12 décembre 2020

Apocalypse bébé 

de Virginie Despentes

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Prix Renaudot 2010

Les jeunes filles de bonne famille ne sont plus ce qu'elles étaient mais le monde alentour non plus, il faut bien le dire. Non pas les familles qui, on le sait, ont toujours été un sacré nid de névroses et de secrets répugnants, rien de neuf là-dedans, mais l'environnement social qui, en particulier avec l'aide de l'alcool et de la drogue pour tous, prend un bel envol vers le cauchemar XXL.
  
   Nous voilà donc à suivre Lucie, la trentaine solitaire assez quelconque, employée pas hyper motivée d'une agence de détectives traitant en particulier des adultères et des ados difficiles. Et depuis une bonne quinzaine de jours, Lucie suit avec un peu d'ennui les multiples errements et dérapages d'une très jeune Valentine, riche et pas mal débridée avec toutes les amertumes que cela suppose. Mais voilà qu'un beau jour, Lucie a perdu de vue Valentine qui justement n'a plus réapparu depuis. Fugue ou enlèvement? Le papa (dont le beau rôle d'écrivain actuel est si réussi qu'on pourrait y reconnaître plusieurs de nos auteurs, ce n'est donc plus un roman à clé) très préoccupé par sa célébrité et ses amours (tous deux incertains) se fait un peu de souci mais il ne peut s'en occuper lui même. On le comprend bien. La mère a disparu à la naissance de Valentine. La grand-mère elle, veut la récupérer absolument. Il faut dire que dans la famille, tout le monde adore cette difficile petite Valentine; et puis, c'est elle qui a l'argent, et il y en a beaucoup.
  
   Ne voyant pas du tout comment elle pourrait retrouver la gamine, Lucie décide d'employer un électron libre assez sulfureux mais bien introduit, partenaire redoutable et lesbienne affirmée connue sous l'élégant pseudo de La Hyène. Seulement d'entrée de jeu, l'"employée" prend la main, c'est elle qui mènera la danse de Paris à Barcelone en passant par les cités, et à un sacré rythme!
  
   Et la religion dans tout ça? Me direz-vous sûrement (si,si)
   "Sur le plan spirituel, Valentine était moins éveillée qu'une courge. Mais elle était attachée, émotionnellement, à des souvenirs de prières en famille."
   Alors, au terme de cette grande virée, Valentine va-t-elle finalement rencontrer Dieu??? En tout cas le clergé, oui.
   "Autour d'elle, les sœurs arborent toutes le même sourire patient. Le niveau de sincérité caché derrière la grimace varie, d'un individu à l'autre. Il n'y a pas que des crevures dans le cercle. Il y en a aussi à qui il manque une case, purement et simplement. L'hygiène de vie austère à laquelle elles se soumettent n'interdit pas l'éveil ardent d'une foi supérieure, mais encourage le plus souvent l'idiotie la plus aride."
   Et même une diabolique bonne sœur! N'en doutez pas, les termes vont bien ensemble.
  
   Ce qui participe à l'intérêt de ce roman, en dehors du rythme extrêmement vif, ce sont les multiples milieux traversés et toujours observés d'un œil acéré ainsi que les jugements, remarques et considérations parfois audacieux qui séduisent le plus souvent. Virginie Despentes nous rappelle au passage ce que sont l'homophobie, les hommes qui frappent, le racisme mais aussi les musulmans mâles, l'argent, la drogue, le sexe etc. Elle n'hésite jamais à consacrer deux pages à bien dépeindre une situation telle qu'elle la voit et c'est cette vision que pour ma part j'aime beaucoup. Ce qui me fait passer sur quelques petites fautes, que je regrette malgré tout.
  
   Et n'oubliez pas! "On croit mourir pour ses idées et on tue pour un baril de pétrole."
    
   Courts extraits:
  
   (Politique) - "- Qu'ils ne soient pas affiliés à un groupe précis ne les empêche pas d'être politiques, si?
   - Si t'as pas d'interface avec le politique, que ton groupe est pas très connu et que tu restes entre potes dans une cave... C'est plus comme si t'étais poète, en un sens. La poésie, on ne peut pas en vouloir aux gens d'avoir envie d'en faire, si?"
  
  
   - "Carlito disait toujours que les enfants ne se mettent pas à se droguer parce que c'est bon, parce qu'ils s'ennuient ou parce qu'ils ont besoin d'oublier leur souci, ni parce que le boum hormonal les bouleverserait, ils se défoncent pour écraser l'intelligence."
  
  
   (concert) - "Maintenant, les gamins, ils viennent, tout ce qui les intéresse, c'est de boire. Le groupe... le groupe, ils le voient pas, ils sont trop déchirés quand le concert commence, ils ne rentrent même pas dans la salle. Ils ont pris leur billet, c'est pas une question d'argent. Ils s'en foutent. Ils se déchirent la tête, ils vomissent et ils pissent..."
  
