15 août 2023

 Aux fruits de la passion  

de Daniel Pennac

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Le monde, tel qu'il n'est pas

Sixième aventure de Benjamin et de son originale famille  

Cette fois, c'est Thérèse, la « Sainte », illuminée, cartomancienne, voyante etc. de la famille, qui tient la vedette. Car cette vierge éternelle se découvre amoureuse -et grandement- d'un homme auquel tout devrait l'opposer (Ah ! L 'amouououourrr !) Alors, évidemment, Benjamin n'est pas chaud – glacial, même- il ne l'aime pas beaucoup, lui, ce prétendant. Mais que lui reprocher ? Il semble planer loin au-dessus de toute critique. Comment, tout cela finira-t-il ? Par un bébé bien sûr. Ce n'est pas pour rien que la famille Malaussène est en train de virer à la tribu.

Alors on retrouve la verve et les formules plaisantes de Daniel Pennac. On retrouve tous ces personnages aussi sympathiques qu'ils sont peu vraisemblables. On retrouve toute la famille, égale à elle-même, rassemblée pour faire face aux coups durs comme aux liesses. Le charme du quartier (il n'y a pas que Le Petit qui a des lunettes roses) l'auteur et le lecteur aussi, quand il le regarde. On retrouve le cocon douillet d'un monde où l'on sait que l'on serait accepté... on rit des situations cocasses, des phrases bien trouvées, des images incisives. On ne tremble pas. Benjamin est en prison ? Bah, il sortira. Benjamin râle, bah ! Il râle tout le temps, ne nous inquiétons pas, il rira bientôt. Bref, c'est toujours plaisant et parfois, cette récréation est juste ce dont nous avons besoin. Mais n’empêche que la saga s'essouffle, que la montagne accouche d'une souris (ou d'un petit fruit)  Tout le charme est là, mais plus l'effet de surprise. Une impression de routine, au contraire. et l'on sent bien qu'approche le moment où il va falloir arrêter.

Et c'est ce que Pennac a fait. Du moins, pendant 17 ans. Mais tout dans ce livre donne l'impression qu'en l'écrivant, il ne le savait pas encore. C'est drôle. En tout cas maintenant, deux volumes plus loin, la série est bien terminée. 


1. Au bonheur des ogres, Gallimard, coll. « Série noire » no 2004, 1985

2. La Fée Carabine, Gallimard, coll. « Série noire » no 2085, 1987

3. La Petite Marchande de prose, Gallimard, 1990

4. Monsieur Malaussène, Gallimard, 1995

5. Des chrétiens et des maures, Gallimard, 1996

6. Aux fruits de la passion, Gallimard, 1999

7. Le Cas Malaussène 1 : Ils m'ont menti, Gallimard, 2017

8. Le Cas Malaussène 2 : Terminus Malaussène, Gallimard, 2023

978-2070415335 

10 août 2023

Tsunami

de Marc Dugain

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Légère projection dans le futur et donc uchronie mais de seulement quelques années, ce serait tromper son monde que de classer ce roman dans la SF. On a au contraire une forte impression d'actualité. Le président de la République française tient un journal! Il confie au papier ses pensées et projets sans fard. Bon, là, on est dans la SF, du moins j'espère mais après avoir vu des ministres assez stupides pour diffuser des sex-tapes d'eux-mêmes, c'est vrai qu'on ne peut plus être sûre. Bref, c'est ce journal que nous avons le privilège de lire et nous voilà dans la tête du président et dans les coulisses du pouvoir.

Le président en question tient d'Emmanuel Macron par certains côtés (allures, attitudes, façons de faire) mais il emprunte aussi à plusieurs de ses prédécesseurs, de même pour les péripéties, et puis il y en a aussi une part totalement inventée mais avec beaucoup de vraisemblance. Donc, le nouveau président a été élu un peu par surprise en manœuvrant très habilement et en s'assurant (secrètement) le soutien actif des GAFAM. 

"C'est moins grave que d'être comme mes prédécesseurs sous la coupe des lobbies pétroliers, de l'agro-alimentaire, de la chimie phytosanitaire dont l'avidité et l'irresponsabilité ont conduit à la destruction d'une grande partie de la vie, tout ce monde-là jouant la petite musique de la démocratie. Or, en pratique, on parle de l'asservissement du plus grand nombre à un modèle suicidaire de consommation et de gaspillage pour le seul bien de leurs actionnaires." 

