a des longueurs (le repas chez Patty !), surtout dans le dernier tiers, des complexités jamais éclaircies, une avalanche de références intellectuelles ou artistiques, des changements d'optique un peu brusques que j'avais ratés et qui m'ont demandé un réajustement, et globalement une fusion que j'ai trouvé trop grande entre l'auteur et son personnage principal, trop grande si l'on considère en même temps que ce n'est pas elle. Je ne suis jamais à l'aise avec ces "autofictions" et j'ai d'ailleurs été étonnée de voir S. Hustvedt s'y essayer. Bref, un livre qui aura peut-être du mal à trouver son lectorat, mais que les admirateurs/rices de l'auteur devront bien sûr tout de même lire. On ne peut pas s'en dispenser.
  
   PS: Oups ! Et j'ai oublié de parler de La Baronne (et de Marcel Duchamp) ! Vraiment beaucoup de choses dans ce roman. On ne peut pas tout évoquer.
   PPS: Et les dessins !!! Je n'ai pas parlé des dessins non plus. Finalement, c'est peut-être là que le bât blesse : trop riche, ce roman.re.


978-2330125806

19 novembre 2020

 

Photo d'adieu 
de Ngaio Marsh

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Ramassé dans une bourse aux livres parce que j'en ai lu plusieurs de cette auteure quand j'étais jeune. J'ai voulu voir ce que cela donnait maintenant que je ne le suis plus.

Quatrième de couverture : « Quelques jours de vacances pour l'inspecteur Alleyn et son épouse, invités dans une île néo-zélandaise, chez l'amant de la plus grande cantatrice du monde. Mais la Sommita est persécutée par un photographe qui s'amuse à envoyer aux journaux des portraits grotesques de la divine. (…)  Une enquête délicate pour l'inspecteur Alleyn, d'autant que la tempête se lève sur l'île et que les invités se retrouvent prisonniers de leur hôte, un homme pour le moins énigmatique. Le paradis risque fort de devenir un enfer… »

Nous trouvons l'iné
narrable-galable inspecteur Alleyn et son épouse-potiche-artiste, enquêteurs récurrents de Ngaio Marsh, sur une île de milliardaire. On met plus de cent pages sans action à attendre qu'un crime y soit commis. On pourrait au moins s'occuper en se demandant qui va être tué si l'éditeur n'avait pas jugé bon de nous le dire tout de suite sur la quatrième de couverture. C'est la partie que j'ai remplacée par trois petits points pour vous permettre de lire ce livre sans le savoir si vous évitez la quatrième de couv.  Mais je ne suis pas sûre que ce que je vais vous dire vous en donnera l'envie.

Bon, donc, après une longue mise en place, tout le monde est dans l'île, un meurtre est commis et tout le monde se retrouve coincé sur l'île qu'on ne peut plus ni quitter ni ouvrir à de nouveaux arrivants. On ne va pas se mentir, c'est le genre de situation de départ qu'on a déjà vue cent fois, mais bon, moi j'aime bien les mystères de huis clos.

Quand Agatha Christie par exemple, brode sur ce thème, vous vous retrouvez avec un crime pour lequel tout le monde avait des mobiles, mais que personne n'a pu commettre. La tension est extrême. Avec Ngaio Marsh, c'est différent, tout le monde a pu le commettre, et personne n'a de mobile. C'est nettement moins dynamique.  Il y a bien un suspect principal quoi que l'on ne comprenne pas bien ses mobiles sauf un coup de folie, mais cette voie n'intéresse pas notre auteur qui décrète que le suspect boudeur s'enferme dans sa chambre dès le crime commis et qu'on ne le reverra plus jusqu'à la scène finale. Il ne faudra donc pas compter sur lui pour les rebondissements. D'ailleurs, des rebondissements, il n'y en aura guère jusqu'à ce que Alleyn inspiré leur  donne la clé du mystère (à propos de clés, on s'y perd avec elles, c'est compliqué à plaisir pour ne pas en apprendre grand chose). L'inspecteur nous déniche un mobile quand même un peu faible et tiré par les cheveux et hop, emballez, c'est pesé. Après 280 pages bien planplan le rideau est baissé. L'épouse-potiche-artiste n'a rien fait, ah si, les lits, à un moment. Saluée comme si elle venait d'accomplir un exploit (c'en était peut-être un pour elle, allez savoir). On constate que l'éditeur s'est emballé, il n'y a pas d'enfer finalement.