  
   - "Les enfants sont les vecteurs autorisés de la sociopathie des parents. Les adultes geignent en faisant mine d'être dépassés par la vitalité destroy des petits, mais on voit bien qu'ils jouissent d'enfin pouvoir emmerder le monde, en toute impunité, au travers de leur progéniture. Quelle haine du monde a bien pu les pousser à se dupliquer autant?"


978-2253159711

10 décembre 2020

 King kong théorie 

de Virginie Despentes

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Il y a quelques années,  une interview de Virginies Despentes dans l’excellente émission de France 5 « Le bateau-livre », m’avait étonnée et amenée à lire « King-kong théorie » dont elle avait su parler avec beaucoup d’intelligence et de façon convaincante.
   
   Ca commence très fort et je me régale, tout en me disant que ce n’est pas possible que cela continue comme ça. Et effectivement, ce n’est pas possible. Aux analyses d’ensemble qui m’avaient emballée succèdent des thèmes spécifiques approfondis plus précisément : le viol, la prostitution, la pornographie
   C’est très intéressant aussi, libre et intelligent mais évidemment, une étude plus approfondie ne permet pas le punch des pages de mise en route. On ne saurait le reprocher.
   
   Je n’avais plus lu de bouquin féministe depuis un bon moment et cela fait tout de même du bien de s’y replonger de temps en temps. Pour ma part, cela m’a donné l’occasion de réfléchir et faire le point sur ce qui avait changé au long de la dernière trentaine d’années. Alors des progrès, il y en a eu. C’est indéniable. Pourtant, on ne peut davantage nier que le fond du problème est toujours là et qu’on n’arrive pas tellement à le faire bouger. Il est devenu plus sournois, il s’affiche moins franchement (enfin, en général) mais il est toujours là. C’est un poison qui a imprégné le sol et il s’avère extrêmement difficile de s’en débarrasser. Plus difficile que je ne l’avais cru il y a 30 ans. Je n’irai pas jusqu’à dire avec elle que «la seule avancée notoire, c’est que maintenant, on peut les entretenir.» Mais les blagues sexistes sévissent toujours. On dit «les blondes» au lieu de dire «les femmes» et ça passe. Et gare à la femme qui ne trouve pas cela drôle!… Et les blagues, ce n’est qu’un signe entre mille. Tiens, j’aperçois du coin de l’œil un vieux n° du Nouvel Obs. qui traîne. Je regarde la date : 11/17 Mai 2006 (pour ceux qui veulent vérifier). Ca s’intitule « Ces intellos qui veulent changer la gauche » et s’accompagne de 11 photos d’ «intellos». Combien de femmes à votre avis ? Zéro. No comment.
   
   Bref, pour en revenir à notre livre, c’est un pamphlet revendicatif, excessif parce que le genre l’exige, mais juste fondamentalement. J’ai ri à certains passages car le ton est vif (par exemple au sujet des hommes qui se plaignent que les féministes soient castratrices : «C’est tout de même épatant, et pour le moins moderne, un dominant qui vient chialer que le dominé n’y met pas assez du sien…» )
   Virginie Despentes frappe juste, elle a de la verve, l’œil aigu et ses remarques font mouche «Dans un tiers de production cinématographique blanche contemporaine, regardez ce qu’on leur fait aux filles. »

   J’ai ri, mais pas toujours.


978-2253122111

09 décembre 2020

  Le train d'Erlingen ou La métamorphose de Dieu 

de Boualem Sansal

****+


 Ce livre de Boualem Sansal est un cri d'alarme et je me demande s'il sera entendu. Je suis assez pessimiste quand je vois tout le monde faire comme si de rien n'était. Ce roman ne semble pas avoir été l'électrochoc qu'il faudrait et que l'auteur sans doute, espérait. Je pense que c'est parce qu'il n'a pas été assez "ressenti". Il aurait peut-être fallu du premier degré, de l'épidermique. Nous sommes dans le cérébral, le réfléchi. Ça fera moins de bruit.
  
   Un prologue, deux parties, chacune suivie de plusieurs notes de lecture, un épilogue, un post-scriptum. Cela fait beaucoup me direz-vous. En effet, mais cette construction est habile et sert bien son but. "La construction du roman s'éloigne notablement des cadres habituels de la narration romanesque et peut dérouter, mais ainsi est le chemin de la vérité, bien fait pour nous perdre."
  
