21 février 2021

 La méprise 

de Vladimir Nabokov

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   Vladimir Nabokov avait 33 ans quand il a écrit la première version de « La méprise » qui avait alors un autre titre. Il était à Berlin et c’est là que ce roman fut publié pour la 1ère fois, tout d’abord en feuilleton (1934) puis en livre (1936). Plus tard, Nabokov le traduisit lui-même en anglais (titre Despair), puis en français (titre La Méprise). Vladimir avait des idées très précises et parfois originales sur la traduction d’œuvre littéraire et c’est ainsi que le titre se modifia d’une version à l’autre. D’autre part, lors des rééditions, l’auteur n’hésitait pas à apporter des modifications si bien que, comme il le dit lui-même, on peut, en comparant les trois éditions, trouver les différences, ajouts et retraits.

     Quoi qu’il en soit, l’ouvrage commence ainsi : « Si je n’étais pas parfaitement sûr de mon talent d’écrivain et de ma merveilleuse habileté à exprimer les idées avec une grâce et une vivacité suprême… »

   C’est assez donner le ton. L’histoire nous est racontée par un étrange personnage du nom de Hermann, incroyablement infatué de sa personne, partiellement fou, et profondément ridicule. On suit fasciné son incroyable récit, peinant parfois à croire qu’il ait vraiment pu avoir ce genre de raisonnement, mais y croyant quand même –grâce au considérable talent de Nabokov- hésitant tout au long entre le rire et la consternation. Je vous assure que Vladimir sait manipuler son lecteur et lui faire éprouver exactement ce qu’il veut quand il veut ; et quand on croit être assez malin pour deviner quelque chose par avance, c’est lui encore qui nous a glissé ce soupçon dans l’oreille. Mais je m’aperçois que je ne vous ai encore rien dit de l’histoire.

     Ce «merveilleux écrivain» se lance donc d’entrée de jeu dans le récit de ce qu’il a vécu et nous quittons bientôt la chambre où il écrit pour le suivre sur d’autres scènes et alors là…

     Par exemple, il commence par nous situer ses parents et son passé, et après à peine une page de cette mise en situation, il lâche négligemment « Une légère digression : dans ce passage concernant ma mère, j’ai menti de propos délibéré. »

     Le ton est donné. Quand il ne se trompe pas totalement, ainsi que le lecteur le devine ou le soupçonne (mais encore pas assez), Hermann mêlera tant mensonges et réalité que personne ne saura bientôt plus exactement ce qui se passe. Et pourtant il se passe quelque chose, et pas rien. Il y a mort d’homme. Quand je dis que personne ne saura, c’est que Hermann lui-même, l’homme aux 25 écritures (!), se perdra dans ce dédale qu’il a en grande partie créé, d’autant qu’il a assez souvent, dans sa vraie vie, une impression de flou et d’irréalité qui l’étonne lui-même et ne l’aide guère à distinguer les souvenirs réels des autres. Ce que le lecteur se demande donc aussi.

     Mais voilà que je ne vous dis toujours rien de l’histoire pourtant passionnante ! Alors disons : Hermann, homme d’affaire dont on ne sait plus s’il est riche ou pauvre, époux négligeant et méprisant d’une femme extraordinairement accommodante, fait aux premières pages de ce récit la rencontre fortuite d’un vagabond qui se trouve être son sosie. Il est absolument fasciné par cette incroyable ressemblance et cherche bientôt un moyen d’en tirer parti.

     Ce qui arriva ensuite, c’est ce qu’il vous raconte lui-même dans ces pages s’adressant directement à son lecteur, à vous qui l’écoutez envoûté… sauf que vers la moitié du livre, pratiquement par hasard, vous découvrez qu’en fait, ce n’est pas à vous qu’il parle mais à la personne à qui il va adresser ces pages. Et cette personne est… je vous laisse le découvrir.

     Hermann est un menteur, mais un menteur compulsif. Il ne peut pas se retenir. Il ment tout le temps, si bien que maintenant, il s’embrouille totalement, non qu’il y croie comme un mythomane, mais parce qu’il ne sait plus trop ce qu’il a dit à qui et quel rôle il doit jouer avec chacun. Son univers est ainsi devenu extrêmement instable et incertain. Mais il fonce quand même sans trop de crainte, certain ou à peu près, de toujours retomber sur ses pattes. Il faut vous dire qu’Hermann se croit très malin et manifeste une forte tendance à prendre les autres pour des imbéciles. Bientôt, dans ce labyrinthe, le lecteur, malin lui aussi, devine une issue imprévue, mais…

     L’écriture de Nabokov est ici encore, d’une maîtrise extraordinaire. Il est impossible de ne pas l’admirer. Au sujet de La Méprise, après avoir « démoli » les commentaires des critiques professionnels (qu’il détestait de façon épidermique) Nabokov conclut: « Les lecteurs ordinaires, en revanche, se réjouiront de sa structure simple et de son intrigue plaisante. »

   C’est vrai.

   Mais néanmoins, rien n’est plus faux.

