25 mai 2023

EN HOMMAGE A MARTIN AMIS, MORT LE 19 mai 2023

Lionel Asbo, l'état de l'Angleterre

Martin Amis

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Le narrateur, Desmond Pepperdine est un jeune homme issu de cité qui constitue une exception car, bien qu'élevé dans les pires conditions, il va s'orienter avec succès vers les études et une vie de famille équilibrée. Orphelin, il ne lui reste que sa grand-mère Grace Pepperdine (qui fait figure de vieillarde, bien qu’elle n’ait que 39 ans au début de l’histoire et juste quelques années de plus à la fin) et son oncle Lionel, 21 ans. Desmond, lui, a 15 ans, et de gros soucis car d’abord, il n’est déjà pas bien vu dans ces quartiers de bien travailler en classe. Cela irait même très certainement très mal pour lui s’il n’était pas le neveu de Lionel. Mais il l’est, et personne dans la cité, ne se risquerait à faire quoi que ce soit qui puisse contrarier son oncle Li.

Lionel, ne s’appelle plus Pepperdine. Il a fait officiellement changer son nom parce ce que  « c'est con comme nom » et il a choisi en remplacement : Asbo ! Parce que ASBO est l’acronyme de « antisocial behaviour order » qui désigne les différentes sanctions que son comportement antisocial pouvait lui valoir. C’est que les juges s’intéressent à lui depuis qu’il a 3 ans, alors forcément, ça crée des liens. Lionel n’est pas du genre câlin, ce n’est pas lui qui risque de prendre Desmond dans ses bras. Mais c’était sa famille –bien qu’il soit peu sensible au concept- aussi l’a-t-il laissé vivre avec lui lorsqu’il a perdu sa mère à 12 ans (de père, bien sûr, il n’y avait pas). A ce moment-là, Desmond a sombré dans une sorte de dépression, une période « a-mère » pendant laquelle il ne faisait rien, ne s’intéressait à rien, et cela a duré trois ans, et puis peu à peu, il s’est aperçu, avec surprise que son intelligence s’éveillait, qu’elle exigeait qu’on la nourrisse et qu’on l’utilise. Il savait que les autres autour de lui ne vivaient pas ce genre d’expérience, et il sut également tout de suite qu’il valait mieux le dissimuler à son entourage. Mais cela éveilla son intérêt et lui permit progressivement de reprendre pied. Il avait alors 15 ans.

Pourtant, poussé par le milieu, les circonstances et par sa soif de tendresse frustrée, il fait alors une « grosse bêtise » qu’il est bien incapable d’avouer, d’assumer, d’accepter, de « faire avec » etc. et qui est un tel problème qu’il en vient à la confier aux courriers du cœur des journaux espérant un conseil, une aide, de n’importe quelle sorte. Il sait pourtant bien en même temps, que personne ne pourra l’aider, qu’il lui faudra se débrouiller vraiment seul, bien que le fardeau soit titanesque. D’autant qu’en plus de l’énorme problème personnel que cela lui pose, il faut considérer que si Lionel découvre son secret… il n’y a pas de mot. Tout peut arriver.

Car le personnage principal de ce roman, ce n’est pas Desmond, c’est Lionel, le caïd des caïds, « Le grand asocial », le cas clinique, l’irrécupérable, le fauve, tellement habitué à tous les excès de violence, qu’il en vient de plus en plus souvent à se dire qu’il se fait peur à lui-même. Pour lui, les fréquents passages en prison sont des vacances plutôt que des punitions « au moins, en prison, on sait où on est » et c’est justement pendant l’un de ces séjours qu’arrive le grand évènement : Lionel gagne à la loterie et devient multimillionnaire ! L’argent aidant, il a vite fait de ressortir (et tac ! au passage, sur le système judiciaire) et voyons maintenant ce qui va se passer.

Martin Amis serait-il notre moderne Zola ? Ou plutôt, celui de l'Angleterre ? Car il agit de même que les auteurs des romans naturalistes qui soulevaient une question à dimension sociologique qu'il vérifiaient ensuite à l'aide d'une expérimentation. Ici, la question est : « Est-il possible que Lionel Asbo, le grand asocial, puisse être un être social sous certaines circonstances précises ? » 109 Nous aurons la réponse. Mais reprenons.

Sous les attributs et avantages d’un roman assez scotchant et tout entier en tension (Desmond qui aime son oncle Lionel comme un père avoue lui-même qu’il est toujours plus que mal à l’aise en sa présence, il est « malade », et le lecteur ressent également ce malaise croisant), Martin Amis a tenté et réussi un grand roman social qui part de l’état des lieux des milieux défavorisés pour en expérimenter les limites et les conséquences. Sous ses aspects accrocheurs, l’état des lieux de départ est des plus sérieux : psychologique, social, culturel, financier, médical, il comprend une pyramide des âges et des statistiques prévisionnelles des trajectoires, il dépeint l’acculturation qui passe de l’ignorance à l’illettrisme puis même à la perte du langage oral, avec vocabulaire succinct, déformation des mots, contresens etc. Il dépeint les stratégies de violence et l’économie parallèle, et l’absence de prise du système légal officiel sur ce monde qu’il a réduit à un stade où il ne peut plus l’atteindre.

J’ai adoré ce roman et j’ai la plus haute estime pour son ambition.