Morceau de bravoure : (quand l'inspecteur donne la solution)
« Il s'exprimait avec un méticulosité toute personnelle, sans la moindre hésitation. A un moment, Hazelmere s’arrêta d'écrire et le dévisagea.
 -  Je vais trop vite ?
 -  Ce n'est pas cela, Monsieur ! C'est votre façon de raconter... Passionnante ! »
Comme on aurait aimé pouvoir en dire de même !


978-2264029270

18 novembre 2020

 Les choses s’arrangent mais ça ne va pas mieux 

de Kate Atkinson

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Il n'y a plus beaucoup de romans de Kate Atkinson que je n'aie pas lus et je viens de me faire des vacances en m'en octroyant deux de suite. C'est que Kate Atkinson est synonyme de vacances assurément.
 
   Une histoire intéressante, des personnages (nombreux toujours, parfois à la limite du trop, mais sans franchir la-dite limite) qui ne le sont pas moins, des péripéties inattendues voire improbables (là, le final est over-improbable -dans le salon de Gloria-, mais ça plait quand même), un ton d'humour à froid tout à fait drôle et du suspens tout de même; n'oublions pas le suspens, il en faut dans un polar et Atkinson ne l'oublie jamais.
 
   Nous retrouvons ici Jackson Brodie, détective découvert dans "La souris bleue" et sommes bien contents de savoir ce qu'il est devenu. Les choses se sont bien arrangées pour lui. Au début de "La souris bleue" il n'avait rien, et à la fin, tout; est-ce que cette fois, ayant tout au début, il finira sans rien? Nous verrons bien. Les deux romans sont bien des polars, pas des "fantaisies" comme a pu l'être "Sous l'aile du bizarre" et il y a donc de l'action, des mystères à résoudre, des bons et des méchants.
 
   Cette fois, je dois admettre qu'on traîne un peu. Kate prend son temps pour raconter et le rythme pourrait être un peu plus vif, mais qui s'en soucie? On a tout le temps et on est si bien dans ses pages qu'on ne rechigne pas à y rester un peu. Bref, je suis satisfaite de ma lecture. Mes prochaines vacances de lectures seront encore pour cette auteure.


978-2253121763

Série Jackson Brodie : 

1- La Souris bleue - Case Histories (2004) 

2- Les choses s'arrangent mais ça ne va pas mieux - One Good Turn : A Jolly Murder Mystery (2006)  

3- À quand les bonnes nouvelles ? - When Will There Be Goods News ? (2008)  

4- Parti tôt, pris mon chien  - Started Early, Took my Dog (2010)  

5- Trois petits tours et puis reviennent - Big Sky (2019) 

17 novembre 2020

 

La souris bleue

de Kate Atkinson

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Le livre commence par trois histoires dramatiques sans lien entre elles, si ce n'est qu'elles se soldent toutes par la mort d'un des personnages que l'auteur a eu la diabolique habileté de nous faire aimer. Le lecteur subit trois deuils en cinquante pages. Il est déjà à moitié traumatisé et se demande dans quoi il s'est embarqué...
 
   Moi, plus que tout autre puisque j'avais pris ce livre après l'amusant "Sous l’aile du bizarre" qui m'avait bien fait rire et dont j'avais adoré le style et l'humour. Celui-ci est bien différent... mais je l'ai aimé tout autant! C'est dire le talent de Kate Atkinson et l'ampleur de sa palette. La finesse et la justesse de sa psychologie des personnages! L'ambiance entre les sœurs... le père obèse, la meurtrière... Même les personnages secondaires ont de l'épaisseur, et il y a une vraie ambiance, qui vous prend tout de suite. On est souvent aussi près des larmes que du rire, comme cette scène où la vieille fille désespérée se lance à la tête du détective qui, pour le coup, n'avait rien vu venir. On souffre à la fois de sa solitude poignante et on rit de cette scène ridicule.
 
   Je lui mets 5 étoiles, parce que je ne vais pas bouder mon plaisir. Savoir si c'est de la grande littérature ou non (mais pour moi un vrai écrivain in-ven-te! Il imagine, il crée et là, on est servis). Oui, cela mérite 5 étoiles.
 