Magouilles, certes, mais il n'en reste pas moins un homme de conviction et s'il tient à être élu, c'est pour faire prendre à la France un tournant radical et difficile à faire accepter qui tient en deux parties: d'abord imposer une taxe CO² réelle et individuelle, puis, dans un second temps, remplacer le sénat par un fonctionnement par scrutin quasi permanent, "la liquidation de la Chambre des bourgeois balzaciens, je parle du Sénat, pour lui substituer une Chambre virtuelle permettant à tous de voter sur des sujets d'importance. (...) Je crée ainsi le cadre d'un référendum virtuel permanent." 

Or, ces deux bouleversements sont très difficiles à mettre en œuvre car si presque tout le monde est bien d'accord sur le fait qu'il faut changer notre mode de consommation d'énergie, les réactions sont toutes autres quand on vous annonce que ça commence tout de suite et que vous serez taxé à chaque fois que vous en consommerez. Surtout que cette coercition tolère une exception injuste: les GAFAM (eh oui, tout se paie). D’autant aussi que le contrôle de la consommation énergétique de chacun suppose une surveillance permanente et les défenseurs de la liberté individuelle la refusent. Quant au Sénat, vous devinez sans peine comme il accueille tout projet de loi visant à le faire disparaître...

Ajoutez à cela une vie personnelle qui n'est pas exactement un long fleuve tranquille, des Chinois qui armés d’une autre vision du monde, visent la suprématie "Le modèle chinois, c'est l'avènement d'un homo economicus satisfait par le développement économique et qui échange le mirage de la liberté d'expression, cette valeur illusoire, contre la prospérité assurée par le Parti. Dans notre modèle ultralibéral, ce n'est pas vous (le président) qui commandez, ce n'est pas le peuple non plus, ce sont les grandes multinationales qui méprisent l’État. D'ailleurs, je ne suis pas dupe, ce qui vous a permis d'accéder au pouvoir, c'est l'aide des géants du numérique, qui ne croient pas à l’État. Sans le deal que vous avez trouvé avec eux, les populistes l'auraient emporté."

un Poutine égal à lui-même qui tient à contrôler ce qui se passe en France, une Europe... européenne qui doit se réformer très vite ou reconnaître sa défaite et un entourage d' hommes et femmes politiques chez qui on peut s'attendre à tout, mais ça, c'est encore le monde où le président se sent le plus à l'aise. Il gère sans problème ce type de relations.

Vous obtenez au final un roman que j'ai dévoré avec intérêt, amusement, inquiétude et surtout un fort sentiment de vraisemblance. Mon avis : A lire absolument pour savoir, réfléchir, envisager, en discuter entre amis etc. Bref, à lire si on est Français. Le monde change. Selon le "Président", le futur se fera sur trois points: le réchauffement climatique, la révolution digitale et la division du monde en deux: démocraties et états totalitaires ; et "Cet autre monde prendra le contrôle de la planète d'ici 2050". Renseignez-vous !

"J'ai la faiblesse de croire à l'humanisme. Or la tyrannie a de plus beaux jours devant elle. Plus que je ne le pensais. Elle pourrait devenir un jour l'ordre du monde si on continue à gâcher nos valeurs par un consumérisme frénétique." 


Citations en vrac : 

"L'essence de la révolution numérique est d'échanger la liberté contre la sécurité. On met des caméras dans les rues, on écoute ton téléphone, on rend intelligents les appareils domestiques, l'idée est bien d'étendre une toile d'araignée sur les individus en leur promettant la quiétude absolue."

"la culture des dirigeants d'entreprise, particulièrement les grandes, est de privilégier systématiquement les actionnaires. Les rémunérations mirobolantes, c'est toujours pour eux, c'est ça la vérité. Quant à la masse des salariés, elle est mal représentée par des syndicats qui sont pour beaucoup de véritables dinosaures englués. Il en résulte un clivage insurmontable entre capital et travail. Une convergence des violences sur fond de guerre sociale est en marche."

"Si on s'élève un peu plus, on comprend que pour une partie non négligeable de son activité, la médecine soigne des maladies que la société crée elle-même par le stress, la pollution, la nourriture pathogène, situation contre laquelle les gouvernements craignent de lutter, de peur de contrarier les lobbies agroalimentaires."

"La liberté d'expression est sur toutes les lèvres mais la réalité est loin d'être aussi simple. Certains industriels ont investi  dans la presse pour la capacité de nuisance qu'elle représente. Et ils ne se privent pas de l'utiliser, en contrepartie de faveurs ou de facilités de toutes sortes dans la poursuite de leurs entreprises. Ce qui fait de la liberté d'expression une notion toute relative. En dehors du service public et de quelques journaux ou sites indépendants, la quasi-totalité des medias est sous contrôle, c’est ça, la vérité." 