Adieu Martin

978-2070459353


20 mai 2023

La petite-fille

de Bernhard Schlink

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Kaspar, septuagénaire, est libraire à Berlin. Sa vie est triste car sa femme Birgit qu'il adore, s'est mise à boire et que l'alcool a fait d'elle une épave. Dès les premières pages, son alcoolisme la tue, suicide ou accident, on ne peut savoir et peu importe. Kaspar perd ainsi le sens de sa vie et ne parvient pas vraiment à y reprendre goût. Puis, en rangeant les papiers de Birgit qui était en train d'écrire un roman, il découvre en fait le récit d'une partie de sa vie juste avant qu'ils se rencontrent et apprend ainsi qu'elle a eu une fille alors qu'elle vivait encore en RDA et qu'elle l'a abandonnée à la naissance car elle refusait totalement cette grossesse accidentelle. Cependant, près de cinquante ans après elle y pense encore et a même entrepris des recherches sur cette fille perdue. Kaspar stupéfait découvre ainsi qu'il est beau-père et décide, surtout parce que cela donne à nouveau un peu de sens à son existence, de rechercher cette fille inconnue.

 Il la retrouvera, découvrira ainsi qu'il a également une petite-fille et aussi malheureusement, que la famille appartient à une communauté très active de complotistes néo-nazis. Je n'en dévoile pas trop en vous disant cela car le sujet du livre est autre. Il parle du choc de deux mondes, l'un violent, fermé, fondé sur l'exclusion et la haine de la différence, et l'autre humaniste, fondé sur l’ouverture à l’autre, l'intégration et sur des valeurs culturelles et intellectuelles. Pour la fille, il est clairement trop tard mais la petite-fille peut-elle encore évoluer et se libérer de ses œillères?

Kaspar se révèle être un homme de très grande valeur. Incroyablement doué pour donner de l'amour autour de lui, même s'il en a été plutôt maigrement récompensé. C'est sa nature. Il accepte l'autre, tente de le comprendre, prend toutes sortes de précautions pour ne pas le heurter mais tente en même temps de lui montrer une autre vision du monde quand la sienne est trop étroite. Il fera découvrir à sa petite-fille le monde de la musique dont elle ignore tout mais pour lequel elle se révèle douée, et par cette découverte, lui montrera d'autres peuples estimables que le sien. Nous regardons la vie d'un homme juste et bon. Birgit ne l'a pas aimé autant que lui l'aimait et il le sait parfaitement. Il ne le lui reproche pas. Elle n'en était sans doute pas capable, mais lui l'est, alors il donne. C'est sa force. J'ai admiré son rapport aux autres tellement généreux.

Ce roman, qui raconte aussi de façon réaliste et documentée ce que fut la cohabitation puis la réunion des deux Allemagnes, nous montre une Allemagne actuelle où quelques vieux démons refusent de s’éteindre paisiblement, mais où une nouvelle Allemagne, qui a pris le virage du monde actuel, brille culturellement.

C'est vraiment un grand roman. Je le préfère encore au Liseur.


Extrait:

"Il n'y a qu'une vérité. Elle n'appartient ni à moi ni à toi. Elle est simplement là. Comme le soleil et la lune. Et comme la lune elle n'est parfois visible qu'à moitié et elle est pourtant ronde et belle.

- Ronde et belle?

C'est le vers d'un lied.

Voyez-vous la lune se tenir au loin?

On ne peut la voir qu'à moitié, 

Elle est pourtant ronde et belle, 

Telles sont certes bien des choses

Dont nous nous rions sans crainte,

Parce que nos yeux ne les voient pas."


Kathel l'a lu aussi

978-2072995316

15 mai 2023


M. Gallet décédé

Georges Simenon

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Dans ma jeunesse, j’avais entrepris de lire tous les Maigret par l’intermédiaire de volumes des œuvres complètes. Cela en faisait beaucoup puisque, pour rappel, il y eut 75 romans de Maigret, sans compter les nouvelles. Celui-ci est le troisième. Je ne me souviens plus si j'ai tenu jusqu'au bout, mais je sais que j'en ai lu énormément. C'étaient des lectures plaisantes qui tenaient de la peinture de mœurs (j'avais été frappée par la pratique alors courante d'accueillir chez soi des pensionnaires payants), du roman d'aventure et du casse-tête. On tournait la dernière page comblés. Des décennies ont passé et je m'étais éloignée de Simenon et de le retrouver ici à l'occasion d'une rencontre de boîte à livres, m'a envoyé une grosse bouffée de nostalgie. J'ai tout retrouvé, le rythme, l'ambiance, l’énigme suffisamment compliquée pour capter notre attention et faire travailler un peu mes petites cellules grises (ah, non! ce n'est pas lui 😛) . Ces retrouvailles m'ont fait bien plaisir. Je me dis qu'un petit Siménon ou un petit Christie de temps en temps ne me ferait peut-être pas de mal. Ca détend. Les arrières-plans sont pleins de petites scènes de genre qui posent le décor, l’époque et l'ambiance. Pas d’internet, peu d'anglicismes. Maigret porte un chapeau melon. On utilise le train avec facilité, on cherche des cabines téléphoniques, on envoie des télégrammes à tour de bras, on met des petites annonces dans les journaux et tout le monde les lit, bobonne est aux fourneaux les hommes au bistrot, on fume partout même dans le train, le panier-repas de la SNCF comprend un litre de rouge! et vogue la galère. Autres temps, autres mœurs. Je ne dis pas que je regrette mais ça nous rappelle d'où on vient. C'était chez nous, en 1930.

Et donc notre Jules Maigret, commissaire, se retrouve dans un village à enquêter sur l'étrange assassinat d'un représentant de commerce dans sa chambre d’hôtel.

"- Vous ne croyez pas plutôt qu'il s'est suicidé, vous. Il devait être au bout de son rouleau...

- Le coup de feu a été tiré à sept mètres et le revolver n'a pas été retrouvé...