   J'apprécie toujours autant cet auteure exceptionnelle et je vais de ce pas me lancer dans un autre de ses romans, qu'il soit du même style que l'un des précédents ou encore une fois totalement différent. Je lui fais entièrement confiance. Je prends juste le temps de vous dire: si vous ne connaissez pas, essayez vite!


978-2253112129

Série Jackson Brodie : 

1- La Souris bleue - Case Histories (2004) 

2- Les choses s'arrangent mais ça ne va pas mieux - One Good Turn : A Jolly Murder Mystery (2006)  

3- À quand les bonnes nouvelles ? - When Will There Be Goods News ? (2008)  

4- Parti tôt, pris mon chien  - Started Early, Took my Dog (2010)  

5- Trois petits tours et puis reviennent - Big Sky (2019) 

16 novembre 2020

 

Une vie après l'autre

de Kate Atkinson

*****


  
Kate Atkinson continue dans ses explorations romanesques de présupposés fantastiques introduits dans un décor strictement réaliste. Elle garde d'ailleurs sa période favorite : le 20ème siècle. Par exemple, ici, Ursula Todd est une Anglaise qui nait en 1910 dans une famille aisée. Qui naît ou non, d'ailleurs, et nous allons ainsi suivre Ursula qui enchaine les existences, ponctuées de sa mort plus ou moins rapide marquée par la phrase rituelle "Et les ténèbres s'abattirent." . Les dates sont inchangées. Toute ses naissances ont lieu le 11 février 1910 et ses différentes morts s'échelonnent de cette date à plusieurs décennies après.
 
   Son environnement familial est toujours le même, et les personnages qui l'entourent, ainsi qu'elle-même, ont toujours à peu près le même caractère et la même trajectoire, mais ils ont eux aussi une espérance de vie plus ou moins longue selon l'histoire que l'on suit.
 
   Vous l'aurez peut-être remarqué, né en 1910 en Grande Bretagne, si elle ne meurt pas prématurément, Ursula va connaître deux guerres mondiales, auxquelles elle sera intimement mêlée, jusqu’à tenter de tuer Hitler dès la montée du National Socialisme, afin d'empêcher que le reste n'advienne. (Je ne trahis aucun suspens en vous disant cela, c'est la première scène du livre).
 
   J'ai trouvé l'idée tout à fait séduisante et intéressante à explorer. On est déjà, au premier degré, intéressé par les différentes existences. On reconnaît de plus en plus vite le décor, l'entourage. Il suffit de faire un peu attention à la date annoncée en tête de chapitre et on n'est pas trop perdu. Il y a des morts qui sont accidentelles et uniques et puis, il y en a d'autres qui semblent "coincées" à un nœud de l'histoire qui ne sera franchi qu'après plusieurs tentatives. C'est passionnant. Comme Ursula encore enfant, commence justement à partir d'un de ces nœuds, à garder un souvenir, elle se retrouve devant un psychiatre. Heureusement pour elle, le bonhomme est bouddhiste et donc, pas plus que ça troublé par la possibilité de réincarnations, il ne la martyrisera pas pour lui faire rejoindre l'orthodoxie.
   La vie reprenant toujours, évidemment, à ce fameux 11 février 1910, elle se déroule à peu près de la même façon, mais pas absolument, des détails varient et ils feront – ou non- la différence.
 
   J'ai vraiment passé un excellent moment avec ce roman original qui a, en plus de sa fantaisie, bien des qualités. D'abord, si vous avez peur de la mort, précipitez-vous dessus. Je vous assure qu'on s'habitue assez vite à mourir et cela ne semble plus si effroyable. Ensuite, j'aime la vision non psychanalytique des gens qu'a K. Atkinson. On cherche toujours ce qui, dans la famille, la société, ou son histoire personnelle, a pu faire que X ait tel ou tel caractère et défaut, elle non, pas du tout. Les gens sont comme ils sont. Ils naissent et meurent ainsi. Ils peuvent vivre 1000 existences, ils auront toujours cette personnalité (attachante ou rebutante). On les aime ou non en conséquence et on n'a pas à se forcer pour avoir bonne conscience. J'aime cette vision des choses. Ça repose et ça répond à toutes ces questions insolubles qui nous font perdre un temps fou et nous empêchent de progresser. -juste mon avis, on peut ne pas adhérer-. Ursula est hyper pragmatique "Ça ne sert à rien de penser, il faut juste continuer à vivre. Nous n'avons qu'une vie après tout, nous devons essayer de faire de notre mieux. Nous nous trompons toujours, mais nous devons essayer."
 