   Après donc, un court prologue pour nous mettre en condition, la première partie, "la réalité de la métamorphose", nous conte ce qu'il advint de Ute Von Ebert, richissime héritière et femme d'affaire, habitant Erlingen, charmant village de Bavière. Enfin, en temps normal. Mais justement, rien n'est normal au moment où nous la découvrons. Un ennemi étrange, mal identifié (l'a-t-on même vu?) envahit tout le pays, peut-être même l'Europe. Le monde ? On ne sait. Les informations manquent presque totalement. Il gagne du terrain par encerclement, étouffement, pourrait-on même dire. On imagine tout, on ne sait rien, il est partout une fois passé les limites du village et l'on ignore quelles sont ses intentions exactes. Pourtant, tout le monde pense avoir compris qu'il n'aura de cesse d'avoir étendu son contrôle à la totalité du territoire. Le pouvoir officiel est d'autant plus totalement désarmé face à ce nouveau mode d'agression, qu'il est miné par la corruption et le seul culte de l’intérêt personnel. Par sa fortune et son caractère, Ute Von Ebert, malgré son âge avancé, est aux première loges et, en partie, aux commandes de ce qui se joue. Le lecteur surpris de découvrir ce monde étrange, apprend tout cela par les lettres qu'Ute écrit à sa fille Hannah, vivant à Londres, bien qu'elle ne puisse les lui envoyer, tout contact avec l'extérieur étant rompu.
  
   La seconde partie, "la métamorphose de la réalité", nous fait découvrir une histoire bien différente. Léa, qui vit à Londres, vient d'apprendre l'agression très grave dont sa mère a été victime dans le métro parisien et qui met sa vie en danger. Elisabeth Potier est maintenant dans le coma. Elle est une prof d'allemand qui agrémente sa retraite en étant préceptrice d'une petite Allemande que sa famille richissime ne sait pas éduquer. Elle vit dans une cité où elle a vu les islamistes imposer leur loi et leurs règles et où les libertés ne sont plus du tout respectées, toute désobéissance aux dictats extrémistes exposant à de graves dangers. Face à cette situation, ni la police, ni l'état français ne font rien, se limitant au contraire à minimiser tout ce qui s'y passe. Pris entre des voyous qui imposent et interdisent ce que bon leur semble et une police qui nie le problème, les citoyens n'ont que le choix entre la soumission (bonjour, M. H.) et la fuite. Elisabeth n'était pas encore partie...
  
   Nous découvrirons peu à peu les liens entre les deux histoires et aurons à y réfléchir.
  
   Il me semble plus juste de dire que ce roman est "complexe", plutôt que "difficile". Car qu'y aurait-il de difficile ? Vous lisez les deux parties comme on vous les raconte, chose que vous n'aurez aucun mal à faire. Et tout le monde est en mesure de comprendre les deux histoires. La complexité, c'est d'être capable de saisir toutes les implications, les réflexions qui en découlent. Là, chacun fera selon ses moyens et de toute façon, tout le monde progressera par cette lecture que je vous conseille vivement.
  
   "Il ne s'agit pas de combattre un ennemi mais de démonter une fantasmagorie dont nous ne voyons que la partie émergée, que l'on découvre si profondément enfouie dans son inconscient que l'on voudrait plutôt l'aider à s'en guérir qu'à la combattre. Il saute vite aux yeux que l'outil de démontage ne peut être qu’une autre fantasmagorie aussi puissante. Qui va l'inventer, qui saura la manipuler ? Des penseur des l’extrême peut-être, des contre-prophètes si le moule qui les fabrique existe."



978-2072798399

06 décembre 2020

Un monde flamboyant 

de Siri Hustvedti

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"L'art vit uniquement dans sa perception."
   (une évidence sans cesse oubliée.)
  
   Je lis régulièrement le magazine LIRE, et, à chaque fois que l'occasion s'en présente je me demande pourquoi c'est cette pauvre Christine Ferniot qui est astreinte à critiquer les livres de Siri Hustvedt alors, que visiblement, elle ne les apprécie guère. Elle ne leur adresse d'ailleurs pas de reproche spécial, est même globalement plutôt élogieuse, mais immanquablement, le couperet tombe : 2 étoiles sur 4. Juste la moyenne, pas un poil de plus.
  
   Juste la moyenne?? Juste moyen, ce monde flamboyant!! C'est une plaisanterie. On en voudrait plus souvent des moyennes comme celle-là! Mais passons et parlons plutôt de ce qu'est vraiment ce livre en espérant que le prochain roman de Siri Hustvedt connaîtra la grâce d'un œil nouveau dans ce magazine... Ça serait bien d'y avoir un autre avis professionnel. Question d'équité. Je dis ça, je dis rien, je ne voudrais pas m'immiscer...
  