- Dans ce cas... Evidemment!"

… Evidemment…

D'ailleurs, il apparaît bientôt que cet homme chétif, si banal et quelconque n'aurait jamais dû se trouver là et n'était tout compte fait, pas du tout celui qu'il semblait être... Le mystère s'épaissit de plus en plus au fil des découvertes, jusqu'à ce que Jules vous remette tout ça en ordre, instillant au lecteur un profond sentiment de satisfaction.

Monsieur Gallet, toujours décédé, va pouvoir aller reposer dans une autre boîte à livres...


PS: L'astuce finale servira dans au moins un autre Maigret (souvenir que je garde de mon ancienne addiction) mais je ne me souviens plus lequel.

PPS : L’abréviation de monsieur est M. quant à Mr, c’est l’abréviation de mister.





10 mai 2023

Les jardins de lumière

d'Amin Maalouf

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J’ai encore une fois retrouvé avec beaucoup de plaisir ce conteur hors pair qu’est Amin Maalouf.

Comme vous le savez sans doute, plusieurs de ses romans sont ce que l’on pourrait qualifier de «biographies romancées». C’est le cas de ces «jardins de lumière». Maalouf nous fait suivre ici depuis dès avant sa naissance jusqu’après sa mort, la vie de Mani, artiste et philosophe mésopotamien du 3ème siècle dont la pensée fut déformée au fil des âges et des malveillances, jusqu’à donner naissance au terme «manichéen» alors qu’elle était justement tout sauf manichéenne, du moins dans l’acception actuelle du terme.

C’est justement la grande, l’énorme qualité d’Amin Maalouf de nous expliquer avec clarté la réalité et la subtilité de ce que fut cette philosophie exposée aux malentendus -et ce, dès sa première expression puisqu’il était impossible d’être philosophe, il fallait être prophète; impossible d’avoir une éthique, une philosophie, il fallait que ce soit une religion. L’on tolérait mieux les activités sectaires qu’une philosophie sans dieu. Et ce n’étaient là que les premiers dévoiements, ils seraient suivis de bien d’autres. L’énorme qualité de l’auteur, disais-je, de savoir nous l’expliquer, non seulement avec clarté, mais encore avec la légèreté et le suspens d’un roman ou, selon ce que je ressens moi quand je lis Maalouf, d’un conte passionnant. Si la culture est partout, le cours n’est nulle part. On apprend les innombrables choses que nous révèle ce livre sans le moindre effort, tout simplement parce qu’elles font partie de l’histoire passionnante qu’on nous raconte là.

Une chose encore qui plaît aux lecteurs d’Amin Maalouf, c’est le choix de ses personnages principaux. Qu’ils soient réels ou imaginaires, ils ont tous ces qualités du cœur et de l’esprit qui font les vrais humanistes et ce Mani tient haut le flambeau de cette cause-là. Maalouf nous dresse tout cela, avec son talent incomparable de conteur, son art consommé du portrait qui sait faire surgir à notre esprit le personnage très net, tel qu’il apparaîtrait si on le rencontrait. On le voit; et ce, aussi bien pour les seconds rôles que pour les vedettes.

Voilà pourquoi c’est avec plaisir et délassement que je me suis immergée dans ce monde ancien, pas si différent du nôtre au fond, pour les grands problèmes et où se posent les questions encore tout à fait d’actualité comme: Le sage peut-il composer avec les puissants? S’approcher du pouvoir l’aidera-t-il à rendre le monde plus sage ou à affaiblir sa sagesse? Il aurait fallu deux vies à Mani, une pour essayer chacune des tactiques, mais nous sommes tous dans cette situation-là et nous avons déjà notre idée sur la question, que l’expérience de Mani confortera ou non.

9782253061779


Extraits :

- " La Lumière qui est en vous se nourrit de beauté et de connaissance, songez à la nourrir sans arrêt. Ne vous contentez pas de gaver le corps. Vos sens sont conçus pour recueillir la beauté, pour la toucher, la respirer, la goûter, l’écouter, la contempler. Oui, frères, vos cinq sens sont distillateurs de Lumière. Offre-leur parfums, musique, couleurs. Epargnez-leur la puanteur, les cris rauques et la salissure.


"- Pour tout ce que j’ai à faire combien de temps m’est-il accordé?

- Cela, tu n’en sauras rien, lui dit l’Autre

(…)

Tu as l’éternité et l’instant, quelle importance? Le temps est l’hameçon des Ténèbres. Ne te laisse pas leurrer, n’aie d’autre souci que ta mission, chaque jour! (153)


"Sois traître à l’Empire, s’il le faut, et rebelle aux décrets du Ciel, mais fidèle à toi-même, à la Lumière qui est en toi, parcelle de sagesse et de divinité. (216)


"Pour un mage qui se dévoue, il en est quarante qui rêvent de puissance et ne vivent que de complots et d’intrigues. A chacun ils dictent comment s’habiller, manger, boire, tousser, roter, pleurer, éternuer, quelle formule marmonner en toute circonstance, quelle femme épouser, à quel moment la fuir ou l’enlacer, et de quelle manière. Ils font vivre grands et petits dans la terreur de l’impureté et de l’impiété.