978-2226478108

05 août 2023

Narcisse et Goldmund

Hermann Hesse

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Goldmund le hippie

Nous sommes au Moyen-Age, en Allemagne. Narcisse est un jeune moine particulièrement doué et intelligent, devenu très tôt professeur et que tout le monde sait appelé à une brillante carrière. On pense qu'il deviendra abbé. Pour l'heure, il se prend de sympathie pour Goldmund, un élève amené par son père afin que les moines se chargent de son éducation dans l'idée qu'il deviendra ensuite moine à son tour car sa famille (à savoir son père) ne semble pas envisager de le récupérer un jour. L'amitié entre Narcisse et Goldmund devient très vive -vraiment très- si bien que quelques mises au point ne semblent pas superflues à l'auteur pour préciser qu'il n'y a pas de "vice". On n'a pas de raison de douter de sa parole mais ce premier tiers m'a tout de même semblé bien mièvre et bien long malgré une intéressante forme de séance psy inventée par Narcisse, pleine de promesses mais un peu brutale pour le patient. Ce roman manifeste d'ailleurs de plusieurs façons l'intérêt de Hesse pour les théories de Sigmund et on y trouve un usage freudien du souvenir comme thérapie.

J'en étais donc, au terme de ce premier tiers, à me demander si j'allais vraiment poursuivre cette lecture ou passer à autre chose car je m'ennuyais, quand  Goldmund découvrit l'amour... et avec une femme, en dehors du monastère. Ce qui fut pour  lui une grande révélation et l'amena à penser que Narcisse avait raison de dire que la vie monacale n'était pas faite pour lui. A mon sens, c'est à partir de ce moment que le roman de Hermann Hesse devient grand. C'en est fini des situations oiseuses amour-amitié et de ce qui m'avait semblé un long flirt hypocrite avec homosexualité latente. Goldmund se lance dans la vraie vie et il ne fait pas semblant. Il va quitter le monastère et devenir une sorte de vagabond de l'amour, allant de place en place, vivant de menus travaux mais surtout de l'amour qu'il donne et reçoit des femmes qu'il croise. Une pratique m'a-t-il semblé idyllique de l'amour libre comblant chacun, un mode de vie libre et paisible tout à fait réjouissant. Puisse Goldmund faire de nombreux émules!

Puis, ceci posé, on monte d'un niveau: Goldmund découvre l'art, en l'occurrence la sculpture, et sa vie prend une nouvelle orientation, mais sans renoncer à sa sexualité libre. Il trouvera le maître capable de lui enseigner son art et créera lui-même des œuvres particulièrement inspirées. La vie de Goldmund, déjà épanouie dans sa sexualité, atteint à un niveau supérieur par la création artistique. L'homme qu'il sera ainsi devenu sera ensuite confronté à l'horreur absolue avec la grande épidémie de peste et toutes ses conséquences, pas seulement médicales, puis enfin à l'extrême proximité de sa propre mort, parachevant ainsi un éventail d'expériences permettant une réflexion approfondie sur la vie et apte à forger une personnalité remarquable.

Un roman tout à fait fascinant -après, je vous l'ai dit, les premières 70 pages- qui amène son lecteur à faire son propre bilan sur la façon dont il estime qu'un homme doit vivre et à bénéficier des expériences de Goldmund. Le problème pour moi a été que, malgré le respect que j'ai pour ce livre, je n'ai pas pu adhérer à la manie (on pourrait presque dire au manichéisme) de Hesse qui consacre le roman à mettre en scène, illustrer et commenter des oppositions considérées comme absolues: homme-femme, père-mère, et surtout intellectuel-sensuel. L'homme est la raison, la femme est l'intuition; le père est le patrimoine et le savoir, la mère est l'art et l'instinct; Narcisse est un intellectuel, Goldmund un sensuel. 

Hegel nous a fait découvrir la dialectique et notre époque ne croit plus guère à ces antinomies définitives et peine à se passionner pour leur démonstration. C'est en cela (avec les longues controverses scolaires) que le roman de Hermann Hesse a vieilli et que le personnage de Narcisse est beaucoup moins riche et intéressant que celui de Goldmund. En ce qui concerne la vie de ce dernier par contre, nulle trace de vieillissement, tout est passionnant, les réflexions sur la vie, l'amour, l'art sont toujours d'actualité et comme c'est quand même lui qui occupe la plus grande part du récit, le lecteur est satisfait.

« Et pourtant toute notre vie n'avait un sens que si on parvenait à mener à la fois ces deux existences, que si elle n'était pas brisée par ce dilemme: créer sans payer cette création du prix de sa vie! Vivre sans renoncer au noble destin du créateur! Était-ce donc impossible?»

Un roman qui vaut largement la peine de s'ennuyer un peu au début.