   Mon intérêt a faibli (je ne sais pas pourquoi) lors de ses séjours adolescents en Allemagne, mais s'est par contre accru lors des bombardements sur Londres. Mais globalement, ce gros roman se dévore, tellement il agite l'imagination et il est un vrai plaisir de lecture.
 
   Ursula est-elle la seule à exister sur ce mode? Peut-être, mais on l'ignore. En tout cas, elle est la seule à accorder de l'importance à ce sentiment de "déjà vu" qu'il n'est pas si rare d'éprouver. Elle finira même par se souvenir de tout, mais "finira"? pas sûr, peut-être l'histoire se poursuit-elle? Y-a-t-il une cause, un but, à tout cela ou est-ce juste une fantaisie du mode d'être?
   …

978-2253087465

15 novembre 2020

 Sous l’aile du bizarre  

de Kate Atkinson

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La narratrice habite avec son étrange mère dans une ile déserte au large de l'Ecosse. Elles entreprennent de se raconter. C'est la fille, la narratrice, qui a lancé ce thème de discussion alors qu'elles sont toutes les deux isolées sur cette île. C'est qu'elle ignore à peu près tout de sa mère, Nora, de sa propre conception, de son père et du reste de la famille. Elle espère, en lui contant sa vie à l'université, l'inciter à se livrer elle aussi. Elle utilise un ton d'humour pince sans rire que j'apprécie particulièrement et se sent d'autant moins tenue à une exacte vérité qu'elle ne pense pas que sa mère sera elle même très exacte dans ses récits par ailleurs très parcellaires et difficiles à obtenir.
 
   Ce qui m'a le plus emballée dans ce roman, c'est le ton, l'humour, les réparties. On a l'esprit toujours en éveil et le sourire aux lèvres. Exemple, entre Chick chauffeur de taxi et Terry, étudiante et passagère :
   "- On dit que tout le monde a un roman en soi, n'est-ce pas? fit alors Chick que l'idée paraissait soudain séduire.
   - Ouais, grogna Terry, et peut-être que c'est là qu'il devrait rester.
   Chick riposta par quelques mots bien sentis sur les étudiants, soulignant en particulier qu'il payait des impôts pour que nous puissions nous prélasser toute la journée, en nous vautrant dans le sexe et la drogue.
   - Ne croyez pas que je ne vous en sois pas reconnaissante, fit suavement Terry."

 
   Et, cerise sur la gâteau, cet humour est parfois bien noir: "Sur quelque remarque innocente de ma part, la mère d'Archie entreprit de me raconter l'histoire de sa vie, banale, je suppose: un cœur brisé, un enfant perdu, la mort, l'abandon, la solitude, la peur. C'était, bien sûr, la version condensée, autrement,, nous en aurions eu pour soixante-dix ans et quelques années."
 
   Les longs passages durant lesquelles c'est notre narratrice qui raconte sa vie, ont un petit côté David Lodge déjanté, car ils nous font entrer dans la vie d'une université anglaise dans une classe de création littéraire. Les profs hyper susceptibles se jalousent âprement et se méprisent mutuellement. Parmi les élèves, personne ne veut travailler, tout le monde se prend pour un génie, prend les autres pour des nuls, et vogue la galère vers la gloire qui ne peut qu'être au bout. Plusieurs sont colocataires, amis, amants, bref, se fréquentent en dehors des cours (où ils vont les moins possible d'ailleurs, car qu'ont-ils besoin de cours?!) et nous les suivons donc hors des murs académiques.
 
   Du côté de la mère, il est vraiment difficile d'obtenir un renseignement à peu près fiable, mais peu à peu, sur leur île cinglée (elle aussi) par les vents, et parmi un tas de mensonges, certaines choses se disent... et ce ne sont pas forcément les plus vraisemblables.
 
   J'ai adoré ce bouquin déjà ancien mais que je n'avais pas encore lu. Si bien que j'ai immédiatement enchainé avec un autre du même auteur.