Ils se sont approprié les meilleurs terres de chaque contrée, ils ont amassé des richesses, leurs temples débordent d’or, d’esclaves et de grains; quand la disette sévit, ils sont les seuls à ne jamais en souffrir. Au fil des règnes, ils ont accumulé les prérogatives. Pas un adolescent qui sache aligner deux caractères sur une tablette sans qu’un mage lui tienne la main. Pas un acte de vente qui puisse être conclu sans qu’ils prélèvent leur part. Pas un litige qui puisse être réglé sans leur arbitrage. C’est encore aux mages de décider si un décret royal est conforme à la loi divine, loi qu’ils interprètent bien évidemment à leur convenance. (…) Crois-tu que tout cela leur suffise? (169)



05 mai 2023

Le Soldat désaccordé

de Gilles Marchand

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Quatrième de couverture :

"Paris, années 20, un ancien combattant est chargé de retrouver un soldat disparu en 1917. Arpentant les champs de bataille, interrogeant témoins et soldats, il va découvrir, au milieu de mille histoires plus incroyables les unes que les autres, la folle histoire d'amour que le jeune homme a vécue au milieu de l'Enfer. Alors que l'enquête progresse, la France se rapproche d'une nouvelle guerre et notre héros se jette à corps perdu dans cette mission désespérée, devenue sa seule source d'espoir dans un monde qui s'effondre."


Le narrateur, revenu de la grande boucherie sans sa main gauche peine à retrouver une existence tout à fait banale et a décidé de gagner sa vie en tant que détective privé spécialisé dans les disparus de la guerre. Il faut dire qu'ils sont nombreux dont on ne sait ce qu'ils sont devenus, corps sans sépulture ou non identifiés, épaves anonymes échouées dans quelque mouroirs, amnésiques égarés, ou quelques uns n'ayant pas souhaité revenir au point de départ... Et d'ailleurs les morts le sont-ils bien tous? Les identifications se faisaient souvent "à l'arrache" et les familles désespérées préfèrent encore douter. Quant aux disparus dont on a simplement totalement perdu la trace...

C'est une mère éplorée (mais riche) que reçoit notre détective. Son fils unique et adoré n'est jamais revenu, sans qu'on ait identifié son corps. Il fait partie des "disparus" et elle sent qu'il n'est pas mort. Reste à le retrouver, et ce sera la charge et le gagne pain de notre héro pendant les années qui vont venir. Il découvre vite une histoire belle et poignante que la mère nie tandis que, le temps passant, la désastreuse Der des ders a de moins en moins l'air de l'être...

Le ton est actuel, pas celui de l'époque, et plaira beaucoup aux lecteurs d’aujourd’hui. A moi aussi il a plu. Le roman se dévore, Gilles Marchand nous balade où il veut, d'une tranchée à l'autre, d’hôpital en cimetière, avec son récit bien écrit qui est à la fois une leçon d'Histoire et une magnifique histoire d'amour, louchant parfois vers la poésie ou le fantastique (qui est cette fille de la lune qu'on ne voit que la nuit sous la mitraille?). D’autre part, le mystère, et tous ses rebondissements, tiennent bien la route. Ne boudons pas notre plaisir et laissons ce Soldat désaccordé rejoindre les magnifiques "Le Der Des Ders" de Didier Daeninckx et "Au revoir là-haut" de Pierre Lemaitre.


« En sortant de son bureau, je me suis senti bête, j’ai pris conscience que je ne m’étais jamais réellement posé la question de l’Alsace. Jamais posé la question des Alsaciens. J’avais tué pour récupérer ces régions, j’avais estimé que cela était juste. Et j’avais obéi aux ordres. »



978-2373056488

30 avril 2023

Nous autres 

Evgueni Zamiatine

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Ecrit en 1920, ce roman de science fiction n'a été publié en Russie qu'en 1988. C'est dire qu'il y a rencontré de la résistance. Il était cependant disponible à l'étranger en anglais depuis 1924 et en français depuis 1929 mais à partir de cette traduction, pas du texte original. Quant à l'auteur lui-même, il plaisait si peu à Staline qu'il dut s'exiler en 1931, et c'est à Paris qu'il vint. Il y mourut six ans plus tard, il n'avait que 53 ans. Son roman, premier dans la chronologie, allait ouvrir la voie à ceux de Aldous Huxley (1932), Ayn Rand (1938) et George Orwell (1948), sans parler des multiples suivants.

Situé dans un futur assez lointain, ce récit nous est fait par un homme nommé D-503. Il tient une sorte de journal de ce qui lui arrive dans lequel il s'astreint à ne rien dissimuler, ni des faits, ni de ses pensées même quand il ne les comprend pas. Dès le début, D-503 nous dit qu'il n'est pas vraiment un individu mais plutôt partie heureuse du groupe humain, ainsi peut-il aussi bien dire "nous" que "je", car il est surtout un élément du Grand Tout qu'est la société parfaite instituée par le Guide, à peine contesté par de rares "terroristes". "La liberté et le crime sont aussi intimement liés que, si vous voulez, le mouvement d'un avion et sa vitesse. Si la vitesse de l'avion est nulle, il reste immobile, et si la liberté de l'homme est nulle, il ne commet pas de crime. C'est clair. Le seul moyen de délivrer l'homme du crime est de le délivrer de la liberté. Et à peine venons nous de l'en délivrer (à peine est bien le mot quand on songe à l'âge du monde), que quelques misérables esprits arriérés..."

D-503 n'est pourtant pas un modeste boulon, il est le créateur de L'Intégral, LE grand projet en cours, à savoir un vaisseau spatial qui ira apporter le bonheur imposé aux malheureux extra-terrestres encore dans l'ignorance. C'est le projet majeur du moment. Pourtant, la Terre elle-même n'est pas totalement conquise, il reste une vaste zone sauvage, que l'on devine derrière le Mur Vert et où nul ne va jamais ni ne sait ce qui s'y passe. On n'en est d'ailleurs pas curieux, plutôt dégoûté.