978-2253000044


30 juillet 2023

L'Odyssée du Vagabond 

de Luke Rhinehart

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Ca y est! ILS l'ont fait! A l'horreur et à l'incrédulité générale, après une énième campagne de gesticulations, Américains et Russes se sont mutuellement bombardés atomiquement. Cela dépasse l'entendement. En quelques heures, les métropoles sont détruites, des millions de morts, l'Europe rasée au passage, le cauchemar ultime est devenu réalité et notre civilisation a pris fin malgré quelques soubresauts et même si la quasi totalité des survivants ne peut l'envisager et encore moins l'admettre. L'armée continue à mobiliser et à réquisitionner, on organise des camps de réfugiés mais la vérité est que tout le monde est réfugié, qu'on meurt aussi bien dans ces camps qu'à l’extérieur et qu'une bonne part des derniers décès est due au fait que les gens s'entretuent. Une théorie court qu’à ce jeu-là, les Américains se seront décimés avant les autres car ils sont tous armés… L'humain tient à être égal à lui-même jusqu'au bout et le bout, on y arrive.

Au moment où les premières bombes ont explosé, Neil, skipper expérimenté et ami de Franck, propriétaire du bateau, ramenait justement au port son trimaran haut de gamme en vue d'un départ imminent en croisière. Ils devaient prendre une autre amie, Jeanne, avec sa fille et son jeune fils mais sans son mari. Jim, le fils de Franck, est déjà à bord. Ils veulent s'empresser de prendre le large devant l'avancée du nuage toxique, mais parvenir tous à bord n'est déjà pas une mince affaire.

Luke Rhinehart étant redevenu à la mode depuis quelques années, on vient de rééditer "L'odyssée du vagabond" dans une nouvelle traduction. La quatrième de couverture actuelle, avec cette moderne perte du sens des mots à laquelle je ne m'habitue pas, parle d'holocauste. Le mot ne convient pas. Mais bref, que vous lisiez l'ancienne ou la nouvelle version, vous aurez entre les mains une uchronie remarquable et parfaitement menée. Ce n'était pas facile vu l'ampleur du sujet.

Sous la plume de L. Rhinehart, on assiste avec beaucoup de vraisemblance à l'évolution de la situation, de la sidération incrédule du départ à la prise de conscience progressive mais avec toujours un coup de retard par les survivants de l'ampleur de la perte et de l’évolution la plus probable. C'est au-delà de ce que leur esprit (et le nôtre) veut bien concevoir. L'auteur mène cela avec une maîtrise absolue du récit qui fait progresser la situation avec logique et justesse tant sur le plan de la psychologie des personnages (tant individuelle qu'en foule) que sur l'évolution objective de la situation. C'était loin d'être garanti et c'est vraiment réussi, même si la fin... mais bon.

978-2373056549



25 juillet 2023

La fête de l'insignifiance

de Milan Kundera

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« l'insignifiance, mon ami, c'est l'essence de l'existence »

Cinq hommes, plus ou moins amis, se croisent, se rencontrent et se parlent principalement dans les jardins du Luxembourg. Nous rencontrons d'abord Alain, qui fait une fixette sur les nombrils, sans doute depuis que sa mère qui ne voulait pas de lui, l'a définitivement quitté après avoir simplement touché son nombril. Sans doute songeait-elle que cette cicatrice témoignait d'un temps où cet être neuf dont elle ne veut pas était une partie d'elle, mais à cela, Alain ne songe pas. Si il pense sans arrêt à sa mère, c'est dans ses propres versions fantasmées, variables et ne visant aucune réalité. Puis nous rencontrons Ramon, qui voudrait bien aller voir l'exposition Chagall, mais ne peut se résoudre à faire la queue. Il renonce donc et erre dans le jardin où il rencontre le troisième larron: D'Ardelo (oui, les noms...). D'Ardelo sort de chez son médecin qui lui a donné les résultats (heureux) de sa biopsie. Mais d'Ardelo, à sa propre surprise, annonce à Ramon qu'il a un cancer. Sans doute trouve-t-il cela plus intéressant et a-t-il envie de jouer sans risque le rôle tragique qui vient de lui échapper. Le quatrième larron est Charles chez qui Ramon se rend ensuite. Charles est organisateur de cocktails mondains et amateur d'anecdotes originales sur Staline. Il en raconte justement une (longuement) au sujet de perdrix et du sens de l'humour de Staline. De bavardages en bavardages, nous arrivons à Calliban acteur sans contrat qui se loue comme serveur stylé dans les cocktails de Charles en faisant croire qu'il ne parle qu'un idiome étrange proche du pakistanais, langue qu'il se donne tout à fait inutilement, beaucoup de mal à inventer avec vraisemblance.