978-2877063821

14 novembre 2020

 

Mon chien Stupide

de John Fante

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Tout le monde vous le dira, John Fante ne raconte qu'une seule personne dans tous ses romans avec une plus ou moins grande distorsion : lui-même. Ici, c'est sous la forme de Henry Molise que nous le retrouvons. Un Molise à la cinquantaine bien tapée, écrivain, ayant eu son heure de gloire à Hollywood, mais en nette perte de vitesse, gardant quand même encore une belle maison en bord de mer. Dans cette maison, il vit avec son épouse Harriet, qu'il n'écoute guère mais sans laquelle il ne pourrait sans doute pas vivre, et ses quatre enfants en passe de quitter le nid. Miné par l’inactivité et l'affreux défilé des années, cet égoïste éhonté entretient des rêves de départ pour Rome (il est issu d'une famille d'immigrés italiens) et de dolce vita dépourvue de toute obligation familiale. C'est peu dire qu'il n'est pas satisfait de son sort qu'il juge injuste, le lecteur jugera...
 
   C'est dans ces dispositions que la famille voit s'installer sur sa pelouse un énorme chien errant, volontiers bagarreur et obsédé sexuel... inverti. Or, Molise a une passion pour les chiens de combat dominants. Ne doutons pas qu'il y trouve compensation à sa propre situation pas du tout dominante. Il impose donc le chien à son voisinage et à sa famille. On le baptise Stupide, car il n'obéit pas et on préfère croire qu'il ne comprend rien, mais c'est tout qui est stupide chez Molise, à commencer par lui-même et on voit bien qu'il s'en doute.
   "J’étais las de la défaite et de l’échec . Je désirais la victoire. Mais j’avais cinquante cinq ans et il n’y avait pas de victoire en vue, pas même de bataille. Car mes ennemis ne s’intéressaient plus au combat. Stupide était la victoire, les livres que je n’avais pas écrits, les endroits que je n’avais pas vus, la Maserati que je n’avais jamais eue, les femmes qui me faisaient envie."
 
   Introduit avec le chien dans l'intimité de cette belle famille américaine, nous en découvrons tous les membres et on peut dire qu'il y a des traits de caractères familiaux qui se sont indéniablement bien transmis. Chacun des quatre enfants est une histoire à lui tout seul et trois d'entre eux sont vraiment les dignes rejetons de leur père, le quatrième tenant plutôt de la mère.
 
   Tout au long du récit, on est partagé entre le rire et le scandale ou la réprobation. Tout est à double niveau. Les situations sont cocasses, féroces, choquantes... et la machine suit quand même son cours, On rit mais on voit en même temps clairement tout le poignant. On écoute et regarde notre Henry Molise qui ne cache aucune de ses pensées les plus minables, ses lâchetés, et en même temps, nous amuse. Comment tout cela va-t-il finir ?
 
   Une peinture sulfureuse, un humour qui décape, une plongée dans les profondeurs de l'âme d'un tricheur né…


978-2264072023

12 novembre 2020


 Pnine 
 de Vladimir Nabokov
****


  
 
Quel drôle de roman que celui-ci ! Pas une des plus grandes réussites de Nabokov mais pour l’inconditionnelle que je suis, tout est intéressant. Ce qui frappe, quand on le lit, c'est son aspect décousu, voire parfois irrationnel et chaotique. Quand on connaît la genèse de l’œuvre, on apprend qu'il s'agit bien de morceaux distincts que l'auteur a réagencés et organisés pour en faire un roman. On peut dire que cela se voit ! Même avec cette explication, on se dit que Nabokov ne s'est pas donné trop de mal. Je suis persuadée qu'il aurait été capable de faire beaucoup plus cohérent et fluide. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? Plusieurs explications possibles viennent à l'esprit, mais faute de renseignements fiables, je ne m'y hasarderai pas.

Il n'en reste pas moins que ce livre est très intéressant et plein de... charme. Nous suivons Pnine (Timofey Pavlovitch Pnine), Russe blanc exilé ayant pas mal crapahuté à travers l'Europe avant d’atterrir dans cette petite université où il est depuis neuf ans professeur de russe (non titulaire). Nous le suivons par la plume d'un étrange narrateur omniprésent qui semble toujours derrière son dos alors que nous comprenons que, techniquement, il n'y est pas. Si ce narrateur se présente d'entrée de jeu comme « son ami », nous n'en saurons pas plus avant la toute fin.