Après nous avoir montré comment tout cela fonctionne bien, voilà que D-503 rencontre une femme et que son métabolisme s'en trouve perturbé. De plus en plus perturbé d'ailleurs car elle lui donne d'autres occasions de rapprochement. Comment tout cela va-t-il finir?

Le récit est rendu un peu confus par le fait que, complètement déstabilisé par les sentiments qui l'assaillent et dont il ne soupçonnait même pas la possibilité, D-503 perd un peu pied et confond parfois, rêve, fantasme et réalité. Au lecteur de suivre. Cela m'a rendu la lecture de ce roman moins agréable qu'elle n'aurait dû mais il n'en reste pas moins que nous avons là une pièce indispensable pour tout amateur de SF littéraire. Son rôle historique est majeur. On ne peut pas ne pas le lire si on veut parler science fiction.


"Les deux habitants du Paradis se virent proposer un choix: le bonheur sans liberté ou la liberté sans bonheur, pas d'autre solution. Ces idiots-là ont choisi la liberté et, naturellement, ils ont soupiré après des chaînes pendant des siècles. Voilà en quoi consistait la misère humaine: on aspirait aux chaînes. Nous venons de trouver la façon de rendre le bonheur au monde... Vous allez voir. Le vieux dieu et nous, nous sommes à la même table, côte à côte. Oui, nous avons aidé Dieu à vaincre définitivement le Diable; c'est le Diable qui avait poussé les hommes à violer la défense divine et à goûter à cette liberté maudite; c'est lui, le serpent rusé. Mais nous l'avons écrasé d'un petit coup de talon: "crac". Et le Paradis est revenu, nous sommes redevenus simples et innocents comme Adam et Eve. Toute cette complication autour du bien et du mal a disparu: tout est très simple, paradisiaque, enfantin."

9782070286485


25 avril 2023

Trouver refuge

de Christophe Ono-Dit-Biot

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Ce roman est une uchronie, mais très légère, quelques années, si bien qu'il n'y a aucune grande transformation technique à découvrir. Mais la France a changé, elle a progressivement basculé dans une dictature paternaliste (alors pour faire simple et que tout le monde comprenne, on appelle le dictateur Papa - Grand Frère pas loin). Le populisme est roi et s'impose de façon de plus en plus musclée, ainsi, quand vous faites ou dites des choses qui divergent de ce que l'on attend de vous, il ne faut pas vous étonner de recevoir la visite de quelques jeunes gens musclés qui viennent vous faire des reproches de façon qui n’exclut aucune manœuvre d'intimidation. Rien n'est officiel, ils seraient bien sûr désavoués au cas où ça déraperait... mais tout devient possible.

Sacha est un écrivain et philosophe habitué des plateaux télé. C'est lui qui fera la majeure partie de la narration, mais il cédera parfois la parole à Mina sa compagne, professeure d'histoire à l'université, spécialisée dans la civilisation byzantine. Tous deux n'aiment guère la façon dont les choses tournent et tentent de résister mais sans s'opposer, ce qui ne les empêche pas de subir des pressions, surtout Mina, à l'université. Et puis un jour, dans le feu de la discussion sur un plateau télé, Sacha lâche une phrase imprudente qui laisse entendre qu'il sait des choses compromettantes sur la jeunesse de Papa (ce qui est vrai, et ce que ce dernier ne va pas du tout apprécier de se voir rappeler).

Ensuite il ne leur reste plus qu'à fuir en abandonnant absolument tout. Là, j'ai eu un peu de mal, je n'ai pas assez lourdement senti la pression pour imaginer que des gens nantis, publics même, puissent partir comme ça du jour au lendemain avec juste un sac à dos. Mais bon... Ils partent en Grèce, dans la Communauté monastique du Mont Athos parce que Sacha y a vécu jeune une expérience mystique ressourçante et qu'il pense que c'est le meilleur refuge possible. Ce qui en soit, m'a beaucoup étonnée puisque sur trois fuyards, deux (Mina et leur enfant de sept ans) sont des filles qui sont plus que formellement interdites sur ces terres. Mais ce n'est pas grave, Sacha s'arrangera. Sérieux?

A partir de là, le récit a deux narrateurs: Sacha et Mina (dans une moindre proportion). Je ne veux pas vous en dire plus sur l'histoire.

C'est un roman agréable à lire qui transmet un quota culturel correct sur l'antiquité, les monastères orthodoxes, etc. Par contre il n'approfondit pas les mécanismes d'une dictature populiste, ni les moyens de la combattre (au contraire puisque la seule solution serait la fuite). Il véhicule une vision bienveillante des religions qui ne se formalise pas de la mise à l'index de la féminité. La lutte contre Papa se limite à une confrontation personnelle et la happy end ne fait aucune concession à la vraisemblance.

978-2072885693




20 avril 2023

Jean-Christophe T1 : L'aube 

de Romain Rolland 

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Bien oublié de nos jours, Romain Rolland ! et c'est injuste. C'est vrai que le style a un peu vieilli, ou plutôt, c'est le rythme qui a vieilli, notre époque speedée ne veut plus que du rapide, et rapide, R. Rolland ne l'est pas. 10 tomes pour nous raconter l'histoire de Jean-Christophe Krafft et pourtant en son temps (1904), cette longue histoire a « cassé la baraque », coqueluche des lecteurs qui le dévoraient en feuilleton dans « Les Cahiers de la quinzaine ». Tout le monde voulait savoir ce qu'allait devenir ce petit garçon, ce jeune homme, cet homme, etc. Dix volumes pour le découvrir, un Nobel de Littérature à la clé. Ce qui rajoute à l’intérêt du récit, c'est qu'il ne s’agit pas seulement des péripéties qui ont meublé la vie du héros, mais tout autant de ses hautes préoccupations morales et humaines et son désir d'amélioration personnelle, qui ont parlé à son lectorat et qui pouvaient devenir celles de tous les lecteurs, 

1904 et l'auteur est un pacifiste qui ignore encore les années noires qui arrivent. Il aime l'Allemagne et c'est d'ailleurs en Allemagne qu'il fait naître Jean-Christophe, il est l'ami de Stefan Zweig...