978-2070384020

18 février 2021

 

L'anomalie

Hervé Le Tellier

***+

J'ai eu beaucoup, beaucoup, de mal à entrer dans ce roman qui m'a ensuite parfois intéressée mais jamais passionnée. Cela commence tout de même par une centaine de pages de courtes scènes nous présentant les divers personnages (stéréotypés : le tueur, l'écrivain, l'homme d'affaire, la femme au foyer etc.) J'avoue que j'ai connu plus habile et plus envoûtant comme introduction de personnages... Puis vient la scène clé : l'apparition de l'avion double. Normalement, je ne vous l'aurais pas dit ici puisque je ne dévoile jamais les secrets des romans, ni ne brise les progressions. Comme l'auteur met un tiers du livre à nous le faire découvrir, j’aurais respecté ce suspens, mais il s'avère qu'il va lui-même de télé en radio pour nous l'annoncer tout de go, donc, j'avais mal compris, cette annonce après cent pages n'est pas du suspens, c'est un hasard, et on aurait pu le dire tout de suite.

Une fois les doubles (qui n'en sont pas d'ailleurs, ni des jumeaux, car ce sont bel et bien la même personne, mais à des stades un peu différents) donc une fois les doubles apparus, nouvelle suite de séquences pour voir chacun, puis la réaction de l'autre, puis leur mise en présence. Comme on l'aura compris, les différents personnages stéréotypés n'étaient là depuis le début que pour illustrer plusieurs réactions possibles à cet événement éminemment déstabilisant. Jamais hélas, ils n'obtiendront une réelle épaisseur psychologique, un peu d'humanité.

Une théorie est même avancée pour expliquer le phénomène. Elle est granguignolesque mais là, ce n'est pas un reproche, j'aime les pseudo-explications scientifiques des romans de science-fiction. De tout temps ils en ont fourni et moi, je trouve que ça a un côté attendrissant. Mais autant celle de la logique non-aristotélicienne du Monde des Ā en avait fait cogiter plus d'un pendant un moment, autant je pense que ce ne sera pas le cas de celle-ci.

La fin n'est pas mauvaise. Arrivés à ce point-là, il fallait bien trouver quelque chose.

Ce n'est pas un mauvais roman de SF. Mais pour ce qui est de faire un Goncourt, je suis plus dubitative. Pour le côté littéraire, surtout. M. Le Tellier dit que ce roman a commencé par avoir plus de 6OO pages et qu'il a dû l'élaguer pour l'amener au format actuel (315 pages) et en entendant cela, je me suis dit que c'était peut-être à cela que l'on devait cette impression de « haché », ce manque de fluidité que j'ai ressenti. J'ai eu l'impression que cela ne devenait jamais vraiment une histoire, que cela restait une succession de séquences. Certaines de ces séquences sont par ailleurs parachutées et expédiées en quelques pages, sans souffle précurseur, sans montée émotionnelle et sans que le lecteur ait pu s'y introduire vraiment. Quel gâchis ! Par exemple la scène des deux starlettes du petit écran présentées au public dans le théâtre. (bien que j'avoue que cette scène a beaucoup gagné à être lue deux jours après l'invasion du Capitole. Là au moins, il y avait du saisissant et cela m'a aidée à visualiser de façon plus chaude).

Encore une fois pas convaincue par le Goncourt, mais il se vend comme des petits pains. Grand bien lui fasse.

978-2072895098

Ils l'ont lu aussi: Nuages et vent  Antigone   Je me livre   Keisha

16 février 2021

 Gros-câlin 

de Romain Gary

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   «Gros câlin» a été écrit par Romain Gary sous le pseudonyme d'Emile Ajar et c'est un très, très excellent livre. Je dois avouer que, d'une manière générale, je suis plus fan d'Ajar que de Gary. Vous me direz «C'est le même homme», je vous répondrai «Les convenances en moins». Et j'aime mieux Ajar.

     Ce «Gros câlin» est un véritable chef d’œuvre. Pour résumer : un certain monsieur Cousin, employé modèle (du moins, il fait de son mieux pour l'être) a rapporté d'Afrique un assez gros python dont il s'est épris. C'est lui qui nous conte cette histoire, dans son langage et avec ses mots, et pour tout dire, dans un style traduisant un surprenant mode de pensée. C'est une sorte de long monologue, un «serpent» verbal qui s'étire, se noue et qui nous fascine.

     Monsieur Cousin a de très hautes et très romantiques visées sur une certaine Mademoiselle Dreyfus, collègue de bureau, mais il a aussi une approche tout à fait pragmatique de la sexualité qui désarmera plus d'un lecteur. Il faut voir avec quel franc naturel l'individu totalement conventionnel et «coincé» qui nous conte ici son histoire, aborde les affaires de sexe, dès lors qu'il ne s'agit pas de questions d'amour.

     Il est exact que l'on peut dire que c'est un livre comique, mais l'adjectif «comique» est loin d'être suffisant. Car, s'il y a sans cesse des situations drôles, ce sont aussi et surtout, des situations extrêmement justes et vraisemblables, la vraisemblance étant juste poussée à sa limite extrême. On bascule dans l'excessif, le «trop vrai». Cela fait rire, bien sûr, mais donne aussi un peu à penser, non ? Surtout quand on sait que Romain Gary avait lui même adopté un python qu'il dut confier à un zoo privé.

     On ne peut qu'apprécier également avec quelle vérité et de quelle manière prenante, il parle des besoins affectifs des hommes.: « Je suis rentré chez moi, je me suis couché et j'ai regardé le plafond. J'avais tellement besoin d'une étreinte amicale que j'ai failli me pendre.» C'est autre chose qu'une simple histoire comique de serpent parisien.