   "Un monde flamboyant" raconte l'histoire de l'artiste new-yorkaise Harriett Burden, veuve Lord, dite Harry, une femme au tempérament volcanique et une artiste qui estime que son talent n'a jamais été reconnu à sa juste valeur parce qu'elle est une femme et même une femme grosse et laide de surcroit. Elle soutient que l’œil que les critiques d'art posent sur ses œuvres est oblitéré par ces caractéristiques et qu'ils ne prennent a priori jamais une femme pour un artiste majeur*. Ils ne l'envisagent même pas. Souvent inconsciemment d'ailleurs, ils ne considèrent avec sérieux que les œuvres d'artistes mâles, de préférence dans la trentaine.
   "Il y a beaucoup d’inconscient dans le préjugé. Ce qui affleure à la surface, c'est une aversion non identifiée, que l'on justifie alors de quelque façon rationnelle."
   Harry soutient qu'on ne considère jamais l’œuvre d'art hors de son contexte et ce contexte inclut son créateur. Siri Hustvedt experte en Art, mène là une vraie et passionnante réflexion sur la perception de l'art (et même, en élargissant, de toute production).
   "Sans l'aura de la grandeur, sans l'imprimatur de la grande culture, de la mode ou de la célébrité, que restait-il? Qu'était-ce que le goût? Y avait-il jamais eu une œuvre d'art qui ne fut chargée des attentes et des préjugés du spectateur, du lecteur ou de l'auditeur, si éduqué et raffiné qu'il fut?"
   et plus loin :
   "J'ai commencé à me demander si je pourrais montrer des œuvres signées Anonyme. Ce pourrait être impossible. Il n'est pas de vision bien ordonnée sans contexte, apparemment. L'art n'est pas autorisé à apparaître spontanément, sans auteur.(...) (Il) a vu que peu importe ce que je dis ; mon intelligence est décriée. Balivernes et fadaises. Si je devais revendiquer "Les chambres de suffocation"**, les gens en place se détourneraient immédiatement.
   L’œuvre paraitrait différente.
   Aurait-elle, tout à coup, l'air d'une œuvre de vieille?"
  
   Le problème, c'est l'intelligence et la culture exceptionnelles de Harry. Personne ne peut lui pardonner cela. Comme s'y ajoute un physique sans séduction, personne ne fait même semblant de le lui pardonner.
  
   Pour prouver sa thèse et terrasser les critiques d'art qui la boudent en un coup de théâtre final, Harry décide de montrer ses œuvres sous un prête-nom et même, car si la chose n'arrivait qu'une fois, elle serait trop facilement attribuée au hasard, de le faire trois fois, avec trois prête-noms différents, mais tous mâles, et assez jeunes. Les trois fois, l’exposition d'Harry remporte un vrai succès qu'elle n'avait jamais connu auparavant... mais elle ne maîtrise pas tout, et comment ces hommes de paille peuvent-ils vivre cela? Chacun à sa façon... mais les choses ne se passent pas comme elle avait prévu.
   Par ailleurs, son examen de la perception de la femme créateur l'amène progressivement à prendre conscience de l'universelle dépréciation que subissent les femmes dans tous les autres domaines également.
  
   Siri Hustvedt nous fait vivre toute cette histoire par l'intermédiaire d'un journaliste qui après la mort de la sulfureuse Harry, entreprend une enquête sur ce qui s'est vraiment passé entre Harriett Burden et les trois artistes qui viennent de remporter ces succès. Pour ce faire, il rencontre tous ceux qui l'ont approchée à cette période, son compagnon, ses enfants, ses amis, ses ennemis, ceux qui la soutiennent et ceux qui la prennent pour une folle, et compile interviews, correspondances, témoignages divers et extraits des nombreux carnets de l'artiste. Cette façon de faire anime la narration, multiplie les angles de vue et rend facile à lire ce gros ouvrage érudit sur l'art et sur la condition féminine.
  
   Si ces deux sujets vous intéressent, même si vous ne devez lire qu'un seul ouvrage sir ce thème, faites que ce soit celui-là. Siri Hustvedt nous offre un livre brillant, poignant (j'ai même versé une larme sur la fin), captivant (mon personnage préféré : Phinéas), juste, qui ouvre des voies et qui nourrit la réflexion. Encore un livre qui rend intelligent.
  
   Tout sauf moyen. Vraiment.
  
   Et ne ratez pas les clins d’œil malicieux de l'auteur qui joue à glisser son nom ici ou là... dans divers costumes.
  
   Extraits :
  
   "Je ne suis pas ce parangon de vertu, Pénélope, attendant Ulysse et refusant les prétendants.
   Je suis Ulysse.
   Mais je m'en suis aperçue trop tard.
   (…) Je vous hais tous les deux pour n'avoir pas vu cette vérité, pour n'avoir pas reconnu que je suis le héros aux milles tours.
   (…)
   Et n'étaient-ils pas tous pleins de condescendance envers toi, Harry? Ne te considéraient-ils pas comme une inférieure, toi qui étais capable de penser mieux, de travailler mieux, de faire mieux que n'importe lequel d'entre eux?
   Oui. C'est ce qu'ils faisaient."
  