Mais nous n'en sommes qu'à L'Aube. Jean-Christophe vient de naître sur les bords du Rhin, dans une famille de musiciens de province, père (Melchior) et grand-père (Jean-Michel), qui rêvent de gloire et d'un peu d'opulence alors que la personnalité jouisseuse du père les tire au contraire vers le bas. Une enfance rude ; on finit, accidentellement, par découvrir le don de Jean-Christophe, son éducation musicale démarre aussitôt et tourne au dressage de singe savant. Le père entend bien exhiber son fils et en tirer tout le profit possible. Et voilà qu'à six ans, le surdoué du piano, révèle qu'il compose de façon naturelle et avec talent ! L'appétit familial s'en trouve sur-développé et voilà notre prodige donnant son premier concert, de pièces de sa composition, devant "Sa Majesté" ! Il a sept ans et c'est sur cet acmé que nous le quitterons pour ce premier volume.

Je poursuis ma "lecture" en audiolivre.

Jean-Christophe (1904-12). Cycle de dix volumes répartis en trois séries, Jean-Christophe, Jean-Christophe à Paris et La Fin du voyage, publiés dans les Cahiers de la Quinzaine

1 L'Aube (1904)

2 Le Matin (1904)

3 L'Adolescent (1905)

4 La Révolte (1906-1907)

5 La Foire sur la place (1908)

6 Antoinette (1908)

7 Dans la maison (1908).

8 Les amis (1910)

9 Le Buisson ardent (1910)

10 La Nouvelle Journée (1912)

9782253012382 



16 avril 2023

L'homme qui vivait sous terre

 de Richard Wright

****+


A savoir sur l'Amérique du 20ème siècle

Folio a extrait cette nouvelle du recueil « Huit hommes » pour nous la livrer seule ici dans sa collection Folio 2€, comme il l'a fait dans un autre opus avec « L'homme qui a vu l'inondation ». Le but est atteint, je suis assez décidée maintenant à lire tout le recueil.

Nous découvrons ici un homme noir, fugitif affolé, poursuivi en ville pour meurtre, par la police. Il est innocent, mais le traitement qu'il a subi au commissariat l'a obligé à signer des aveux. Il pense que les flics savent qu'il n'a pas tué, mais a bien compris que cela ne changera rien. Il leur faut un coupable, de préférence noir. Il est parfait. Acculé, épuisé, il parvient à leur échapper de façon inespérée en se jetant dans un égout et en y découvrant un accès aux sous-sols du quartier. Une fois sous terre, il explorera l'une après l'autre les caves à sa portée, les pillant comme un gamin pillerait un magasin de jouets ou une pâtisserie, c'est à dire sans même se soucier de la valeur marchande des choses. Il considère par exemple, qu'il n'a aucun besoin d'argent, et utilise un magot qu'il a dérobé pour décorer les murs et le sol de son refuge.

De sa cachette, il lui arrive aussi d'observer les humains et est ainsi témoin de certaines choses qu'il n'aurait pas dû voir... dont un meurtre.

Parallèlement, comme nous le suivons tout au long de ce récit, nous assistons à l'écroulement mental de cet homme. On peut supposer qu'il a toujours été inculte et même ignorant, nous en venons peu à peu à penser qu'il est également psychologiquement fragile et sans doute au moins un peu intellectuellement débile. Et que ce qu'il a vécu depuis son arrestation, lu a fait perdre ses repères et son équilibre. Vraiment, un coupable idéal. Mais maintenant, un fugitif bien peu armé pour se sortir de cette situation. Si bien qu'alors qu'il avait des atouts dans son jeu, il finit par décider de retourner voir la police pour leur expliquer... vous découvrirez les conséquences.

Richard Wright nous décrit une jungle urbaine où l'homme noir est gibier et chair à canon. Il y a quelque chose de dramatique au sens antique du terme dans ces destins d'hommes noirs que cet auteur nous présente avec tant de réalisme et de relief, quelque chose de l'ordre du fatum. L'homme blanc, violent ou simplement indifférent à l'injustice qui le frappe, est l'environnement hostile. La situation qu'il nous dépeint ne pouvait qu'aboutir aux mouvements de révolte noirs. Il fallait qu'ils adviennent ; et certains faits divers récents nous amènent à nous demander si le travail est terminé. On en doute, malgré le paradoxe d'un président noir.


9782072941252



12 avril 2023

 Oh Canada

de Russel Banks

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"Oh, Malcolm, crois-moi, ils voudront me regarder mourir."

En phase terminale d'un cancer, Leonard Fife, célèbre documentariste, tourne avec un de ses anciens élèves, Malcom, une ultime interview filmée, à exploiter après sa mort très proche. Il a cependant des exigences précises: cela sera tourné en plan rapproché, dans le noir total en dehors de lui, et sa femme, Emma, devra être présente en permanence mais hors de sa vue, car, dit-il, c'est pour elle qu'il veut parler. Malcom et son équipe ont soigneusement préparé leurs questions mais bien inutilement car ils vont vite constater que Léonard ne tient compte d'aucune. Il est là pour raconter toute la vérité sur sa vie en un long monologue. Il estime avoir toujours triché et menti à tous et veut absolument se livrer à Emma dans son entière vérité avant de mourir. Pourquoi, dans ce cas, faire venir une équipe vidéo? C'est qu'il sait que s'il est seul avec elle, il ne pourra s'empêcher de recommencer à mentir, jouer son rôle, et enjoliver la vérité comme il l'a toujours fait.

