Sous le ciel des hommes
GARANTI SANS SPOILER Petite liste de ce que j'ai lu... "J'ai lu quelques bons livres cet été-là, ainsi qu'un grand nombre de mauvais, et le les ai tous aimés." (Quatre saisons à Mohawk de Richard Russo)
30 octobre 2020
25 octobre 2020
Civilizations
Il avait retenu les propos d'un historien qui disait qu'il n'avait manqué que trois choses aux Indiens pour résister aux Conquistadors : le cheval, le fer et les anticorps. L'idée enflamma l'imagination de Laurent Binet qui, deus ex machina, leur donna ces trois éléments et regarda le monde se refaire sous ses yeux.
Je trouve cette idée tout à fait enthousiasmante, et ils n'étaient pas nombreux, ceux capables de la réaliser, mais Laurent Binet est de ceux-là. D'abord, nonobstant les travaux de recherches supplémentaires, cela suppose une solide culture de base ; et ensuite, il fallait une parfaite maîtrise littéraire alliée à une aptitude à la vaste vue d'ensemble et une capacité à rendre réaliste jusque dans les détails, paradoxalement liée à un savoir éluder et simplifier qui seul pouvait permettre de raconter cette histoire en 400 pages et non en dix tomes de 1000. Jamais l'auteur ne se perd dans ces détails qu'il fournit pourtant assez abondamment pour que les scènes aient un parfait air de réalisme. Jamais il ne s'égare dans les digressions. Il trace sa route du point de départ de son idée, quelques traversées réussies de la Grande Mer par des Européens du nord, irlandais, islandais, vikings, pour apporter les trois éléments manquants, jusqu'à Cervantes (naissance du roman moderne, croire que c'est un hasard?).
Car c'est encore une des choses qui m'ont particulièrement plu : on retrouve dans ce monde des Incas, les mêmes personnages historiques que dans celui que nous connaissons. Ils ont globalement le même caractère, la même apparence (Charles Quint, on voit que l'inspiration vient directement d'un tableau les représentant, à cause par exemple des vêtements), et cette union à la peinture est un charme supplémentaire ; mais il leur arrive des choses différentes... On se régale avec Luther, Le Gréco, Pizarro, François 1er, Laurent de Médicis etc. On jubile avec la vision très libérale et hyper tolérante que les Incas ont de la religion, eux pour qui elle n'est qu'un détail sans grande importance et qui ne voient aucune objection à aucun culte, du moment qu'on reconnaît en l'Inca le fils du soleil. On rit de voir ces immigrés dont hommes et femmes aiment à se promener nus (fussent-ils princesses ou généraux) débarquer en Espagne en pleine Inquisition... Car c'est ainsi que cela commence, à la même date que nous avons eu la découverte de l'Amérique par C. Colomb, c'est cette fois Atahualpa, l'Inca, et quelques centaines de ses hommes, qui ayant dû tenter la traversée de l'Océan Atlantique poursuivis par leurs ennemis débarquent à Lisbonne qui vient de subir un terrible tremblement de terre. Bientôt ils poursuivront leur route en Espagne où ils rencontreront Charles Quint (trompés par les peintres de cour, nous oublions parfois ce que eux voient tout de suite : ils "furent frappés par sa mâchoire de crocodile et son nez de tapir"). Charles Quint, quasi maître de l'Europe, ne considère guère ce sauvage nu sous sa cape de duvet de chauve-souris auquel il ne reste plus que 200 hommes, mais Atahualpa est l'Inca, c'est à dire un dieu, et toute idée de subordination lui est donc totalement inconnue.
Quand ils ont débarqué, les Indiens se sont installés dans un cloitre, découvrant là les "tondus" (ecclésiastiques) et leur "Dieu cloué". Ils ont découvert les croyances du lieu (sans leur accorder grande importance). Mais surtout, lors de son séjour, l'Inca a apprécié et étudié en détail, un livre d'un certain Machiavel... et pour ce qui est de tenir sur la durée, il faut se souvenir qu'il y a une chose que les Incas ont : l'or, et beaucoup. Atahualpa sait que "C'est la misère qui crée le désordre." aussi libère-t-il tous ses affidés de tout impôt, ne leur demandant pour tout tribut qu'un peu de travail obligatoire gratuit. Comme on le devine, alliée à une totale liberté de culte en cette période où l'on s'étripe pour des dieux, cette façon de faire va lui valoir de larges ralliements dans cette difficile Europe du 16ème siècle...