Pnine est un homme solitaire qui n'a pas eu une vie facile et pour lequel le lecteur se sent de l'indulgence et de la sympathie malgré ses bizarreries et son caractère pas toujours facile lui non plus. Il aurait été inspiré à Nabokov par un de ses collègues bien que certains voient en lui un reflet de Nabokov lui-même. Mais je ne partage pas cette opinion, pour moi, Nabokov est bien là, mais dans un autre rôle.

Nous allons suivre notre professeur de russe dans sa vie professionnelle aussi bien que privée pendant plusieurs mois et voir son existence prendre un nouveau tournant. Nous le verrons plutôt dans les petites choses de sa vie, une erreur de train, un livre qu'on ne trouve pas, des malaises, des rêveries, des exigences et des erreurs. Pnine a maintenant un certain âge et rien ne lui arrive plus sans lui évoquer des souvenirs anciens, certains heureux, d'autres moins. Et puis, notre homme a aussi ses faiblesses, il n'est pas rare qu'il soit ridicule dans ce monde américain, ou que son humour russe n'atteigne que lui-même. 

« C'est drôle à pleurer » disait Graham Green de ce livre et c'est vrai. Tout est constamment d'un ton d'humour froid que, personnellement, j'adore. Ainsi, une page d'histoire : « Le cercueil du saint, jeté à l'eau par un roi furieux, devait faire route doucement jusqu'aux côtes de la Sicile, probablement une légende, vu que la Caspienne est restée strictement à l'intérieur des terres depuis le pléistocène. » L'humour à froid y est aussi parfois très acéré : « Deux caractéristiques distinguaient Léonard Blorenge, président du département de langue et littérature française ; il détestait la littérature et il ne savait pas le français. »
Mais c'est tout autant d'un niveau littéraire et poétique soutenu. Les belles pages surgissent ici ou là, comme pour tenter de compenser la construction un peu bâclée. 

L'auteur n'a pas été avare de son savoir-faire, parfois trop prodigue même, comme lorsque le récit commence et finit par la même scène... joli, mais facile. Les thèmes du double, de la confusion de personnages, des erreurs que seul le personnage fait, thèmes chers çà l'auteur se retrouvent dans ce livre, un peu encombrantes d'ailleurs souvent, comme un collage bricolé, mais antiennes familières que le lecteur fidèle aime retrouver.   

Une histoire donc, un peu sans queue ni tête mais pourtant pleine de sens, que je conseillerais  indiscutablement tant sont grands les charmes de l'écriture de Nabokov et du « pauvre Pnine » (ce qui faillit être le titre de ce roman).

Citations :
« Son mari démontrait de façon si apaisante à quelle capacité de silence l'humain peut atteindre à condition de s'abstenir strictement de tout commentaire sur le temps qu'il fait. »

« Pour ma part, je n'ai jamais beaucoup apprécié Bolotov ni ses écrits philosophiques qui combinent si bizarrement l'obscur et le banal. »
  



978-2070384624

10 novembre 2020

 La tentation

de Luc Lang
*****

Prix Médicis 2019

  
 
Une construction époustouflante pour ce roman qui nous fera vivre plusieurs fois certains moments (à commencer par le début) créant un arrêt brutal, ruinant les certitudes et autorisant tous les doutes.
  
   On pourrait dire que ce roman est un thriller, mais un de la meilleure espèce, un de ceux qui nous offrent une peinture extraordinaire de la société, un de ceux qui s'appuient sur une qualité littéraire remarquable, un de ceux qui nous captivent, nous bluffent, nous enrichissent.
  
   Ce qui frappe, autant que l'histoire elle-même, c'est la richesse sémantique, que dis-je richesse ? opulence ; un vocabulaire d'une précision quasi technique, offrant un récit objectif, voire scientifique de cette histoire de passion et de fureur...
  