"Non, son récit, il le raconte à Emma, sa femme, parce qu'il veut être connu d'elle, de celle qui lui a dit bien des fois qu'elle l'aimait pour ce qu'il est, peu importe ce qu'il est. Et, chose peut-être cruciale, il se raconte l'histoire à lui-même pour la même raison - parce qu'avant de mourir il veut se connaître lui-même, peu importe ce qu'il est."


Auteur de documentaires chocs et célèbres sur de forts moments de la société américaine et canadienne où il a vécu, le récit de Leonard Fife parle au lecteur comme à ses auditeurs fictifs quand il évoque par exemple Joan Baez et Bob Dylan qu'il a fréquentés ou les déserteurs qui fuyaient au Canada pourr échapper à la guerre du Viet Nam et dont il a fait partie... ou pas.

"Néanmoins, il a décidé de dire la vérité de telle manière qu'Emma pourra enfin savoir qui elle aime et qu'il pourra savoir qui il est. Une fois cette décision prise, son esprit s'est immédiatement rempli à ras bord de souvenirs depuis longtemps oubliés, depuis longtemps niés, depuis longtemps déguisés. (...) Il n'a eu qu'un souci en tête, celui de se rappeler son histoire et de la raconter de la manière la plus véridique et la plus simple possible, comme si ce n'était pas son histoire mais celle de quelqu'un d'autre, d'un étranger, comme si la caméra et le micro étaient entre ses mains, sous son contrôle"


Mais peu à peu, à cause de l'âge, de la maladie et des médicaments, ou simplement parce que "rien n'est jamais acquis à l'homme : ni sa force, ni sa faiblesse ni son cœur"*, son récit semble moins clair et moins assuré. Emma elle-même tente de le discréditer en faisant état de confusions, mais est-ce parce qu'il est inexact ou est-ce pour protéger sa réputation qu'il est en train de détruire? Ment-elle, à son tour? Leonard lui-même doute de certains souvenirs et constate les incertitudes de la mémoire même quand on est fermement décidé à ne plus rien dire que la vérité, sans souci des éventuels dommages collatéraux. Mais la vérité, qu'est-ce? Surtout passé au tamis de la mémoires ancienne et des successifs auto-récits sciemment maquillés ou non: pas maquillés, pas volontairement maquillés.

"Ses véritables motivations? Au mieux, il ne connaît que le côté observable de ses actes. Pour ce qui est des motivations, il n'en sait pas plus que s'il était un parfait inconnu. Il n'a pratiquement aucun mal à trouver des raisons à ce qu'il fait - c'est à dire que si on lui demande, il a des réponses. Mais sont-elles crédibles? Pour lui sur le moment, pour lui dix ans plus tard, pour lui un demi-siècle plus tard."


Nous sommes une histoire que nous nous racontons. Qu'en reste-t-il à l'approche de la fin? Est-il possible que nous assistions à la dilution de ce récit cohérent dans le flou, l'incertain et les variantes envisageables?


Ce roman est une réflexion sur le souvenir et nos auto-récits (nous en avons tous. Nous nous sommes tous mis au centre d'un récit dont nous sommes le personnage principal. Nous avons organisé nos souvenirs en conséquence.) Jusqu’à quand sont-ils cohérents? Le sont-ils même jamais? Nous soutiennent-ils jusqu’au bout ? Où nous lâchent-ils, surtout quand on a toujours trop menti ? Qu'est-ce que la réalité? C’est à elle justement que Léonard cherche à s'accrocher en tentant d'affermir sa maîtrise de son auto-récit.

"Il ne reste plus rien de sa vie, désormais, hormis ce qui se trouve dans son cerveau. les fluides qui passent dans ses intestins et sa vessie et les cellules cancéreuses qui dévorent ses os et sa chair, se gavent de ses organes et les condamnent un par un. (...) Ce qui reste de sa vie à présent, qui il est, n'est rien d'autre que ce qui se trouve dans son cerveau. Et cela n'est que celui qu'il était, rien de plus. L'avenir n'existe plus et le présent n'a jamais existé. Et personne ne sait qui il était. Personne ne peut le savoir à moins qu'il le lui dise à elle : à Emma."


C’est une réflexion profonde, mais également un roman captivant à cause de ce que Léonard a vécu. Dans un sens, c'est aussi une histoire d'amour. Il veut absolument offrir à cette femme qu'il aime son être vrai, l'ultime don de soi.

Ou peut-être pas. Peut-être ne veut-il que faire d'elle le réceptacle de son ultime auto-récit et se donner ainsi un peu plus de longévité.


Un roman profond et vrai qui nous parle non seulement de notre fin, mais de toute notre existence en nous amenant à réexaminer nos souvenirs et relativiser notre mémoire. Un grand livre.


* Aragon

9782330168025



08 avril 2023

Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles 

de Gyles Brandreth

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L’auteur britanique Gyles Brandreth a eu l’audace d’imaginer une série de romans policiers de type whodunit dans lesquels Oscar Wilde tenait le rôle de personnage principal et détective. Les personnages réels se mêlent aux fictifs. La série, que j’ai trouvée plaisante, connaîtra 6 volumes, tous parus en français chez 10/18. La série n’est plus éditée mais demeure facile à trouver chez les soldeurs. « Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles » est le premier livre.