  
   "Elle savait que le monde de l'art est avant tout un cloaque de poseurs vaniteux qui achètent des noms pour blanchir leur argent. "Je veux être comprise", me disait-elle d'un ton plaintif. C'était un jeu cérébral que le sien, un conte de fées philosophique. Oh, Harry ne manquait pas d'explications, de justifications, d'arguments. Mais, je vous le demande, dans quel monde allait se produire cette compréhension? Dans le royaume enchanté de Harry, où les citoyens se la coulaient douce en lisant des bouquins de philosophie et de science et en discutant de la perception? Le monde est grossier, ma vieille, lui répétais-je. Regarde ce qui est arrivé à la poésie!" 190
  
  
   * Siri Hustvedt, qui n'est ni grosse, ni laide, mais indéniablement une femme, souffrirait-elle du même syndrome?
 ** Une des œuvres dont elle a caché qu'elle était l'auteur et qui rencontre le succès.


978-2330064495 

04 décembre 2020

 Le Meurtre du Commandeur 

2 - La métaphore se déplace  

de Haruki Murakami

****+


Le tome 1 avait bien mis en place la situation et présenté les personnages. Situation et personnages sont à la fois "normaux" et singuliers, voire carrément étranges. Ils vont continuer dans cette tonalité. On s'était beaucoup demandé ce qu'étaient les vraies intentions de l'étrange voisin Menshiki, quel était le secret du peintre Tomohiko Amada, propriétaire de la maison, peintre ayant créé ce tableau dont est issu le Commandeur et ce que deviendrait ce personnage fantastique. Où se trouve le réalisme, où commence le fantastique, qu'est-ce qui est sain, qu'est-ce qui est trouble mental ? ...
   
   Ce second tome ne déçoit pas. Il est au moins au niveau du premier pour la puissance de la créativité. La jeune modèle du personnage principal disparaît, les recherches restent vaines. Et finalement, dans la chambre de la résidence où agonise le vieux peintre, tout bascule : "Une trappe s'ouvre dans un coin de la chambre. Un personnage étrange en surgit, qui l'invite à entrer dans le passage souterrain." (l' , le narrateur)
   Mais où Haruki Murakami nous a-t-il entraînés? Dans quel monde sommes-nous? "Quand je levai la tête, je constatai qu'il n'y avait pas de ciel."
   Qu'y a-t-il, quand il n'y a pas de ciel?
   
   Le monde des rêves peut-il avoir prise sur celui de l'éveil? Et quelles en sont les conséquences? "Moi aussi, j'avais dépassé les contraintes physiques de la réalité."
   
    Des personnages dépouillés, avec quasiment rien en dehors de ce qui touche à l'histoire qui fait l'objet du roman. Des personnages hygiénistes et méticuleux, froids et déterminés... et des objets. Des accessoires avec marques citées, modèle et marque, avec une précision importune, indiquant ainsi qu'ils sont partie importante du personnage. Chez Murakami, les objets sont peu nombreux, on évolue dans un décor dépouillé, mais ils sont traités comme des marqueurs importants. Cela me surprend toujours, moi qui ne vois habituellement en eux que des accessoires...
   
   Une petite fixation sur la croissance de la poitrine chez les adolescentes, et comme toujours avec Murakami, de la musique aussi; ici Le chevalier à la rose nous accompagne et nous emporte tout du long des deux tomes. 2.


978-2714478399 

02 décembre 2020

 Le Meurtre du Commandeur 

1 - Une idée apparaît 

de Haruki Murakami

****+


L'éditeur nous promet avec ce nouveau roman d'Haruki Murakami "une œuvre exceptionnelle", comment résister? D'autre part, les romans de cet auteur ne le sont-ils pas toujours plus ou moins? Avec ou sans la quatrième de couverture dithyrambique, je me serais précipitée pour lire cette nouvelle fourniture, et j'aurais constaté qu'il y a en effet comme un nouveau concept: le thriller lent et l'histoire de fantôme non bienveillant qui ne fait pas peur.
   
 Vous l'aurez remarqué, les thrillers vont toujours à toute allure, pour ne pas vous laisser le temps de réfléchir, vous bousculer et vous déstabiliser. Celui-ci, non, il prend tout son temps et vous laisse réfléchir autant que vous le voulez, il vous y incite même, et pourtant, vous ne vous en sortez pas mieux. Vous êtes pris.
   