C'est un livre passionnant et grandiose. Ne le ratez pas ! C'est maintenant en poche.
22 octobre 2020
Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon
Quand on lit Jean-Paul Dubois, ce que l'on retrouve toujours, sous les différents costumes de différentes histoires sous différents cieux, c'est sa philosophie de la vie ; et si cette philosophie est aussi la vôtre, vous serez toujours bien dans ses pages. D'abord, vous les comprendrez, ensuite, vous vous sentirez compris, ou pouvant être compris, par ses personnages sympathiques. C'est comme un microcosme amical, ne demandant qu'à vous accueillir. En clair, c'est un moment éminemment agréable. Vous y découvrirez (Jean) Paul, lui-même en un de ses avatars, et comme vous l'aimez bien, vous passerez d'excellent moments en sa compagnie. Vous ferez la connaissance de tous ses personnages "secondaires" dans la création et l'animation desquels l'auteur excelle, et votre expérience du monde en sera enrichie.
Le travail de Jean-Paul Dubois tient de l’exercice de style, avec les constantes que l'on se doit de retrouver dans tous les romans, l'enracinement sociétal, et la richesse de l'imagination de l'auteur qui nous en tirera toujours des récits totalement différents à chaque fois. J'admire.
Ici nous passerons 240 pages en prison, partageant la cellule d'un biker assassin, forcément, ça ne bouge pas beaucoup et les souvenirs portant sur les vingt-six années précédentes, attachées à un immeuble, ne sont pas très mobiles non plus. C'est peut-être ce côté statique qui m'a fait un peu moins aimer cet opus, mais vraiment, cela vaut quand même la peine d'être lu, et largement. De plus, je sais par expérience que les romans de J-P Dubois restent en mémoire, on garde leurs personnages avec nous longtemps. Ils ne font pas partie de ces livres qui s'effacent, hélas, rapidement. J'attribue cela à l'écho profond qu'ils trouvent en nous, une résonance.
20 octobre 2020
Partir léger
"Alors voilà, on est partis. Un aller simple, sans date de retour précise. Du Népal au Japon, en passant par l’Inde, le Sri Lanka, la Birmanie, la Thaïlande et l’Indonésie. On pourrait chercher des motifs, des buts, mais ce serait mentir, en réalité il n’y en a jamais qu’un seul : le goût de se déplacer dans l’espace.”
Septembre 2019. Dans la dernière ligne droite de l’écriture de son roman Le grand vertige, Pierre Ducrozet se lance dans un voyage de plusieurs mois à travers l’Asie, sur les traces de certains de ses personnages.
Sous forme de chroniques bimensuelles, il envoie des cartes postales à Libération : récits, impressions, sensations – des “notes pour plus tard“ qui prennent le pouls de cette planète en surchauffe et des humains qui y vivent.
L’ensemble forme une sorte de contribution réelle au réseau Télémaque fictif de son livre, un atlas intime des lieux traversés en mouvement et à l’arrêt, un inventaire du précieux, du fragile et de l’immuable. Et nous rappelle tout ce qu’il reste encore à sauver."
Dans la foulée de l'excellent "Grand vertige", mes semblables et moi-même qui venions de nous régaler avec le roman, étions clairement la cible visée par cet agencement éditorial. La quatrième de couverture insistant sur les rapports entre cette recension de billets de voyages et le livre. Je m'attendais donc à une sorte de journal de l'écriture, mais il n'en est rien. J'en ai donc été déçue, faute à l'éditeur qui n'a pas été assez franc.
18 octobre 2020
Quelque chose à cacher
La victime en faisait aussi partie, de ce monde-là, mais tirant un peu à la marge par sa liberté d'allure et de vie. Adolescente elle avait couché avec beaucoup, mais c'était elle qui décidait, qui prenait et qui quittait. Les garçons n’avaient d'yeux que pour elle, à cause de sa liberté, justement, pas un n'aurait refusé. Elle était finalement partie, Paris, beau mariage, mais là, elle était revenue; peut-être pour mettre en vente la maison familiale au beau parc qui part à l'abandon n'étant plus habitée...