   Nous suivons François, cinquante cinq ans, chirurgien, vieille famille de notables bien établie dans un pays de chasse. La scène initiale frappante révèle une fêlure dans la stabilité de François, pour autant, cela n'a pas de lien direct avec ce qui va se passer, si ce n'est que ce sera peut-être un François un peu différent de ce que ses proches savent de lui, qui va s'y trouver confronté. Nous observons ses relations étranges avec sa famille proche, femme, fille, fils. A sa grande tristesse, cette longue lignée de médecins et chirurgiens va s’arrêter avec lui. Son fils ne sera pas médecin et si sa fille continue ses études dans ce domaine, on n'arrive pas vraiment à l'envisager comme praticienne... Il ne peut par ailleurs, être satisfait d'aucune de ses relations avec eux, bien qu'il ne les remette pas en cause. C'est sa famille, il les aime, il ne les rejette jamais. Pourtant, il lui en font de belles ! Et le lecteur peut s'étonner parfois de son extrême patience. En cette période troublée, François fait beaucoup de rêves perturbants, et nous y entraine...
  
   Parallèlement, son fils étant dans la finance internationale la plus pointue, nous découvrons un monde qui nous gouverne alors que nous en ignorons tout. Un monde où la richesse ne s'appuie plus sur la propriété immobilière ou autre, mais où elle est devenue entièrement virtuelle. François réalise que sa confortable aisance familiale de notable est bien fragile au fond, face à cette nouvelle finance. Et la nôtre (éventuelle) aussi.
   "... être riche aujourd'hui consistait avant tout à ne rien posséder nominalement. Il fallait en outre que l'argent demeure impalpable et circule à la vitesse des flux financiers internationaux. Non ! Pas seulement les paradis fiscaux, mais des investissements dans des compagnies avec une croissance à deux chiffres, ou encore dans des états en faillite dont on se sert comme leviers pour acquérir des monopoles, des terres, des zones côtières, sans parler des spéculations sur les stocks, les matières premières, bref une mobilité constante de ton argent sans aucun ancrage géographique et qui échappe en grande partie à toute législation fiscale."
  
   Femme, enfant, stabilité sociale, richesse, et même ses goûts de toujours (chasse), François a cinquante cinq ans et il sent tout s'ébranler. Ses certitudes disparaissent, et même la sécurité, jusqu'à la plus vitale...
  
   Mais ce n'est pas un roman introspectif et pesant que nous avons-là, même pas une réflexion existentielle, c'est un thriller vous disais-je, et je peux vous assurer que vous n'oublierez jamais cela.
  

   Un excellentissime Prix Medicis !


978-22340873857

08 novembre 2020

L'invention des corps

de Pierre Ducrozet
*****


  
 
Roman d'aventure surfant sur deux arrière-plans/thèmes de réflexion: les incroyables avancées des possibilités médicales et de l'internet.
Nous démarrons avec le récit puissant du massacre par la police de 43 étudiants à Iguala (Mexique) en 2014. Histoire vraie et je pense que Pierre Ducrozet tenait à leur rendre un nouvel hommage. On le comprend. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Enlèvements_d%27Iguala) Leur professeur, Alvaro, en réchappe par miracle et parvient non sans peine à passer aux Etats Unis où il tente de se faire une place grâce à ses talents exceptionnels de hacker.  

Il parviendra à rencontrer un des pontes de la Silicon Valley, Parker Hayes, personnage fictif mais côtoyant des pontes réels. Ce dernier, mégalomane, a des projets tout à fait grandioses pour l'avenir du monde (nanti) et finit par l'embaucher, mais pas dans sa spécialité. Loin de là. 

​Il y a de l'action, de l'amour, de l'aventure, du drame, des retournements de situation au point que tout est possible dans ce roman qui se dévore comme n'importe quel "cliffhanger", mais s'il n'y avait que cela, ce ne serait rien. Il y a aussi et surtout la réflexion intelligente et documentée dont je vous parlais en introduction, sur notre monde et son évolution la plus moderne. C'est cela qui retient l'attention et qui reste après la dernière péripétie. 

Un vraiment excellent roman que je conseille donc vivement aussi bien à ceux qui aiment la fiction active qu'à ceux qui préfèrent ne pas lire pour rien. *
* Lire pour rien, c'est quand on a peut-être passé un bon moment avec un livre, mais qu'on en ressort inchangé. Je n'interdis, ni ne condamne, mais j'indique que ce ne sera pas le cas ici."


978-23300817