    Vous l'aurez remarqué également, les histoires de fantômes aux pouvoirs surnaturels, quand ils ne sont pas de bons gros marshmallows de la littérature pour enfants, déclenchent la peur, et pour commencer, celle des personnages du roman où ils apparaissent. Rien de semblable ici. Le narrateur voit apparaître ce spectre et l'accepte comme tel. Il ne se réjouit ni ne craint sa présence. Il la prend simplement comme un fait objectif et n'émet aucune conjecture sur ses intentions. Il n'était pas là avant, mais maintenant il y est. Il ne sait ni pourquoi, ni ce qu'il veut, mais il ne s'en préoccupe pas vraiment et ne se sent pas menacé (alors qu'il le pourrait). Cette peur des personnages est nécessaire pour déclencher celle du lecteur. Ici, le lecteur se captive pour ce qui arrive, mais adopte la position "wait and see" du narrateur.
    Mais que je vous en dise plus à son sujet.
   
   Cet homme jeune, peintre professionnel, vient de vivre six ans de bonheur sans nuage avec son épouse Yuzu quand un soir, elle lui annonce qu'elle ne "peut" plus vivre avec lui, sans lui donner la moindre explication. Elle reconnaît ensuite aimer un autre homme. Notre peintre, qui l'aime toujours autant et n'a perçu aucun signe avant-coureur, accepte là aussi les faits sans les discuter et part immédiatement, abandonnant tout ce qui faisait sa vie jusqu'à ce moment. Il achète une voiture d'occasion et part sur les routes, sans le moindre but, avalant les kilomètres, les paysages et les motels, sans destination ni projet. Quand sa voiture rend l'âme, il décide de cesser son errance et de se trouver un logement. Son meilleur ami a hérité de la demeure isolée en pleine montagne de son père, peintre célèbre et accepte de la lui laisser en location contre le gardiennage.
   
   Dans sa jeunesse, après avoir été un peintre attiré par l'art moderne, il avait renoncé à ses ambitions créatrices quand il avait eu à gagner l'argent du ménage, et qu'il s'était alors mis à peindre des portraits sur commande et par pur souci commercial, alors qu'il méprise cette activité. Cependant, la surprise est que ses portraits sont de plus en plus appréciés et qu'à son grand étonnement, beaucoup admirent énormément son talent en la matière. Lui, persiste à n'y voir qu'une forme mineure de peinture. Une fois installé dans la chalet de l'artiste, il compte se mettre au travail dans un nouveau registre, puisqu'il a cessé toute activité en quittant sa femme et sa vie antérieure. Mais rien, ne lui vient et il patiente. Il a par ailleurs découvert un tableau secret du peintre qui occupait les lieux avant lui: c'est le Commandeur du titre, et d'autre chose aussi, que vous découvrirez. Rapidement, son ex-agent lui apprend qu'il a reçu une demande de portrait si faramineuse qu'il lui est impossible de la refuser... Le narrateur, qui arrive au bout de ses économies est stupéfait de l'énormité de la somme promise et ne peut qu’accepter.
   
   Nous faisons alors la connaissance d'un nouveau personnage. L'étonnant Menshiki, n'est pas seulement immensément riche, c'est également un homme aussi étrange que mystérieux. Que veut-il exactement? Il apparaît bientôt que ses attentes ne se limitent pas à son portrait... Et quelle est cette histoire de fantôme, d'esprit, d'idée qui apparaît? Notre peintre perd-il la raison? Se fait-il manipuler? Ou faut-il accepter les évènements tels que, comme il le fait, sans les discuter?
   
   Derrière cette intrigue très captivante, le lecteur découvrira une vraie réflexion sur la création artistique en peinture et des considérations sur le bouddhisme, l'éveil, la mort, les liens du sang etc. Le personnage phare est bien conforme aux habitudes de Murakami, un homme posé et réfléchi, adepte des tâches ménagères, peu enclin aux emportements... Et pourtant. Ce premier tome se termine sur une ouverture inattendue, qui, je pense, vous surprendra. En tout cas, elle m'a surprise, moi. Et je plonge sur le tome 2.


978-2714478382

30 novembre 2020

  La succession  

de Jean-Paul Dubois

*****


Paul est un homme heureux. Depuis quatre ans, suite à sa rupture des liens familiaux, géographiques, professionnels etc. Paul s'est installé dans sa vie de rêve, c'est à dire, exactement l’existence dont il rêvait. Il a dit adieux à une famille hautement toxique, à sa carrière de médecin toute tracée, avec reprise du cabinet paternel et à la France, pour se téléporter à Miami, dans une carrière de pelotari professionnel. La pelote basque, c'était la seule chose au monde qui l'intéressait et le faisait vibrer, alors, pouvoir en vivre, même modestement...
   
   Il nous raconte sa vie maintenant, dans ce monde de soleil, de sport, de parieurs, ce Nirvana d'éternel adolescent. Il a une modeste demeure, une voiture qui tient de la pièce de collection, et un bateau guère plus vaillant, mais qui lui permet quelques échappées sur la grande bleue. C'est d'ailleurs là qu'il va rencontrer et sauver son meilleur ami en la personne d'un jeune chien tombé à la mer ou jeté d'un autre bateau -va savoir- et bientôt il rencontrera la femme de sa vie...
   