C'est dans cette maison qu'on a retrouvé son corps, les voisins s'étant alarmés des lumières restant allumées en plein jour et de la porte restée ouverte, battant au vent. Un coup de fusil, l'arme de la maison, accrochée au mur (chargée!) et donc sans doute pas de préméditation. Un rôdeur ? Un amant... La piste du voleur est vite abandonnée. On arrête un amant. Il nie mais se pend. Il survit mais le cerveau a manqué d’oxygène... On ne saura peut-être jamais. C'est que parmi les garçons dont elle avait tourné la tête en son jeune âge, il semble qu'il y en ait qui l'aient gardée comme un fantasme de ce que leur vie aurait pu avoir de plus réussi, de plus flamboyant. Le regard des hommes sur les femmes, qui donnerait à ces dernières, des obligations... Encore un féminicide.
Le récit de tout cela nous est fait par un autre notable, car fils de l'ancien médecin. Mais, artiste, il a tenté de se faire un nom dans la peinture, et même, il peint encore, dans une grange aménagée en atelier. Mais pour faire bouillir la marmite, il compte tout de même davantage sur son poste assez modeste de guide-conférencier et gardien du musée de la ville. Lui aussi, nous confie-t-il, avait en son temps, eu et perdu les faveurs de la jeune-fille. Et, adepte de la marche, même sous cette pluie qui ne cessera pas de tout le livre, il avait beaucoup tourné autour de la-dite maison, hésitant à aller la revoir.
C'est ce qu'il dit du moins, car le lecteur suspicieux se demande dès le départ si ce narrateur si bien informé n'aurait pas des allures de témoin, voire de suspect, voire d'assassin.
Et le lecteur n'est peut-être pas le seul, car son ami le commissaire Massonneau, mine de rien, lui pose beaucoup de questions et semble tourner autour de lui comme un gros chat autour d'une souris. Il en est conscient. "Massonneau était un brave type, mais c'était difficile de savoir ce qu'il avait exactement dans la tête."
Mais il semblerait bien qu'en fait, ce soit deux gros matous que nous ayons là, quant à la souris, ça fait longtemps qu'elle est mangée.
Un roman tout en atmosphère. On est loin du thriller. La province ouatée, les rumeurs, les non-dits. Ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, ce qu'on sait et ce dont on parle. Et cette pluie, cette pénombre d'hiver qu'aucun néon ne vient éclater. Beaucoup d'images très poétiques. Les rues vides, le parc ensauvagé, le cimetière, les chrysanthèmes... Beaucoup de points de suspensions dans mon commentaire, vous l'aurez compris, c'est qu'ils correspondent exactement à l'ambiance créée, tout ce qui se sait, se devine, mais qui n'est pas dit, ce que l'on met en branle et qui se fait tout seul, après.
C'était mon deuxième Dominique Barbéris et il y aura très certainement un troisième, car moi, j'aime ce genre de livres aussi, profonds et subtils.
16 octobre 2020
La fille de la nuit
Elle n'a pas succombé à sa blessure mais la trajectoire du morceau de plomb à l'intérieur de son cerveau a bouleversé sa personnalité. Elle n'est pas amnésique, non, c'est pire encore : elle est devenue quelqu'un d'autre...
Le chaos de la cicatrisation a fait d'elle une femme très différente. Quelqu'un qui n'a plus ni les mêmes goûts, ni les mêmes aspirations. Un cas digne de figurer dans les annales de la médecine.
Incurable, elle ne peut espérer rentrer en possession de son passé. D'ailleurs elle n'y tient pas outre mesure car son instinct lui souffle que ce retour à la case départ est pour elle une véritable aubaine.
Qui est en définitive Jane Doe, cette inconnue qui, à chaque crise de somnambulisme, se met à mimer des crimes atroces ? Une mythomane, une démente... Ou tout simplement une femme comme les autres, mais dont la blessure a réveillé les pulsions criminelles qui dorment en chaque être humain?"
15 octobre 2020
* Baignade accompagnée
* Iceberg Ltd
08 octobre 2020
Le berger de l'Avent
Gunnar Gunnarsson
****
07 octobre 2020
Sur les ossements des morts
d'Olga Tokarczuk
*****
"Les matins d'hiver sont faits d'acier, ils ont un goût métallique et des bords acérés."
Comme Olga Tokarczuk s'est vu attribuer le Prix Nobel de Littérature en 2019 et que je n'avais encore rien lu d'elle, je me suis empressée de combler cette lacune avec le seul livre d'elle que propose ma bibliothèque : "Sur les ossements des morts" et j'ai ainsi découvert qu'il s'agissait d'un roman policier !