Dans cette aventure d'Oscar Wilde imaginé comme détective, l'auteur joue jusqu'au delà du possible avec les ambiguïtés sexuelles du personnage et de l’époque. C'en est vraiment remarquable de voir à quel point il dit les choses sans les dire et les fait sans jamais que ce soit même envisagé comme une possibilité. Cela doit ressembler assez justement et nous mettre dans l'ambiance exacte de ce qu'était l'homosexualité masculine dans cette société où elle était encore un "crime" capable de vous envoyer en prison pour plusieurs années et où donc, vous l'aurez compris, elle n’existait pas.

Dans cette enquête, très bien tournée et imaginée, Wilde découvre le cadavre d'un adonis qui est un de ses protégé très aimé, son préféré du moment, qu'il rencontre régulièrement dans une auberge écartée... pour lui donner des cours aptes à lui permettre de ne pas faire tache dans une société plus raffinée que celle d'où il vient (qui est terriblement sordide). Il s'agit, ainsi qu'il l'explique sans rire à son ami l’écrivain et narrateur habituel Robert Sherard et par son intermédiaire au lecteur, d'un jeune homme à la beauté et aux qualités si remarquables qu'il méritait de s'élever dans la société et que Wilde s'était chargé de corriger les injustices de sa naissance.

Bref, le jeune homme nu git dans ladite chambre d'auberge mort et installé dans une mise en scène genre sataniste (les chandelles du titre). Oscar qui le découvre ainsi comprend tout de suite que le temps de la séduction a fait place à celui de la peine et des ennuis, d'autant qu'il se met en tête de découvrir le fin mot de l'histoire. Et tant mieux parce que s'il avait fallu s'en remettre à la police... 

La police donc où le double langage va continuer à régner en maître étant donné que tous ces messieurs d'un certain âge et parfois du meilleur monde qui, comme Wilde, fréquentaient le personnage assez répugnant qui découvrait des beaux jeunes gens méritants au fond des masures et leur organisait une vie meilleure à Londres, ne le faisaient que par souci d'équité sociale. Leurs réunions régulières en des lieux discrets n'avaient d'ailleurs qu'une vocation totalement artistique et culturelle. Comme on l'aura bien compris. Enquêter dans un milieu qui n'existe pas avec des personnages faussés ayant des motivations jamais évoquées, seul un personnage aussi à l'aise que Wilde dans cette eau-là pouvait y parvenir.

Et c'est ce qu'il fit.

Un bon moment de lecture dans un univers où tout est faux, autant dans le monde des personnages qui nient leur réalité, que dans celui du lecteur qui va s’imaginer un moment qu'Oscar Wilde a pu ressembler à cela. Mais Brandreth maîtrise tout cela si bien, qu'avec notre consentement, il nous y fait croire l'espace de quelques heures un peu compliquées certes, mais comment tout ne le serait-il pas dans ces conditions?

Le plus ambigu de la série. On commence fort.

 

    1. Oscar Wilde and the Candlelight Murders (2007) Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles

    2. Oscar Wilde and the Ring of Death (2008) Oscar Wilde et le jeu de la mort

    3. Oscar Wilde and the Dead Man's Smile (2009)  Oscar Wilde et le cadavre souriant

    4. Oscar Wilde and the Nest of Vipers (2010) Oscar Wilde et le nid de vipères

    5. Oscar Wilde and the Vatican Murders (2011) Oscar Wilde et les Crimes du Vatican 

    6. Oscar Wilde and the Murders at Reading Gaol (2012)  Oscar Wilde et le Mystère de Reading



978-2264046499



04 avril 2023

Le chien de Madame Halberstadt 

de Stéphane Carlier

*

Avant d'avoir lu la moindre ligne de lui, je me faisais de Stéphane Carlier l'image d'un auteur facile pour lecteurs à la recherche de divertissement et de détente sans aucun risque de perturber leur transit intellectuel; et puis il y a eu "Clara lit Proust" que j'ai vu passer sur la majorité de s blogs de lectrices avec un assez bon indice de satisfaction. J'ai donc fini par aller voir par moi-même et en effet, sans être lui-même un ouvrage littéraire, ce roman parlait agréablement de littérature et vous laissait avec le fort désir de dévorer ou redévorer La Recherche, ce qui était une grosse qualité. Je me suis alors dit que ce n'était pas bien de juger les gens que l'on n'a pas lu et que j'avais été injuste avec ce Monsieur Carlier. Prise d'un désir de me racheter, j'ai attrapé le premier autre livre de lui que j'ai trouvé, à savoir ce malheureux chien de Madame Halberstadt.

... !!! ... etc.

Consternation.

Un petit roman absolument sans intérêt qui raconte l'histoire d'un auteur sans inspiration (alter ego de l'auteur?) qui s'est imaginé on ne sait pourquoi qu'il devait écrire des livres et qui depuis se noie dans son impuissance pleurnicharde en espérant un miracle qui surviendra finalement en la personne d'un carlin magique. Je vous ai dit que ça ne volait pas haut. Ca va comme ça cahin-caha sur presque 200 pages quand même, sans beaucoup d'histoire, ni de style, d'enjeu, ni de profondeur psychologique et ça finit par une chute absolument détestable qui laisse le lecteur (déjà passablement éprouvé) sans voix, mais très réprobateur.

Bref, après sa petite promenade hygiénique, le chien de Madame Halberstadt m'a ramenée exactement là où j'étais avant d'avoir lu la moindre ligne de Stéphane Carlier. Finalement, on n'arrive pas si mal à savoir à qui l'on a affaire sans devoir en lire les œuvres complètes.

978-2370552303