Ces rencontres et bavardages, de jardin en cocktail, de la réalité aux fantasmes d'Alain sur sa mère ou à ceux de Charles sur Staline m'ont bien divertie en ce sens qu'ils allient toujours fantaisie et profondeur. Une chimère vient toujours caresser un concept profond et le lecteur s'amuse et dans le même temps, réfléchit à des choses importantes. Je remarque cependant que c'est un univers totalement masculin. La Franck (quel nom encore!) évoquée au cours du récit n'est qu'un personnage d'arrière plan. La bonne portugaise a plus de réalité, mais dans un rôle si inférieur... Qu'ils se prétendent séducteurs ou non, la vision de ces hommes m'a parue étonnamment limitée à un monde masculin. Je pense que beaucoup d'hommes de la génération de Kundera ont vécu mentalement dans ce monde tronqué. Ils n'en sont généralement pas conscients mais c'est un fait.

Quand Kundera est mort, j'ai réalisé que je ne l'avais jamais lu, je pense que c'était plus ou moins parce que je craignais de m'ennuyer. Je me suis alors dit qu'il fallait tout de même que j'en lise au moins un et le hasard des bibliothèques a mis sous ma main cette « Fête de l'insignifiance" au joli titre (mais ils le sont tous chez Kundera) et qui avait l'avantage d'être court, ainsi si je m'ennuyais, je ne m’ennuierais pas longtemps. Mais ce fut le contraire qui se passa, une fois tournée la dernière pages, j'ai dû constater que je n'en avais pas eu assez, je désirais lire encore Kundera et j'ai donc enchaîné avec "La lenteur" dont je vous parlerai bientôt.

Moralité : Lisez au moins un roman de Kundera.


"Respirez, D'Ardelo, mon ami, respirez cette insignifiance qui nous entoure, elle est la clé de la sagesse, elle est la clé de la bonne humeur."



978-2070466146

20 juillet 2023

Les bottes rouges 

de  Franz Bartelt

****+

Ce roman de Franz Bartelt est franchement orienté « rigolade », mais attention, dans un registre extrêmement cynique, qui ne va pas plaire à tous. Vous êtes avertis.

Le récit nous en est fait par notre correspondant local. Enfin, quand je dis « nôtre », c'est celui du journal régional, sous-produit d'un grand groupe de presse, et je peux vous dire que pour moi qui vis en province (non, je ne dis pas « en région », pourquoi ?), la peinture de mœurs est plus que très évocatrice. J'en ai vu à l'action, des échotiers comme celui-là ! Mais moins lucides sans doute, ou était-ce juste parce que je n'avais pas accès à leurs pensées réelles ? En tout cas, là, on y a accès, et c'est particulièrement éclairant (et si juste!). Je peux vous dire que ça percute, de l'article pré-écrit multi-publié où il ne reste qu'à changer quelques noms, lieux et dates, à la photo devant comporter le plus grand nombre de personnes car cela entraîne l'achat du journal par toute la famille de chacun, en passant par les buffets de vins d'honneur, tout est criant de vérité. Et drôle. Quant à ses peintures de personnages ! On a les mêmes ! Irrésistibles (cf le peintre local par exemple, puisque je parle de peinture).

Notre échotier est un homme modeste, solitaire et particulièrement allergique aux dépressifs, qui se satisfait au mieux de la vie la plus paisible possible. Il a développé un très bel alcoolisme « mondain » dit-il, « professionnel » dirais-je, qui lui suffit tout à fait comme compagnie. Ça et l'épluchage de pommes de terre, de préférence devant une fenêtre ouverte sur la pluie, qui est son enivrante pratique zen quotidienne. Il a renoncé aux femmes suite à des expériences malencontreuses et ne s'en porte pas plus mal. Surtout quand il regarde son voisin et seul « ami » qui a bien du souci avec la sienne. Ce sont d'ailleurs les mésaventures de ce pauvre voisin, magasinier de son état et fier de l'être, qui vont faire le corps de ce roman.

Basile, le magasinier, a eu une brève faiblesse pour une petite stagiaire (la promotion canapé est effleurée sans y penser, comme le sera plus tard le viol, j'avais prévenu qu'il ne faut pas prendre les choses au sérieux). Bref, son épouse, pourtant pas irréprochable non plus, l'a su et a entrepris une grande action dramatique qui va occuper les 200 pages suivantes avec beaucoup de rebondissements et de scènes tonitruantes, absurdes et comiques. Les raisonnements spécieux mais très argumentés y feront florès (comme celui démontrant que « personne n’apprécie à sa juste valeur le fait d'être trompé par son conjoint » par exemple). Drôle aussi, la philosophie strictement non interventionniste de notre narrateur, homme prudent et tenant à sa tranquillité, s'il en est.