   Pendant qu'il nous raconte tout cela, il mêle à son histoire des récits, des souvenirs de sa famille, une famille très étrange, aux mœurs nettement psychotiques, et une famille de suicidés. Des quatre personnes auprès desquelles il a grandi, trois se sont suicidées : son grand-père, son oncle, sa mère. Il ne reste que son père, qui ne va plus tarder à faire de même. C'est de lui qu'il recevra la Succession du titre. Bientôt, s'en sera fini du paradis terrestre qui n'aura duré que quatre ans...
   

   Une très belle histoire, très poignante, pleine de vie (paradoxalement) et de mort aussi (d'accord). Une très belle écriture. Un personnage principal vraiment sympathique (pour moi, du moins) que l'on suit avec intérêt tout au long du récit de ses pensées et de ses souvenirs, récit qui risque d'autant moins de lasser que les anecdotes sur tous ces personnages étranges qu'il a côtoyés sont nombreuses, surprenantes, et bien faites pour piquer notre curiosité et notre intérêt. Le chien, la voiture, le bateau, la maison, feront le voyage -littéraire- avec nous tout au long de ce récit d'une totale cohérence. Je me suis régalée.


978-2757869406 

28 novembre 2020

Le Roi n'a pas sommeil 

de Cécile Coulon

***+


Cécile Coulon, qui signait là son troisième roman, nous raconte la vie de Thomas Hogan, en remontant aux racines de son histoire, à savoir la vie de ses parents. Son père, William, était un homme dur, taiseux, sombre et qui considérait la vie comme un combat. Il s'était choisi dès le départ un challenge très difficile en jetant, petit garçon, son dévolu sur une belle propriété délaissée qu'il s'était mis en tête, quand il serait un homme, d'acheter et de faire fructifier. Dès qu'il le put, il mit tout ce qu'il possédait dans l'achat de ses rêves et en fait, se condamna ainsi, à une vie d'un travail forcé au-dessus des forces d'un seul homme. Marié, il ne rendit pas sa femme heureuse, père d'un fils unique, il lui transmit ses humeurs coléreuses et le fardeau de cette propriété. C'est ainsi que Thomas, qui aurait pourtant pu faire de bonnes études, se retrouva lié à ce bout de terre, et ce d'autant plus qu'il avait entièrement intériorisé et fait sien cet attachement morbide; d'autant plus également que tout le village observe et les a figés, son père et lui, dans ces rôles sombres et inéluctables. On n'en s'en aperçoit qu'un peu tard, mais la ville a valeur de personnage, et même d'un des principaux, dans cette histoire. (Le roi qui n'a pas sommeil, c'est justement l'opinion publique, l’œil du village).
   
   On sait dès le départ que tout finira mal puisque c'est sur ces pages que le livre s'ouvre. Reste au lecteur à découvrir l'inexorable cheminement. L'affaire est menée de main de maître par Cécile Coulon qui fait preuve d'un déjà fort grand savoir-faire.
   
   C'est pour cette raison que je lirai d'autres livres d'elle car celui-là ne m'a pas emportée. J'ai bien vu toutes les qualités, la bonne écriture (malgré une faute comme "il avait interdiction formelle de ne plus toucher à une goutte d'alcool" p.115 Que font les correcteurs?), la justesse des caractères, l'habileté de la peinture, mais j'ai besoin aussi, dans l'histoire ou dans les idées, d'un élément qui me surprenne, de la petite étincelle qui allume mon intérêt et ma curiosité, et là, je ne l'ai pas trouvée. Cette histoire est au fond prévisible et banale, ce qui fait que la belle peinture qu'en fait C. Coulon, si elle permet de l'accepter, ne m'a pas suffi à être conquise, ni même réellement intéressée. Mais je retenterai ma chance auprès de cette auteure.. 


978-2210740549

26 novembre 2020

 

Le bouddha de banlieue  

de Hanif Kureishi

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Titre original : Buddha of Suburbia 

  Brillant premier roman
J'ai passé quelques heures vraiment plaisantes avec ce roman à la fois gai et incisif, distrayant mais non dépourvu de profondeur, qui nous ramène dans les années 70, en Angleterre. Le narrateur, Karim Amir, est un ado de dix-sept ans, assez déluré, très libre (d'esprit, mais aussi sexuellement). Il vit, du moins au début du récit, encore chez ses parents qu'il aime bien. Son père, pakistanais, s'intéresse au bouddhisme et étant peu à peu considéré comme un guide spirituel par les Britanniques que cette philosophie attire, il s'engage de plus en plus dans cette activité. Il sera le Bouddha de banlieue. Parallèlement, il a une liaison avec une femme pour laquelle il va quitter son épouse, une Anglaise. Amir va rester chez sa mère, tout en gardant le contact avec son père, d'autant qu'il aime bien sa nouvelle compagne, et plus encore Charlie, le fils de celle-ci qui est d'une "foudroyante beauté"...