Les Nobel n'ont pas pour habitude de semer leurs prix dans cette catégorie... Mais je n'allais pas tarder à découvrir que ce roman était également bien plus que cela. D'abord une très belle écriture (la phrase ci-dessus suffit à le montrer), empreinte de poésie, une large vision du monde, le récit d'une philosophie appliquée, un sens de la vie. Ainsi la merveilleuse vision non darwinienne de l'évolution qui est celle de son héroïne:
"Le dessein de l'évolution est purement esthétique, et peu lui importe l’adaptation. En réalité, l'évolution est en quête de beauté, de l'aboutissement le plus parfait de toute forme."
Ajoutez à cela une intrigue, un suspens et une recherche de la clé du mystère par le lecteur (je n'avais pas trouvé!) qui rendent le livre passionnant de bout en bout.
Le récit nous en est fait par une vieille dame, Janina (elle déteste son prénom et interdit qu'on l'utilise) Doucheyko. Autrefois elle fut sportive de haut niveau et ingénieure des Ponts et Chaussées (du moins, l'équivalent polonais, car nous sommes en Pologne, tout près de la frontière tchèque). Mais n'allez pas imaginer un être pragmatique et hyper-rationnel, car elle est au contraire toute imprégnée d'une vision poétique et presque animiste du monde. Ses dons pour le calcul, elle les utilise pour tirer des horoscopes, sa passion actuelle avec les animaux qu'elle considère comme presque les égaux de l'homme et en tout cas, elle ne tolère pas qu'on leur fasse le moindre mal et n'accepte pas qu'on les tue, que ce soit pour la chasse, la fourrure ou la boucherie. Pourtant, autour d'elle, c'est ce qui se passe. Cette région de la Pologne est le royaume des chasseurs, des viandards, dont la plus grande jouissance est le massacre. Elle vit dans un village isolé dans la montagne où les autres n'ont que des résidences secondaires qu'ils n'occupent qu'à la belle saison. Elle, elle y reste tout le temps, bien qu'elle avoue que l'hiver prouve que la nature n'est pas faite pour l'homme. Elle gagne quelque argent en surveillant scrupuleusement les maisons vides de ses voisins que l'hiver attaque. Là-haut, en hiver, il ne reste plus avec elle que deux habitants ! Grand Pied (horrible bonhomme qui aura la bonne idée d'être le premier mort, celui avec qui tout va commencer) et Matoga voisin plus sympathique, mais ours solitaire.
Notre vieille narratrice est maintenant de santé précaire, et ne pourra bientôt plus assurer ce gardiennage hivernal. Jusqu'à il y a peu, elle vivait avec ses "petites filles", ses deux chiennes qu'elle adorait, mais elles sont mortes, à présent. En dehors du peu liant Matoga, il ne lui reste plus que les visites de Dyzio, un de ses anciens élèves, flic subalterne consacrant en fait sa vie à son grand œuvre : traduire les poèmes de Blake en polonais (c'est d'ailleurs d'un de ces poèmes qu'est tiré le titre de ce roman). C'est un travail ardu et délicat qu'il mène avec l'aide de Janina qui enseigne aussi l'anglais aux enfants. C'est pourquoi il vient souvent chez elle et ils passent tous deux des heures à plancher sur l’œuvre du poète en mangeant ses petits plats végétariens.
La mort de Grand Pied semblait accidentelle, mais voilà qu'elle est bientôt suivie de celle d'un riche et redoutable chasseur, qui elle, ne l'est visiblement pas. Bientôt, un autre voisin grand chasseur et éleveur de renards, disparaît quant à lui sans laisser la moindre trace... Il y a aussi derrière cela des relents de pots de vin, car nos victimes sont des notables dont personne n'ignore le peu de scrupules...
Janina inonde les autorités avoisinantes de lettres leur expliquant que les meurtres sont l’œuvre des animaux qui, estimant qu'ils s'étaient suffisamment laissé massacrer, avaient entrepris de se venger. Elle finit par se retrouver derrière les barreaux tant sa proximité et ses idées semblent suspectes, mais en fait la police ne trouve rien contre elle et sa santé précaire ne permet pas de l'y laisser trop longtemps. Tout cela sur fond d'études astrologiques très poussées, qui ne convainquent pas davantage son entourage.