   C'est ainsi que Monsieur Cousin, aux raisonnements toujours à la limite de la folie douce, assène aussi de grandes vérités sur la nature humaine. Il sait et dit des choses que l'on ne sait pas toujours et que l'on ne dit que rarement. Monsieur Cousin est un idiot et un sage. Ses bévues et lacunes nous font beaucoup rire. Sa sagesse parfois, nous atteint comme un fouet.

     Et nous subissons le charme prenant de cette façon qu'il a de s'exprimer, de nous rendre ainsi sensible par ses phrases étranges, tout le cheminement de sa pensée et la forme de son esprit ! :«Vous m'avez demandé pourquoi j'ai adopté un python et je vous le dis. J'ai pris cette décision amicale à mon égard au cours d'un voyage organisé en Afrique».

     A lire absolument.

978-207044562

14 février 2021


2084 - La fin du monde  

de Boualem Sansal

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Protégeons notre langue et notre liberté !

Certains disent que ce roman n'est pas facile à lire, et je pense que c'est vrai. C'est qu'il faut accepter dès le départ de se plier au style et à l'optique choisis par l'auteur. Il a pris le chemin du conte, pas celui du roman de SF comme le fit son prédécesseur. Et ensuite, il s'agit d'un conteur africain. La concision n'est pas leur maître. Ils se régalent de leurs propres mots, de leurs images, de leurs scènes, les développent en poésie, les tournent sous nos yeux pour en examiner les différentes faces... Le plaisir est dans les mots autant que dans le message et le fait que le message soit clair, net et moderne, ne doit pas nous le faire oublier.

Sur ce roman, le titre 2084 désigne l'année de la naissance du nouveau monde que nous allons découvrir dans les pages suivantes. Bien sûr, il établit également un lien avec le chef d’œuvre de Georges Orwell. Les clins d'œil se multiplieront d'ailleurs en cours de récit comme l’ineffable "bigaye", tandis que la trame est nettement calquée : Abi comme Big Brother a créé le dogme, les portraits omniprésents mais imprécis, la novlang etc. Je ne vais pas tout énumérer mais il faut avoir une mémoire encore assez bonne de l’œuvre d'Orwell pour bien goûter toutes les finesses de Sansal. Si ce n'est pas votre cas, cela ne vous empêchera pas de prendre plaisir à ce nouveau roman, mais il en sera moins riche, dommage. Allez hop ! On relit George. Ça ne peut pas faire de mal. Et comme il faudrait des pages pour tout dire de ce roman, je ne vais examiner qu'une face : Orwell avait écrit 1984 pour alerter sur les dérives totalitaires staliniennes que ses frottement avec le parti communiste, notamment en Espagne, lui avaient permis de bien voir. Sansal écrit "2084" pour alerter sur les dérives totalitaires religieuses que ses frottements avec le pouvoir algérien lui ont permis de bien voir. C'est la religion qu'il dénonce, surtout quand elle s'impose au plus intime des vies de chacun, puis de tous, quand elle s'impose du plus intime au plus général, modifiant les lois et même la langue, comme chez Orwell. Aussi vous ai-je réuni un petit florilège: 

"On le formerait dès la prime enfance et, avant que la puberté pointe à l'horizon et révèle crûment les vraies vérités de la condition humaine, il serait devenu un parfait croyant, incapable d'imaginer qu'il put exister une autre façon d'être dans la vie."


"Et comment aller contre son éducation de croyant soumis, pas un fidèle ne savait le faire."

"… l'abilang n'était pas une langue de communication comme les autres puisque les mots qui connectaient les gens passaient par le module de la religion, qui les vidait de leur sens intrinsèque et les chargeait d'un sens infiniment bouleversant, la parole de Yolah..." (on pense à l'arabe)

(l'abilang) "Elle ne parlait pas à l'esprit, elle le désintégrait, et de ce qu'il restait (un précipité visqueux) elle faisait de bons croyants amorphes ou d'absurdes homoncules."


"C'est son regard qui attira celui d'Ati, c'était le regard d'un homme qui, comme lui, avait fait la perturbante découverte que la religion peut se bâtir sur le contraire de la vérité et devenir de ce fait la gardienne acharnée du mensonge originel."


"Ceux qui ont tué la liberté ne savaient pas ce qu'est la liberté, en vérité ils sont moins libres que les gens qu'ils bâillonnent et font disparaître..."


"L'ignorance domine le monde. Elle est arrivée au stade où elle sait, tout, peut tout, veut tout."

En bref : 

"La religion, c'est vraiment le remède qui tue."


978-2072713989

11 février 2021

Ferdinaud Céline


de Pierre Siniac


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Pierre Siniac est né à Paris en 1928 . Il n'a pas fait de longues études mais a, au contraire, quitté l'école à 14 ans pour l'apprentissage qu'il quitte également pour parcourir la France en se louant dans les fermes pour gagner de quoi vivre.

Après la guerre, il rejoint les villes et multiplie les petits boulots et pourtant, depuis qu'il est enfant, il se sent l'âme d'un écrivain et, de plus en plus, il écrit.
Son premier roman "Illégitime défense", paraît en 1958. C'est un roman policier et ce seront tous des romans policiers. Ils seront nombreux.
Il reçut en 1981 le Grand Prix de Littérature Policière pour "Un assassin ça va ça vient".
Il est mort seul en 2002. Il n'avait pas fait fortune.

Un drôle de titre pour un drôle de livre.