A travers cette situation originale et au fil des aventures qui vont s'en suivre, nous allons faire connaissance avec la vie d'un petit "Paki" des années 70 anglaises. Le racisme est bien présent et ne se cache pas aussi bien qu'il peut le faire maintenant. Sous le débridé des péripéties, la fantaisie paillarde des aventures, transparaît l’âpreté de la vie d'un Pakistanais en banlieue londonienne, soumis à toutes les brimades, à tous les sévices qu'il plairait à un environnement raciste de lui faire subir. On se rend compte qu'il faut tout l'humour et l’indéfectible vitalité d'Amir pour survivre à tout ça en gardant le sourire, avec un petit air de "même pas mal".

Charlie va devenir une star du Punk (il fait tellement penser à des vedettes qui se sont crées ainsi ces années-là...) Amir lui, finira par s'orienter vers le théâtre, puis vers l'écriture et sa grande capacité d'adaptation et sa résistance aux chocs, lui assureront également le succès.

Nous, de notre côté, nous aurons bien replongé dans ces années dont certaines idoles n'ont jamais pu être remplacées, voire égalées. On s'en étonne encore... A croire qu'il y avait vraiment quelque chose de spécial dans cette époque à la fois rude et libre. De nombreuses anecdotes font clairement partie d'expériences vécues ou vues par l'auteur, sans que l'on puisse vraiment parler de roman auto-biographique. Mais cette source "première main", donne une grande vigueur au roman. L'humour et la grande liberté de ton font le reste du charme de ce roman iconoclaste.

PS : le plaisir pris à cette lecture m'a donné envie de lire le premier titre "My Beautiful Laundrette", pour m'apercevoir à la réception qu'il s'agit d'un scénario et non d'un roman (alors que je pensais que le film avait été tiré d'un roman), du coup, je ne sais pas si je le lirai. Je ne suis pas très attirée par cette forme, autant voir le film, mais comme je l'ai sous la main, on ne sait pas...



978-2264018199 

24 novembre 2020

  Le patriote

de Pearl Buck

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Injustement oubliée, Pearl Buck mérite largement d'être rappelée à nos esprit volages. « Le patriote » est un grand roman. On peut le classer dans la catégorie des romans historiques si l'on veut souligner le fait qu'il montre de façon précise et documentée, la Chine devenant celle de Chiang Kaï-Shek ainsi que le début de sa guerre avec le Japon. 
 
 Nous suivons I-Wan, fils d'un très riche et influent banquier de Shanghai. Il s'éprend de l'idéal communiste pendant ses études et prépare avec eux l'insurrection de la ville pour soutenir l'arrivée de Chiang Kaï-Shek, mais ce dernier, qui n'a jamais aimé les communistes, préfère les livrer et conclure un accord avec les autorités. Des milliers de communistes sont tués, I-Wan perd ses amis et ne devra la vie qu'à la position de son père qui, partie prenante du dit accord, parvient à lui faire quitter le pays en catastrophe vers le Japon où il vivra chez un ami de son père qui fait le commerce international d’œuvres d'art asiatiques. Il y restera dix ans. Pendant ce temps, le Japon et la Chine entrent en guerre, une guerre longue, cruelle et très meurtrière. I-Wan se retrouve bientôt dans une situation intenable. 
 
 On peut, disais-je considérer que nous avons là un roman historique compte tenu de tout ce qu'il nous apprend sur l'histoire de la Chine et du Japon du début du vingtième siècle. Il nous présente les faits (que nous ne connaissons pas forcément en détail) mais également les personnages et en particulier ce Chiang Kaï-Shek au caractère si puissant qu'il impressionnait et dominait tous ceux qui l'approchait (et qui auraient parfois mieux fait de chercher à bien comprendre ses buts ultimes). 
 
 Mao n'est pas encore en vue. 
 
 Nous découvrons également les fonctionnements de la vie quotidienne de cette époque, tant en Chine qu'au Japon (et c'est pour constater sans surprise que le patriarcat est partout tout puissant). 
 
 C'est un roman passionnant aussi par la justesse de ses personnages et la finesse du portrait qui fait que bien que leurs psychologies soient bien éloignées des nôtres, nous parvenons sans peine à suivre leurs pensées et à les comprendre. Nous sommes également intéressés par les péripéties de leurs vies et, chaque fois que nous en perdons un de vue, nous nous demandons ce qui lui arrive pendant ce temps. Le suspens sur leur avenir dure jusqu'à la dernière page