On se régale à la lecture de ce roman, tant il est original et riche en situations fascinantes et personnages frappants. La vision du monde de Janina nous imprègne totalement car c'est elle qui fait le récit de ses actes et pensées pendant ces 300 pages, et pour peu que l'on s'y prête, on voit le monde par ses yeux, et c'est un monde de nature, d'astres et de bêtes où l'homme n'est qu'une petite chose mesquine, vindicative et cruelle et où les Justes sont ceux qui s'efforcent de ne pas nuire et de trouver leur place en harmonie.
"Dans un sens, les maisons sont des organismes vivants qui entretiennent une relation de symbiose exemplaire avec l'homme."
Mais qui donc, tue les chasseurs ?
09 septembre 2020
Quichotte
de Salman Rushdie
*****
M. Smile, VRP vieillissant et totalement solitaire qui n'a d'ailleurs plus de domicile fixe, habitant des motels au gré de ses tournées de prospection, passe des heures à regarder la télévision et ce qui devait arriver arrive : il tombe amoureux fou d'une vedette du petit écran, Salma R., la seule personne qu'il voit tous les jours. Il décide alors de lui écrire et d'aller la rejoindre en passant par « les sept vallées » qui représentent les étapes de sa purification. Durant ce périple, en période de doute ou d'hésitation, toutes ses références sont télévisuelles et même feuilletonnesques. Sancho apparaîtra bientôt comme étant son fils
Le chapitre suivant nous fais découvrir Brother, alias Sam Duchamp, un écrivain de romans populaires qui vient de crée ce personnage qu'il a baptisé Quichotte et avec lequel il entreprend un roman plus exigeant. Les aventures et mésaventures qu'il fera vivre à son personnage seront en parallèle étroit avec ce qu'il vit lui même, en particulier avec une similarité des « seconds rôles ». Ce qui entraîne une mise en abîme assez vertigineuse, d'autant que la lectrice que je suis se charge de rajouter un étage avec les liens entre Salman Rushdie et tout ce petit monde...
« J'ai l'impression qu'il y a quelqu'un au-dessous, virgule, derrière, virgule, au-dessus du vieil homme. Quelqu'un, oui, qui le crée de la même façon que lui m'a créé. Quelqu'un qui déverse en lui sa vie, ses pensées, ses sentiments, ses souvenirs exactement comme lui a fourré tout cela en moi. »
Ai-je oublié de dire que chacun pense que c'est la fin du monde qui est au bout de leurs histoires ?
C'est tout à fait passionnant.
En dehors des références à des séries télé il y a des clins d’œil plus littéraires (Ionesco, par exemple) ou/et plus politiques. Il y a une vraie réflexion sur les liens entre le réel et la fiction, la créature et son créateur ; une réflexion aussi sur le monde tel qu'il évolue aujourd'hui aussi bien aux USA qu'ailleurs. C'est comme la vie, souvent drôle et souvent dramatique, on perd du temps et on en gagne, les choses se déroulent comme prévu ou pas. On est loin du formatage stéréotypé des romans de moindre qualité. Je trouve que le monde littéraire français ne rend pas suffisamment hommage à Salman Rushdie, un des rares grands grands écrivains contemporains.
978-2330139421
21 août 2020
Le grand vertige
de Pierre Ducrozet
****
Je ne voulais pas entrer dans la librairie, je ne voulais pas acheter de livre de la rentrée littéraire avant Quichotte de Rushdie pas encore sorti. Je ne connais pas Pierre Ducrozet, je n'ai encore rien lu de lui. J'ai jeté un œil sur son Grand vertige et je suis repartie avec.
...
Quatrième de couverture :
« Pionnier de la pensée écologique, Adam Thobias est sollicité pour prendre la tête d’une “Commission internationale sur le changement climatique et pour un nouveau contrat naturel”. Pas dupe, il tente de transformer ce hochet géopolitique en arme de reconstruction massive. Au cœur du dispositif, il crée le réseau Télémaque, mouvant et hybride, constitué de scientifiques ou d’intuitifs, de spécialistes ou de voyageurs qu’il envoie en missions discrètes, du Pacifique sud à la jungle birmane, de l’Amazonie à Shanghai... Tandis qu’à travers leurs récits se dessine l’encéphalogramme affolé d’une planète fiévreuse, Adam Thobias conçoit un projet alternatif, novateur, dissident.