Le titre, vous l'avez peut-être mal lu, ce n'est pas Ferdinand Céline, mais Ferdinaud Céline. Si vous aviez mal lu, vous êtes très bien parti, car comment mieux entamer que par une erreur littéraire ce livre qui ne parle que de cela ?

Ce roman est un des derniers de la bonne quarantaine (un peu plus, je crois) de romans et recueils publiés par Siniac. C'est un livre qui est à la fois un excellent roman policier et un ouvrage intéressant sur la création littéraire.

En ce qui concerne la face littérature, tout y est évoqué : le point de vue de l'écrivain, les affres et le besoin de la création, le "don" d'écriture (avec cette possibilité qu'il soit détenu par quelqu'un pêchant fortement par ailleurs sur le plan humain... le titre a de multiples raisons d'être-), l'édition (ses grandeurs et ses vicissitudes), la critique littéraire (son rôle et ses facilités)... Tout y est évoqué par un Siniac dont c'est le monde depuis des décennies et qui sait donc de quoi il parle. C'est d'ailleurs également un roman à clé et on peut beaucoup s'amuser à deviner les hommes politiques, écrivains, critiques, journaux et maisons d'édition cachés sous les prête-noms plus ou moins transparents.

Cependant, nous avons ici affaire à un polar.

En ce qui concerne la face "énigme meurtrière", elle est très bien montée et je pense que malgré beaucoup de réflexion, nombreux sont ceux qui, comme moi, ne comprendront le fin mot de l'histoire que lorsqu'il leur sera révélé. Les crimes sont assez terribles, surtout le premier (qui survient d'ailleurs assez tard dans le récit) et, j'ai eu beau tourner plus ou moins autour de la solution, je dois avouer que je n'avais pas tout compris.

Pour ceux que le style intéresse aussi, ce roman mérite encore d'être lu. L'écriture est toujours de qualité. Siniac s'est en effet amusé à jongler avec une grande variété d'outils, sans jamais désarçonner le lecteur, mais en lui permettant, comme par différentes caméras, différents angles de vue : changements de narrateurs, mais aussi de temps et de mode de narration. Vous verrez, c'est assez curieux de voir, vers la fin, un des personnages prendre soudain la parole pour un court passage à sa façon.

Un long roman noir et beau à l'intrigue prenante, où l'on ne craint pas de causer avec passion, meurtres et littérature.

Extrait :

«- Et Flaubert alors? J'insiste.

Elle s'est collé une Malboro aux lèvres.

- Merde, Flaubert. Paul Léautaud a comparé les bouquins de Flaubuche à des travaux d'ébénisterie. C'est net, impeccable, ça brille partout... Résultat : l'ennui.

- Léautaud est un con.

- Le spontané ! Le premier jet! Même si c'est un peu baveux? un peu gros, gros et maladroit... tant pis... C'est comme l'andouillette. Herriot l'a dit. Pour qu'elle soit bonne, il faut un peu de merde.

    • Herriot est le roi des cons.»



978-2743608828

09 février 2021

Les abeilles de Monsieur Holmes

de Mitch Cullin


Je suis, et ce depuis des lustres, une «holmesophile». J’ai donc lu non seulement les œuvres de Conan Doyle, mais toutes les variations sur le thème «Sherlock Holmes» que j’ai pu trouver. J'ai même regardé les films, moi qui ne suis pas cinéphile. C’est donc de bon appétit que je me suis lancée à la dégustation de celui-ci.

Et je n’ai pas été déçue. Sherlock a 93 ans, mais j’ai vieilli moi aussi et il est exactement comme je l’aurais fait vieillir moi-même ! Je suis comblée.

Encore une fois avec Sherlock, nous dépassons les rivages de l’énigme pour aborder à ceux de la nature humaine. Ce roman, n’est pas un roman policier. Bien au contraire pourrait-on même dire car il tend à démontrer par trois fois que l’on ne peut pas tout comprendre, deviner, expliquer.

Les trois fois, ce sont les trois récits qui se mêlent ici : une ancienne enquête de Sherlock, restée non racontée, celle qui l’a le plus marqué et dont il entreprend lui-même le récit, un voyage qu’il fait au Japon après Hiroshima, hôte d’un Japonais qui attend de lui l’explication de la disparition de son père bien des années plus tôt et, contemporaine de ce voyage au Japon, sa vie quotidienne dans le Sussex, retiré de tout et de tous, ne s’intéressant plus qu’à ses ruches, aux abeilles et à leur merveilleuse gelée royale qui prolonge la vie.

C’est là qu’il vieillit lentement mais sûrement. Sa mémoire est devenue fort mauvaise, surtout sa mémoire immédiate et le fait vivre dans une sorte de flou incertain et poétique. Watson est mort depuis longtemps, comme Mycroft et tous ceux qu’il connaissait. Et lui qui n’avait jamais été familier de personne se retrouve vraiment seul, face à son vieillissement et à sa vision du monde, les vérités premières, les erreurs humaines et la si difficile communion avec la nature.

Toujours aussi peu expansif, Holmes est pris pour insensible par de bien moins sensibles que lui. Moins sensibles mais mieux capables d’exprimer leurs sentiments dans des formes comprises par tous. Holmes est vraiment un solitaire inadapté social et, assis entre ses quatre galets, il tente d’accepter simplement et sans fausses consolations que la vie soit cette chose injustifiée que nous connaissons.