« estimant que si Rose, percluse d'un insurmontable chagrin, en était venue à vouloir s'euthanasier, il n'entrait pas dans mes compétences de restreindre, par une hâte trop violemment salvatrice, ses chances d'atteindre son objectif. »

Drôle enfin l'incongru rencontré à chaque coin de page « En travaillant, il fredonne quelques chansons dans une langue qui mêle le breton et le maori, hommage à Gauguin. ».

Quant au style, on voudra bien excuser la crudité de certains propos « J'ouvre une parenthèse ici, non pour me justifier, mais parce que je pense que l'emploi insistant d'un langage brut et malgracieux peut apparaître comme une facilité et choquer les esprits nobles qui se seraient égarés dans cet ouvrage. Personnellement, je ne me priverais guère en censurant ces pages de tout ce qu'elles contiennent de minauderies alvines et de références rectales.(...) Seule la vérité des faits et des paroles me guide. » On le comprendra.

En conclusion, ne vous dispensez pas de cette récréation rabelaisienne qui n'a pas remporté pour rien le Grand Prix de l'Humour noir 2001.



978-2070759132



19 juillet 2023

 Philippe Claudel qui nous a déjà donné Le Bruit des trousseaux, Les Âmes grises, La Petite Fille de Monsieur Linh et Le Rapport de Brodec et d'autres, vient de faire paraitre "Crépuscule". Si nous en faisions une lecture commune?

Inscrivez vous à la page correspondante, ici .
qui précise la règle du jeu.😄
Si vous mettez votre commentaire de lecture en ligne le 31/08 en mettant les liens vers les billets des autres participants, dites-le nous ici, ils feront pareil pour vous et cela vous vaudra quelques visites
😊


15 juillet 2023


Une place à prendre 

de J. K. Rowling

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Alors tout d'abord, oubliez Harry Potter, rien à voir. Nous n'allons pas condamner cette pauvre J. K. Rowling à rester toute sa vie fixée à ce premier chef d’œuvre. Si l'histoire qui nous est racontée ici nous captive effectivement sur presque 700 pages, c'est sans magie, sans sorciers et sans monstre maléfique mais bien au contraire en plongeant ses racines dans le quotidien le plus terre à terre d'un petit bourg tout à fait quelconque.

Donc, nous sommes à Pagford. Ce n'est qu'une petite ville mais bien sûr, comme partout, elle trouve le moyen d'abriter deux clans adverses qui s'opposent aussi férocement qu'ils le peuvent dans les limites de la loi. Ici, la scission s'opère entre la ville ancienne et ceux qui veulent qu'elle reste distincte (et favorisée) et les nouvelles cités et ceux qui veulent les intégrer. Pagford est gérée par un "Conseil Paroissial" et son président (c’est bizarre pour nous, Français, mais bon, je pense qu'on peut traduire par conseil municipal et maire) et diffuse ses nouvelles par un blog assez quelconque. A la scission que je viens d'évoquer, s'ajoute le problème d'un centre de réinsertion des toxicomanes que la branche "anciens" ne veut plus financer alors que des habitants de la branche "nouveaux" en ont grand besoin. Pour l'instant, ces derniers maintiennent leurs acquis dans une sorte d’équilibre du Conseil, mais la mort soudaine d'un de ses membres peut tout remettre en cause selon qu'il sera remplacé par un pro-anciens ou un pro-nouveaux. Voilà pour la situation.

Nous allons faire connaissance avec les membres de ce fameux Conseil Paroissial et avec leurs familles, ainsi qu’avec les candidats qui ne vont pas tarder à se manifester. Dans les familles se trouvent des adolescents, qui vont jouer un rôle important dans l'histoire même si les adultes les tiennent pour quantité négligeable. Ils finiront pas réaliser leur erreur.

Les personnages sont tous remarquables (il n’est pas inutile de faire une petite liste Qui-est-qui car il y en a quand même presque trente). J.K Rowling  ne prend pas parti et les peint avec beaucoup de talent, trouvant toujours la note juste et le détail qui tue. Ils sont complexes et ont une vraie épaisseur.  Ils ont tous des intérêts et des mobiles puissants en jeu, de quoi les rendre très efficaces, et actifs. La campagne électorale démarre.

Parallèlement, nous découvrons peu à peu mais en profondeur la vie de Pagford, ses commerces, ses établissements scolaires, ses familles, ses notables, médecins, services sociaux etc. ses exclus... ses secrets, chez les uns comme chez les autres. La lutte s'engage entre les candidats dévoilant les soutiens et les adversaires et ne tarde pas à se faire plus âpre, surtout que soudain, le blog municipal se met à diffuser des messages anonymes qui font des révélations qui sont de vraies bombes. La situation ne va pas tarder à dégénérer. Tout cela va bien sûr mal finir.