Pierre Ducrozet interroge de livre en livre la mobilité des corps dans le monde, mais aussi les tempêtes et secousses qui parcourent notre planète. Sa narration est vive, ludique, rythmée. Elle fait cohabiter et résonner le très intime des personnages avec les aspirations les plus vastes, la conscience d’un pire global, d’une urgence partagée. Le grand vertige est une course poursuite verticale sur une terre qui tourne à toute vitesse, une chasse au trésor qui, autant que des solutions pour un avenir possible, met en jeu une très concrète éthique de l’être au monde. Pour tous, et pour tout de suite. »
J'ai apprécié ce roman et n'ai pas trouvé la fin décevante comme c'est souvent le risque avec ce genre de récit. J'ai mis ci-dessus la quatrième de couv' intégrale parce que pour une fois, elle dit exactement ce qu'il faut. Il y a bien en plein milieu vingt pages de docu qui interrompent le récit, et je me suis dit que ce n'était peut-être pas la façon la plus habile de fournir les renseignements, mais c'est rédigé de façon à ne pas bloquer le lecteur- la preuve, je les ai lues et je dois reconnaître qu'elles étaient utiles.
Je découvre Pierre Ducrozet avec ce livre mais du coup, j'ai déjà acheté d'autres de ses romans car je pense que c'est un auteur avec lequel je devrais encore passer des moments captivants et instructifs.
Extrait :
« Il y a une guerre à l’œuvre. Je ne l'ai pas choisie, tout comme vous ne l'avez pas enclenchée, mais nous en sommes tous les victimes. Nous avons décidé, en tant que société, de nous diriger vers un système économique fondé sur la prétendue abondance des ressources, la domestication de ce qu'on a appelé notre 'milieu naturel' et un flot constant d'énergie. Nous avons très lentement pris conscience de notre erreur, et lorsque nous aurions pu embrayer vers un autre système, plus souple et moins avide, la poignée d'entrepreneurs à la tête des compagnies multinationales de pétrole, de gaz, de charbon, d'agro-alimentaire, d'armement et d'automobile ont tout mis en œuvre pour consolider cette société thermo-industrielle basée sur l'énergie fossile, sachant dès lors qu'elle conduirait très probablement à la destruction de la planète et du monde tel que nous le connaissons. Ils ont déclaré unilatéralement une guerre au reste des êtres humains et du vivant. »
9782330139261
20 août 2020
L'herbe rouge
de Boris Vian
****
Ce recueil présente deux novelas de Boris Vian
L'herbe rouge voit l'ingénieur Wolf et son assistant Saphir Lazuli, installés en plein désert pour finir de mettre au point une "machine". Ils sont accompagnés de leurs épouses respectives. Les femmes sont belles, sensuelles, proches de sensations simples et naturelles et extrêmement aptes au bonheur. Les hommes sont compliqués, torturés outre-mesure et inaptes au bonheur. Les femmes pourraient se contenter de l'amour, les hommes, non. Il y a aussi un bon gros chiens, nommé Le Sénateur Dupont, doué de parole. Et le désert, bah, c'est le désert.
La machine sert à vous faire revivre vos souvenirs, mais les efface par la même occasion. Wolf, qui cherche à comprendre sa vie et à lui donner un sens, l'expérimente.
L'histoire, qui finira mal, est prétexte à réflexion sur les relations hommes-femmes (mais si c'est bien dans ses deux postures que Vian les concevait, on devine que cela va tourner court...) et sur le but de la vie, se demandant même ce qui se passe, si par extraordinaire, on parvient à atteindre ce but. C'est ce qui arrive au Sénateur Dupont
"Bouleversé, ravi, le sénateur le suivait. Enfin, son idéal se matérialisait... il s'était réalisé... Une sérénité onctueuse lui envahit l'âme et il ne sentait plus ses pieds" A partir de là, le chien se consacre entièrement à jouir de son bonheur, plonge dans sa béatitude et se désintéresse de tout le reste. "Etre satisfait ou gâteux, dit Wolf, c'est bien pareil. Quand on n'a plus envie de rien, autant être gâteux."
***
"L'abbé Grille se mit à rire
- Vous avez une rancune de petit garçon contre la religion, dit-il
- Vous avez une religion de petit garçon, dit Wolf."
***
"Avec un bruit de limace qui se suicide"
***
Les lurettes fourrées
978-2253001355