Comme les autres pierres qu’il avait foulées, ces quatre galets recelaient tous les composants constitutifs de l’humanité dans son immémoriale marche en avant, toutes les créatures possibles, toutes les choses imaginables ; ils portaient en eux d’imperceptibles traces de Watson comme de Mrs Hudson, indubitablement- et donc de lui-même.

Alors il leur attribua un emplacement précis, puis alla, ce jour-là, s’asseoir en tailleur dans l’espace ainsi délimité et vida son esprit de ce qui le troublait –la disparition définitive de deux êtres auxquels il tenait beaucoup. En même temps, éprouver cruellement l’absence d’un être, c’est aussi, d’une certaine manière, éprouver sa présence. Il inspira profondément l’air automnal du rucher et exhala avec lui ses remords (sérénité dans la pensée, sérénité de la psyché, tel était son tacite mantra – celui que lui avaient enseigné les lamas du Tibet) ; il sentit naître en lui un sentiment de clôture (…)”

Une profonde réflexion philosophique sur la vie, la mort, le vieillissement et le deuil se dissimule habilement dans cet ouvrage remarquable exempt de toute lourdeur.

Un livre si doux, triste et émouvant, d’une immense sensibilité et d'une extrême finesse.


978-2350210971

07 février 2021

Un autre monde

Barbara Kingsolver

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Titre original :The Lacuna, 2009

Orange Prize for Fiction 2010.

Encore des heures excellentes passées avec ce roman de Barbara Kingsolver. Encore un thème différent, elle ne se répète jamais. Changeant de lieu, d'époque, de problématique et de types de personnages. B. Kingsolver, c'est l'écrivain de toutes les causes justes. Le contexte historique est ici particulièrement riche et, inutile de la préciser avec cette auteure, particulièrement bien documenté et maîtrisé.

Nous suivons Harrison Shepherd de ses douze ans à sa mort. Le fil rouge du récit est sa secrétaire Violet Brown, qui dispose des journaux intimes que Sheperd a tenus tout au long de sa vie. Il avait commencé jeune, quand à douze ans, sa mère avait quitté son mari pour partir s'installer au Mexique auprès d'un amant plus riche. C'était un enfant solitaire, petit américain soudainement balancé dans une île mexicaine, et solitaire, il le restera toujours. Nous découvrons derrière ce gamin le Mexique du début du XXème siècle. Non scolarisé mais dévoreur de livres, il est envoyé en pension à Washington pour parfaire son éducation. Ses études s'y interrompront brutalement sans que la cause soit jamais clairement donnée mais le lecteur soupçonne un scandale homosexuel. Il aura pourtant eu le temps de découvrir l'oppression et les limites de ce que l'on peut espérer de la démocratie en assistant aux révoltes de la « Bonus Army » en 1932 et à son écrasement par l'armée.

De retour auprès de sa mère au Mexique, Harrison trouve une situation bien dégradée car le nouvel amant de celle-ci est moins riche qu'espéré et solidement marié. Il traîne dans les rues à la recherche de petits boulot et est fasciné un jour par une femme autoritaire qui s'avérera être Frida Kahlo et avec laquelle il nouera ensuite des relations d'amitiés qui surmonteront le passage du temps. Il rencontre aussi Diego Rivera pour lequel il deviendra préparateur de plâtre pour ses fresques.

Chez Rivera, il rencontrera Trotski nouvellement réfugié, pour lequel il travaillera également. Après la mort de ce dernier il retournera aux Etats Unis où il deviendra écrivain à succès, jusqu'à ce que s'instaure la sinistre ère du Maccarthysme, au climat oppressant particulièrement bien rendu, nouveau tremplin passionnant du récit.

Pour accompagner cette histoire passionnante, le style est beau et la profondeur psychologique des personnages réelle (le pudique et phobique Sheperd, la non moins pudique mais plus déterminée Violet...). Encore un vraiment excellent roman que je découvre sous la plume de cette écrivaine.

"Un roman! Pourquoi dis-tu que ça ne va libérer personne? Vers quoi un homme se dirige-t-il pour être libre, qu'il soit pauvre ou riche ou même en prison? Vers Dostoïevski! Vers Gogol!"


978-2743638665

04 février 2021

 Classé sans suite 

de Claudio Magris

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Sans plus aucune illusion

   Un livre magnifique, mais un livre un peu difficile, en raison peut-être de son style soutenu, mais surtout de la masse énorme de renseignements, de références, de citations etc. qui réclament du lecteur une attention toujours vive et soutenue et ne lui laisse aucune période de moindre effort. J'avoue que je m'y suis fatiguée, et pourtant, quelle œuvre ! J'admire, tout autant.

      Ce roman s'inspire librement de la vie d'un original qui a consacré son existence à créer à Trieste (ville dont Claudio Magris est lui-même originaire), un musée de la guerre, des premiers âges à l'époque la plus récente, exposant une quantité jamais suffisante d'armes en tous genres, avec une prédilection toutefois pour les conflits germaniques de l'époque moderne, au cœur desquels la région s'est trouvée. L'idée de ce fondateur obnubilé, était que l'exposition de tous ces vecteurs de morts, ne pouvaient que susciter un dégoût et un puissant désir de paix.