Et c'est parti.

J'ai passé un excellent moment. Je conseille.

9782246802631

C'était une lecture commune avec une personne qui a disparu des radars... Donc, j'attends des nouvelles, mais sans grand espoir.


                     


12 juillet 2023

 L'écrivain Milan Kundera est mort ce 11 juillet à 94 ans.

En hommage, je propose de lire et de commenter 

un de ses titres 

dans le courant du mois.

Qui participerait?

(il y a des livres très courts, voir sous l'image)


Certains me disent qu'ils n'ont pas le temps avant la fin du mois, alors je rappelle: L'Art du roman 198 pages
la lenteur 153 pages
L'ignorance 180 pages
L'identité 164 pages
La fete d' l'insignifiance 141 pages  

Bilan:
Agnès a participé avec "La plaisanterie
Mapero avec 
 "L'insoutenable légèreté de l'être"

Sibylline avec "La fête de l'insignifiance"

10 juillet 2023

Journal inquiet d'Istanbul  T1

de Ersin Karabulut 

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Je ne sais pas vous, mais moi, l’histoire de la Turquie, je ne connais pas bien. J’avais des impressions, qui d’ailleurs ne correspondaient pas bien avec ce qu’on nous en disait officiellement, et j’étais dubitative (mais de moins en moins au fil des ans, je l’avoue), c’est pourquoi j’étais dès l’abord intéressée par cet album de quand même 150 pages, qui nous raconte le quotidien d’un Turc d’aujourd’hui normalement évolué. Quotidien qui n’est pas facile. 

Dans cet album qui devrait sans doute davantage s’appeler Mémoires que Journal, l’auteur, Ersin Karabulut raconte sa vraie vie depuis sa petite enfance (il est né à Istanbul en 1981) jusqu’au début de sa carrière de dessinateur de BD en Turquie. Parallèlement, il montre son pays passer sous le commandement d’Erdogan qui dissimule de moins en moins son autoritarisme et l’emprise qu’il veut que l’intégrisme prenne sur la société. Ce sont ces deux faces que l’auteur sait bien montrer qui font la richesse et l’intérêt de l’album. 

Le concernant, il offre un récit qui semble vrai et sincère, ne dissimulant pas ses faiblesses. Il emporte ainsi l’adhésion du lecteur. Concernant la situation de son pays, il en montre les différentes facettes : l’emprise des Frères sur la quartiers modestes où ils imposent de plus en plus leurs diktats par la surveillance omniprésente et la menace voilée mais réelle et pesante, ainsi que les quartiers évolués des mégapoles où les gens vivent à peu près normalement (selon nos critères) et qui peuvent leurrer les touristes. Et voilà qu’arrive Erdogan, modeste au début, démocrate et soutenu par l’Occident pour des raisons commerciales mais dévoilant de plus en plus sa face sombre et dominatrice à mesure que son pouvoir se renforce. 

Parallèlement, il nous ouvre les portes du monde de la BD satyriques qui semble très florissant et vigoureux là-bas à l’époque fin des années 90 (ça m’a rappelé l’époque française des années 70 avec Pilote,  Charlie Hebdo, Fluide Glacial, il me semble qu’il y en avait un autre mais le titre m’échappe). Bref, c’était plein de vie, et Ersin Karabulut s’y taillait de beaux succès en racontant sa propre vie alors que la menace Erdogan grandissait. 

Que doit faire l’écrivain, le chanteur, le créateur de BD face à un état qui devient de plus en plus autoritaire ? Il n’y a pas ici de héros suicidaire, mais des gens désireux de paix et accessibles à la peur , mais qui voudrait conserver leur liberté de pensée, de parole, d’action. Que faire ?

Nous le verrons plus tard, quand sortira le volume 2, mais svp, ne me parlez pas de Erdogan comme d’un soutien de la démocratie, merci. En fait c’est un rapport purement commercial. Maintenant qu’il a installé son pouvoir, il va de moins en moins se soucier de sauver les apparences et l’Occident le laissera faire tant que les multinationales y trouveront leur compte.

Je n’ai pas parlé du graphisme, ce sera pour le tome 2 que j’attends avec impatience.


9782205085761


05 juillet 2023

 Ouest 

de François Vallejo

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Le baron paradoxal

Déjà pour commencer, moi qui aime les chiens (et les chiens en bande), j'ai parfaitement ressenti la signification émotionnelle de cette meute pour Lambert. Ne la négligez surtout pas si vous ne voulez pas rater une partie de la chair de ce roman. 