      La structure du musée est la structure du roman. Nous y pénétrons, et la première salle est le premier chapitre, la deuxième, le chapitre suivant, et ainsi de suite, jusqu'à la dernière salle. Le contenu de chaque salle amène l'évocation de faits, des récits de toute époque, ayant trait à la destruction de l'homme par l'homme. Et notre guide en cette visite, est la responsable du musée dont la vie, bien qu'elle soit plus jeune, a été entièrement modelée par la dernière guerre. A proximité, se trouvait un camp de concentration et d'extermination. Au fil des salles et des souvenirs, nous découvrons aussi l'histoire de sa famille, si tragiquement mêlée aux massacres triestins.

      Ce que Magris dénonce, c'est que les bourreaux d'hier, auteurs des actes les plus odieux, ont été bien accueillis après guerre dans la bonne société qui, au regard de leur réseau d’affaire, de leur fortune, pour les industriels, ou de leurs connaissances, pour les savants, ne s'est guère souciée de rendre la moindre justice. On les a bien vite réintégrés aux meilleures places ; mieux, on les a aidés à cacher leur crimes déjà oubliés (excusés?). En Amérique latine pour les plus voyants, en Europe même pour les autres. Effort nécessaire pour la remise en route ? Vraiment ? Allons donc, pas à ce point là. Nul n'est irremplaçable, on le sait bien. C'était surtout qu'en y regardant de près, personne n'était blanc-bleu à partir d'un certain niveau social, et comme ce sont toujours les mêmes qui sont en place...

978-2072824623 

02 février 2021

 La Daronne 

de Hannelore Cayre

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Pas froid aux yeux !

   Ah, pour moi, elle l'a bien mérité, son Prix du Polar européen ! C'est qu’elle est excellente, cette Daronne. Solitaire comme seuls savent l'être les vrais héros, décidée, intelligente, prudente et courageuse... et pas faignante à l'ouvrage, avec ça. Elle m'a beaucoup plu.

     Et le cadre : loin des grands guignols invraisemblables où tout le monde tue tout le monde sans sourciller ou se venge dans la plus classique tradition western transposée 21ème siècle, on reste dans les limites de la (presque) totale vraisemblance. Ça a un petit air de quotidien moyen. On imagine très bien des quartiers où l'on verrait ces gens-là.

     Loin des classiques problèmes éthyliques du héros dépressif que sa femme a quitté et que sa fille inquiète, on a là une femme d'âge mûr qui n'a pas de problème particulier avec ses enfants grandis-partis-et-lointains, mais qui doit commencer à s'occuper de sa propre mère pour qui un EPHAD est devenu nécessaire, et qui sent dans sa chair la douleur du prix que cela coûte ! Pour un résultat qui n'en sera pas moins lamentable. La fin de vie, c'est un naufrage, pire que le radeau de la Méduse. Et encore, le personnel de l'établissement est au dessus de tout reproche. C'est loin d'être toujours le cas. Bref, si elle continue comme cela, elle va y laisser sa santé. Il lui faut absolument de l'argent, beaucoup, et elle n'en a pas. Et soudain, une opportunité incroyable se présente. C'est très risqué, mais elle n'a pas grand chose à perdre, elle va dans le mur. Faut du culot, du cran, mais en fait, elle en a toujours eu, on n'élève pas seule deux gosses, comme cela. Faut des connaissances, elle les a et même plus que son entourage ne le soupçonne, grâce à une parentèle très spéciale. La vieille expérience familiale remonte... et on y va.

     C'est un roman noir. On se demande jusqu'au bout comment tout cela va finir et si elle se tirera de ce champ de mines. Police, dealers, tout le monde la traque et la frôle sans se douter. Un excellent roman noir. Intelligent en plus, avec cette peinture de ce qui nous attend tous et qu'on ne regarde jamais en face. Et, ce que j'ai beaucoup apprécié, c'est qu'il nous fait réfléchir sur notre destinée, bien plus que les états d'âmes des héros dépressifs précédemment évoqués.

Me suis régalée. 

979-1022606073

31 janvier 2021

 L'arme domestique 

de Nadine Gordimer

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Ce roman de Nadine Gordimer, paru en 1998, se concentre sur un fait, le noyau central, qui est un meurtre, et irradie tout autour : préliminaires, circonstances, les personnages, leur psychologie et leur passé, et également leur famille, environnement social et historique, déroulement et conséquences, sans rien négliger et ce qui m'a le plus frappée, c'est de voir avec quelle maitrise, l'auteur parvient à organiser et nous présenter tout cela, sans laisser quoi que ce soit dans l'ombre. On est dans le grand art, un travail admirable pour un livre douloureux et très intelligent.
  
   Les faits : Duncan Lindgard, a tiré un coup de révolver sur Carl Jespersen, un ami. Un autre ami l'a vu quitter les lieux en jetant l'arme du crime dans une plate bande, et s'enfermer chez lui.
  
   Le roman commence quand un de ces amis - il s'agit d'un petit groupe vivant ensemble dans cette villa - vient apprendre la nouvelle aux parents de Duncan, Harald et Claudia. Ils s'agit d'un couple aisé de gens cultivés qui viennent de s'installer dans une résidence sécurisée, un couple qui s'aime et n'a eu aucun problème avec son fils et que la nouvelle frappe comme un coup de tonnerre. Il leur semble absolument impossible que leur fils ait pu tuer. Ils traverseront successivement, stupeur, incrédulité, frayeur pour lui, remise en cause, perturbation de leur environnement social et tout ce qui peut devenir le lot de parents de criminels. C'est le premier point fort. Le début du livre est axé sur Harald et Claudia et N. Gordimer sait parfaitement nous les faire comprendre, et on se voit avec eux, parent d'un assassin. Duncan de son côté ne dit rien, n'explique rien, et nous aurons besoin de l'intervention d'un autre personnage vraiment marquant pour en savoir plus sur ce qui s'est passé.
  
   Ce nouveau personnage, c'est Motsamaï Hamilton, avocat, le meilleur, leur dit-on, et pas n'importe qui. Noir issu des ghettos, il a réussi à mener ses études puis à faire une belle carrière en Angleterre, jusqu'à la fin de l’apartheid. Puis il est revenu, précédé par sa brillante réputation, et il s'est fait une place de choix ici aussi. A lui, Duncan parlera et racontera. Lui, saura expliquer les choses aux parents, puis aux juges. Sur ses épaules pèsera le poids de tout l'avenir de Duncan et de sa famille. Il a tué et à cette époque, la peine de mort existait toujours en Afrique du Sud.
  
   Parce qu'il est noir, brillant, efficace, admiré et riche, Motsamaï Hamilton offre une image de ce que l'égalité raciale peut apporter. Les parents, bien qu'intellectuellement avancés et conscients de la sordide injustice de la ségrégation, n'ont jamais participé de quelque façon à la lutte contre l’apartheid. Par conformisme, par souci de leur confort... mais ne sont pas du tout racistes et fréquentent ou voient leur fils fréquenter des noirs, sans problème. En ce sens, ils sont bien M. et Mme Toutlemonde. L'auteur sait nous montrer cette nouvelle société qui s'est créée et s'installe de plus en plus solidement. Il n'y a pas que les noirs qui ont enfin gagné le droit à l'égalité, il y a aussi les homosexuels, et d'eux aussi, il faudra parler, car, vous l'aurez sans doute compris, la petite communauté, ou "famille" qui partageait cette villa, était homosexuelle. N. Gordimer sait réaffirmer leurs droits en les présentant comme une évidence.
  
   Cependant, cette société encore en mouvement, est loin d'être calme et exempte de sursauts de violences, de dangers. La criminalité est énorme. C'est pourquoi, chose étrange pour nous Français, dans beaucoup de maisons, se trouve au moins une arme, que tout le monde sait manier et dont chacun envisage de se servir en cas d'attaque par des voyous trop violents, c'est "l'arme domestique".
   Comme partout, elle tue d'abord ses propriétaires.


978-2264029133

28 janvier 2021

  Bill the Kid 

Ma fabuleuse enfance dans l'Amérique des années 1950

de Bill Bryson

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 Titre original : The Life and Times of the Thunderbolt Kid
  
   Bill Bryson, c'est un journaliste et écrivain américano-britannique qui s'est spécialisé dans les récits dans lesquels il traite nombre de sujets variés, avec, toujours, une vision un peu humoristique (le côté anglais, sans doute). Une sorte d'auteur de vulgarisation bien plaisant à lire. S'il vit son âge adulte a Royaume uni, c'est bien aux USA qu'il est né et a passé son enfance, à Des Moines, plus précisément, et c'est lui le Bill du titre. Il veut nous donner à voir une Amérique en plein âge d'or (qu'elle n'a plus connu depuis), celle des années 50. Il est né en 1951, c'est donc son enfance qu'il nous conte, nous donnant à voir à travers elle, l'Amérique qui l'entoure, en particulier celle de la paisible ville de Des Moines.
  
   Il nous montre la naissance dans l'enthousiasme général de la société de consommation. C'était un monde où les découvertes les plus modernes débarquaient tous les jours dans tous les foyers et amélioraient les vies, ou au moins donnaient l'impression de le faire : lave-linge, lave-vaisselle, télévision, automobile pour tous etc. Le monde devenait de plus en plus formidable et l'avenir souriait à tous, porteur de promesses d'amélioration du sort de chacun. "Les gens attendaient l'avenir avec une impatience qu'on n'était pas près de revoir de sitôt." On y allait gaiement avec toutes sortes d'inventions, l'ère des gadgets naissait, dont certains, joyeusement radioactifs, devaient tout de même hypothéquer gravement l'avenir de leurs utilisateurs. C'était l'époque où l'on faisait les essais nucléaires en s'estimant largement protégé par quelques kilomètres (voire centaines de mètres) de distance (et peut-être, un petit mur) et on aimait aussi beaucoup cette amusante particularité qu'avaient les objets irradiés de briller dans le noir, leur phosphorescence... "Il y avait une sorte d'innocence touchante dans l'air du temps."
  
   Les USA eux aussi sortaient juste de la guerre, mais la grosse différence, c'est qu'elle n'avait pas eu lieu sur leur sol, les civils n'avaient pas été tués, et leur bilan était loin des villes rasées et de l'économie détruite de l'Europe.
   "Au sortir de la guerre, les Etats Unis possédaient 26 milliards de dollars sous la forme d’usines qui n'existaient pas avant le conflit, 140 milliards sous la forme d'épargne et de titres d'emprunts de guerre qui n'attendaient que d'être dépensés, sans aucun dégât sur leur territoire, ni pratiquement aucune concurrence à l'échelle mondiale. Tout ce que les entreprises américaines avaient à faire, c'était d’arrêter de produire des tanks et des cuirassés pour produire à la place des Buick et des frigidaires, ce qu'elles firent massivement."
  