Au château, à la mort du baron (aimé, craint et admiré de ses gens), arrive son fils qu'il a toujours détesté et maltraité de toutes les façons possibles pour un père (et elles sont innombrables). La domesticité qui l'a connu enfant dans ses humiliations préfère quitter le château. Seuls restent le garde-chasse et sa famille à cause du logement qu'ils ont et surtout de la meute qui est la fierté et l'amour de Lambert. Mais le nouveau baron «n'a pas les gestes». Il ne se conduit pas en maître. Comment le pourrait-il, lui qui toujours a été brimé? Mais pour ses gens, la noblesse est innée, «dans le sang» (sinon, que serait-elle?) et ils ne peuvent accepter un maître qui n'en est pas un. Pour corser le tout, M. De l'Aubépine est arrivé avec des idées républicaines, rouges même, et ne craint pas de les proclamer haut et fort. Est-ce ainsi qu'un noble doit se comporter? Quand pour couronner le tout il accompagne ces déclarations libertaires d'une tenue de ses gens pire que celle des hobereaux bon teint, que peuvent-ils y comprendre? Sinon, qu'il faut se méfier des maîtres (en quoi ils auront raison de ne pas baisser la garde). Et cet aristocrate paradoxal*, s'il ne gagne guère l'estime des autres, n'en reste pas moins un maître, ce qu'ils ne sont pas et il n'y a pas à chercher plus loin. Il manifeste d'ailleurs bientôt les vices de sa condition.

Dans un premier temps, pour moi, l'empathie s'est bien installée avec Lambert, mais aussi avec le baron dont je sentais la solitude et le «déclassement» de toujours. Cette empathie double m'a permis de bien m'imprégner des événement et, quand les rôles sont devenus plus outrés et on fait éclater cette empathie, de bien ressentir la violence de ce qui se passait. 

Les personnages de Magdeleine et d'Eugénie et même Grégoire qui se précisent eux aussi de plus en plus sont animés d'une telle vie que leur réalité éclate. Magdeleine par exemple, à la peau trop blanche, est une victime d'entrée de jeu puis, devenant chasseresse avec son père, balaie ce rôle trop convenu de proie, pour jongler ensuite sans cesse entre ceux de chasseur et de gibier.  Cet exemple illustre la profondeur que Vallejo met dans tous ses personnages (même les tout à fait secondaires).

De la profondeur et de la finesse, il en met tout autant dans les événements que nous voyons glisser comme ils le font dans la vraie vie, toute situation évoluant sans déclaration spéciale d'un jour à l'autre, «mûrissant» insensiblement, sans manichéisme. Cette «évolution» est sensible en permanence et, si elle est bien le reflet de la réalité, il n'est pas si courant de la trouver dans les romans, qui sont comme des «photos» qui ont tendance à figer un moment de la vie. François Vallejo a admirablement rendu cela.

Tout ceux qui ont lu ce roman et avec qui j'en ai parlé semblent avoir eu une lecture différente de celle du voisin. Chez chacun, l'un des aspects a prédominé et lui a semblé suffisamment riche, fouillé et traité de façon  suffisante pour être l'axe du livre. C'est de celui-là qu'il parle tout de suite et abondamment quand on l'interroge sur ce livre. «Ah oui, c'est la lutte de domination entre le baron et son garde-chasse» «Ah oui, c'est ce roman avec le noble qui veut mettre Victor Hugo au pouvoir» etc. Ce seront les rapports dominant/dominé, ou de l'homme et de l'animalité (chiens), ce sera la perversion sexuelle, les troubles mentaux, les effets d'une enfance «écrasée» ou les idées libertaires chez les privilégiés, le sens de la vie (le baron veut être «grand», «jouer un rôle»); et moi qui n'ai su choisir aucun de ces axes et qui ai été sensible à tous, je termine sur une impression de baigner dans l'extrême richesse et complexité de la réalité parfaitement rendue. Je reste sous l'impression que c'est le livre de tout cela et de bien des choses encore.

Il faut parler aussi de l'écriture. Elle est quasi parfaite, d'une maîtrise admirable. Avec en particulier un magnifique rendu des dialogues. Vous ne pourrez manquer de l'admirer et surtout, surtout, le roman se termine sur une dernière page qui est tout simplement sublime (chose que je ne dis quasi jamais), l'acmé de ce livre. Merveilleuse dernière page!

Vous me direz, si c'est une telle réussite, pourquoi pas 5 étoiles? C'est uniquement une question de goût. La femme que je suis ne s'est pas sentie à l'aise avec cette histoire de perversion sadique. Ces histoires-là ne me plaisent pas. Plaire, c'est tout. La demi-étoile qui manque, c'est celle toute subjective du goût, celle qui dit qu'on se sent chez soi ou non dans une histoire.


* C'est ainsi que l'auteur désigne son personnage dans la préface à «Dérive»

9782757857151

04 juillet 2023

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