   Comme vous le voyez déjà un peu, Bryson aime les chiffres, et il les connait. Il donne toujours beaucoup de renseignements chiffrés à l'appui de ce qu'il dit. C'est son côté vulgarisateur scientifique, et j'ai apprécié de voir que ce n'était pas juste la vision optimiste d'un jeune enfant sur le monde qui l'entoure, mais que c'était bel et bien la situation objective, au moins pour les Blancs intégrés. On voit que derrière le ton très humoristique, les anecdotes d'enfance du Bill qui était très dégourdi (l'âge qu'il annonce pour les diverses péripéties me paraît toujours un peu trop jeune), se cache une vraie étude très documentée et approfondie. Evidemment, ce fut également l'époque du maccarthysme, mais il fut sans doute bien moins sensible dans les milieux populaires qu'intellectuels, même si Bryson souligne plusieurs fois qu'il était absolument impossible de faire quoi que ce soit qui put avoir l'air "communiste", quoi qu'on puisse penser...
  
   Comme la vie, l'ambiance, étaient totalement différentes en France à la même époque, ce livre est d'autant plus utile car il nous aide à mieux comprendre nos "alliés" lointains. Comme de plus, sa lecture est agréable, je le conseille sans hésiter, d'autant qu'on sourit tout le temps... Exemples :
   "A l'exception de son corps médical, l'Iowa avait peu à offrir en termes de périls naturels."
  
   "A cette époque, une "chaise longue", désignait exclusivement une sorte de méridienne ajustable qui connut alors une vogue éphémère. Elle possédait un coussin matelassé qu'il fallait rentrer tous les soirs si vous pensiez que quelqu'un risquait de vous le voler. Le nôtre avait un dessin représentant une diligence et quatre chevaux au galop. Il n'avait pas besoin d'être rentré la nuit."


978-2228905619

26 janvier 2021

La seule histoire 

de Julian Barnes

****+


Titre original : The Only Story
  
   Paul 19 ans, un rien hâbleur comme sont les jeunes gens de cet âge, nous est raconté par Paul, bientôt 70 ans, qui fait le bilan de sa vie. Et la vie de Paul, ce fut d'abord cette puissante histoire d'amour qui s'empara de lui, jeune étudiant, en vacances chez ses parents. Alors que pour se distraire un peu, il s'est mis à fréquenter le club de tennis local, il y rencontre Suzanne, tout de même 29 ans de plus que lui, et tout de suite, ils sympathisent sur un pied d'égalité. A aucun moment il ne voit en elle une égale de sa mère, mais bien une égale de lui-même. C'est le premier miracle de l'amour. De même, aucun des deux ne semble tenir beaucoup compte de son mari riche, grincheux, brutal. Il existe, on en a pris note, mais cela ne change rien. Ce qui frappe dans cet amour, c'est la façon indiscutée dont il s'installe et s'impose. C'est une très belle histoire d'amour, racontée à la première personne. On la lit avec bienveillance et tendresse... mais il n'en est pas de même pour le village, on s'en doute, et au foyer, la situation devient intenable avec le mari. Paul a son diplôme et les deux amants décident de partir vivre ensemble à Londres.
  
   Là, on s'en doute, la vie est un peu différente, mais toujours belle. Paul démarre sa vie professionnelle, Suzanne ne travaille pas, et semble avoir un peu de mal à tourner la page, à dire adieu à son ancienne vie et, pour tout dire, à trouver un équilibre dans la nouvelle. Et soudain, la première personne de narration est remplacée par le "vous" qui interpelle et même, dans mon cas du moins, heurte un peu. J. Barnes sait ce qu'il fait. Ce "vous" accompagnera la découverte des dysfonctionnements de plus en plus marqués de la vie de Suzanne et de leur amour. L'alcoolisme, sans doute préexistant mais jusqu'alors invisible, dissimulé par celui plus spectaculaire de son mari, réapparait et même s'installe et empire. Paul le découvre avec stupéfaction et tente tout pour le vaincre et tirer Suzanne de cet engrenage. Mais la Suzanne qu'il aime s'efface peu à peu derrière celle qui lui préfère l'alcool. La vie de Paul est "bouffée" par ce drame, il bloque sa vie sociale et sa carrière, quant à sa vie amoureuse... Ils vont passer ensemble dix ans. Mais peu à peu, Paul s'incline devant un ennemi plus fort et se détache, se détourne vers le reste de sa vie. Le "vous" des situations de crise se retire, laissant place à une narration plus calme, et bientôt apaisée, à la troisième personne car ce n'est plus entièrement lui, c'est un "lui" un peu réduit par cette expérience douloureuse. La vie sera encore belle, mais finies, les grandes histoires d'amour. Il sera devenu un vrai solitaire.
  
   J. Barnes excelle, avec son intelligence et sa sensibilité, à dépeindre les évolutions sentimentales et psychologiques. Tout est juste et finement observé dans cette histoire d'une vie. On la suit avec un intérêt qui ne faiblit jamais et avec le sentiment qu'il nous place au plus près du cœur de cette histoire. Une seule chose m'a vraiment étonnée, c'est la totale indifférence de Paul pour ses parents auxquels il ne semble pourtant pas avoir grand chose à reprocher (à part d''être conventionnels quand lui ne l'est pas, mais quel jeune n'a pas pensé de même?). Aucune empathie, aucun souci d'eux. Comme s'ils n'existaient pas, et ce, dès le départ. Etonnant.
  
   Mais un excellent J. Barnes, qui ne faiblit pas et nous livre là au contraire, un de ses tout bons.



978-2715247079